[TERMINE] Highway to hell x Tegan

Je sais pas vraiment si on peut dire que la vie est un long fleuve tranquille. Bah…déjà, parce qu’on est à Downfall, et qu’ici, rien est vraiment tranquille. Certains jours, c’est juste un peu moins agité que d'autres, mais…c’est tout. A un moment ou à un autre, la ville reprend ses droits, et c’est de nouveau la merde. En attendant, de mon côté à moi, même si je peux pas vraiment parler de tranquillité, je peux employer sans risquer de me planter le terme de quotidien bien rangé. Presque trop.

D’une semaine à l’autre, je suis toujours au même endroit, presque à l’heure près. Chez Pop’s, au salon de la tia, au fight club, chez mes parents…ça se ressemble tellement que j’ai parfois l’impression d’être bloquée dans ce film, où le héros vit la même journée, encore et encore, et encore. Si ça rassurerait sans doute certaines personnes de faire tout le temps la même chose au même moment, j’admets que c’est un aspect de ma vie dont je suis pas hyper fan, cette sensation d’être coincée dans la même boucle temporelle infinie. Je sais aussi que pour l’instant, j’ai pas vraiment le choix de faire autrement. Faut faire entrer de la thune dans la tirelire Espinoza, et ce combo de boulots se révèle efficace. Crevant, mais efficace.

Heureusement, je peux compter sur ces quelques moments que j’arrive à passer avec Hailey et les garçons en dehors du taff, et qui coupent un peu du train-train quotidien. Et puis…même si je l’admettrai jamais, même sous la menace d’une arme -des conneries- les boulots que je fais pour Kenny sont aussi un bon moyen de tromper la régularité de mes journées, et d’y apporter un soupçon de folie qu’elles ont pas en temps normal. Même si ouais, parfois, la folie est un peu trop élevée pour moi, genre quand on se fait tirer dessus, par exemple. Je suis quand même la première à être surprise par ce soupçon d’excitation face à l’inconnu que je ressens quand je sais pas dans quelle merde il m’embarque. Ca faisait bien longtemps que j’avais pas ressenti ces fourmillements dans le bide, ce qui a rien d’étonnant puisque j’ai plus vraiment le temps de monter mes précieuses petites arnaques. Je serai presque devenue une nana bien comme il faut, dis donc !

Aujourd’hui, et comme chaque jeudi, je suis attendue à Preciosas, pour jouer la parfaite petite esthéticienne, et aider la tia à s’occuper des clientes. Avec le temps, c’est devenu plus facile, même si la plupart du temps, je fais juste semblant d’être sociable, parce que j’ai du mal à me sentir vraiment concernée par les commérages de salon de beauté. J’ai développé une technique composée principalement de “ah bon ?!”, “mais naaan ?!” et “dis m’en plus !”, qui marche à tous les coups. Il suffit de recentrer la conversation sur la cliente, et le tour est joué. C’est pas plus compliqué que ça. Et c’est presque amusant quand je me dis qu’il m’arrive de faire la même chose au fight club, avec un gars qui a besoin de vider son sac après une journée difficile. Sauf que là, j’ai droit à quelques dollars de pourboire quand je sais me montrer oreille attentive.

Je prends le temps de me servir un troisième café -il me faut au moins ça pour devenir une nana à peu près sympa- tout en traînant dans l’appartement, ce machin qui me semble être un palais par rapport au placard dans lequel je vivais depuis que j’ai pris mon indépendance. Ici, Hailey et moi on a une chambre chacune, un salon avec une petite kitchenette dans un coin, et une salle de bain où y’a jamais eu de dégât des eaux, aucune moisissure au plafond, et où l’eau passe pas de glaciale à plus brûlante qu’en enfer en l’espace de deux secondes. On est loin d’un palace, hein. On vit toujours dans le Skid, avec tout ce que ça implique, mais au moins, Hailey aura plus à payer son loyer avec autre chose que des dollars. Et puis…on va pas se mentir, c’est plutôt agréable d’avoir quelqu’un avec qui discuter le soir, avec qui parler du quotidien, une personne avec laquelle partager le canapé et un programme débile à la télé.

Hailey ayant fait la fermeture du Diner hier, elle est encore en train de pioncer quand je me prépare aussi discrètement que possible, enfilant mon pantalon noir, et ce t-shirt rose qu’on doit voir depuis Mars mais dont Rosa est si fière, et que je finis par quitter l’appart. Je suis tout juste installée derrière le volant que je remarque le post-it collé sur la boîte à gants, avec un smiley dessiné dessus, la carte de visite de Tattooman, quand il a un job à me confier. Je trouve une adresse griffonnée sur un morceau de papier, ainsi qu’une heure, et devine sans peine que je viens de signer pour des heures supplémentaires sans rien avoir demandé à personne. C’est ce qui arrive quand on essaie de baiser les Prayers of Insanity, et que ça tourne pas aussi bien que ça aurait pu, on maîtrise plus vraiment son emploi du temps.

Avec un léger soupir, je me rends donc au salon de beauté, m’arrêtant aux frontières de Van Nuys pour montrer patte blanche. Les Blackened Beauty ont l’habitude de voir ma tronche se pointer tous les jeudis, certaines de ces déesses étant des clientes qui viennent souvent chez Preciosas, et puis…mon amitié avec Em m’ouvre assez facilement les portes du quartier des Amazones. Tiens, je devrais profiter de mon passage dans le coin pour lui proposer d’aller manger un bout, maintenant que madame est sortie de prison. Je vais pas aller jusqu’à lui dire -on évite ce genre de niaiseries entre nous- mais je suis vraiment contente qu’elle soit plus dans cet endroit sordide, et loin de Skye, et des siennes.

La journée se passe à l’instar de toutes les autres entre ces murs. Je me retrouve à faire les trois massages qui sont programmés, mes collègues étant bien trop ravies de pas avoir à toucher des corps à moitié nus, et moi de pas avoir besoin de faire la conversation à des gens ayant encore des fringues. C’est du gagnant-gagnant. Une pose de vernis pile à la fermeture vient boucler ces heures de travail, et je récupère mon chèque durement gagné…enfin, gagné quoi, et prends le temps de discuter avec Rosa pendant qu’on fait le ménage, et qu’on nettoie tout ce qui a besoin de l’être. Je pousse même mon rôle de parfaite petite nièce jusqu’à raccompagner la tia jusqu’à chez elle, mais décline sa proposition de rester dîner, prétendant être attendue par une amie pour passer une soirée tranquille. Elle fait même pas semblant d’y croire, et me balance cash au visage que si j’ai un rencard, je peux lui dire clairement, qu’elle est passée par là, et je m’empresse de faire demi-tour avant que le mot contraception franchisse ses lèvres. Sérieux, faut pas déconner non plus.

Récupérant la caisse de Raoul, je jette un nouveau coup d'œil au bout de papier qui se trouvait dans la boîte à gants, et mets le cap sur l’adresse, quittant Van Nuys pour aller au point de rendez-vous. Le trajet prend pas trop de temps, et j’apprécie ces quelques minutes passées en tête à tête avec moi-même, sans ces bla-bla interminables que j’ai entendu toute la journée. J’aime bien me retrouver seule par moments, pour souffler un peu. Je ralentis quand le téléphone me dit que je suis à quelques mètres de ma destination, et quand j’entends que je suis arrivée à l’adresse indiquée, je m’y reprends à deux fois en voyant que je suis devant un garage. Et alors que je sors de la voiture, je ronchonne allègrement, pas vraiment emballée à l’idée de jouer une nouvelle fois les dépanneuses de l’extrême.

Devant le machin, je suis à deux doigts de faire marche arrière, de remonter dans la bagnole, et de rentrer au chaud à l’appart pour faire un débrief de ma journée avec Hailey. Sauf que…je sais ce que j’encours à chaque job que je refuse. Un malus, qui prolongera ma collaboration avec Kenny. Plissant le regard, j’essaie de zieuter à travers la fenêtre, pour voir où je fous les pieds, et je me décide à entrer dans le garage quand je croise le regard d’un gros malabar qui a pas l’air d’aimer se faire chatouiller, et qui semblait prêt à venir voir ce que je fous là. En entrant, je salue d’un signe de tête ledit balèze, avant de remarquer la tronche blonde qui sort d’une pièce attenante.

Rhaaa, putain, il manquait plus qu’elle. Je lui adresse un sourire déjà agacé, faisant un pas dans sa direction. “-Tiens, salut Barbie Prayer. Tu serais bien aimable de dire à ton frère que je suis là, il m’a donné rdv ici.” Barbie Prayer et aimable dans la même phrase…tu m’étonnes que j’arrive pas à retenir mon putain de sourire sarcastique. Quand je pense que cette pétasse à voulu me cramer la tronche la première fois qu’on s’est vues…entre ça, et Kenny qui a débarqué dans mon appart avec son flingue et ses deux gorilles, il faudrait vraiment qu’ils revoient leur façon de se présenter ces deux-là, parce que la première impression laisse vraiment à désirer.

Je vois bien à la tronche de Barbie Prayer que soit elle était pas spécialement au courant que j’allais débarquer, soit elle est pas hyper ravie de voir ma tronche. Même si les deux options sont clairement cumulables. Je lui ferai bien ravaler son “ma p’tite” qui me file l’envie de lui foutre un pain, mais je sais que cette nana-là et moi on joue vraiment pas dans la même cour. Elle, c’est une tarée qui va sortir son briquet pour menacer de foutre le feu à mes cheveux…même si je suis sûre qu’elle doit aussi avoir un flingue ou deux qui trainent dans le coin. Après tout, si son frère en a un, pourquoi pas elle… “-Ouais…c’est vrai. Je dois m’en tenir à quoi, du coup ? Barbie Sainte Nitouche ? Ça manque de crédibilité…” que je rétorque d’un ton égal au sien, avant de glisser un regard vers le type qui m’a gaulée en train de mater par la fenêtre.

Bon c’est bien gentil tout ça, et même si j’adore au plus haut point nos sympathiques échanges, ça me dit pas où est Kenny, et pourquoi il est pas à l’heure au rdv qu’il m’a lui même filé. Sérieux, les dealers, c’est plus ce que c’était ! J’avais pas spécialement quelque chose de plus important ou intéressant à faire ce soir, mais ça, il est pas censé le savoir. Et en plus, ça le regarde pas ! Je me raidis quand même quand la blondasse finit par me dire que son frère se pointera manifestement pas, et que le job, je vais le faire avec la frangine. “-...quoi ?” Nan, en vrai, j’ai pas spécialement envie qu’elle se répète. J’ai l’impression qu’entendre sa voix me file de l’urticaire, alors moins je l’entendrai, et mieux je me porterai.

Bordel de…faire équipe avec elle…je peux pas plutôt refaire équipe avec Kenny, avec option coups de feu activée. Non parce que vraiment, j’en suis au point où je préférerai ça, c’est pour dire. Qu’elle m’ai allongée sur le trottoir pour me couvrir de menaces a clairement pas fait démarrer notre relation de la meilleure façon qui soit. Relation…ha ha. “-Mais quel enfoiré…” C’est quoi ce plan foireux ?  Et il suffit qu’elle ouvre la bouche pour que ça me donne aussitôt envie de rebrousser chemin. Je commence à accepter l’idée de bosser avec Kenny, mais sa sœur, là…nope, elle m’inspire rien. Enfin, rien de bien sympa en tout cas. Est-ce que pendant quelques secondes je suis tentée par l’envie de lui dire d’aller se faire foutre, et de rentrer chez moi pour me vautrer dans le canap’ ? Putain ouais, carrément. Mais je sais ce qu’il m’en coûtera. Je sais que je vais avoir droit à un de ces malus que le blond a déjà évoqué, et bordel, j’ai pas envie d’écoper d’un de ces machins à cause de sa frangine.

Je crois qu’une part de moi est encore en train de peser le pour et le contre concernant la possibilité de rentrer quand Tegan reprend la parole, m’invitant avec une extrême délicatesse à monter dans sa caisse. Tiens…jolis pneus…je me demande comment ils s’en sortent face à une lame. Mon regard traîne un peu sur cette caisse m’as-tu vu au possible, alors que je lance en prenant place à mon tour dans la bagnole. “-Toujours aussi sympa à ce que je vois…” Elle est au courant, quand même, que j’ai pas davantage demandé à être dans cette situation qu’elle, et que je me serai parfaitement passée de sa présence ?

Jetant un œil en biais à la blonde qui démarre aussitôt, je prends le temps de boucler ma ceinture, parce que j’ai moyen confiance en sa conduite. En vrai…j’ai moyen confiance en elle tout court. Son frère…je dis pas. Ouais, ça commence à venir, à aller mieux. Elle…que dalle. Ses airs de petite frappe me font penser à un rôle qu’elle se donnerait, et qui donne absolument pas envie de gratter pour voir ce qui se cache en dessous. C’est bon, elle est safe là-dessus. On va juste faire ce qui est à faire, ma dette se trouvera diminuée, et voilà. Même si je devrais avoir droit à un bonus pour être obligée de faire équipe avec cette râleuse.

Comme des semaines en arrière, quand j’étais en voiture avec un autre de ces jumeaux démoniaques, je regarde par la fenêtre pour essayer de me repérer dans le quartier expérimental. “-J’imagine que si je te demande ce qu’on est censées faire, tu vas m’envoyer chier…” que je lâche au bout de quelques minutes de trajet silencieux, alors qu’encore un peu plus de silence me répond. Je retiens pas un espèce de rire soufflé par le nez, reprenant presque aussitôt : “-Ouais, je m’en doutais bien.” Hé bah ça va être sacrément long, si Barbie Relou l’ouvre pas. Quoique…vu le type de trucs sympas qu’elle lâche quand elle ouvre la bouche, je préfère peut-être quand elle se la ferme.

Sauf que ouais, putain…c’est loooong. Et ça me soûle, ce silence. J’aime pas ça, j’ai jamais aimé ça même. Et peut-être bien que j’ai envie de la faire chier. “-T’sais quoi, je vais faire des suppositions, jusqu’à ce que t'en aies marre de m’entendre, et que tu me dises pour quoi j’ai signé malgré moi ce soir.” que je finis par lâcher, quittant la vue de la fenêtre côté passager, pour lui accorder toute mon attention. “-Donc…on est pas dans une dépanneuse…donc y’aura peut-être pas de bagnole à récupérer ce soir.” que je commence, énumérant les possibilités sur mes doigts, me disant que du coup, on se fera peut-être pas tirer dessus, et que ça c’est pas si mal.

Je continue sur ma lancée, proposant des idées sans queue ni tête, juste pour le plaisir de parler, et de la soûler encore un peu plus. J’ai pas oublié sa menace, et vu qu’elle s’est allumé une clope toute à l’heure, je sais qu’elle a un briquet sur elle. Mais peu importe. Faut croire que j’aime vivre dangereusement : “-Hm…non, toujours pas ? Okay…hm…” Je fais mine de réfléchir en lâchant un long “hhhhmmm” tout ce qu’il y a de plus sonore, me demandant ce que font des membres d’un cartel quand ils prennent leur bagnole la nuit. “-Si c’était de la dope à récupérer, ou à livrer, ton frère m’aurait laissé faire le job toute seule. Donc…c’est pas ça non plus. Tellement de possibilités…vous devez jamais vous emmerder, dans votre petit cartel…” Même s’il a plongé, ledit petit gang.

Et je continue encore, parce que ça fait passer le temps…et pendant ce temps, au moins, mon intégrité physique reste entière. On dirait peut-être pas vu mon côté un peu maso qui aime un peu trop chercher la merde. “-Oh, je sais ! Tu m’emmènes manger un bout parce que je me suis dépêché de sortir de mon autre boulot à cause de vos conneries, et que maintenant j’ai grave la dalle. Trop sympa de ta part !” Encore une fois, sympa et Barbie Boudeuse, ça va pas ensemble. Finalement, avant que j’ai eu le temps de faire une autre proposition foireuse, Tegan ralentit, et gare la bagnole le long d’un trottoir, devant un immeuble assez haut, fissuré, défraîchi, et qui a clairement connu une meilleure jeunesse. Et autant dire que ce petit terrain à côté, sans doute sensé faire office de parc, est plus flippant qu’autre chose. “-Oooh, tu m’invites chez toi ? Fallait le dire, j’aurai ramené mon pyjama !” que je lance en sortant de la caisse, levant le nez vers le bâtiment où je suis pas trop certaine d’avoir envie d’entrer. Nan mais sérieux…elle veut toujours pas me dire ce qu’on fout là ?!

La pipelette ? Ah ben tiens, elle est bonne celle-là ! Je suis pas une pipelette. Okay, d’accord, l’épisode de la voiture pourrait laisser penser le contraire, mais…en vrai, y’a une explication. Une que je suis absolument pas disposée à lui fournir, soyons clair, parce que je suis sûre que Barbie Connasse -c’est vrai que le petit surnom lui va bien- apprécierait un peu trop l’explication. Quand je suis disons…nerveuse, je jacasse. C’est une façon de me calmer les nerfs, j’imagine, de tromper ce semblant de stress qui essaie de se faire une place dans ma tête. Alors, pour lui éviter de s’installer, je parle. Des fois de trucs pertinents, la plupart du temps, je me contente juste de dire ce qui me passe par la tête. Faut pas croire que parce que j’ai monté des petites arnaques ici ou là, je suis parfaitement à l’aise avec l’idée d’illégalité, de danger, ou tout ce qui peut rimer avec ces frangins Prayers. Ma dette m’a plongée dans un monde dont j’ignore tout, si ce n’est qu’on pardonne rarement. Ce qui fait que ouais, je me demande souvent ce que je fous encore là.

Tout ça pour dire que nan, je suis pas une pipelette. Même s’il m’a fallu beaucoup de mots pour en arriver à cette conclusion. Je suis juste pas à l’aise, un poil nerveuse à l’idée d’être dépassée par la situation. Évidemment que c’est pas près d’arriver que je fasse une soirée pyjama chez elle. J’ai déjà du mal à imaginer qu’un jour on puisse réussir à échanger deux mots sans s’envoyer chier à chaque phrase prononcée, alors imaginer qu’on pourrait devenir amies, et désirer passer une soirée ensemble, genre de notre plein gré…ha ha, l’idée est drôle. Hilarante, même. Pas demain la veille que ça va arriver. “-Oh je te donne mal au crâne…mince…et dire que la soirée fait que commencer…” que je dis d’un ton plein de promesses quand Tegan laisse sous-entendre que je parle beaucoup trop à son goût. T’as encore rien vu…enfin, entendu. On se comprend.

La blondasse prend son temps pour faire je sais pas quoi dans la voiture, et après avoir quitté l’immeuble du regard, je reviens sur mes pas et regarde par la fenêtre côté passager pour voir ce qu’elle fabrique…et découvrir une arme dans ses mains. Mais putain…pourquoi une arme, encore ?! Ils ont pas d’autres façons de résoudre les conflits, dans leur monde de gangsters ? Quand est-ce que s’asseoir à une table et parler posément de ses désaccords est devenu si has been que plus personne s’y risque ? Tegan me lance un regard que je suis pas certaine de réussir à identifier, alors qu’elle s’occupe d’une seconde arme, et sans même savoir si elle peut m’entendre, vu qu’elle est encore dans la voiture, et que moi je suis dehors, je me risque quand même à une nouvelle remarque. Au pire, elle verra juste mes lèvres bouger, et se contentera de profiter que je puisse pas empirer son faux mal de tête : “-Me regarde pas comme ça, j’en veux pas de ton truc de toutes façons.” Hors de question, je touche pas à ces engins de mort.

La Prayer -qui n’en est plus une parce que les Prayers existent plus comme elle a jugé utile de me le rappeler- se décide enfin à sortir de sa bagnole, et après quelques instants, elle m’invite de manière super aimable à la suivre à l’intérieur du bâtiment. Je lâche un soupir, pour la forme, mais lui emboîte le pas malgré tout, vite submergée par la vie qui règne dans le bâtiment. Y’a des gens, beaucoup de gens. Trop de gens, même. Des conversations, des rires, des cris…de colère, mais pas que. Et ce mélange d’odeur dans l’air : urine, poubelle, beuh…l’endroit est sympa. Pourtant, on trace, sans ralentir, sans faire le moindre commentaire, jusqu’à ce qu’elle s’arrête devant une porte comme les tas d’autres devant lesquelles on vient de passer.

Mes sourcils se froncent à sa remarque, alors que mon regard fait l’aller-retour entre elle et la porte, derrière laquelle se trouve un mec que je suis quasi certaine de pas apprécier vu le descriptif qu’elle m’en fait : “-Attend…quoi ?!” que je demande, au risque qu’elle finisse par penser que j’ai de sérieux problèmes d’audition. Je sais pas trop ce qui me perturbe le plus, l’idée qu’un inconnu puisse me toucher le cul, ou qu’elle s’imagine vraiment que ma réponse à son agression sera de casser un os à ce bonhomme. Je sais que ça fait longtemps, mais quand même, je préfère que la prochaine personne à s’y risquer soit quelqu’un de mon choix, et avec mon accord.

Sauf que j’ai pas le temps de poser la moindre question que la porte s’ouvre sur un gars un peu chelou, un certain Eddie. Le pied que Tegan balance à l’intérieur de l’appart pour s’assurer que la porte se refermera pas sur nous me laisse penser qu’il s’agit pas vraiment d’une visite de courtoisie, même si entre la tronche du gars quand il se rend compte que son visiteur est Tegan, et le fait que la blonde ait deux armes sur elle, le doute était moyennement permis. Elle nous fait entrer dans l’appart où on est clairement pas les bienvenues, même si ce camé prend pas la peine de le formuler verbalement. Ce qu’on fait là ? Putain Eddie, moi aussi j’aimerai bien le savoir. Rien de bon, si tu veux mon avis, que je me contente pourtant de garder pour moi. Je suis en territoire inconnu, et parfaitement consciente d’être une simple spectatrice.

Ah nan, un spectacle, plutôt, si j’en crois les paroles que Tegan lui balance, laissant entendre qu’il m’a bien reluquée, ce pervers. Je lui adresse un regard qui cache pas le dégoût que m’inspirent sa tronche, sa dégaine, son taudis, son comportement. Et il demande vraiment pour qui elle le prend ? “-Un espèce de gros dégueulasse, j’aurai dit !” que je réponds le plus naturellement du monde, sans même avoir été invitée dans la conversation. Ah nan, pas que. Pour un mauvais payeur, apparemment. Hé, high five, poto ! Même si j’espère quand même avoir une meilleure allure que lui.

Je peux pas m’empêcher de tourner le regard vers Tegan, sans cacher la moue un brin suspicieuse qui se pointe sur ma tronche. Est-ce que je suis vraiment en train de remplacer Kenny qui a pas pu ou pas voulu venir, ou est-ce que c’est genre une leçon façon Prayers ? Ca va, je la paie ma dette putain. Si c’est la raison de ma présence, ils sont sacrément gonflés ces petits enfoirés de blonds à la con. J’ai pris mon temps pour comprendre, je suis d’accord, mais bordel je suis ultra coopérative maintenant ! Alors si tout ce bordel là, c’est pour me rappeler ce qui pourrait m’arriver si je paie pas, c’est bon, j’avais compris y’a déjà des mois, pas la peine d’en rajouter une couche. Ils ont un grain ces Prayers.

Sauf que j’ai pas le temps de marquer ma désapprobation quant à ma présence, qu’Eddie se décide à répondre à Tegan une phrase que même moi je me serai pas permise de dire. Enfin…je crois ? Je le regarde d’un air choqué, laissant échapper un : “-Boy ! That escalated quickly.” à peine audible, alors que je mettrai ma main à couper que la blonde va pas apprécier des masses. Oh putain…en fait nan, c’est maintenant que la tension monte encore d’un cran quand Tegan sort son flingue pour le pointer sur Eddie, qui se raidit au moins autant que moi. Mais bordel de bordel de bordel…pourquoi ça vire au concours de celui qui a le plus gros, avec ces frangins ?! De flingue, hein…

J’ai envie de me barrer. Je pourrais le faire. Qu’est-ce qui me retient ici, sérieux ? J’y ai pas ma place. C’est pas ma sœur. Pas mon amie. Pas ma pote. Juste la nana qui a menacé de me cramer la tronche. Autant dire qu’on se doit rien l’une à l’autre. Pourtant, mes pieds bougent pas, et je suis autant ancrée au sol crasseux que si mes pieds pesaient trois tonnes chacun. Je me résous à rester, même si la vérité serait plutôt de dire que j’ai pas le cran de partir. Je sais qu’elle a pas besoin de moi, Tegan a deux flingues et sa putain de grande gueule, mais je reste quand même, assistant en silence aux regards tendus, aux traits crispés, en me demandant si elle va vraiment lui tirer dessus, et en espérant secrètement que non.

Ça aurait peut-être pu bien se passer. Si cet enfoiré avait su fermer sa grande bouche, au lieu d’ajouter de l’huile sur le feu. Je suis la première à jouer la provoc, je l’ai fait avec Tegan, je l’ai fait avec Kenny, je l’ai fait avec tellement de monde que j’ai perdu le compte, mais je sais aussi quand fermer ma gueule. Et en l'occurrence, quand j’ai une arme pointée sur moi, je sais que faire profil bas, c’est de l’instinct de survie. Un instinct de survie que la came a dû sacrément amocher chez ce gars, puisqu’il y va encore de son petit commentaire. Lesbos ? Lesbos genre lesbienne ? Ah ouais ? Aaaaah, mais c’est ça, l’histoire de la soirée pyjama où j’aurai pas besoin de pyjama ? Ouais, ça fait sens, et même que…Putain, Andrea !! Focus ! Tu laisseras ton cerveau divaguer plus tard, c’est moyennement le moment là ! Tegan, Eddie, arme à feu, le bordel, on se concentre.

Oh merde…double arme à feu. Double putain d’arme à feu, puisqu’il en sort une à son tour, et…et je suis pas trop sûre de la suite. Ça va vite, très vite. Je me rends juste compte du bang énorme qui me déchire les oreilles, de son cri, d’autres cris, ailleurs dans l’immeuble, du sang. Mes mains couvrent ma bouche alors que j’observe la scène, Eddie par terre, Tegan qui est toujours raide, son flingue en main, en train de balancer de nouvelles menaces, qu’il écarte d’une énième insulte. Mais où est-ce que je suis, bordel ? “-Mais putain de meeeeeeeeerde.” que je finis par lâcher, sans savoir si je crie, ou si ma voix est posée. Tegan a tiré sur un gars. Et j’étais là. Tegan a flingué un mec. Okay, il est pas mort, mais il a une putain de balle, dans sa putain de jambe. Et je suis sa complice. Merde…est-ce qu’on va aller en taule ? Double merde, est-ce que je serai sa coloc de cellule ? Aucune chance qu’on survive à ça, l’une comme l’autre.

Mes mains quittent ma bouche pour remonter sur mon visage, mon front, repousser mes cheveux. Stop la panique. Faut réfléchir Espinoza. Réfléchis.. Sauf que ce connard a pas l’air de prendre les menaces de Tegan au sérieux, et relance d’un : “-Va crever sale raclure de…” Et là, c’est trop. Comme le déclic pour me sortir les doigts, et arrêter d’être simple spectatrice. “-MAIS FERME TA GUEULE.” C’est gratuit, agressif à souhait…purement instinctif. Et même moi je sais pas d’où ça vient. Je sais juste que c’était là, que ça couvait dans ma poitrine, et que ça avait besoin de sortir. “-Et toi, tu fais chier, putain, on tire pas sur les gens comme ça, merde.” que je balance à Tegan, en oubliant que c’est elle qui tient l’arme, qu’elle est toujours vénère et sur les nerfs, et qu’elle peut pas me saquer. Et en plus, qu’est-ce que j’y connais, au fait de tirer comme ça sur les gens ou pas ?!

J’arrache le torchon dégueulasse qui traîne sur le dos de sa chaise, et me rapproche d’Eddie, profitant d’être près de son arme pour donner un coup de pied dedans, et la rapprocher de Tegan, où elle sera hors de portée des mains de ce type. “-T’as vraiment envie de te prendre une balle dans la queue ?” que je demande en lui lançant le torchon sur les jambes, alors qu’il me lance un regard noir, mais sans rien ajouter. “-C’est bien ce que je pensais. Alors t’arrêtes la provoc, tu réponds à la gentille Madame, et ensuite tu la fermes, pendejo.” que je dis, en montrant de l’index le torchon, puis sa blessure, puisque cet abruti a pas l’air de comprendre le pourquoi du comment. “-Sérieux, j’ai pas assez de thunes pour me payer une thérapie…” Je sais pas si je parle au gars, à Tegan, ou juste à moi-même. Non pas que ça fasse une grosse différence. Putain.

Eddie récupère enfin le torchon pour le plaquer contre sa blessure, alors que le tissu s’imbibe de rouge presque aussitôt. Putain, ça fait beaucoup de sang. Est-ce qu’il en perd pas trop ? Y’a combien de litres de sang dans un corps, déjà ? Et il en a perdu combien, là ? Il va pas crever, hein ? Putain, faites qu’il crève pas. Faudrait pas appeler une ambulance ? Oh merde…et si quelqu’un avait appelé les flics ? Je me tourne de nouveau vers Tegan quand elle relance Estupido, pour lui demander pour la énième fois où se trouve l’argent qu’il doit au cartel, alors que toutes ces questions ont pas l’air de la préoccuper tant que ça. Sauf que cet abruti prend un peu trop au pied de la lettre ma demande de se la fermer, et il se mure dans un silence. Même si, d’un point de vue extérieur, on dirait juste qu’il boude. En d’autres circonstances, ça aurait pu être marrant, mais là…arme à feu, sang, blessure…j’ai zéro envie de rire. “-C’est maintenant que t’es censé répondre, cara de culo !” Il me lance un regard pas très amical, puis le repose sur Tegan, et pendant quelques instants, on dirait qu’il hésite. Comment tu peux hésiter, quand quelqu’un menace de te faire sauter la bite ? C’est pas censé être son petit trésor, qu’il doit chérir jusqu’à la fin de sa vie ? De sa courte vie, s’il continue comme ça.

Eddie soulève un peu le torchon pour jauger sa blessure, et je détourne aussitôt la tête. Voir l’intérieur des gens, très peu pour moi. L’expérience -dont je me serai bien passée- m’a permis de savoir que ça me donne juste envie de gerber. “-J’ai rien ici.” qu’il finit par cracher, d’une voix pas très assurée. “-Enfin…j’ai pas grand-chose…” qu’il se reprend aussitôt, alors qu’il a un regard fuyant vers l’une des portes à peine entrebâillée, à deux pas de nous. C’est subtil, comme s’il avait pas fait exprès, que ça lui avait échappé.  Putain…on a pas pris la peine de vérifier qu’il y avait personne d’autre dans l’appartement. On aurait dû faire ça ? Je suis pas une pro en ce qui concerne le fait d’entrer chez les gens quand on m’y attend pas, c’est clairement plus un truc qu’aiment faire les Hargreaves, alors je suis pas trop au courant des précautions qu’il faut prendre dans ces moments-là. Et en même temps, c’est tellement vite parti en vrilles, qu’on aurait même pas eu le temps de faire le tour.

J’essaie de me pencher un peu, comme si j’espérais voir ce qu’il essaie de nous cacher, mais je distingue rien d’autre qu’un petit bout de lit, même pas fait. “-Y’a quoi, dans la chambre ? Je t’ai vu regarder vers là, alors crache le morceau. C’est là où tu planques la thune, ou t’as un invité ?” Je pourrais aller voir par moi-même, c’est vrai, sauf que…instinct de survie, une nouvelle fois. Me diriger comme si de rien était vers une pièce presque close, pour vérifier si oui, ou non, y’a quelqu’un derrière, qui serait potentiellement armé, et se gênerait pas pour me tirer dessus ? J’avoue que ça me dit pas grand-chose.

Mais bien sûr que nan, je veux pas qu’elle le laisse tirer en premier la prochaine fois, ni sur moi, ni sur elle, ni sur personne putain. C’est une vraie question, ça ? Nan, ce que je veux, ce que je veux vraiment, c’est que tout le monde range son putain de flingue, et que plus personne tire sur plus personne, ou menace plus personne, de perdre une jambe, un bras, une couille, ou que sais-je encore. Et accessoirement qu’elle se la ferme aussi. Ouais ça, je le voudrais aussi vraiment très fort. C’est quoi cette foutue manie de sortir une arme, de gueuler un coup, et tout ce bordel ? Tu m’étonnes que Downfall parte autant en vrille, si on fout un flingue entre les mains de chaque petite frappe du coin. J’attrape un torchon pour le balancer sur Eddie, alors que je montre sa plaie d’un air dégoûté, en essayant pourtant de pas poser les yeux dessus. Manquerait plus que je lui gerbe sur les genoux, et ce sera définitivement la soirée parfaite.

Sauf que malgré le sang qui coule, la douleur qui crispe les traits de cet enfoiré, le fait qu’elle a dû réveiller tout l’immeuble avec le coup de feu, Tegan reprend les menaces, avec cet espèce de je m’en foutisme qui me donne envie de lui en coller une dans la tronche. Mais c’est pas possible d’être aussi désinvolte, sérieusement ! Et lui là ?! Il est débile, ou il fait exprès ? Pourquoi il crache pas le morceau ? Il la voit pas, l’arme pointée de nouveau sur lui ? Il veut vraiment s’en prendre une autre dans la jambe…ou ailleurs ? Alors ouais, possible que ce soit plus fort que moi, et que je me retrouve à m’adresser à lui pour l’inciter à l’ouvrir, ce connard, et à répondre enfin aux questions de Tegan.

Hallelujah, on dirait qu’il a enfin retrouvé sa langue ! Même si c’est pour donner une réponse qui plaira sans doute pas à Tegan. Sauf que de mon côté, au-delà des mots prononcés par Eddie, c’est plutôt la façon dont il les dit qui m’interpelle. Ou plutôt, ce truc qu’il a fait, sans s’en rendre compte. Immédiatement, j’imagine qu’un type armé jusqu’aux dents se planque dans la chambre, derrière la porte presque close, prêt à tirer à travers le panneau en bois. Sauf que…une fois encore, Tegan réagit pas exactement comme quelqu’un de potentiellement en danger devrait réagir. Ouais bah…peut-être qu’il te dit pas tout parce que t’as l’air d’une psycho, meuf !! Et voilà qu’elle se remet aux menaces, à croire qu’il y a rien d’autre qui sort de sa foutue bouche. Mais putain…comment on peut en vouloir autant au service trois pièces d’une personne ?!

Face aux nouveaux mots doux de Tegan, je lève les bras au ciel dans un élan de désespoir, laissant mes mains claquer contre mes cuisses, sans prononcer le moindre mot, alors que je fixe le plafond. Nan, là, vraiment…j’ai plus rien à dire. Face à une folle furieuse, autant garder ma salive là où elle sera la plus utile : dans ma bouche. Je me retrouve pourtant à la suivre des yeux pendant qu’elle avance vers la porte de la chambre, et à me dresser sur la pointe des pieds, penchée en avant, sursautant presque quand la blondasse se dit que la meilleure manière d’ouvrir une porte semble être en mettant un coup de pied dedans. Surtout quand y’a potentiellement quelqu’un de dangereux derrière. Bah oui, évidemment ! Mais il lui manque sérieusement une case, à celle-là. Vivement que je me sois acquittée de mes dettes, que j’ai plus jamais besoin de voir sa tronche.

Ses paroles me font froncer légèrement les sourcils, et en me penchant un peu plus, j’aperçois le visage terrifié d’une petite nana, qui a l’air de se poser la même question que moi : savoir ce qu’elle fout là. Je la vois lâcher son flingue comme s’il lui brûlait soudain les doigts, et laisse échapper un soupir soulagé de me dire que ça va pas partir en fusillade, tirer de tous les côtés, et je sais pas quoi d’autre. La petite gamine a pas besoin de se le faire dire deux fois pour prendre ses jambes à son cou, et c’est tout juste si elle se barre pas en courant en me passant devant. Ouais, same girl, same. Je fixe son dos qui disparaît par la porte toujours ouverte de l’appart d’Eddie, regrettant de pas pouvoir faire la même chose, avant de me tourner de nouveau vers les deux autres protagonistes.

Je jette un coup d'œil à la cowgirl du dimanche qui continue son show avec son flingue, à croire qu’elle sera contente que quand elle aura refait la peinture des murs avec le sang de ce connard. C’est vrai que c’est pas très beau ici, mais pas sûre qu’une touche d’hémoglobine et autres fluides rendra ça plus chaleureux. Même si comme ça, ce sera raccord avec la moquette devenue rouge. “-Oh non, je veux pas voir ça !” que je lâche en me détournant quand elle pose le canon de son arme contre le crâne d’Eddie, vraiment pas chaude pour assister à un meurtre aujourd’hui. Pour assister à un meurtre tout court, plutôt. Je leur tourne le dos et préfère fixer le plafond, constellé de petites tâches brunes, à croire que le passe-temps de ce brave bonhomme, c’est d’éclater des mouches directement au-dessus de sa tête. Et bah putain, si ça là, c’est quand elle fait encore un peu preuve de patience, je veux même pas savoir ce qui se passera quand cette tarée en aura plus une once en elle.

Et enfin -putain de merde- Eddie lâche enfin l’info tant attendue, et j’ai un nouveau soupir qui m’échappe en me disant que sa cervelle devrait finalement rester dans son crâne, et que je vais échapper à des mois de cauchemars. Ouais sérieux enfoiré, j’espère pour toi, et un peu pour moi aussi, que le compte sera bon, parce que j’ai pas envie qu’on revienne, et que Tegan finisse ce qu’elle a commencé par la jambe d’Eddie. S’il avait pas sorti un flingue, lui aussi, j’aurai presque pu le remercier d’avoir mis un terme à tout ce bordel, mais au lieu de ça, je me retourne pour assister à la fin de l’échange entre les deux autres, avant d’aviser le signe de tête de Barbie Psycho, le signal de départ pour se casser d’ici. Ce que je me fais pas dire deux fois, évidemment.

Je quitte l’appart à mon tour sans un mot à l’attention d’Eddie, et me barre de cet immeuble tout pourri, où je suis bien contente de pas avoir à rester une seconde de plus. Mes sourcils se froncent face à cette nouvelle nonchalance dont elle fait preuve quand elle m’invite plus ou moins à monter dans la voiture. “-Nan mais sérieusement…complètement tarée. Sacré pète au casque…” que je lâche, tout en m’installant côté passager, espérant bien que notre collaboration est arrivée à son terme, et que je vais pouvoir reprendre le cours de ma soirée. Pas envie de la voir sortir son flingue une nouvelle fois, s’exciter sur quelqu’un d’autre, et proférer un milliard de menaces à la seconde. Je me demande ce qu’elle a besoin de compenser comme ça, en se la jouant petite frappe à deux balles. N’importe qui peut se la jouer caïd avec deux armes sur lui, un couteau, et je sais pas trop quoi d’autre dans les poches.

La voiture quitte son stationnement, et l’autre psycho reprend sa conduite à la con. A croire qu’elle a un peu trop regardé Fast and Furious, et que ça a impacté son mono-neurone. Du bout de mes doigts je me presse les lèvres, comme pour m’empêcher de lui balancer à la tronche que la vie c’est pas un putain de film, mais pour ça faudrait communiquer avec la tarée, et j’avoue que j’en ai pas très envie. Tout comme le fait d’être dans cette voiture, ou de passer ne serait-ce qu’une minute de plus en compagnie de Barbie pète au casque. Je préférerai taffer deux fois plus avec Kenny plutôt que de revoir sa face de petite frappe. Je secoue un peu mes épaules, comme pour chasser toute la tension qui s’y est accumulée depuis que j’ai débarqué dans ce garage, et que mon regard s’est posé sur Tegan. Je déteste l’effet que cette petite nana peut avoir sur mon état de nervosité, et je me déteste presque autant qu’elle puisse le deviner aussi aisément parce que je lui donne accès à ce que je ressens.

Alors, le regard rivé vers l’extérieur, je m’efforce de laisser refluer tout ça, de me dire que ce job arrivera bien à son terme à un moment ou à un autre, et qu’ensuite je serai débarrassée d’elle. Il me suffit de prendre sur moi encore un peu, et ça va le faire. C’est pas comme si j’avais le choix de toutes façons. On va aller à l’atelier du gars qui se retrouve avec un trou dans la jambe, récupérer la thune qui s’y trouve, et chacune rentrera chez elle, où on pourra continuer à se détester dans notre coin. Best plan ever. Sauf que ça aurait été trop simple si ça c’était limité à ça, et je me sens me redresser dans mon siège quand je la sens ralentir devant un fast-food, et se garer sur une place de parking, comme si de rien était. Mais sérieux ? Et voilà que Tegan coupe le moteur, retire les clés du contact, et sort de la bagnole. Mais ouais, quelle bonne idée tiens, un repas en tête à tête.

Je laisse échapper un soupir et m’extirpe du tas de ferraille à mon tour, enfonçant les mains dans ma veste avec mauvaise humeur. “-Hé bah on dirait que ça ouvre l’appétit de tirer sur les gens…” que je ronchonne alors qu’on entre dans le petit restaurant où quelques tables sont déjà prises. Je prête pas vraiment attention à la commande de Barbie Connasse, pas avant d’arriver à la table où elle s’est déjà installée avec mon propre plateau sur lequel se battent en duel une barquette de frites et un milkshake au chocolat, alors qu’un énorme burger occupe presque tout l’espace du sien. Hé bah finalement, ce sera peut-être pas ses activités de petite frappe qui auront sa peau, mais le cholestérol.

Je reste silencieuse quelques instants, trop occupée à manger mes frites, que je trempe parfois dans le milkshake, un truc que Raoul faisait tout le temps et que je trouvais dégueu à l’époque. Putain, ce qu’il me manque, ce blaireau. A en croire les bouchées de Tegan, je pourrais presque penser qu’elle a pas mangé depuis le mois dernier. Je préfère observer les gens autour de nous plutôt que de la regarder dévorer son burger, ou lui adresser le moindre mot, et remarque bien vite qu’on est la seule table silencieuse, où partout ailleurs, les gens discutent, rigolent, semblent passer un bon moment. Je laisse échapper un soupir, avant de reporter mon regard sur la tronche de la blonde, puis sur l’écran de mon téléphone posé sur la table, côté mur. “-Tu crois qu’on en aura encore pour longtemps ? Non pas que j’apprécie pas ta charmante compagnie, et tout ça, hein…” Tu parles. Plus tôt je serai débarrassée d’elle, et mieux je me porterai. Et je sais parfaitement que c’est réciproque.

Non mais sérieux…pour une fois que j’allais pas rejoindre Kenny avec cette impression d’avoir la mort dans l’âme, et que l’idée de faire un énième petit job me faisait pas tant râler que ça, il fallait que je me tape sa sœur. Enfin, façon de parler, hein, évidemment. Je me tape pas littéralement sa sœur. Y’a quand même des choses que je suis pas prête à faire, même pour éponger ma dette. Tout ça pour dire que ouais, clairement, le peu d’entrain que je pouvais ressentir à l’idée de bosser avec Tattooman s’est volatilisé quand j’ai découvert que le blond me faisait faux bond, et que le job de ce soir se passe en tête à tête avec l’autre moitié du duo démoniaque.

Voilà comment elle nous a embarqué dans sa caisse, sans trouver utile de me donner quelques renseignements sur nos futures activités. Non pas que ce soit surprenant, hein, ou qu’elle allait me donner quelques infos qui pourraient s’avérer utiles et me permettre d’appréhender ce job de la meilleure façon qui soit. Foutue Barbie Prayer. Et c’est comme ça qu’on s’est retrouvées chez Eddie, où elle et lui ont joué aux cow-boys avec leurs petits flingues, et toutes ces conneries. C’est quand même sacrément débile de sa part d’avoir attendu de s’être pris une balle dans la jambe pour cracher enfin le morceau, et simplement dire ce que Tegan voulait entendre. Non mais…à quoi ça lui servait de jouer les grandes gueules, alors qu’il a fini par indiquer où il a planqué la thune, et qu’en plus de ça, il pisse le sang dans son propre appart ? Estupido.

L’info en poche, on se casse de chez ce pauvre gars, sauf qu’au lieu d’aller récupérer ladite thune, et que nos chemins -qui se sont croisés déjà trop longtemps ce soir- puisse enfin se séparer, l’autre blondasse préfère aller casser la croûte, comme si tirer sur quelqu’un est exactement le genre d’activités qu’elle fait au quotidien, et que ça lui fait ni chaud, ni froid. Comme si ça lui faisait rien éprouver du tout d’avoir blessé une putain de personne. Quel genre de psychopathe se dit que oh, tiens, j’ai troué la cuisse d’un type, et si j’allais me faire un cheeseburger pour fêter ça ? Ta-rée. Sauf qu’une fois encore, je suis pieds et poings liés, et si je veux que ma dette diminue, j’ai pas le choix que de fermer ma gueule, et continuer de supporter la présence de cette illuminée.

Même si ça veut dire partager la même table en silence, le temps qu’elle avale une énorme assiette de bouffe. Non pas que ça me dérange. Ca m’évite d’entendre sa voix et ses pauvres remarques à la con. Y’a quand même bien une question qui se pose, à savoir combien de temps va encore durer cette collaboration forcée. Maintenant que j’ai assisté à cette démonstration de violence, et qu’elle va forcément laisser des traces, autant faire en sorte que ça vaille le coup, et que j’ai pas subi tout ça -la présence de l’autre inclus dans le lot- pour rien. Barbie Psycho m’informe qu’on devrait vite avoir fini si Eddie a eu le bon sens de lui donner les vraies informations, ce qui est une bonne nouvelle Même si, quand je l’entends parler de devenir moche s’il a pas jugé bon de dire la vérité, je peux pas m’empêcher de grimacer. Ça l'était pas déjà, moche ? Nan parce que sérieux, tirer sur un type, c’est pas vraiment ce qu’il se fait de plus joli au monde. Y’a donc plus qu’à croiser les doigts pour que l’autre trouduc ait pas menti, et que tout ça sera réglé aussi vite que possible.

Je finis avant la blonde, et plutôt que de la regarder manger, parce que ça a vraiment rien de fascinant, j’observe autour de nous, les autres clients, les gars derrière le comptoir…jusqu’à ce qu’enfin, Tegan annonce qu’on peut se barrer d’ici, faire ce qu’on a à faire, et pouvoir enfin se quitter. Sans un mot, je me lève à mon tour, et gagne la voiture, m’installant à ma place pour m’enfoncer dans le silence, et regarder la route qui défile par la fenêtre de sa caisse. Jusqu’à ce que ladite voiture s’arrête devant un hangar un peu flippant, dans lequel elle m’invite à aller. Putain…c’est vachement engageant comme coin, y’a pas à dire. En vrai, si deux bouchers attendaient dans leurs tabliers verts pour m’arracher les organes, ça m’étonnerait qu’à moitié.

Malgré mes réticences, je glisse mes mains dans les poches de ma veste, et emboîte le pas à Barbie Prayer, qui entre dans le hangar comme si elle était chez elle. On y découvre deux bonhommes qui semblent s’être occupés de ce qui devait être fait ici, et dont l’un des visages me fait plisser les yeux. Le grand, là, me dit peut être vaguement quelque chose. C’est pas lui qui m’a filé plus d’une fois les sacs à transporter pour Kenny ? Ah ben…j’imagine que si, vu qu’il m’adresse un petit signe de tête, avant de se tourner vers Tegan. Je reste en retrait pendant leurs échanges, pas vraiment concernée. Pas très intéressée non plus, faut bien l’avouer. Perso, je veux juste qu’elle récupère ses billets, et qu’on se casse. J’ai l’impression qu’on pourrait se choper le tétanos rien qu’en respirant, même si c’est sans doute médicalement impossible.

Aux paroles du latino, je me sens lever les yeux au ciel, et ravale un soupir face à ce petit sourire de merde de Tegan. A croire que tout ça, c’est juste un putain de jeu pour eux, une simple façon de passer le temps. Menacer des gens, désosser leur caisse, les flinguer, et toutes ces autres conneries. Tu m’étonnes que Downfall parte autant en vrilles, si nos rues regorgent de ce genre d’énergumènes. La thune passe d’une boîte en fer à un sac à dos qui a pas le temps de trouver l’épaule du latino que Tegan le réclame, indiquant qu’elle prend la suite. Je retiens pas un léger haussement de sourcils en l’entendant dire qu’elle va filer ça à sa patronne, comprenant ainsi que ce qu’il reste des Prayers of Insanity, ou qu’importe le nom qu’ils ont maintenant, est dirigé par une femme, et que…putain de merde !! Tegan se la tape ! C’est bien ça que les deux autres zigotos insinuent sans aucune subtilité, nan ?

J’assiste aux échanges en silence, les sourcils toujours haussés en me rendant compte que la Barbie a pas l’air d’apprécier des masses les commentaires. Bah ouais, mais quelle idée aussi, de sauter sa Boss ! C’est sûr que ça attire forcément des tas de remarques, du genre de celles qui doivent donner envie d’arracher des langues, ou de foutre des coups de poings à la chaîne. Ça doit être relou, à force, de se faire charrier en permanence au sujet de la personne avec qui on partage sa vie. Et peut-être que l’espace de deux brèves secondes, ça me fait chier pour Tegan…avant que je me souvienne que justement, c’est Tegan, et qu’elle peut aller se faire foutre. Elle écope d’un dernier commentaire, et les deux gus s’en vont, nous laissant alors qu’ils entraînent leurs ricanements de petits cons dans leur sillage.

Quand elle s’adresse à moi, je me contente d’un vague haussement d’épaule pour toute réponse, et grimpe dans la voiture, toujours murée dans ce silence bienheureux. Je sais pas trop comment l’expliquer, mais je me sens comme…vidée depuis qu’on a quitté l’appart d’Eddie. A tel point que quand la blonde m’annonce qu’elle me dépose chez moi, je me contente de lever le pouce pour toute réponse, alors qu’en vrai, j’aurai pu danser la samba pour montrer ce que m’inspire la nouvelle. Putain, enfin !

Il nous faut pas longtemps pour arriver dans le Skid, et alors que je me détache, je relève le visage vers Tegan qui m’annonce que tout ce bordel, c’était pas pour rien, et qu’elle va demander à son frère que ma dette diminue de conséquence. Je ravale difficilement le fait que putain, ouais, encore heureux que mon ardoise va baisser, et que je me sentais tout à fait capable de faire un trou au crâne de Kenny jusqu’à ce qu’il finisse par me l’accorder juste pour que je me la ferme. Je me contente pourtant d’un simple : “-Trop aimable.”, alors que j’ouvre déjà la portière, prête à sortir de la bagnole. Et avant de refermer totalement la portière, je m’entends lui souffler un dernier : “-Et tu diras de ma part à ton frère que c’est un putain d’enfoiré.” J’aurai pu me contenter d’un “passe une bonne soirée”, mais je me fous qu’elle soit bonne ou pas sa foutue soirée, ou d’un “hé, profite bien de ta récompense pour avoir ramené le pognon à ta Boss”, mais je crois qu’une certaine solidarité féminine m’en empêche, alors ouais, je crois que finalement, j’aurai pas pu faire mieux en guise d’au revoir.