[TERMINE] Spotlight

Ok…il arrive un peu trop à me faire sourire. On est loin de la grosse poilade à en avoir mal au bide et les yeux qui pleurent, mais quand même…je sens que je suis pas loin d’avoir des courbatures aux joues à force de faire ce truc avec mes lèvres, en réaction à ce qu’il raconte. Possible que je sois venue à ce concert avec quelques à priori. Sur lui, notamment. Possible aussi qu’il les ai tous démontés, sans que je vois rien venir. Il est pas désagréable. Je passe même un bon moment, je dois bien le reconnaître. Il est pas du tout ce frimeur auquel j’aurais pu m’attendre, imbu de lui-même, ou je sais pas quoi. Le Chanteur a la conversation très facile…et la taquinerie aussi. Et c’est pas pour me déplaire.

Je valide sa répartie d’un hochement de tête, levant mon verre pour saluer la sagesse de ses paroles. En vérité, je suis convaincue que l’alcool fait surtout l’inverse justement, échauffer les neurones, et quelques exemples de cerveaux surchauffés sont d’ailleurs visibles autour de nous. Je peux pas leur jeter la pierre, je pense pouvoir dire sans trop me planter que je fais partie de ces gens qui ont tendance à picoler un peu trop. Mais je sais aussi toujours où m’arrêter, et quelles sont mes limites. Et ce soir, je sais que j’en suis encore bien loin. De toutes façons, j’ai jamais fini complètement la tête à l’envers, et les souvenirs en vrac. Enfin…peut-être quand j’étais plus jeune, à New York, mais plus depuis longtemps. Plus depuis que j’ai besoin de sentir que je contrôle un minimum les choses, et que je peux les empêcher d’un peu trop partir en vrilles.

On en revient à cette histoire de psychopathe qui collectionne les peaux pour le plaisir des yeux, et ça m’arrache un énième sourire. Quand je dis, que je vais finir par me faire mal. Je fais semblant de réfléchir à sa demande un peu maso de le maintenir assez en vie pour qu’il soit en mesure de voir, lui aussi, sa peau épinglée dans un beau cadre. “-Te garder en vie pour que tu puisses admirer mon chef-d'œuvre ? Ça m'a l’air risqué…et un peu sadique. J’en suis.” De toutes façons, j’ai tendance à y être un peu trop souvent quand il s’agit de trucs foireux, ou de mauvaises décisions. Ça me colle à la peau, c’est comme ça. A tel point que je fais même plus attention maintenant. Comme si j’étais génétiquement programmée à toujours prendre la pire décision qui soit, et que je m’y suis fait.

Une chose en entraînant une autre, le Chanteur finit par me proposer d’assister à une de leur séance de répétition, à ses potes et lui, ajoutant que je peux venir avec les filles. Je sais pas trop si c’est pour éviter de se manger un refus pur et simple - pas dit qu’une fille ait envie de se rendre seule dans un repaire de mecs - ou si c’est vraiment un acte sympa et désintéressé à l’attention de Denise et ses copines. Au final, je m’en fous pas mal, du pourquoi du comment. Que ce soit pour m’éviter d’être mal à l’aise, ou réellement pour les autres nanas, ça reste plutôt sympa. Et ça mérite même un remerciement pour le coup. Pour lui, ça semble juste…normal. Et je peux m’empêcher de mimer une grimace de dégoût quand il me parle de ce contact avec les gens, qu’il a l’air d’aimer. “-Ew…les gens.” que je dis, feignant la nausée à la perfection. Au fond…c’est juste des conneries. Si Bambi a tendance à vouloir éloigner tout, et tout le monde, le contact avec l’Humain a toujours été nécessaire durant mes études. Je crois même que c’est primordial pour être un bon médecin, et que j’ai pas toujours été hyper mauvaise à ça. M’enfin…ça, c’était avant.

Je peux pas nier que je commence passablement à m’inquiéter pour Denise. Je sais qu’elle est pas seule, enfin à priori, mais son silence entêtant à mes sms me plait pas trop. Je me dis, un peu bêtement sans doute, que m’afficher avec le Chanteur pourrait la faire revenir au galop, et, une chance, il est plutôt partant avec mon idée à la con. Sa réplique m’arrache un sourire en coin, alors que je pose la main sur ma poitrine d’un geste théâtral qui doit frôler le ridicule : “-Me voilà donc avec un nouveau fond d’écran…” que je dis, feignant le regard énamouré que doivent avoir bon nombre de nanas qui s’adresse à lui, ou ses potes musiciens. Le mec se rapproche, je passe un bras autour de sa taille, et voilà le moment immortalisé. Et tandis que le Chanteur s’éloigne, je commence déjà à taper le message adressé à la portée disparue : “-T’avais raison. Il est sympa. Dommage que t’ai loupé ça. Voilà, le sms est parti. Si avec ça elle rapplique pas dans la minute, je sais pas quoi faire de plus…” que je dis, tout en dictant à voix haute le sms que j’envoie à mon amie.

J’hausse un sourcil sans cacher ma surprise pour la suite, alors que contre toute attente, il me demande même pas mon numéro. Non pas que j’aurais voulu, ou un truc comme ça, c’est pas du tout ça. Mais ça se finit comme ça assez souvent quand même…et non, c’est pas de la prétention. Je reste à le fixer une poignée de secondes en plissant un peu le regard, avant de taper quelque chose sur mon téléphone, que je lui tends enfin avec l’ombre d’un sourire : “-Tiens, enregistre ton numéro.” Je le scrute attentivement pendant qu’il le fait, avant de récupérer mon bien, qui file illico dans ma poche. J’aime plutôt pas mal ça, qu’il me laisse décider de si j’ai vraiment envie de donner suite à sa proposition, et de quand j’en aurais envie. Je déteste me sentir dos au mur, ou forcée, enfin comme tout le monde j’imagine. Et là…bah là, c’est pas le cas du tout. Et c’est plutôt chouette. “-Je vais en discuter avec les filles, et je t'écrirai. Tu reconnaîtras vite que ça vient de moi, ce sera sans doute le seul sms que tu recevras signé “la nana mignonne avec cet air un peu froid et je m’en foutiste.” Sauf si c’est sa phrase ultime de plan drague foireux, et là…ce sera forcément plus compliqué de savoir de qui ça vient. Mais j’ai comme un doute sur ce point.

Je suis presque arrivée à la fin de ma bière quand les mots qui sortent une nouvelle fois de la bouche du Chanteur me font froncer très légèrement les sourcils. Je prends une éternité pour reposer le verre sur la table, sans le quitter du regard, avant de me décider à hocher doucement la tête. Je lui accorde volontiers que c’était plus que plutôt cool. “-J’admets…que j’ai passé un bon moment…même si c’était pas hyper bien parti, considérant mon déficit en amabilité. C’est génétique.” Merci pour rien, De Souza senior. Cette simple constatation m’arrache un nouveau sourire en coin, alors que je détourne légèrement le regard vers la scène. Et le mieux dans tout ça ? C’est qu’il a jamais agi comme un forceur, à chercher à imposer sa présence contre ma volonté. Malgré ma mauvaise humeur évidente, le Chanteur s’est révélé d’une chouette compagnie, et je repense à cette histoire de coup de fil à une inconnue qu’il a relevée, avec une certaine facilité d’ailleurs. “-Dommage que le petit Neurone soit tombé en panne. Je suis sûre que t’as toute une liste de défis aussi cons que mon histoire de conversation téléphonique dans la caboche, et j’aurais été plus que prête à les relever.” Et sans être alcoolisée jusqu’à la moelle, une prouesse.

Mes sourcils se haussent subitement quand j’aperçois une main qui s’agite dans tous les sens, dressée au-dessus d’un tas de têtes, et en me levant sur la pointe des pieds, je reconnais Denise, qui a l’air passablement plus éméchée qu’elle l’était tout à l’heure, jouer des coudes en venant dans notre direction. Je suis contente de voir qu’elle a au moins l’air entière - c’est déjà ça - et pourtant…je ressens aussi une légère pointe d’agacement qui a clairement pas sa place. Quand je me tourne de nouveau vers le Chanteur, je suis incapable de cacher le fait que je suis pas peu fière de ma connerie. “-Tu vois…j’étais certaine que le coup de la photo allait fonctionner.” Ce qui me fait capter que Denise a pas répondu volontairement à mes sms précédents, et l’agacement s’accentue légèrement. “-Je crois qu’il te reste moins d’une minute pour te sauver en courant si tu en as envie…après…je réponds pas de ce qu’elles pourraient te faire…” Et si une part de moi est on peut plus sérieuse, le sourire qui trouve son chemin jusqu’à mes lèvres pourrait faire passer ça pour une taquinerie. Si seulement il savait…

Et voilà comment je me retrouve avec le numéro du Chanteur enregistré dans mon téléphone, et cette photo que je manquerais pas d’exhiber sous le regard jaloux de Denise, à chaque fois que j’aurai envie de l’emmerder. En même temps, quelle idée de se barrer comme si de rien était, en me laissant toute seule au milieu de tous ces inconnus. En plus de ça, je suis venue pour faire plaisir à cette andouille. Bravo la copine. Enfin…au fond, j’ai pas vraiment à me plaindre, parce que j’ai quand même passé une bonne soirée, et ceci grâce au grand gars en face de moi, qui…a l’air de s’être amusé aussi. Enfin…je crois ? Si c’était pas le cas, il proposerait sans doute pas qu’on se revoit, non ?

Je lève un peu les yeux au ciel quand il m’invite à mettre un petit trois à la fin de mon sms pour qu’il soit vraiment sûr que ça vient de moi, et je détourne un peu le visage, comme pour qu’il puisse pas voir qu’il m’a arraché un énième sourire. Comme si c’était si courant que ça, les nanas blasées qui signent leur message comme ça. Je repense à cette histoire de conversation téléphonique à la con, qu’il a réussi haut la main, et je suis persuadée que ce grand dadais aurait eu aussi des tas d’idées du même niveau que la mienne pour pimenter la soirée. Peut-être la prochaine fois, c’est ce qu’il laisse sous-entendre en tout cas, alors que je plisse un peu le regard en le fixant de nouveau : “-J’espère bien, oui.” Et j’hoche légèrement la tête, comme pour acter qu’on se reverra, pour faire un truc sympa, à base de musique et de danse, ou juste pour faire les cons. L’une comme l’autre à l’air bien tentant.

Je finis par repérer un mouvement de foule à quelques mètres de nous, et à deviner que Denise et ses copines sont sur le retour, attirées comme des papillons vers la lumière par la photo du Chanteur et moi. Et ouais, je suis pas peu fière de ma technique. Enfin, ça n’empêche que ça va pas tarder à chauffer pour le musicien s’il s’attarde dans le coin, il va se retrouver englué par des nanas hystériques, dont le taux d’alcoolémie a dû grimper encore un peu plus depuis qu’on a été séparées. Et j’imagine qu’il l’a senti, lui aussi, qu’il ferait mieux de prendre la poudre d’escampette avant que les groupies débarquent. Je me retrouve donc à hocher doucement la tête dans un léger sourire, alors qu’il s’apprête à s’éloigner. “-Toi aussi, le Chanteur. Et fais gaffe aux psychopathes.”

Et il s’éloigne, alors que je le perds rapidement de vue dans la foule, tandis qu’émerge de celle-ci une petite troupe de nanas éméchées, et à moitié débraillées. Denise en tête, elle cherche déjà du regard le Chanteur, alors que je passe un bras autour de ses épaules : “-Il a dit que vous étiez trop lentes à venir, alors il est retourné avec son groupe. Une prochaine fois, peut-être.” Et son air dépité m’arrache un sourire un peu plus large. Peut-être bien que ça m’embête vraiment qu’elle ai pas pu discuter avec ce type dont elle me rabâche les oreilles depuis des semaines, et qui s’avère être un gars plutôt sympa, mais au moins je sais désormais où est mon amie, et je compte plus la lâcher d’une semelle. Quant au Chanteur…possible que mon cerveau soit déjà en train de réfléchir à deux ou trois challenges plus débiles les uns que les autres à lui soumettre, enfin…au cas où on se revoit, évidemment.