[TERMINE] Police Weed ft. Neelie

Neelie jeta au sol son joint à peine entamé, et l’écrasa d’un coup de Vans avec une rage excessive.

Connard. Pourtant, elle avait essayé de jouer les indifférentes, et elle pensait même avoir été crédible. Mais Vincent l’avait retenue avant qu’elle ne claque la porte de son appartement, lui demandant si ça allait vraiment. La gorge serrée par la haine, Madden lui avait opposé un long silence, nécessaire à contenir à son émotion, pour finalement cracher avec un dédain mal contenu qu’elle n’en avait rien à foutre. Et elle aurait aimé que ce soit le cas. Ça aurait même dû l’être en fait. Pourquoi y accordait-elle une telle importance alors que… non, ça n’était pas sensé la toucher. Elle aurait même dû s’en réjouir. Vincent avait rencontré une nana, et ils se plaisaient bien. Tant mieux, non ? Mais pourquoi ne pas lui avoir dit avant ? Ils étaient potes, ils pouvaient se parler de ce genre de choses. Neelie lui en voulait de l’avoir découvert en tombant nez-à-nez avec cette connasse, dans le salon de l’autre abruti. Surtout qu’elle l’avait averti qu’elle passerait, qu’elle avait passé une journée de merde et qu’elle voulait juste mater une série avec lui, lovée dans un fauteuil. Il aurait pu lui répondre qu’il était occupé. Certes, elle l’aurait mal pris mais cela aurait été moins pire que de se faire ignorer, de comprendre la raison de son silence, et de renoncer à cette soirée série parce qu’elle n’était pas capable de prendre sur elle.
L’autre nana se barrait, et Vincent avait insisté pour que Madden reste, pour qu’ils se fassent la suite de Narcos. Sauf que la new-yorkaise ne souhaitait plus souffrir de sa présence. Elle lui avait pris la tête comme rarement, excessive et agressive. Elle avait vrillé quand Vincent s’était étonné, la voix marquée de déception, de l’exclusivité dont elle faisait preuve. Neelie lui avait coupé la parole avant qu’il ne la taxe de jalouse, l’insultant avant de tourner les talons et de se précipiter vers la porte.

S’adossant au mur, la tête enveloppée dans la capuche d’un sweat de Keziah, et le visage balayé par ses cheveux, Madden donna deux coups de pied à la brique derrière elle. Toute cette historie à la con s’était passée la veille, et elle n’arrivait pas à redescendre.
Après s’être barrée de chez Vincent, elle était rentrée chez elle, dans l’appart qu’elle louait dans le Watts, et elle s’était enfumée, jusqu’à frôler le bad. La parano avait réorganisé ses pensées, la faisant osciller entre haine et angoisse. L’esprit embrouillé, elle avait ensuite voulu y faire place nette et avait gobé des opiacés de synthèse. Douze heures étaient passées quand elle avait émergé, réveillée par un spasme qu’elle ne put contenir jusqu’aux toilettes, dégueulant au milieu de son salon.

Vers vingt heures – et toujours dans le mal -, Neelie était partie en direction de Florence après avoir fait un crochet au Civic Center pour se réapprovisionner. Puis elle s’était plantée à l’angle de Frampton Avenue et de la 256ème Ouest, non loin d’un bar fréquenté par les étudiants de l’université. Florence, l’ex-territoire du cartel démantelé des Prayers of Insanity n’était qu’à deux rues. Avant novembre 2022, il lui aurait été impossible de s’y poser, et d’en faire un nouveau point de deal du French Syndicate. Neelie avait tenté le coup pour la première fois il y avait un mois, s’y rendant deux fois par semaine. Le coin semblait libre, et en passant une soirée avec les étudiants du bar, elle avait appris que les survivants du cartel - renommés maintenant les Sinners’Hand - ne cherchaient pas à reconquérir leur quartier, du moins pour le moment, d’autant que sa frontière avec le Civic Center faisait l’objet de patrouilles de police régulières. Au cours d’une autre soirée, Neelie avait également appris qu’un gars vendait de la weed et de la C pas très loin, mais plus à l’ouest, à facile cinquante mètres. Les types qui étaient allés toucher leur conso auprès de lui ne lui avaient pas demandé s’il bossait en indé ou s’il dépendait d’un gang. Madden avait décidé d’ignorer cette éventualité, d’autant que confiante en son statut de revendeuse pour une organisation criminelle à présent bien implantée. Le gars avait tout intérêt à garder ses distances, et même à aller dealer plus loin s’il estimait qu’elle lui faisait de l’ombre. C’était donc avec aisance qu’elle se pointait ici à présent.

Il n’était pas loin de vingt-deux heures et demie quand elle fut approchée par un potentiel client. Les deux heures passées à gamberger avait ruiné le peu de patience qu’il lui restait. Alors, quand le type lui demanda ce qu’elle avait pour 60 dollars, elle se contenta d’un « Hmm » vaguement songeur. Neelie fit rapidement le calcul, et décida que 60 dollars ne valaient pas la peine de devoir se taper la présence de l’autre con. Alors, elle balança, sans même tourner le visage vers lui : « Ta mère ? » Puis, réalisant rapidement que ce genre de réponse pouvait lui valoir une réaction potentiellement virulente, elle daigna lever le visage en direction du client, tout en faisant deux pas sur le côté pour pouvoir lui faire face et le jauger, avec dédain.
Oh, lui.

Neelie daigna accorder un peu plus d’attention à l’homme qui l’avait approchée. Le regard de la jeune femme passa de son visage d’abruti fini à ses mains tatouées puis en revint à cet air de débile. Le type ne semblait pas tenir de lame, et bien que ses traits se furent un instant étirés en une expression blessée, le rire qui l’agita par la suite fit redescendre toute tension. Arquant un sourcil sceptique quant à la santé mentale du mec, Madden continua de le toiser avec aigreur. Franchement, elle n’avait pas son temps à ce débile. Elle avait espéré que sa remarque le fasse partir. Or, il semblait avoir envie de lui taper la discussion. Un soupir la gagna et elle lâcha l’autre abruti du regard pour observer les alentours. Frampton Avenue et la 256ème étaient plutôt calmes, bien qu’il ne fut que 10:32pm. Les passants les plus proches étaient à plus d’une vingtaine de mètres.

Madden avait fait quelques ventes depuis qu’elle s’était postée là, mais les recettes n’étaient pas terribles. Ces quelques dollars fourrés dans sa banane ne feraient pas la différence. Et c’était peut-être bien ce constat qui avait amenuisé le peu de patience qu’il lui restait : elle se faisait chier pour rien. Néanmoins, si elle était restée là, c’était parce qu’un autre constat s’était imposé à elle : elle n’avait rien de mieux à faire. Elle n’avait même pas envie de se laisser crever dans son lit, à gamberger à des conneries qui n’en valaient pas la peine.

Ses yeux se posèrent à nouveau sur… Jerry ? Larry ? Johnny ? De ce que sa mémoire voulait bien lui offrir, Neelie se rappelait que ce type avait un prénom court qui finissait en « y ». Ses sourcils se froncèrent, dans un effort de concentration que l’autre ne méritait pourtant pas. Ce dernier calma son hilarité forcée et finit par balancer que sa mère ne prendrait pas tant pour toucher son gramme. Vérité ou non, ce n’était pas très élégant d’ainsi afficher sa mère, surtout pour répondre à une provocation aussi basse que celle de la new-yorkaise. Peut-être était-ce une façon de reprendre la main sur une vanne qui aurait pu être douloureuse, et d’ainsi montrer par l’humour que ce sujet ne l’atteignait pas. Enfin, peu importait ce qu’il se passait dans la tête de ce gars, elle n’en avait pas grand-chose à foutre.
Sauf qu’il continuait de la brancher, lui demandant ce qu’elle faisait là, et si elle cherchait quelque chose. Le regard tinté de dédain, Neelie réfléchit à une autre réponse cinglante, ayant pris le parti de penser que ce type ne saurait l’agresser autrement que par sa lourdeur. Et alors qu’elle s’apprêtait à répliquer, Jerry – ou qu’importe – la surprit en la comparant ouvertement à une pute. Serrant les mâchoires, Madden canalisa le flot de haine qui emplit sa psyché. Il valait mieux qu’elle la joue cool et détaché, un peu à la façon de ce gars. Aller au clash ne serait pas dans son intérêt : elle était seule, épuisée et bien plus petite que son interlocuteur. Il prendrait l’ascendant physique en quelques secondes. Bien sûr, il lui restait l’option de le planter avec le petit couteau qu’elle cachait sur elle, mais à vrai dire, la new-yorkaise n’était pas vraiment à l’aise avec la violence physique, et était vite impressionnée par les effusions d’hémoglobines.

Parvenant à enfin afficher une expression plus détachée et détendue, Neelie découvrit sa tête de sa capuche, rangea quelques mèches de cheveux et répondit, flegmatique : « Ne t’inquiète pas pour moi. Je fais ce que j’ai à faire dans l’coin. » Il y avait quelque chose de bizarre dans l’insistance de ce type à vouloir savoir ce qu’elle foutait là. Que voulait-il ? Lui acheter ou lui vendre quelque chose ? Pourquoi s’attardait-il à lui parler ? « Cory, c’est ça ? » La métisse sut en le disant que ce n’était pas ça, mais il corrigerait certainement son erreur, et lui balancerait son prénom. Neelie voulait rendre cet échange plus personnel, espérant ainsi mieux cerner les intentions de ce débile. « On se connait, non ? »

Pourquoi se donner tant de mal ? Neelie n’avait aucune envie de poursuivre cette discussion avec ce type qui ne s’était pas laisse éconduire par son total manque de sympathie. Même l’attaque envers sa génitrice ne parut pas tellement l’affecter, si ce n’était d’une hilarité dérangeante. Ce gars avait un grain… Pourtant, malgré son air de crétin fini, il ne semblait pas défoncé. Que lui voulait-il ? Et est-ce qu’elle en avait vraiment quelque chose à foutre ? Autant se barrer, le planter là, avec ses questions bizarres sur la raison de sa présence sur ce bout de trottoir. Sans déconner, à croire qu’elle squattait le seul bout de bitume sur lequel l’autre tige avait envie de pisser, genre pour marquer son territoire et… Les sourcils de la new-yorkaise se froncèrent à nouveau, cette fois-ci moins contractés par l’agacement que par une pointe d’inquiétude.

Madden tenta d’analyser rapidement la situation, histoire de savoir comment s’en sortir au plus vite. Ce type ne lui était pas totalement inconnu ; et lui aussi agissait comme s’ils s’étaient déjà croisés par le passé. La métisse avait trainé dans un trop grand nombre de soirées – et pas toujours dans le meilleur des états - pour mémoriser les noms et les visages, d’autant qu’elle n’en avait généralement rien à foutre. Elle se contentait de grands « héééé toi ! » pour apostropher et interpeller la personne concernée, qu’elle affublait souvent ensuite d’un surnom contextuel s’il advenait qu’elle eut à passer un vrai bout de soirée avec. Et encore... En tout cas, l’autre tâche-là n’avait jamais mérité un tel effort de dénomination. Peut-être parce qu’elle avait cru pouvoir retenir son foutu prénom. Jessie ? Jaimie ? Kery ? A vrai dire, Neelie n’était même plus sûre d’avoir déjà vraiment croisé ce mec. Une migraine tenace rongeait ses pensées, avec de plus en plus de corrosivité. Elle n’avait pas l’énergie de poursuivre sa petite enquête mentale auprès de ses souvenirs de soirées. D’ailleurs, qui avait dit qu’ils se connaissaient de teuf ? Arf. Tant pis.

Quand Larry lui demanda si elle vendait son cul, Madden fit l’immense effort de garder son calme. Et elle se retrouva alors à activement participer à une option qu’elle avait souhaité éviter : engager la discussion. Neelie balança un prénom, tentant de deviner celui de son interlocuteur. Celui-ci la félicita d’une exclamation enthousiaste d’avoir fait une proposition approximativement juste, avant de lui confirmer que oui, ils s’étaient déjà croisés. Enfin, il « pensait » que c’était le cas. Il ne semblait en avoir qu’un vague souvenir. Madden eut un sourire agacé. Tout ça n’avait aucun sens. A moins que…
Ce gars lui aurait vendu « des trucs » ou donné « des informations » ? Plissant les yeux façon western, la jeune femme fixa avec intensité le visage de son interlocuteur, dans une dernière tentative de se rappeler quoique ce soit de leur précédente rencontre. A bien le regarder d’ailleurs, il avait beau se la jouer gros débile un peu paumé avec elle sur le même bout de trottoir, ce gars avait une idée de qui elle était et de ce qu’elle pouvait bien faire là. Ce qui lui donnait l’avantage. Et Neelie n'appréciait pas vraiment cette sensation d’avoir à lui rendre des comptes au nom d’une sorte de transaction passée dont elle n’avait plus le souvenir. « J’vends pas mon temps en tout cas » finit-elle par lâcher, faisant un pas de côté pour pouvoir jeter un coup d’œil derrière le type, sur le morceau de trottoir que sa longue silhouette cachait. Ce n’était pas le hasard si pas-Cory lui tombait dessus. « Et t’as sûrement mieux à faire du tien ? Donc autant aller directement aux faits : qu’est-ce que tu me veux ? » Personne dans son dos ; il semblait être venu, ou du moins s’être rapproché seul. De l’autre côté de la rue, un couple passablement éméché descendait la rue. Pris dans un rire partagé ivre, ils ne leur accordèrent aucune attention.
Reportant son regard sur l’autre grande tige tatoué, Madden s’impatienta, légèrement tendue par la désagréable sensation de ne pas avoir la main dans cette interaction. « T’es pas venu toucher, ni de la coke, ni mon cul. Alors ? » Qui avait-elle déjà approché pour récupérer des informations sur les points de deal du coin ? Car bien que le gars n’en eût rien dit d’explicite pour le moment, la jeune femme sentait que c’était bien que ce lui reprochait ce type : de vendre des trucs et d’avoir utilisé ses informations.

Joue la fine Madden, ne joue pas au plus con, ce type a des chances de gagner ! Le visage toujours tiré par l’agacement et légèrement ridé l’effort de concentration que lui demandait cette interaction, Neelie tentait de jauger les opportunités qui s’offraient à elle. Pas-Jessie ne semblait pas franchement enclin à la lâcher tant qu’elle ne lui aurait pas clairement dit ce qu’elle foutait sur ce bout de trottoir, d’autant qu’elle lui serait redevable d’elle ne savait quoi. En tout cas, elle devait se justifier de sa présence. L’attitude du gars était cependant plutôt décontractée, et le ton restait presque sympathique. Mais la métisse ne pouvait pas s’empêcher de garder ses sens en alerte. Se tapait-elle une petite descente parano ? Se méprenait-elle sur les intentions du type qui l’avait accostée ? Jetant un nouveau regard autour d’eux, Madden s’aperçut qu’ils étaient bien seuls. Il lui fallait conclure cette petite discussion et se tirer. Alors elle cerna pas-Larry d’un regard sombre, et lui demanda une nouvelle fois ce qu’il lui voulait, puisqu’il ne paraissait ni intéressé par du stup ni par son cul. Et s’ils avaient passé une sorte d’accord, qu’il se bouge de lui en rappeler les clauses.

Putain, ce type était usant. Il lui répliqua juste s’intéresser à ce qu’elle faisait. De quoi ? De sa soirée ? De sa vie ? Est-ce que c’était le moment d’essayer de prendre le contrôle de cette discussion en balançant connerie sur connerie jusqu’à ce qu’il se casse, saoulé. En avait-elle seulement la force ?
Pas-Cory poursuivit, lui expliquant qu’il n’était pas très sage de vendre des trucs seule, sans yeux dans le dos pour assurer ses arrières. Neelie capta direct le sous-entendu sur-entendu. Elle recula légèrement, mais cette fois-ci, sans lâcher le type du regard. Elle devait bien avoir une petite lacrymo dans sa grande banane chromée arc-en-ciel. Mais aurait-elle le temps de la dégainer assez vite ? Elle était encore à portée de bras de l’autre con. Et à en croire son sur-sous- texte, la moindre marque d’hostilité risquait de déclencher la sienne. Mieux valait rester cool, et faire comme si elle pensait qu’elle n’avait rien à se reprocher. Ou en tout cas, minimiser son implication dans ce qui pourrait être interprété – à juste titre d’ailleurs - comme une tentative de contrôle de point de deal. Cela impliquait qu’il fallait qu’elle redescende d’un ou deux tons. Et qu’elle lui serve un mensonge qu’il pourrait gober. Parce qu’en lui parlant de bosser en équipe avec les gens sur le secteur, il lui laissait – volontairement ou non – une porte de sortie. Allez Neelie, c’est le moment de l’enfumer. Pourvu qu’il soit aussi perspicace qu’il en a l’air. « Je… Ouais, je sais. » Sa voix se ramollit, perdant toute assurance. « J’dois des thunes à un type… Il m’a demandé de vendre un peu de… trucs. J’dois juste liquider cette sacoche et il me foutra la paix. » L’anxiété froissa un instant son visage. « Il m’a dit que ça serait facile, parce que personne ne gérait le coin. C’est ton secteur ? » Pourtant elle s’était renseignée, et ces rues avaient été perdues par les ex-Prayers. Peut-être que ce gars bossait avec l’autre, celui dont lui avaient parlé les étudiants du bar. Elle aurait du mieux se renseigner. Et si elle arrivait à se dépêtrer de la situation, il lui faudrait voir avec Vincent comment sécuriser ce point de deal, parce qu’elle ne pouvait pas le tenir seule. « Je ne veux pas de problème... » ajouta-t-elle, concluant ainsi l’acte 1 de son mensonge.

Bon, ce type ne semblait clairement pas être le couteau le plus aiguisé du tiroir. Ce qui augmentait ses chances de pouvoir l’enfumer et de se tirer sans plus de problème, si ce n’était que ce point de deal était compromis. En même temps, Neelie avait merdé. Dans sa colère, elle avait érigé la pratique solitaire de son business comme nécessaire. Ce n’était pas la première fois qu’elle bossait seule, mais généralement, dans ces cas-là, elle opérait dans des lieux privés, dans les immeubles des clients voire chez eux si elle leur faisait assez confiance. Elle transportait alors sur elle ce qui avait été commandé, ni plus ni moins, et offrait un minimum de confidentialité à ses transactions. Ça marchait plutôt bien ! Alors pourquoi avoir risqué son cul et son stock sur un bout de trottoir qu’elle ne gérait même pas ? Elle aurait bien voulu accuser Vincent, mais s’il était en effet la raison de son emportement, il n’avait jamais exigé d’elle qu’elle agisse aussi bêtement. Et pas-Cory était là pour lui signifier sa double-peine…

Madden se lança alors dans un mensonge qui, espérait-elle, saurait convaincre le gars, ou du moins, suffisamment l’embrouiller pour qu’il la laisse partir. Si elle devait y aller son stock et la thune récoltée dans la soirée, soit. Sa vie valait clairement plus. La métisse expliqua donc à pas-Jessie… Kenny ?! qu’elle était là parce qu’elle devait rembourser un gars en vendant du stup. Dotée d’un talent d’actrice respectable, Neelie se grima d’un air sérieux et anxieux. D’une voix naïve, elle demanda à son interlocuteur si, malgré elle, elle s’était aventurée sur un territoire revendiqué. Or, elle ne voulait pas de problème, ni en causer.
Face à elle, le type semblait réceptif. En tout cas, son visage ne se froissa pas sous l’effet d’une quelconque contrariété. Il paraissait accepter tel quel le mensonge, car celui-ci était suffisamment crédible. Savourant cette première petite victoire, la métisse garda son esprit le plus affûté possible, consciente qu’elle n’était pas encore sortie d’affaire. Pas-Kerry lui confirma que ce bout de trottoir était le secteur de quelques potes à lui. Or, magnanime, il lui annonça qu’il ne la planterait pas pour avoir voulu y vendre un autre matos que le leur. « Aah, cool… » s’entendit-elle souffler malgré elle. Neelie voulait bien le croire, quand il laissait sous-entendre qu’il aurait pu traiter la problématique de sa présence ici ainsi.

Le gars poursuivit, lui parlant d’un loyer à payer. Fronçant les sourcils, la new-yorkaise écouta les deux choix que lui offrait l’autre : elle pouvait soit aller écouler sa sacoche ailleurs, soit travailler aussi pour lui. Enfin, déjà s’acquitter du loyer qu’elle lui devrait si elle comptait continuer à vendre sa dope ici. Mais, voyant plus loin, pas-Danny lui expliqua que si elle bossait bien, elle arriverait même à se faire une marge qu’elle pourrait garder. En sous-texte, Madden comprit que si elle se révélait bonne vendeuse, elle pourrait alors bosser pour lui. Putain, c’était l’occasion d’infiltrer un réseau concurrent. Ce qui était intéressant, à condition que ce soit les Sinners. Sauf que rien ne lui garantissait que ce gars fût l’un d’entre eux, ni que ce bout de trottoir les intéressait. Néanmoins, Neelie hésitait à refuser cette opportunité. La balance bénéfice-risque d’une telle opération n’était pas pour l’encourager, pourtant, elle voyait dans cette offre l’occasion d’en apprendre plus sur un concurrent et de pouvoir le saboter de l’intérieur. Après tout, c’était pour ça qu’elle était venue à Downfall : pour cartographier les points de deal et aider le French Syndicate à s’implanter. « Je vois, et… j’te suis. Pourquoi pas, hein ? » Venait-elle de décliner l’option qui lui permettait de se tirer et de s’en tirer juste en le remerciant d’avoir été un mec cool ? Oui, clairement.
L’observant avec un intérêt renouvelé, et moins anxieux, Neelie se résigna à un silence, attendant que pas-Larry lui précise comment il voulait qu'elle bosse pour lui.

Il était peut-être trop tôt pour se satisfaire de la tournure que prenait la discussion. Toutefois, Neelie ne pouvait qu’apprécier de ne pas s’être faite planter pour avoir trainer son cul sur un trottoir qui relevait apparemment du secteur - et revendiqué chasse gardée - de son interlocuteur. Pas-Kery avait préféré jouer la carte du gérant magnanime. D’ailleurs, il semblait lui prêter plus que le bénéfice du doute, puisqu’il goba direct l’histoire inventée par la métisse, sans rien y objecter. Il ne prit pas la peine de s’y attarder, ayant une autre chose en tête, une proposition à lui soumettre : tant qu’à squatter le coin, elle pouvait vendre pour lui. Bien sûr, le fait qu’elle lui ait fait perdre un bout de son chiffre d’affaires de la soirée, en dealant des produits qui n’étaient pas les siens, dans ce qu’il annonçait être son territoire, ne pourrait être effacé sans une compensation que le blond décida d’appeler « un loyer ». Madden conserva un visage neutre, étirant seulement un coin de lèvre en une moue sérieuse. Après tout, elle prétendait être novice dans le métier, il lui fallait donc jouer les impressionnées, ou du moins les impressionnables. Aussi, cette moue marquait l’attention concernée et sérieuse qu’elle portait à la proposition de pas-Jessy.
Neelie dut canaliser et grima ainsi l’enthousiasme soudain qui embrasa sa psyché. Elle avait trouvé le moyen d’infiltrer un concurrent. Et elle pria pour que le gars qui venait de l’embaucher soit un Sinners. Parce que son hésitation fut de – trop ? – courte durée, la new-yorkaise veilla toutefois à ne rien trahir de son emballement, et laissa quelques secondes de plus s’écouler et traîner avant d’accepter l’offre faite. Elle décida de singer le doute d’un « pourquoi pas » qui, mal assuré, avait pour but de faire croire au gars qu’elle ne savait pas trop dans quoi elle s’engageait. C’était également le moyen de l’amener à imaginer qu’il avait et aurait l’ascendant sur elle, même si, pour l’instant, pas-Larry refusait d’user de la moindre autorité pour l’impressionner davantage.

Le potentiel Sinners et la French Syndicate sous couverture avaient donc un deal. Le gars lui réclama alors 30 dollars de loyer, pour avoir squatté ce bout de trottoir. « Oui, j’dois avoir ça… » Neelie ne voulait pas prendre le risque que pas-Johnny voit les billets entassés dans sa banane chromée, alors elle décida de partir à la recherche de la somme demandée dans les poches de son short en jean. Elle parvint à rassembler le montant à coup de petites coupures.
Pendant ce temps, le type sortit de ses vêtements une petite boîte de médicaments et plusieurs pochons. Le contenu lui fut annoncé respectivement comme des ecsta et de la beuh. Pas-Dany lui donnait pour 200 dollars de produits, et ces 200 boules, elle les lui devrait. Il se foutait de la marge qu’elle ferait, tant qu’il retrouvait son investissement. Il l’avertit seulement à demi-mot qu’il n’était pas dans son intérêt de se gaver toute seule avec le matos confié, parce qu’une telle attitude de sa part romprait leur petit deal ; petit deal qui lui rapporterait rapidement plus de 200 dollars si elle jouait correctement le jeu. Pas-Lenny lui vanta même une marge de progression, une sorte de montée en compétence en commerce, qui lui permettrait d’agrandir les marges qu’elle se ferait niveau thunes. Madden acquiesça, toujours aussi sérieuse, feignant de découvrir pour la première fois comment le trafic de stups fonctionnait. « Ok, ça semblerait presque simple dit comme ça ! » Et ça l’était, si on était prêt à prendre – et ignorer – les risques encourus.
Pas-Cory finit sa petite présentation sur un conseil : en cas de contrôle par un autre dealeur, elle devait dire qu’elle bossait pour lui. Une fois la vérification et validation faites, elle pourrait continuer à vaquer à ses occupations commerciales. « Cool, merci ! Parce que je n’ai pas forcément très envie de rejouer la même scène avec un gars moins sympa et compréhensif que toi… Mais, du coup… je leur donne quoi comme nom ? » Putain, elle allait enfin savoir comment cet abruti s’appelait. Enfin, s’il ne lui sortait pas son vieux blaze débile de la street…