[TERMINE] No matter what - Tom

15 octobre, après 20h

Avec Clyde et les autres, c'était la grande discussion pour savoir comment ils allaient organiser Halloween au Purgatory. Ce soir, les clients étaient nombreux mais n'empêchaient pas les temps de pause. Quelques clients se prenaient au jeu, les habitués, qui passaient certainement plus de temps assis au comptoir qu'à leur domicile. Ils avaient leur place et rare étaient les nouveaux clients qui osaient s'imposer.

India déambulait à son habitude dans ce territoire qui était le sien, vêtue d'une robe fourreau midi noire au col en encolure large et rond, des escarpins noirs au pied avec toujours ce tablier blanc autour de la taille pour signaler aux clients son statut. Les conversations allaient bon train. La jeune femme venait de récupérer une commande au comptoir, le plateau dans une main, déposant les verres de l'autre.

Les flics ont fait une descente à Florence, ils arrêtent tous les Prayers possibles ! Aaron Phillmore a été une nouvelle fois arrêté ! Scanda un des clients en se levant de sa chaise, téléphone à la main.

Des applaudissements retentissent dans le bar alors que le plateau contenant encore des verres s'écrase au sol, répandant son contenu. Des regards se posèrent sur la jeune serveuse qui étaient figés face à la nouvelle. Elle s'abaissa pour ramasser les morceaux, se coupant au passage. Elle épongea le liquide, tremblante sans un mot alors qu'un des clients lui demanda si tout allait bien. Se dirigeant vers le comptoir, livide, elle laissa tout le reste, demandant une pause. N'écoutant la réponse, elle sortit du bar pour se poser à l'écart, dans une rue qui jouxtait le Purgatory.

India chercha à relativiser. La dernière fois, il avait pu sortir de sa garde à vue. Mais l'attaque orchestrée par les Rats, les nombreuses descentes des forces de l'ordre lui faisaient craindre le pire. Un mauvais pressentiment qui l'attrapait à la gorge. Comprimant la coupure dans sa paume de la main, elle chercha de l'autre son téléphone rangé dans la poche de son tablier à la taille. Elle hésita à appeler son père directement mais s'il était bel et bien en garde à vue, elle ne pourrait lui parler. Alors elle composa le second numéro qu'elle aurait pu appeler dans ce contexte. Lui devait savoir quelque chose, lui devait avoir eu cette information. Pourquoi n'en avait-elle pas été informé avant ? Pourquoi ne lui avait-il rien dit ? À quoi bon servait ses informateurs qui travaillaient pour Hermes s'ils ne les prévenaient d'une information aussi capitale que l'arrestation du leader des Prayers. À quoi servait Hermes ? Une colère froide la traversa. Tom répondit assez rapidement.

Tom... Qu'est ce que tu sais ? Demanda-t-elle d'une voix blanche.

Pas de Jagger, comme elle avait l'habitude de l'appeler. Pas d'introduction, pas d'échanger de politesse. Malgré l'envie de se raisonner, India était sonnée.

15 octobre, après 20h

Il savait que ça allait être diffusé, il le savait bien, mais comme c'était un sujet sensible, très sensible, trop sensible, il n'avait pas désiré en informer India. Même si aux yeux du monde, elle était Jodie, il connaissait plus que bien d'autres personnes qui elle était vraiment. Son père, bien qu'une ordure plus qu'ordinaire, restait son père, et elle tenait à lui, sans doute trop, car là, elle n'allait pas le revoir. Bien entendu, Tom se tiendrait au courant des avancées, mais ça ne sentait pas bon pour ce coup là, vraiment pas, puisqu'il y avait à la clé la chute du gang ce coup là, et ce n'était pas un petit coup d'arrêt, c'était la fin, et sans doute le début d'une chasse aux sorcières, d'une vendetta pour certains. Est ce que Phillmore père y survivrait ? Rien n'était moins sûr, mais voilà, la situation était ce qu'elle était. Tom ne pouvait pas faire grand chose pour que ça change, il le savait, il le savait très bien, parce que là, ce serait s'apporter plus de dommages que d'intérêts. Quoiqu'il en soit, s'il avait gardé la nouvelle sous le manteau, il savait que tôt ou tard, elle arriverait aux oreilles d'India. Et quand ce sera fait, il sait ce qui arrivera sur son téléphone, il le sait, elle va lui en vouloir, mais au moins, il l'aura protéger pendant quelques heures. Ils ne sont pas Hermès pour rien, ils savent tout ou presque de ce qui se passe à Downfall, même une mouche qui pète, ils peuvent le savoir si l'information pouvait avoir une quelconque utilité. Heureusement pour vous, cette information là n'est utile pour personne, pas même à la grande communauté de mouches qu'il peut y avoir dans le quartier. Ainsi donc, le téléphone était là, juste là à ses côtés, il attendait l'appel. Il savait qu'elle bossait au Purgatory ce soir, et il ne serait pas étonnant qu'un client en parle. Après tout, qui savait qui elle était vraiment à par lui ? Son père évidemment mais ensuite ? Qui connaissait l'existence d'India Phillmore ? Personne ou presque. Et donc, le coup de fil arriva rapidement, dans un timing qu'il jugerait de moyen quand même, il aurait espéré que ce coup là arrive plus vers la fin que le début de son service. Ce n'était pas le début, mais elle allait avoir encore du temps à faire après avoir appris la nouvelle d'une manière ou d'une autre. Il savait comment il allait lui jouer la scène, elle ne marcherait pas, mais il tenterait quand même.

" Jodie, salut, moi aussi je suis ravi d'entendre ta voix. Je sais beaucoup de choses comme tu peux le savoir, tout dépends de ce que toi tu veux savoir que je saurais pas déjà. "

Il avait vraiment essayé de noyer le poisson de cette façon ? Apparemment. Oui, cela allait être un fiasco, il le savait parfaitement bien mais bon, il essayait, mais quoiqu'il puisse lui dire, elle saurait qu'il savait, elle saurait, ils se connaissaient un peu trop bien pour le nier. Mais voilà, avoir les informations c'est bien, mais parfois, on aimerait qu'elles soient un peu différentes quand même.

Peut-être avait-elle reçu un message d'un de ses informateurs qui avait eu vent de ce qui s'était passé ? Peut-être aurait-elle dû surveiller les appels, les messages, aurait dû faire un tour dans les boîtes aux lettres. Peut-être que quelqu'un avait prévenu Hermes qu'un événement majeur allait arriver. Peut-être même un agent des forces de l'ordre ? India tremblait, non pas par le froid qui soufflait en ce mois d'octobre sur Downfall, mais par cet ouragan d'émotions qui la traversait contre lequel elle cherchait à garder un certain contrôle. Sortant son téléphone, elle composa un numéro qu'elle connaissait par cœur, qu'elle avait maintes fois composé.

Quelques courtes sonneries, comme à chaque fois, avant d'entendre la réponse à sa question. Un certain détachement qui raviva cette colère froide en un feu crépitant. Elle resta sans voix face à ces paroles, fronçant les sourcils, regardant autour d'elle pour voir si elle était l'actrice principale d'une vaste plaisanterie. Mais non, aucune caméra, rien autour d'elle à part la nuit, des passants qui traversaient la grande artère, ignorant cette ombre tremblante adossée contre une caisse. Il savait beaucoup de choses, osait-il lui dire. Pourquoi lui dire cela ? Pourquoi tourner autour du pot ? Il savait mais il n'en avait rien fait. Il lui avait caché cette information. Pour quelle raison ? Plus cette idée tournait dans son esprit, plus elle sentait son cœur battre à vive allure, sa gorge se serrait tout comme son poing à la paume blessée.

À quoi est-ce que tu joues ? Répliqua-t-elle, passée la surprise.

Pas de Phillmore ou Carter, pas de Jagger. Le ton était sérieux entre eux, malgré la scène que Tom voulait jouer, alors qu'il se mentait à lui-même. Elle était une bombe qui allait exploser alors seule face à elle-même. India s'était préparée à ce qu'un jour une nouvelle comme celle-ci tombe mais au final, nous n'étions jamais préparés à ce genre d'événement. L'imaginer était une chose, le vivre, une autre.

Pourquoi tu ne m'as rien dit ?! Poursuivit-elle d'une voix sèche qui se voulait détachée mais qui marquait bien plus d'émotions qu'elle aurait aimé garder.

Bien des questions lui traversaient l’esprit et elle préférait s’accrocher à ses premières, celle qui accusait Tom de ne pas avoir fait son travail, ne pas avoir été son meilleur ami en la prévenant, en l’aidant à gérer ce moment pour ne pas l’apprendre à ses dépens, face à des dizaines de clients qui ne comprirent pas ce qui venait de se passer, elle qui se montrait toujours si adroite.

15 octobre, après 20h

Est ce qu'il aurait du la prévenir ? Est ce qu'il aurait pu le faire ? Oui et oui, si vous voulez la réponse à ses deux questions. Est ce qu'il l'a fait ? Non, parce qu'il la connait suffisamment bien pour savoir comment elle allait réagir, autrement dit plutôt mal, très mal même. Le souci, c'est qu'il n'avait aucun pouvoir pour inverser cette tendance, mais est ce qu'il le voulait vraiment d'ailleurs ? Il était peut être temps que les Prayers tombent vu l’hégémonie qu'ils avaient réussi à avoir sur le quartier expérimental, qui n'était plus si expérimental que ça avec le temps mais ce n'est pas le moment d'avoir ce débat là, d'accord ? Une prochaine fois, parce que là, il y a clairement plus urgent à faire, bien plus urgent oui. Tom avait fait en sorte de toute filtrer du côté d'India pour que rien ne lui arrive directement, et ça fonctionnait bien, mais il ne pouvait pas agir de la sorte pour tout le monde, c'était impossible, surtout que même s'il savait qu'elle était en train de bosser au Purgatory, il n'avait pas la possibilité de bloquer le signal de tous les portables, ce serait louche, elle se douterait de quelques choses. Bref, il savait qu'elle allait savoir, et donc, qu'elle allait lui en vouloir, un peu, même s'il avait agit pour son bien dans le fond, n'est ce pas ? Et donc, il sait lorsqu'elle appelle, qu'elle sait ce qui vient de se produire pour son père. Elle ne connait pas les détails mais elle en sait suffisamment pour être dans tous ses états. De l'autre côté du téléphone, il peut voir son regard noir contre lui, contre le monde entier à vrai dire. Elle n'est pas une Phillmore pour rien, c'est une sanguine quand elle le veut, elle pourrait se faire du mal, elle pourrait faire plus de mal que ce qui est fait à travers Hermès. Et donc, le temps d'encaisser cette droite qu'il venait de lui mettre, elle lui demande à quoi il joue. Elle lui demande pourquoi il ne lui a rien dit.

" Tu sais très bien pourquoi je ne t'ai rien dit ! Je voulais que tu puisses finir ton service tranquillement avant de venir te chercher et tout te dire. Mais de toute évidence, il y en a qui ont trop parler. Je voulais te protéger, pas que tu l'apprennes de cette façon. "

Mais c'est raté mon vieux, tu t'es planté en beauté, elle n'a pas marché dans la feinte qu'il a tenté de mettre en place, elle n'a pas marché, parce qu'elle le connait, un peu trop bien, que tout les deux, ils ne font qu'un ou presque. Est ce qu'elle va finir son service ? Non, elle est trop sur les nerfs, alors déjà, il est en chemin pour venir la chercher, il sait que c'est la meilleure chose à faire, n'est ce pas ? Oui, c'est une certitude.

Aux yeux de la jeune Phillmore, Tom n'avait aucune raison de vouloir lui cacher une information aussi précieuse qu'une action de démantèlement de cette ampleur, amenant un des hommes les plus puissants de la ville à être arrêté. Avait-il résisté ? S'était-il battu ? Était-il blessé ? India ne pouvait se focaliser sur ces questions, refusant de l'imaginer à moitié inconscient dans une cellule d'Inglewood. Le client avait parlé d'arrestation. Il n'était pas mort. N'ayant aucun contrôle sur ce qui était en train d'arriver à son père, elle préférait rejeter toutes ses angoisses sous forme de colère vers le seul connu capable d'encaisser ses vagues d'émotions, qui malgré la violence ne tombait pas, ne partait pas. Celui qui était venu lui donner des cours de maths à son domicile alors qu'elle avait quinze ans et lui dix-huit, découvrant une jeune fille intelligente, capable avec un peu d'effort de réussir, qui ne voulait être qu'une populaire, aimée, voir crainte, par le plus grand monde. Il s'en était passé du temps depuis, des événements les éloignements, les rapprochant pour réaliser, à un niveau différent pour chacun d'eux, qu'ils formaient une bonne équipe.

Alors ce soir, quand elle comprit qu'il avait omis sciemment de ne pas lui parler du démantèlement orchestré par le BSEI et le SWAT, quelque chose se fissura en elle. Et il était plus simple pour la serveuse de chercher à concentrer toute sa colère contre lui, plutôt que contre la véritable raison : cette peur qui la rongeait de l'intérieur. India lui posa deux questions. À quoi jouait-il ? Pourquoi lui avoir caché ? À nouveau, la réponse ne la convainquit pas. Elle savait. Non, la jeune femme n'était pas en mesure de savoir, d'avoir le raisonnement que le hacker avait eu. Il voulait lui annoncer lui-même, après son travail, tout cela pour la protéger. Uniquement pour la protéger. Mais Tom n'avait pu prévoir ni avoir la maîtrise des langues qui se déliaient. La joie qu'elle avait lue sur le visage de ce client, le soulagement pour d'autres. À raison. La chute des Prayers of Insanity était une bonne chose pour Downfall. Pour un temps, car d'autres viendraient prendre leur place.

C'est raté, conclut-elle en raccrochant, amère.

Et de colère, elle balança son téléphone à clapet contre le mur en face d'elle. L'objet ne résista pas et se brisa en deux. India resta ainsi quelques minutes à regarder le téléphone par terre, haletante, les poings serrés. Ce fut une voix qui la ramena à la réalité, la surprenant.

Chérie, ça va ? Tu vas attraper la mort, rentre, lui dit l'une des serveuses se nommant Tara, en se rapprochant d'elle, l'invitant d'un signe de tête à se déplacer.

La brune acquiesça sans un mot, se donnant une impulsion pour faire un premier pas, récupérant son téléphone qu'elle rangea dans la poche de son tablier. Tara passa un bras autour de ses épaules, faisant remarquer qu'elle était glacée. Une fois à l'intérieur, une vague de chaleur l'immergea, se mêlant à l'odeur de la bière, du bâtiment où le bois et l'acier s'étaient unis aux meubles récupérés à gauche, à droite, à la transpiration et à la fumée de cigarette qui flottait dans les airs. Les conversations étaient vives et les tables avaient toutes de nouveaux verres, comme si tous les clients s'étaient donnés le mot. Clyde s'arrêta dans son mouvement pour lui lancer un regard bienveillant, s'inquiétant de la voir ainsi. Les deux s'accordèrent et obligèrent la jeune femme à aller à l'arrière, dans la zone réservée au personnel, où les machines brassaient la bière vendue à l'avant. India marcha un temps dans les allées faites de cuves avant de tomber sur son patron, assis à son bureau, plongé dans ses papiers. En quelques questions et un échange laconique, il comprit sa situation, son lien avec un membre des Prayers, disparu quelques minutes, revenant la voir, posant une bouteille de whisky et un verre. Il lui ordonna de boire, de descendre la bouteille s'il fallait, quitte à appeler un taxi, quitte à ce que l'un d'eux la ramène mais il lui interdisait d'aller à l'avant pour ce soir. Posant une main sur son épaule, la pressant légèrement, il la laissa seule, allant aider dans la salle, n'ajoutant rien de plus.

Le regard vide, tout comme le verre qu'elle avait descendu, à deux reprises, elle secoua la tête et se redressa, ignorant le temps perdu dans ses pensées. India était bien décidée de retrouver Tom pour lui cracher son venin. L'alcool ne lui avait donné que le courage de se mouvoir. Retournant en salle, elle assura d'un faux sourire ses collègues, leur disant qu'elle n'avait bu qu'un verre et qu'elle allait rentrer chez elle. Malgré une hésitation, la jeune Phillmore était déjà loin, passant devant les habitués qui l'observèrent partir de son service plus tôt. Elle n'eut à faire que quelques pas lorsqu'elle vit à quelques mètres le hacker lui faisant face. Ayant enfilé son trench-coat gris souris, son sac à main posé sur son épaule, elle en avait oublié d'enlever son tablier qui ceignait sa taille. Se figeant à sa vue, ne s'attendant pas à le retrouver ici, elle prit une grande inspiration, la colère se lisant un instant avant de disparaître sous ce masque d'impassibilité qu'elle ne donnait qu'aux inconnus. Une fois à sa hauteur, c'était impassible qu'elle l'attaqua sans hausser le ton, à quelques centimètres de lui, le menaçant d'un doigt avant que ce ne soit la main entouré d'un tissu qui le pousse par à-coups, le forçant à reculer.

Tu n'avais pas le droit de me le cacher. Tu n'avais pas le droit de décider ce qui était bon pour moi. Tu n'avais pas le droit de décider pour moi. Par contre, tu avais le devoir de me dire au moment où tu l'as su ce qui était prévu. C'est tout. C'est ton rôle. Et je n'ai jamais eu besoin d'être protégé. Je n'ai jamais demandé à l'être.

15 octobre, après 20h

Ce qu'il y a de bon a être le maitre de l'information, c'est qu'on peut cacher des choses, mais c'est aussi qu'on peut diffuser les bonnes informations aux bonnes personnes pour que l'effet boule de neige puisse avoir lieu. Bon, l'hiver n'est pas encore tout à fait là à Downfall, et même quand il est là, il n'est pas si difficile que ça, mais quand même. Bref, il sait qu'elle ne sera pas contente, mais elle a besoin de ça, il le sait, il lui faut un électrochoc, il faut qu'elle réagisse, sans s'apitoyer sur son sort, sans que cela ne l'impacte trop. Son père n'est pas mort, il va juste passer du temps au frais, nourri, logé, blanchi aux frais de la princesse, il y a pire comme situation. Vu le gabarit du petit monsieur, il devrait s'en sortir, pourquoi est ce qu'elle devrait avoir peur pour lui ? Il ne possédait pas tous les détails de son arrestation, mais à priori, le grand gaillard allait bien, aussi bien que quelqu'un qui venait de se faire arrêter, et cette fois-ci, avec de moindres chances de ressortir de prison de sitôt. De toute façon, il en vaut mieux pour lui, et même si un jour il ressort, il ne donne pas chair de sa peau, tout dépends comme l'eau aura coulée sous les ponts aussi. C'est une variable qu'il n'est pas possible de réellement prévoir, il le sait, mais ce n'est pas la priorité pour le moment. Elle raccroche donc, amère, en colère et tout ce qu'il faut pour qu'elle lui en mette pleine la tête. Il le savait, il fallait mieux que ça soit lui qui prenne plutôt que quelqu'un d'autres, parce qu'il la connaissait, il savait comment la calmer et lui faire comprendre les choses. Quoiqu'il puisse faire, la pilule serait difficile à avaler pour elle, mais c'était mieux qu'un petit suppositoire dans le derrière, parce que là dessus, elle aurait pu se faire clairement entuber. Il serait celui qui subira ses foudres, et même s'il lui avait dit avant, il les aurait subit aussi. Ainsi dès qu'elle raccrochait, il allait la chercher, prenant sa voiture alors que c'était la folie dans tout Florence. Il aurait préféré être en Italie tout d'un coup, mais ce n'était pas le cas. Il ne sait pas si elle allait pouvoir partir rapidement du Purgatory, mais peu importe, il l'attendrait le temps qu'il faudra. Ainsi donc, il mit plus de temps que prévu pour arriver à destination mais peu importe, il était arrivé à destination, c'était bien là le plus important. Sur le trajet, il avait du montrer ses papiers, et expliquer à celui qui venait de les lui contrôler qu'il se rendait au Purgatory pour rejoindre une amie, rien de plus. Il put passer sans trop de soucis, mais il avait perdu du temps. Est ce que Jodie était déjà en chemin vers chez elle, vers chez lui ? Il ne savait pas, mais là-bas, ils pourraient le renseigner comme il faut. Mais le timing semblait être presque trop parfait pour être vrai. Alors qu'il arrivait, elle était là, sous le choc, prête à partir. Elle était en colère même si son masque de neutralité reprit rapidement le dessus. Après tout, ils étaient sur son lieu de travail, n'est ce pas ? Il fallait faire bonne figure malgré tout. Il fit signe à la serveuse qu'il la prenait en charge alors qu'elle allait déjà déchargée sur lui une partie des balles qu'elle allait tirée sur lui. Et donc, elle le menace, même si dans le ton de sa voix rien ne l'indiquait, sa gestuelle et le contenu de ses paroles étaient toutes autres. Il savait qu'elle allait lui dire ça, mais s'il lui avait appris, elle lui aurait fait les reproches inverses. C'était une Phillmore après tout.

" Tu veux vraiment avoir cette conversation ici ? T'es sûre que devant les clients du Purgatory c'est le bon endroit ? Allons au moins dans la voiture, et je te laisserais me crier dessus, ça te fera du bien. Et puis, je t'ai apporté un autre téléphone, je suppose que quand t'as raccroché l'autre a volé contre le mur, je me trompe ? "

Et il reculait un peu plus encore, pour arriver à la porte du Purgatory, dos à elle, pour l'ouvrir et partir d'ici, ce serait mieux pour elle de ne pas avoir la conversation ici tout simplement. Dans la voiture, elle pourrait se lâcher, chez elle ou chez lui aussi.

Feindre l'indifférence, feindre l'amusement, feindre une émotion était devenue facile avec le temps. Jouer un rôle, celle de la serveuse aimable, serviable qui observait, analysait et retenait les habitudes des clients. Jouer le rôle de celle qui n'était atteinte par rien. Le tout s'était ancré en elle, pour que personne ne l'atteigne. De multiples barrières qu'elle avait monté pour ne pas être atteinte par le monde. Pourtant, lorsque cela concernait son père et sa relation avec lui, la jeune Phillmore redevenait la petite fille qu'il avait vu grandir, malgré la distance qu'elle avait pris. L'exemple avait été lorsqu'il lui avait annoncé l'attaque orchestrée par les Rats en mai de cette année. Elle avait cherché à partir de l'appartement de Tom mais ce dernier l'en avait empêché, à nouveau pour la protéger, protéger ce lien de filiation. Il avait fini par trouver des informateurs qui lui apportèrent de bonnes nouvelles concernant le chef du cartel.

Pourtant, à cet instant, lorsqu'elle le vit au Purgatory, non loin de la porte, feindre fut quelque chose de plus difficile. Porter un masque était une chose, le maintenir sans y montrer ses fêlures une autre. Le ton de sa voix était mesurée, froid et pourtant d'une violence qui ferait pâlir certain seul sa gestuelle vint trahir la tempête qui l'habitait. Les mots du hacker l'arrêtèrent dans son mouvement, réalisant là où elle était, ayant totalement oublié qu'elle était encore à l'intérieur du bar. A l'instant où India l'avait vu, tout avait disparu. Ses yeux alors rivés sur lui, levés vers son visage, faisant une tête de plus facilement, s'abaissèrent un instant. La jeune Phillmore ne voulait pas s'afficher sous le regard de quelques clients qui avaient pu observer la scène sans en entendre l'échange. Sans un mot, la brune ramena ses yeux verts sur lui, impassible, tandis qu'il continuait de reculer, arrivant dos à la porte pour l'ouvrir. Il lui avait ramené un nouveau téléphone, se doutant que le sien soit cassé. N'avait-elle pas, par le passé, jeté le premier objet qu'elle avait sous la main pour libérer sa colère ? Il n'avait pas oublié. Lui proposant d'aller dans la voiture, il lui laisserait tout le loisir de lui crier dessus. Parce que cela lui fera du bien. Elle s'était arrêtée quelques secondes pour le voir tenir la porte du bar, l'invitant à sortir. Un dernier coup d'œil vers un des clients, toujours impassible et elle sortit

L'air froid la frappa de plein fouet et elle ferma sa veste dans un geste sec, serrant la ceinture. Sentant contre elle, les reste de son téléphone, elle souffla agacée. Ils prirent la direction de la voiture du geek, India bien décidée à se taire pour ne pas être à nouveau se donner en spectacle. Et même lorsqu'elle se retrouva dans la voiture, elle resta mutique, le regard droit devant, toujours impassible. La jeune femme ne l'était jamais avec lui, ou de très rare fois, qui devait se compter sur les doigts d'une main. Tout son corps était crispé et les deux verres de whisky n'avaient pas suffi à la détendre, juste à lui donner l'impulsion nécessaire pour partir.

15 octobre, aux alentours de 20h20

Il savait à quoi s'attendre en venant la chercher, ou en la trouvant sur le chemin du retour chez elle, ou en direction de quelques parts, car il était évident qu'elle n'avait plus du tout les idées claires, qu'elles étaient devenues obscures, floues, d'une noirceur extrême, qu'elle était proche de l'apoplexie. Oui, c'est un mot qu'on ne peut pas placer tous les quatre matins, mais là, ça convenait à merveille, n'est ce pas ? Oui, ça allait bien, très bien, intérieurement India était en train de bouillir, et s'il ne venait pas de lui rappeler qu'elle était encore à l'intérieur du Purgatory, peut être qu'elle l'aurait frappé avec une violence inouïe pour les personnes pensant la connaître. Parce que la vérité est là, ils ne sont que très rares à connaitre celle qui se cache sous la carne de Jodie Foster. Oui, quand il lui avait créé cette nouvelle identité, il s'était retenu de peu de lui donner celle-ci. Il ne croit pas avoir vu de films de l'actrice, mais voilà, ça sonnait bien. Si c'était aujourd'hui qu'il devait lui changer son identité, ça pourrait être Jodie Comer, elle est parfaite dans Killing Eve. Bref, le débat n'était pas là, pour le moment. Il fallait fuir les lieux, et rapidement, sinon, ils n'allaient pas reconnaître la jeune femme qu'ils avaient devant eux, se demandant ce qui avait bien pu se passer pour qu'elle soit ainsi. Ils ne se doutaient de rien du tout, mais Tom visualisait la scène. Un type avait du parler un peu plus fort que d'autres de son père, que le cartel était tombé, et ce qu'elle avait pu voir sur leur visage lui avait donné la nausée. Est ce qu'elle avait renversé un verre ou deux ? Est ce qu'elle portait un plateau à ce moment là ? Possible, il ne lui demandera pas ces détails là, il n'en avait pas besoin quoiqu'il en soit. Poussant habilement la porte du Purgatory, ils purent donc sortir du lieu pour aller un peu plus loin alors qu'elle ne disait plus rien, comme si elle avait peur qu'on la voit, peur qu'on comprenne qui elle pouvait être et que la nouvelle du soir l'avait fait retombée en enfance. Il ne sait pas ce qu'elle a fait après l'appel, en dehors d'avoir brisé son téléphone. Les autres ont du voir que ça n'allait pas. Est ce qu'elle a dit quelques choses qui pourrait la compromettre ? Non, même dans la colère noire qu'elle avait en elle, elle n'aurait pas été aussi bête de ruiner des années de collaboration pour devenir le messager Hermès. Est ce qu'elle avait un peu bu ? Possible, pour se donner le courage de s'en aller, de lui dire quelques mots avant de se rendre compte du lieu où elle se trouvait. Une fois arrivés à la voiture, elle grimpa dedans mais elle ne pipait toujours pas un seul mot. C'était assez rare pour le signaler, mais c'était bien le cas. Elle ne donnait pas plus d'indications que ça sur la suite qu'elle voulait donner à cette soirée, tant pis son chat attendrait demain, il prenait la direction de son appartement à Florence. Ce devait être encore la cohue, mais peu importe, une fois à destination, il n'y aurait pas de problèmes particuliers. Sur le chemin, il mit le volume de la radio un peu plus fort, c'était du Paramore qui passait à l'instant, The Only Exception. Tom sifflotait, presque comme si de rien n'était, jusqu'au moment où elle craquera à nouveau, dans la voiture, ou chez lui, c'était à sa guise.

Il était trop tard pour faire machine arrière. La scène s'était déroulée dans le Purgatory. Il serait possible que certains demandent des comptes face à ce comportement étrange pour cette serveuse toujours jovial et avenante avec cette clientèle d'ivrognes. Mais elle n'en ferait rien. La chance était qu'elle n'avait pas explosé. Cela faisait longtemps qu'elle n'avait plus été dans cet état ou elle perdrait le contrôle de ses émotions. Non, tout était encore mesuré, ses mots, la tonalité de sa voix, la violence de l'attitude. Tout était encore sous contrôle. Alors elle sortit, passant la première, le vent frais d'octobre l'obligea à fermer son trench-coat. Son pas était régulier, ses talons claquaient sur le bitume. India suivait sans un mot le hacker vers sa voiture, s'y engouffrer, n'attachant pas sa ceinture parce que la sécurité routière passait au second plan dans ses pensées.

La voiture démarra sans un mot échangé entre les deux meilleurs amis. La jeune femme regardait à travers la fenêtre, le visage fermé, les bras croisés. Rien de propice pour échanger. Elle avait dit tout ce qu'elle avait à lui dire au Purgatory. C'était à lui de parler, de s'expliquer, de se justifier. Pas l'inverse. Ils sortirent du Watts, indiquant à la serveuse qu'ils iraient chez lui, plutôt que chez elle. Les murs étaient fins chez elle, elle avait une voisine de pallier qui pourrait tout entendre. Y avait-il pensé ou simplement préférait-il l'amener chez lui pour avoir un certain contrôle sur la situation, sur elle, dans un cadre où elle n'aurait pas l'ascendant ? Il en vint à allumer la radio d'une artiste qu'elle ne connaissait pas. De toute manière, India ne connaissait rien en musique. Les paroles devaient avoir du sens pour certains mais la brune était imperméable à cet instant, laissant juste un soupir agacé comme réaction.

Tom semblait décidé à ne rien dire. Dans le jeu du plus têtu, il y aurait forcément un perdant et il n'avait pas le droit de se taire alors qu'il lui devait des explications. Il savait. Elle aurait pu prévenir son père pour qu'il s'en aille, se cache, se mette à l'abri. Elle aurait pu faire quelque chose pour lui. Elle n'aurait pas cherché à sauver les Prayers of Insanity. La jeune Phillmore se sentait trahie à cet instant et ne comprenait pas pourquoi il n'avait pas agi. À un feu, alors qu'ils arrivaient à la frontière de Florence où il y avait un branle-bas de combat, elle arrêta la musique et regarda son profil, prenant quelques secondes pour parvenir à ne pas lui vomir dessus sa colère qui tournait en rond comme un animal en cage.

Tu n'avais pas le droit. Tu es mon meilleur ami. Tu n'avais pas le droit de me faire ça.

Ce même ton froid, détaché parce qu'elle ne tenait plus que par ça, ce détachement nécessaire pour ne pas pleurer, pour ne pas laisser cette peur l'envahir, découvrir ce qu'allait être cette petite fille que le père allait laisser seule.

15 octobre, aux alentours de 20h20

Il le savait, elle allait mettre du temps à avaler la pilule qui ne passait, elle allait mettre du temps à lui pardonner, mais il n'avait agit que dans son intérêt, même si tout avait volé en éclat avec les révélations du dit client. Si tout s'était passé comme prévu, elle aurait fini son service et ils se seraient retrouvés, tranquillement avant qu'il lui annonce le désastre. Mais dans ce malheur, elle devait bien comprendre que son père n'était pas mort, juste qu'il allait être mis au frais pour un long moment cette fois-ci, à priori. Quoiqu'il en soit, il était venu la chercher au Purgatory, parce qu'il la connaissait suffisamment pour savoir que si elle restait là-bas, aux yeux des autres, elle finirait pas péter un câble et un pauvre poivrot en prendrait pour son grade alors que techniquement, il n'en aura pas fait plus que les fois d'avant. Et même si elle tenait à continuer son service, il lui aurait fait comprendre que pour une fois ce n'était pas la bonne idée. Mais il n'avait pas eu à le faire, et donc, les voilà donc dans sa voiture, en direction de chez lui. Si jamais elle voulait casser des choses, ce n'était pas un problème majeur, du moment qu'elle ne s'en prenait pas au matériel essentiel à la bonne tenue de ce qu'ils faisaient depuis des années à savoir Hermès. Il ne savait pas si elle allait vouloir lui parler, si un dialogue allait pouvoir s'installer entre les deux, ce serait le plus grand chantier dans l'immédiat, clairement le plus grand. Mais s'il fallait se terrer dans le mutisme, alors il le ferait, et alors, elle lui parlera quand elle sera décidée. La soirée allait être longue, lourde, pesante, mais il faudrait en passer par là, et peut être pas que ce soir d'ailleurs, peut être pas. Pour combler légèrement le malaise, il avait donc mis la radio pour qu'un bruit de fond vienne couvrir le vrombissement léger du moteur. Cette voiture n'était pas de première jeunesse, mais dans l'absolu, n'ayant qu'à s'en servir à Downfall, elle ne roulait pas énormément. Le plein avait été fait quelques jours auparavant, une chance pour ainsi dire, même si dans l'absolu, il avait juste prévu le coup face au chaos que cela allait être de maintenant jusqu'à une date malheureusement indéterminée. La voiture n'était pas le bon endroit pour s'expliquer quoiqu'il en soit, chez lui, ce serait mieux, plus agréable, plus propice à des confessions, pour ainsi dire. Pourtant, elle semble vouloir faire ça dans la voiture alors qu'ils arrivent à proximité d'une Florence sans dessus dessous.

" Depuis qu'on se connait, est ce que j'ai déjà agis pour te nuire ? Donne moi une fois, une seule où j'ai essayé d'agir de le sorte envers toi. "

A part ce soir, même si elle tentera de jouer la victime, mais ce n'était en rien sa faute si son père avait agit de la pire des manières, et qu'à présent, il en payait le prix fort. Les choses sont ce qu'elles sont, il en est ainsi, et la petite India Phillmore se retrouvait donc perdue, sans ce repère dans son paysage, sans ce phare dans la tempête perpétuelle de son esprit. Son père était et resterait son père, il ne peut pas en être autrement. Mais là, il ne pourrait rien faire pour elle, pendant un bon moment.

Le silence entre les deux meilleurs amis était de plomb. Le moteur de cette voiture vieillissante ronronnait jusqu'à ce qu'il couvre ce bruit par de la musique. India était dans ses pensées, n'arrivant pas à s'arrêter sur l'une d'elles, n'arrivant pas à faire le tri pour structurer ses idées, ses arguments. Elle avait envie de crier mais tout ce qu'elle pouvait faire à cet instant, c'était sentir ce poids sur la poitrine, cette main sur la gorge qui la serrait, l'obligeant à forcer sa trachée à inspirer une longue bouffée d'air. Ils n'étaient plus très loin de la frontière de Florence, où les forces de l'ordre surveillaient tout ce qui entrait et sortaient. C'était un miracle que le hacker ait pu sortir, ce serait un miracle qu'ils parviennent à y rentrer.

Coupant la musique, l'observant de ses yeux vert brillant de cette colère froide qu'il avait eu l'occasion de voir à de rares occasions, elle garda ce ton détaché et froid qui l'aidait à garder le contrôle. Sans se justifier, il appuya du doigt une vérité criante. Jamais Tom n'avait cherché à faire du mal à la jeune Phillmore. Il avait toujours été là pour elle et inversement, elle avait toujours essayé d'être là pour lui. Le découvrant blessé à la tête, choqué devant le corps inerte de son père en 2014, à l'invitation à dormir dans sa voiture alors que son immeuble avait été signalé comme insalubre après le tremblement de terre de 2019, partageant dans cette promiscuité une complicité sans égale, rêvant d'un autre monde. Et pourtant, la brune n'avait pas été tendre avec lui au lycée, devant agir comme une peste pour se faire apprécier de ses amies superficielles. Non, Tom avait toujours été de son côté. Pourtant, India ne l'entendit pas de cette oreille.

Et ? Quand bien même tu n'as pas eu la volonté de me nuire ! Pourquoi est-ce que tu n'as pas agi ?! Pourquoi tu ne m'as pas appelé à l'instant où tu l'as su ? Je m'en contrefous de ce qui peut arriver à ce cartel, c'est de mon père qu'il s'agit !

C'était le plus important. Bien qu'elle ait toujours cherché à masquer ses émotions, à se contenir, elle avait été à plusieurs reprises une boule d'émotions lorsqu'il s'agissait de son père. Elle avait cherché à s'en éloigner mais gardait toujours un œil dans sa direction. Elle ne pouvait en faire autrement. Secouant la tête, agacée, elle rajouta d'une voix qui était marquée par cette émotion contenue, avec un léger trémolo :

J'aurai pu le prévenir, Tom, j'aurai pu lui donner quelques minutes d'avance qui aurait changé la donne. Il voulait arrêter. Il y pensait sérieusement. J'aurai pu faire quelque chose pour lui.

Elle n'en avait pas parlé. India l'avait gardée précieusement car elle pensait qu'il avait évoqué cette idée sous l'influence des antalgiques de pallier trois. Que ce n'était que pour satisfaire l'envie de sa fille de le voir s'éloigner du danger qu'était son quotidien en tant que narcotrafiquant. Elle avait bercé cette idée avec amour sans jamais y croire réellement. Mais aujourd'hui, alors qu'il avait été arrêté, la jeune Phillmore croyait fermement que c'était ce qu'il voulait.

C'est vert, lâcha-t-elle alors que le feu changea de couleur.

15 octobre, aux alentours de 20h30

Oui, on peut dire que le silence n'est pas leur point fort, car ce genre de silence est pesant, jusqu'à ce que l'un des deux cède et parle, donne le bâton pour se faire battre, donne le bâton pour frapper l'autre. Il sait, il assume le petit Tom pouce, mais elle, elle n'assume pas, pas le moins du monde, parce que ça concerne son père, son sang, sa chair. Mais elle est loin de savoir tout ce qu'il a pu faire pour que les choses soient différentes, elle ne sait pas tout, elle est loin de tout savoir contrairement à ce qu'elle pense avec Hermès. Mais si Tom veut lui cacher des choses, il le fera et elle ne le saura pas tout de suite, voire même jamais s'il le désire. Elle a du pouvoir, elle avait ce contre pouvoir contre son père, ça lui plaisait à India, mais maintenant que l'ennemi n'est plus, son but s'étiole sans même qu'elle ne s'en rende réellement compte. Pourtant, leur pouvoir est à présent encore plus grand, car déjà, il a observé les groupes qui étaient en train de se relever des cendres encore fumantes des prayers. Si les prayers les plus impliqués sont arrêtés, il reste quelques petites frappes qui pourraient se dire qu'elles ont leur chance de devenir plus grande. S'il le voulait, il pourrait tuer dans la boite ses rebellions, il pourrait mais est ce qu'il va le faire ? Non, pas forcément, car pour trouver un équilibre, Downfall doit être en lutte intestine. Bien entendu, celle-ci mettra du temps à reprendre de façon flagrante et équilibrée, mais l'hégémonie des prayers est terminée, et c'est une bonne chose même si pour cela, un certain Aaron Phillmore doit passé du temps au frais. Et donc, finalement, c'est Carter qui coupe le silence de leurs voix, et qu'elle le fusille du regard, une nouvelle fois. Il lui donne les bonnes justifications, mais le verbe dépasse la raison de celle qui est juste là. Il devrait en sourire mais il ne le fait pas. Il la laisse déverser ce qu'elle veut lui dire. Les arguments donnés sont bons, mais qui lui dit qu'il n'a pas eu cette possibilité là ? S'il est dubitatif sur le fait que son père voulait arrêter, pour le reste, il en a eu la possibilité. Il avance puisque le feu est passé au vert et ouvre la bouche.

" Qui te dis que je n'ai pas agit India ? Je ne l'ai pas appelé directement, mais j'ai appelé un de ses bras droits qui l'a prévenu, lui laissant les minutes d'avance que tu voulais lui donné. Mais apparemment, ton père n'a pas jugé la menace suffisante pour s'en aller. Peut être que c'est sa façon de faire pour arrêter comme tu dis, peut être qu'en se faisant arrêter, il était sûr d'accéder à ta demande, à cette requête. S'il avait voulu fuir, je peux t'assurer qu'il aurait pu le faire, mais il n'a pas fait ce choix. "

Il a choisi en tant que capitaine du navire de couler avec sans se faire la malle, sans s'en aller alors qu'il avait le temps pour le faire. Mais il n'avait pas fait ce choix, il était resté, se débarrassant apparemment juste à temps des documents les plus embarrassants. Tom sait parce que son contact au sein des prayers lui a donné les détails, il avait ses yeux en direct. Aaron a été tenu au courant par le dit contact, mais il s'est dit que ce n'était pas assez sérieux pour "fuir". Il a eu tord sur ce coup là, mais les choses sont ainsi, on fait des choix, mais derrière il faut assumer. Tom assumait pleinement le fait de ne pas avoir prévenu la serveuse de la situation de son père. Est ce qu'elle aurait agit différemment s'il lui avait dit ? Peut être qu'elle aurait tenté de l'appeler, peut être qu'on aurait pu la relier plus directement à lui. Non, elle l'aurait fait, et elle serait encore plus en danger à présent. Là, rien ne pouvait la relier à son père, rien du tout, elle pourrait rester dans une certaine sécurité, mais elle n'y pensait pas, elle ne voyait que la situation immédiate, sans penser aux conséquences, comme c'était presque toujours le cas. Tom arriva à un nouveau contrôle routier, c'était le même type que précédemment et heureusement pour lui, le type semblait être assez physionomiste. Il les laissa passer jusqu'à l'appartement de ce dernier. Une fois la porte d'entrée passée, il y avait un petit vestibule qui donnait sur la pièce à vivre, le salon, la cuisine sur la gauche. Sur la droite, il y avait la chambre et la pièce d'eau, rien de fou en quelques sortes, mais c'était suffisant pour ce qu'il faisait. Dans la chambre, il y avait tout le matériel informatique qui allait bien pour récolter les informations. La décoration restait assez simple, il n'y avait qu'une affiche de Retour vers le futur qui pouvait réellement trahir sa nature de geek.

Le silence n'avait jamais été quelque chose qui la dérangeait. Elle se complaisait dedans, c'était presque rassurant, parfois nécessaire, pour éviter de dire tout haut ce qui ne peut être exprimer. Ses pensées, qui fusaient et ne s'arrêtaient pas pour se poser, l'empêchaient de tenir plus longtemps, finissant par lui dire qu'elle aurait pu agir, lui avouant que son père avait fait la confession d'une envie de s'éloigner de ce monde. Le hacker lui laissa le temps de cracher tout son fiel, mêlé à la peur pour lui expliquer qu'il avait agi, qu'il avait appelé un de ses hommes pour le prévenir, mais son père avait décidé de rester, avait agi sciemment, décidant de se faire arrêter. Cette information était comme un coup de poing qui lui coupa le souffle. Détournant le visage, elle ramena sa main fermée sur sa bouche, son regard fixant les rues défilant sous ses yeux.

Ce n'était pas à lui de le faire. La jeune femme était bien décidée à garder le contrôle et ne pas laisser de marge à quiconque quand cela concernait son père. Tom était en tord et elle ne reviendrait pas là-dessus. India aurait voulu le prévenir, l'entendre une dernière fois. Non, elle n'aurait pas été stupide en l'appelant directement de son téléphone. La jeune femme passait des dizaines et des dizaines de coup de fil par jour sous l'identité d'Hermes, elle possédait de nombreuses cartes puce qu'elle jetait régulièrement, à la manière de portable jetable pour que jamais les appels ne soient tracés. Elle l'aurait appelé d'un numéro inconnu, insisté s'il fallait jusqu'à ce qu'il réponde pour lui dire de s'en aller, de partir de la ville, d'aller sur une de ses îles qu'ils avaient un jour évoqué, protégé par un pays où il n'y aurait aucun accord pour une extradition. Il préférait assumer les conséquences de ces actions. Chez n'importe qui, cela aurait été un exemple, mais pour India, c'était une erreur. Elle n'était pas prête à le voir sous les verrous.

Alors, elle se tut, non pas parce qu'elle n'avait rien à dire mais qu'elle préférait ne rien dire. Elle finirait par tourner en boucle dans ses paroles, à l'image de ses pensées qui continuaient à agresser son esprit sans réelle cohérence. Ils passèrent les barrières du contrôle routier pour finir par arriver dans l'appartement du jeune homme. Sa meilleure amie n'avait jamais compris le choix de s'installer à Florence. Pour avoir un regard sur ce qui s'y tramait ? À l'image d'Alex, cette hackeuse venue en renfort avant de disparaître, toujours en vadrouille, qui s'était installée à Inglewood. Des points stratégiques. India avait choisi d'être au plus près des clients, de ceux qui pourraient raconter, informer. Tous ces choix étaient valables, pertinents et logiques. Passant la porte de l'appartement où elle avait passé de nombreuses soirées et parfois nuits à dormir sur le canapé, elle se mouvait avec l'aisance de celle qui était chez elle. Elle enleva sa veste qu'elle posa sur le dossier du canapé, laissant son sac à main juste à côté, se dirigeant vers la cuisine pour se servir un verre d'alcool. Le besoin de s'abrutir l'esprit, d'arrêter ses pensées de tourner. Adossée au comptoir, elle tenait le verre contre elle, bu à moitié, le regard dans le vide. Les minutes s'allongèrent où elle était tel une statue dans cette cuisine jusqu'à ce qu'elle ferme les yeux, son visage se crispa face à cette barrière qui s'effondra face à ses pensées qui se jetaient sans cesse contre elle, brisant tout sur son passage. La peur prenait le pas, gagnait ses entrailles, s'infiltrait jusqu'au bout de ses doigts. Les larmes coulèrent, elle qui s'était souvent montré pudique pour ce genre d'émotion, elle n'avait pas la force d'aller se cacher dans la salle de bain. Inconsciemment, elle ne voulait pas être seule à cet instant.

15 octobre, aux alentours de 20h40

Est ce que le silence était dérangeant dans le fond ? Non, et à ce petit jeu, ils pouvaient être très fort tout les deux, très très fort même, si bien que ça pourrait durer longtemps comme ça. Tom avait pour devise de ne jamais dormir fâcher avec quelqu'un, du moins dans l'absolu, parce qu'il peut avoir fait tout ce qui était en son pouvoir pour, si la personne n'était pas décidée, il ne pouvait pas faire de miracles, même si dans l'absolu, il n'en était pas si loin que ça. Avec les faux papiers, les nouvelles vies pouvaient commencer, il le savait. Avec tout ce qui était en train de se passer, il allait peut être falloir faire profil bas durant quelques temps, il aviserait, ils aviseraient si elle voulait toujours de lui évidemment. Dans l'absolu, il n'en doutait pas, mais pour le moment, la rupture était clairement un peu trop consommée. C'était comme ça après tout, il le savait, il avait fait un choix qu'elle n'aimait pas, mais elle ne voulait pas se résoudre à comprendre le pourquoi du comment. Elle savait que jamais, ô grand jamais, il n'agirait pour son mal, il ne voulait que son bien, et là, il s'était permis de juger quelques choses qu'elle aurait pu "changer". La réalité dépassait parfois la volonté de chacun, mais si Aaron s'était senti réellement en danger, il aurait pu fuir, il avait cette possibilité, il l'avait eu en tout cas, Tom la lui avait offert mais il avait fait le choix de rester et donc de se faire embarquer comme un malotru. C'est comme ça, il a fait ce choix là, et il est persuadé que même si India l'avait appelé ou quelques choses dans ce genre qu'il n'aurait pas changer de fusil d'épaule. Dans son esprit c'était acté, il ne risquait rien, ou presque, alors que pourtant, la chute des Prayers venait d'arriver. Qui l'aurait cru ? Tom ne faisait pas partie de cette catégorie clairement mais visiblement, ça allait être le cas. Les Prayers allaient disparaître de la surface de Downfall. Bien entendu, rapidement, il allait y avoir un rejeton sur la base d'anciens du cartel, et puis, il y aurait d'autres groupes. Peut être que les Blackened Beauty allaient reprendre une certaine importance, peut être que l'association allait avoir plus de poids dans le quartier, c'était possible, probable même. Quoiqu'il en soit, il ne pouvait pas prédire les évolutions qu'il y aurait par ici même s'il avait de petites idées. Il suivrait ça de près, de très près même. Il gardera un rôle essentiel dans le quartier, il le sait, plus que jamais ses services vaudront de l'or, et peut être même plus que ça, en fonction notamment de l'inflation dont le quartier va être pris. C'était déjà un peu le cas, mais va sûrement l'être encore plus, à un autre niveau vu l'indépendance, vu la disparition du cartel qui assurait un strict minimum depuis quelques mois. Il savait qu'elle avait énormément de choses à dire, mais India préférait le silence à dire des choses qui seraient forcément blessantes, et qu'elle pourrait regretter dans le futur. Tom savait que pour elle, il avait fait l'erreur de ne rien lui dire. Tom savait pourtant que c'était la chose à faire, que pour tenter de sauver son père, elle aurait pu faire une erreur préjudiciable pour elle, pour lui, pour Hermès. Il la connait dans les moindres recoins la Phillmore, il sait comment elle fonctionne, il sait que quoiqu'il puisse faire, il aurait eu tord, qu'elle l'aurait eu en travers de la gorge. Il sait que même s'il lui avait donné l'information avant, qu'elle aurait cherché à joindre son père par tout les moyens, mais que celui-ci avait déjà fait son choix. Pour elle pourtant, il aurait fallu fuir loin du tumulte, il en avait eu la possibilité, mais il n'avait pas agit en conséquence, si bien qu'il allait sans doute se retrouver sous les verrous pour un bout de temps. Combien de temps exactement ? Difficile à savoir vu l'importance de son trafic avec les Prayers. Et donc, une fois à l'appartement, elle se prit immédiatement un verre d'alcool, signe qu'elle n'avait plus tous ses esprits, signe que ce soir, elle ne voulait pas en discuter plus que de raisons. Si elle voulait se saouler, il ne l'en empêcherait point. Il l'observait, ne disant rien, parce qu'il n'y avait rien à dire. Elle était en train de perdre inconsciemment pied. Elle avait bu une bonne partie de son verre, elle était restée là, le regard perdu à se taire, pensant, ressassant, repensant à tout ce qui aurait pu être fait. Et finalement, la soupape explose doucement mais sûrement. Les larmes se mettent à couler, c'était rare sur ce visage si souvent impassible. Il savait que c'était le moment, pas forcément d'aller lui parler, mais d'être là, près d'elle, de l'écouter si jamais elle voulait ouvrir les autres vannes de ce barrage proche de céder. Alors, tendrement il l'a pris dans ses bras, sans rien dire de plus.

India était une femme pudique sous bien des aspects. Physiquement mais surtout émotionnellement. Même avec son père, celui qui ne porterait jamais de jugement, celui qui serait toujours là pour elle, elle n'y parvenait que difficilement. Et aujourd'hui, il avait accepté de se faire arrêter, de mettre un trait sur les Prayers of Insanity pour une raison obscure. Le rêve d'un autre. Considérer de renoncer à cette position dangereuse d'être le leader pour avoir la paix. Pour être heureux. À côté, elle s'était ouverte une fois et cela avait suffi pour ne plus lui donner envie de recommencer. Avoir le cœur piétiné n'était pas très agréable. La jeune femme derrière ce masque d'impassibilité qu'elle se devait de porter pour ne pas être atteinte par autrui, était un peu fleur bleue, une romantique dans l'âme. Mais l'expérience avec Sergeï avait calmé ce besoin préférant regarder en boucle son film favori qu'était Princess Bride, récitant comme une litanie les paroles. Faire confiance n'était pas une mince affaire. Et pourtant, ce soir, elle ne parvenait plus à retenir.

Oh, elle aurait pu poser son verre, aller dans la salle de bain en prétextant une fausse excuse mais elle était restée sur ses deux jambes, plantées sur ses talons. Elle prétexterait ne pas avoir eu la force de bouger pour rester ainsi si seulement elle parvenait à élever la voix. Les yeux fermés, le visage crispé de cette douleur qui avait achevé toutes les barrières, elle se laissa emporter par la vague d'émotion, pleurant avec cette pudeur, restant en apnée comme dernière tentative de garder le contrôle. Elle n'admettrait pas qu'elle ne voulait pas être seule à cet instant. Et lorsque la jeune Phillmore sentit les bras de son meilleur ami l'entourer, elle laissa échapper un sanglot, se déposant contre lui, finissant par laisser le verre sur le comptoir pour l'entourer à son tour ses bras. Il n'y avait rien de plus confortable et tendre que les bras d'une personne qui tenait à l'autre. Laissant libre cours à sa peine, India s'accrocha à lui ne pas perdre pied. Et c'est ainsi que la soirée se termina, sans un mot, sur le canapé, à regarder un film médiocre passé sur l'une des chaînes de télévision capté dans le quartier expérimental. Elle n'avait pas quitté ses bras, avait fait couler son maquillage et taché le haut de Tom pour finir par fermer les yeux d'épuisement à une heure tardive.