Working girls x Love

Pinçant légèrement le mouchoir coincé entre ses lèvres pour retirer l’excéder de rouge à lèvres, la jeune femme laissa un regard couler sur la silhouette que lui renvoyait le miroir, satisfaite du reflet qui s’offrait à elle. La tenue sombre revêtue par l’avocate avait été soigneusement choisie, comme toujours, mettant en valeur ses courbes, parfaite pour attirer le regard, sans pour autant dévoiler son corps aux œillades trop curieuses, et laisser entendre qu’elle n’était pas là pour du Business, mais bien pour le plaisir. C’était du moins ce qu’il fallait faire croire, quand bien même Livia comptait bien lier les deux ce soir. Attrapant la pochette qui abritait les faux papiers qu’elle utilisait en dehors du quartier Prayer of Insanity, Livia quitta son loft, pour rejoindre sa voiture au pied de l’immeuble. Le trajet ne fut pas bien long, et après avoir montré patte blanche, et sa fausse carte d’identité, elle fut autorisée à entrer en territoire Blackened Beauty, où quelques affaires l’amenaient ce soir.

Inutile de jeter un nouveau coup d'œil dans le rétroviseur, l’avocate avait confiance en l’image qu’elle montrait ce soir, aussi, elle ne s’attarda pas dans le véhicule, et se mit en route vers sa destination, à quelques mètres de là. Les pas de l’hispanique claquaient sur le bitume de Van Nuys, alors qu’elle se rapprochait du Carnival of Sins, lieu de débauche fort prisé du quartier dans lequel Livia avait prévu de passer quelques heures…et de dépenser quelques billets également. Elle n’était pas coutumière des lieux, et n’y avait pas vraiment ses entrées, mais son visage n’y était pas non plus totalement inconnu. La jeune femme se contenta d’un simple hochement de tête face à cette femme qui semblait garder l’entrée, et elle entra à son tour dans les lieux, aussitôt assaillie par la musique entêtante, et l’ambiance burlesque caractéristique des lieux.

Sans se lancer dans le moindre détour, la brune se dirigea tout droit au bar, où Livia s’installa rapidement, commandant un whisky on the rocks, avant de laisser ses yeux prendre possession des lieux. Elle les connaissait déjà, ce n’était donc rien de nouveau pour elle, quand bien même elle apprécia quelques secondes le spectacle des danseuses sur scène, avant que ses yeux sombres ne continuent leur inspection, détaillant subtilement les clients présents ici ou là sans jamais s’attarder, et ces quelques jeunes femmes que la juriste avait identifié comme des Blackened Beauty, au fil de ses visites dans le coin. Mais celle qui l’intéressait, et qui était à l’origine de sa visite de ce soir ne semblait pas encore être arrivée. Qu’importait, Livia était patiente, elle savait que certains plans prenaient parfois du temps pour se mettre en place. Et cela lui convenait parfaitement. La nuit ne faisait d’ailleurs que commencer, elle avait plusieurs heures devant elle pour accomplir la mission qui était sienne ce soir.

Sa commande fut posée devant elle, alors qu’elle remerciait d’un bref hochement de tête la serveuse, sans pour autant en boire la moindre gorgée. Au lieu de quoi, Livia posa une nouvelle fois le regard sur la scène, profitant du spectacle qui s’offrait à ses yeux. Le choix de son tabouret était stratégique, il était celui qui lui permettait d’avoir la meilleure vue sur le Carnival, pour couvrir aussi bien la salle du regard, que l’entrée des lieux, lui donnant ainsi l’occasion de voir qui entrait à chaque fois que la porte s’ouvrait. L’avocate ignorait combien de temps s’était écoulé lorsque la porte du Carnival s’ouvrit finalement sur celle qui l’avait attirée jusqu’ici, quand bien même la Prayer se hâta de regarder une nouvelle fois la scène, une expression parfaitement neutre sur le visage, désireuse de ne pas dévoiler ses cartes tout de suite. Profitant d’une gorgée de whisky, elle jeta un coup d'œil à la dérobée à cette mystérieuse beauté brune à quelques pas d’elle, qui déjà avait toute son attention.

L’hispanique leva une nouvelle fois le verre d’alcool jusqu’à ses lèvres, observant l’avancée dans le Carnival de celle qu’elle savait être une Blackened Beauty. Démarche assurée, menton relevé, la jeune femme avançait comme si elle était maîtresse des lieux, et que chacun dans cet endroit était susceptible de venir lui manger dans le creux de la main. Débordante d’assurance, d’un charisme plus que certain, la belle s’arrêtait pour discuter avec celles que Livia pensait être des amies à elle, ou d’éventuelles connaissances, marchant quelques mètres de plus avant de s’arrêter une nouvelle fois. La scène avait un petit quelque chose d’amusant, la juriste cachant un fin sourire derrière son verre de whisky, alors qu’elle s’accordait une nouvelle gorgée d’alcool. Livia avait tout le loisir d’observer la jeune femme trop occupée pour faire attention à elle. La Blackened Beauty semblait particulièrement dans son élément, et attirait déjà l’attention d’autres clients, splendide dans sa robe rouge.

La Beauté attirait de nombreux regards, celui de Livia aussi, manifestement, à tel point que celle-ci ne remarqua pas immédiatement la jeune femme proche d’elle, qui attira immédiatement son attention lorsqu’elle percuta le tabouret sur lequel la Prayer of Insanity était installée. Le juron de la brune se noya au milieu de la musique, passant quasiment inaperçu aux oreilles de la mexicaine, sur le visage de qui une pointe d'agacement s’était invitée, bien malgré elle. Un coup d'œil à ses vêtements l’informa qu’ils étaient toujours secs. Aussi, Livia releva la tête quand la jeune femme s’adressa à elle cette fois-ci, présentant des excuses pour cet accident malencontreux. Le large sourire que lui adressa la brune laissa entendre à l’avocate que c’était sans doute là l’une des armes de séduction utilisées par la demoiselle lorsque la situation l’exigeait.

Livia avait déjà vu cette jeune femme. Ici, ou même au Naughty Night bar, où elle se rendait parfois, pour le plaisir, ou pour rendre visite à Charlie, sa vieille amie. Elle avait même cherché à se renseigner sur elle, mais les informations n’avaient pas été suffisamment convaincantes pour pousser l’hispanique à poursuivre dans cette direction, aussi, elle avait jeté son dévolu sur une autre Blackened Beauty, concernant laquelle elle était certaine des informations récoltées. A son tour, la mexicaine posa un sourire sur son visage, alors qu’elle finissait par prendre la parole : “-Tout va bien. Il en faut plus pour me faire mal.” répliqua-t-elle sur le même ton, presque amical, lui lançant une oeillade amusée. Plus qu’une petite bousculade de rien du tout dans un bar bondé, ou un peu d’alcool sur une jolie tenue. “-Vous êtes toute pardonnée.” ajouta-t-elle en penchant légèrement la tête, laissant le sourire s’étirer quelques secondes de plus.

Oh oui, il en fallait bien davantage pour faire mal à Livia, ou même pour la bousculer. Et quand bien même la situation se présentait, et elle s’était déjà présentée par le passé, l’hispanique n’étant pas inébranlable, la juriste était de celles qui pensaient qu’il convenait toujours de panser ses plaies en privé, pour ne pas donner à ses ennemis et détracteurs le moindre petit grain à moudre. En l'occurrence, dans cette situation bien précise, il n’y avait réellement aucun mal. La jeune femme avait un physique fluet, il y avait peu de risques donc qu’elle ai pu infliger la moindre douleur à Livia, juchée sur son tabouret. Celle-ci s’autorisa donc même un léger sourire, pour assurer à son interlocutrice qu’elle était toute pardonnée, et qu’il n’y avait pas mort d’homme.

L’avocate des Prayers fit mine de reporter son regard sur la scène, comme pour indiquer tacitement que l’incident, si toutefois on pouvait appeler cela ainsi, était clos, mais elle fut étonnée de constater que la jeune femme tenait à lui offrir un verre, pour achever de dissiper ce bref malaise. Livia lui rendit son sourire, haussant légèrement les sourcils à la remarque de la serveuse, et encore davantage à cette mimique d’agacement que cela provoqua sur celle qui semblait être une connaissance de la barmaid. L’hispanique reposa son regard sur la belle brune, alors que son sourire s’étirait davantage. “-Hé bien…me voilà flattée. Merci, Love.” répondit-elle, reprenant volontairement le prénom qui avait été négligemment lâché par la barmaid, pour bien marquer le fait qu’elle avait entendu, et mieux encore, retenu. C’était une information que Livia possédait déjà, mais il était bien entendu hors de question de l’admettre. Elle s’autorisa un nouveau sourire amusé à la réplique de la Blackened Beauty, alors qu’elle répondait d’un ton détaché : “-Dommage. L’idée d’être une exception est toujours appréciable.” répliqua-t-elle, avant d’accorder son attention à la scène, comme s’il s’agissait d’une simple conversation sur la pluie, le beau temps, et ce genre de banalités.

La Prayer of Insanity sentait bien le regard que la belle plante avait sur elle, mais elle choisit délibérément de l’ignorer, feignant ne rien remarquer avec une facilité étonnante, ou plutôt l’habilité de celle qui recourt souvent à ce genre de subterfuges. Et finalement, Livia retint un petit sourire triomphal quand Love s’adressa de nouveau à elle, avançant l’hypothèse qu’elles se soient déjà rencontrées avant ce soir. Livia fronça à peine les sourcils, mimant une expression de réflexion, comme si elle fouillait réellement ses souvenirs, avant de se tourner purement et simplement vers la brune, l’observant ouvertement, sans même s’en cacher. “-Hm…je ne suis pas sûre. Je n’oublie jamais un visage. Encore moins les visages plaisants.” confia-t-elle en relâchant finalement ses traits, alors que son épaule se soulevait à peine.

Livia porta sa boisson à ses lèvres, cachant soigneusement le fin sourire qui étirait ses lèvres derrière son verre, alors qu’elle tâchait de conserver une expression neutre. Une salve d’applaudissements salua la fin de l’une des représentations sur scène, mais le regard sombre de l’hispanique resta pourtant fixé sur le visage de la Blackened Beauty, alors qu’elle faisait mine d’avoir un soudain éclair de génie : “-Je manque de politesse, excusez-moi. Je m’appelle Luisa. C’est un plaisir de vous rencontrer, Love.” dit-elle dans une expression avenante, légèrement penchée vers son interlocutrice. Luisa…ce pseudo qu’elle utilisait, parmi quelques autres, lorsqu’elle ne pouvait être ouvertement Livia Aldana, numéro 2 et avocate des Prayers of Insanity.

Un sourire qui se voulait flatté apparu sur le visage de Livia, alors que la jeune Blackened Beauty lui laissait sous-entendre qu’elle pouvait bien se dire qu’elle était une exception, elle qui venait de se faire offrir un verre par la brune, alors que ce n’était manifestement pas dans ses habitudes, d’après son amie tout du moins. Sans se départir de son sourire, ni rien rajouter, la mexicaine hocha légèrement la tête, avant de désigner le verre désormais devant elle d’un léger geste du menton. “-Merci, en tout cas, même si ce n’était vraiment pas nécessaire.” ajouta-t-elle, avant de se détourner de Lovelyn, pour accorder son regard, à défaut de son attention, à la scène sur laquelle se poursuivait un show.

Alors qu’elle avait senti jusque-là le regard de la jeune femme peser sur elle, sans la mettre mal à l’aise pour autant, Livia ne fut pas vraiment étonnée que la Blackened l’interpelle une nouvelle fois, lui demandant si elles s’étaient déjà croisées. Avec une familiarité qui ne lui appartenait pourtant pas, l’hispanique observa ouvertement son interlocutrice, la fixant avec attention, remarquant par la même d’infimes détails dont elle n’avait pas connaissance jusque-là. Jusqu’à la conclusion, parfaitement fausse, qu’elles ne s’étaient encore jamais vues, prétextant que les jolis visages comme celui de la Beauty n’étaient pas de ceux qui s’oubliaient aisément. La main de l’avocate se posa brièvement sur le bras de Love lorsque celle-ci s’excusa, alors qu’elle lui adressait un sourire : “-Oh, aucun problème.” lâcha-t-elle, retirant sa main presque aussi rapidement qu’elle l’avait posée.

Feignant une prise de conscience soudaine, Livia ne tarda pas à se présenter à son tour, donnant à la jeune femme ce prénom d’emprunt qui était le sien, quand elle ne voulait pas avoir à communiquer sa véritable identité. A vrai dire, la mexicaine avait beaucoup recours à cet alias, notamment dans le cadre des quelques soirées loin de ses obligations juridiques. Leurs verres s’entrechoquèrent brièvement, alors que lui renvoyant la politesse -et le sourire- Love se disait également ravie de la rencontre. D’ailleurs, cette dernière ne tarda pas à proposer qu’elles se tutoient, alors que Liv hochait de nouveau la tête, comme une façon silencieuse de donner son accord. Ce genre de proposition était toujours bon signe, et montrait qu’un certain courant passait plutôt bien.

L’avocate des Prayers of Insanity s’autorisa une gorgée de boisson, et un rapide coup d'œil vers la scène, avant de remarquer que Love s’est rapprochée d’elle, sans doute pour pouvoir continuer de s’exprimer malgré la musique, passablement forte. Si elle venait souvent ici ? Pas aussi souvent qu’elle l’aurait souhaité, c’était une certitude, Livia ne s’autorisant que très rarement des soirées en dehors de son bureau, ou à penser à autre chose qu’au travail. Et il n’était d’ailleurs pas rare, lorsqu’elle sortait ainsi, de le faire dans le cadre de ses responsabilités au sein du cartel. Un peu comme ce soir, d’ailleurs. Mais tout cela, il était bien sûr hors de question d’en informer Love. “-Pas aussi souvent que je le voudrais, mais…j’aime beaucoup l’ambiance du Carnival. C’est le lieu idéal pour oublier le quotidien.” répondit-elle, sans même avoir à mentir. Ici, la musique était suffisamment forte pour noyer les pensées qui n’avaient pas leur place entre ces murs, et les shows suffisamment divertissants pour éloigner les petits tracas qui encombraient l’esprit. Le ravissement évident de cet endroit pour les yeux n’était que la cerise sur le gâteau, plaisant au possible.

Livia passa son index sur la marque de condensation que son verre avait laissé sur le comptoir, avant de reprendre la parole. “-La serveuse connait ton prénom, et tes habitudes, alors…j’imagine que tu dois être une habituée ?” demanda-t-elle, tout en connaissant pourtant déjà la réponse. Pour autant, c’était dans la logique des choses que la mexicaine pose la question à son tour, Luisa n’étant pas censée avoir en sa possession toutes les informations concernant la brune qu’elle possédait. Livia inclina légèrement la tête, avant de regarder autour d’elle, sans chercher à repérer quelqu’un en particulier pour autant. “-Tu es venue rejoindre des amis peut-être ? Je ne voudrais pas interférer dans tes plans de soirée…” souffla-t-elle d’un ton qui se voulait ennuyé. En réalité, Livia se moquait pas mal des plans de soirée de Love, et était même plus que satisfaite d’avoir l’occasion de pouvoir s’entretenir avec elle, en tête à tête. Peut-être parviendrait-elle ainsi à savoir si elle avait été bien inspirée de penser à la Blackened Beauty pour ce petit travail qu’elle souhaitait lui confier.

Dire qu’elle était une habituée du Carnival of Sins était un mensonge. Ce n’était pourtant pas la première fois que Livia y mettait les pieds. Luisa non plus, d’ailleurs. La mexicaine aimait bien l’endroit. C’était bruyant, il y avait toujours du mouvement, de l’animation, du monde…parfait pour noyer ses pensées, et stopper le brouhaha qui pouvait envahir son cerveau, quand tout se bousculait un peu trop. Et puis…la juriste devait bien admettre que c’était également l’endroit idéal pour faire quelques rencontres…même le temps d’une brève soirée. Le Carnival avait l’avantage d’allier l’utile à l’agréable, et on ne pouvait pas en dire de même de beaucoup de lieux de Downfall. Alors, lorsque le besoin s’en faisait sentir, la jeune femme aimait venir se réfugier ici le temps de quelques heures, pour faire redescendre la pression dans son crâne.

Pour autant, l’hispanique savait que ce n’était pas le cas de Lovelyn, quand bien même cette dernière prétendait qu’elle était une habituée…mais pas vraiment, de ses propres mots. Un demi-mensonge qui arracha un léger sourire en coin à Livia, qui ne fit pourtant aucun commentaire, puisque la moindre remarque risquait de trahir le fait que la Prayer of Insanity avait fait des recherches sur la jeune femme, et possédait quelques informations sur sa vis-à-vis. Liv savait pourtant qu’au-delà du fait que la belle Blackened Beauty connaissait la propriétaire des lieux, elle venait ici dans le cadre de son travail, un détail qu’elle garda pourtant pour elle. “-Hum…tu connais les gens, et les gens te connaissent. J’aurais quand même tendance à penser que ça te place dans la case des habitués.” répliqua-t-elle néanmoins dans un fin sourire, mimant une plaisanterie, alors qu’elle buvait une nouvelle gorgée d’alcool.

Se détournant quelques instants de la brune, Livia observa la salle du Carnival, sans y chercher pour autant le moindre visage connu. Elle n’était pas là pour le plaisir ce soir, et même si elle tombait sur une connaissance dans cette foule, la mexicaine s’arrangerait pour tourner court la conversation. Elle ne tarda pas à recentrer leur discussion sur la jeune femme à ses côtés, susurrant qu’elle espérait ne pas perturber les plans nocturnes de Lovelyn, qu’elle ne venait pas se mettre entre elle ou des amis, ou elle et un possible rendez-vous amoureux. La réponse ne tarda pas à se faire entendre, et une nouvelle fois, la juriste pinça les lèvres pour s’éviter tout sourire. Il fallait bien admettre que la Blackened était douée pour détourner les conversations qui s’intéressaient d’un peu trop près à elle…une technique que l’avocate maîtrisait elle-même plutôt bien, depuis les années qu’elle la pratiquait. Pour autant, Livia garda une expression neutre, alors qu’elle secouait très légèrement la tête : “-Je suis libre comme l’air.” répliqua-t-elle d’un ton amusé, sans toutefois répondre au fait qu’elle n’ai pas eu la moindre compagnie jusqu’à maintenant.

A la remarque de Lovelyn, la Prayer s’autorisa un léger rire à son tour, alors qu’elle se penchait en avant, comme si elle s’apprêtait à lui faire une confidence. “-Tu vois l’homme à ma droite ? Celui avec la chemise à carreaux ? Il m’a longuement observée tout à l’heure…tu sais, de cette façon presque dérangeante avec laquelle certains peuvent nous regarder.” commença-t-elle, haussant les sourcils d’un air entendu, certaine que la jeune femme avait déjà dû subir ce genre d’oeillades bien trop insistantes. “-Et bien…je suis persuadée qu’il était tenté de faire une approche juste au moment où tu es arrivée. Je crois bien que tu m’as sauvé la mise. Tu vois…c’est moi qui aurait dû t’offrir un verre.” ajouta-t-elle dans un nouveau sourire en coin, avant de se redresser sans cacher son amusement.

Pour ce qui était du reste…il était difficile, sans doute même impossible, d’expliquer qu’elle était venue ici dans un but bien précis, qu’elle n’avait encore même pas effleuré. Non…à la place, Livia devait continuer ce rôle qui était le sien, celui de Luisa, venue simplement prendre un verre pour se détendre et oublier une journée de travail compliquée. “-A vrai dire…je n’avais aucun programme particulier. Tu viens de rendre ma soirée bien plus intéressante qu’elle ne l’était au départ. Tu es la bienvenue, si tu souhaites rester encore un peu.” ajouta-t-elle une nouvelle fois, continuant de siroter sa boisson gentiment offerte par Lovelyn.

Livia avait parfois l’impression d’exceller dans le fait de jouer le rôle de celle qu’elle n’était pas. Il fallait dire que ce n’était pas la première fois qu’elle revêtait l’identité de Luisa, cette alter-ego qu’elle brandissait à l’envie, lorsqu’il lui était impossible de se présenter telle qu’elle l’était vraiment, avocate au sein d’un cartel, numéro 2 des Prayers of Insanity, gérant leur trafic d’influence et d’informations. Pour des raisons logiques, la mexicaine taisait ces données-là…et elle ne pouvait qu’imaginer à quel point cela risquerait de jeter un froid dans la conversation. Luisa était parfaite pour éviter ce blanc qui trahissait le malaise de l’interlocuteur, et elle était modulable à souhait. Contrairement à sa vraie personnalité, Luisa était légère, souriait facilement, s’amusait d’un rien…un être à part entière à qui elle donnait vie quand elle en avait besoin. Alors, fidèle à cette jeune femme sortie de son imagination, Livia laissait un sourire en coin trahir son amusement à la remarque de Love, dont elle savait très bien qu’elle fréquentait assidûment l’établissement, qu’elle était bel et bien une habituée. Et pas uniquement en tant que cliente.

La juriste remarquait sans mal avec quelle dextérité la jeune Blackened Beauty parvenait à orienter la conversation, à la recentrer sur celle qui se trouvait face à elle. Livia ignorait si c’était une façon d’en apprendre davantage sur elle, ou tout simplement de ne pas avoir à se livrer, mais pour avoir usé et abusé de cette méthode elle aussi, elle reconnaissait la tactique employée par la brune. Peu importait cependant à la Prayer of Insanity de répondre, puisque rien de ce qui allait sortir de sa bouche ne serait vrai. Enfin…sauf ce qui concernait cet homme qui se trouvait à quelques mètres d’elles, et qui avait vraiment eu des regards insistants envers elle. Love était sans doute arrivée juste avant qu’il se décide à venir tenter sa chance…et à se faire envoyer sur les roses. Elle ne doutait pas une seule seconde que la belle devait avoir l’habitude de ce genre de regards, elle aussi, de ces regards lourds, insistants, qui vous déshabillaient presque et vous mettaient mal à l’aise. Un nouveau sourire trouva les lèvres de l’hispanique face au culot de son interlocutrice, qui héla rapidement la serveuse pour se faire payer ce verre qui lui revenait de plein droit puisqu’elle avait évité une discussion assurément déplaisante à Livia.

Des verres pleins devant elles, les deux brunes avaient de nouveau de quoi s’occuper pour plusieurs longues minutes…et Love ne tarda d’ailleurs pas à relancer le sujet, s’intéressant cette fois au travail de sa voisine de bar : -Stressant c’est pas vraiment le mot. Plutôt…répétitif, et ennuyeux…” soupira-t-elle, s’autorisant même une grimace. Son travail, le vrai, n’était en rien répétitif et ennuyeux, bien au contraire. Livia flirtait avec le danger, avait parfaitement conscience de la façon dont sa vie pourrait se terminer, et ce n’était certainement pas dans une petite maison paisible, à un âge avancé. Luisa lui donnait l’occasion d’imaginer une vie qu’elle n’avait jamais eu, et dont elle ignorait même si elle aurait pu lui plaire : “-Je travaille à l’hôpital, à la maintenance. C’est pas très passionnant…mais ça paye les factures !” expliqua-t-elle d’un ton détaché, en levant un peu les épaules. Un travail imaginaire qui était à des années lumière de celui que Livia exerçait réellement, mais qui était une couverture efficace. Qui se présenterait aux urgences de Downfall pour tenter d’y apercevoir une employée de maintenance ? Personne, évidemment.

L’hispanique profita d’une pause pour faire baisser de quelques gorgées le niveau de sa boisson, alors qu’elle glissait un subtil coup d'œil sur Love, se demandant à quel point elle avait ferré la jeune femme, et quand elle pourrait amorcer la vraie raison de sa présence au Carnival of Sins…bien que le lieu ne soit pas nécessairement propice pour le type de discussion qu’entendait avoir l’avocate. “-Et toi, tu fais quoi ? A part faire tourner la tête des hommes du coin, évidemment.” demanda-t-elle à son tour, un sourire amusé sur le visage, alors même que la juriste connaissait déjà la réponse à cette question. Elle l’avait posée, malgré tout, car c’était là le jeu de la conversation, de s’intéresser à l’autre. Et puis…Livia ne pouvait nier qu’elle ressentait une pointe de curiosité à l’idée d’entendre la réponse de la belle jeune femme à ses côtés. Et il fallait bien l’admettre, la curiosité n’était pas vraiment une habitude chez elle.

S’il y avait bien deux mots qui ne collaient absolument pas au quotidien de Livia, et pas davantage à son métier, c’était bien ceux-là. Il n’avait rien d’ennuyeux, ni même de répétitif, c’était un fait. Il était exaltant, passionnant, et dévorait une partie impressionnante de son temps. Et pourtant, elle n’en changerait pour rien au monde. La mexicaine adorait son travail, et même si ses méthodes de travail étaient bien souvent les mêmes, qu’il s’agisse de faire filer quelqu’un, de recueillir des informations potentiellement compromettantes sur une personne dont elle voulait tirer quelque chose, de préparer la défense de l’un ou l’autre de ses clients, jamais elle n’aurait dit que son travail d’avocate, ou de ce trafic d’influence qu’elle gérait, qu’il était ennuyeux.

Sauf qu’évidemment, Livia ne pouvait bien sûr pas expliquer à cette belle jeune femme que son métier d’avocate était presque toute sa vie, qu’elle n’était pas ici par pur hasard, et que dans la plus grande ignorance de ses pairs, elle était le bras droit du dirigeant du plus grand cartel de la ville, et que c’était pour son gang qu’elle était là ce soir. Qu’elle s’était fixée un but pour la soirée, et que si elle avait ciblé Love pour ce rôle qu’elle espérait pouvoir lui confier, c’était parce qu’elle avait des subordonnés qui, l’air de rien, s’étaient renseignés sur la jeune Blackened Beauty, et pas parce qu’une journée ennuyeuse de travail à l’hôpital de la ville l’avait poussé à venir trouver le Carnival of Sins pour noyer son quotidien. Non, bien sûr…toutes les vérités n’étaient pas bonnes à dire, pas davantage à entendre. Alors, comme c’était souvent le cas quand elle mettait un pied en dehors de Florence, l’hispanique jouait un rôle, revêtait un masque, se glissait dans la peau de celle qu’elle n’était pas.

Pour autant, Livia savait bien qu’elle n’était pas la seule dans cette situation là. Elle n’était pas la seule à prétendre être une autre. Preuve en était, Love elle-même n’était pas tout à fait honnête à l’heure actuelle…même si la mexicaine, tout en connaissant la réalité, garda un sourire poli sur son visage. Elle n’imaginait pas un seul instant que la vie de la Beauty puisse être aussi ennuyeuse qu’elle était en train de le dire elle-même, mais elle ne lui ferait pas l’affront de remettre en doute ses paroles. Au lieu de quoi, Livia -ou plutôt Luisa- hocha finalement poliment la tête, levant son verre pour un nouveau toast : “-À nos vies ennuyeuses alors !” dit-elle dans un léger rire fabriqué de toutes pièces, qui pourtant sonnait parfaitement réel.

Malgré cette nouvelle opportunité que lui tendait la jeune femme, Love persista dans son rôle, préférant esquiver la question de la juriste, pour s’attarder davantage sur ce compliment que Liv avait lancé, l’air de rien. Pour autant, elle était parfaitement honnête quand elle évoquait le pouvoir de séduction que la jeune femme devait avoir sur les hommes, et les femmes sans doute également. Il suffisait de se fier aux visages qui s’étaient tournés dans sa direction lors de son arrivée. Livia joignit son rire à celui de la belle brune, posa sa main sur son bras, haussant légèrement les épaules : “-Je ne le pense pas. J’en suis sûre. Je le vois bien.” dit-elle dans un petit sourire en coin, avant de plisser légèrement le regard à la suite des paroles de la brunette. “-Hé bien ! Ça m'a l’air bien mystérieux, comme métier !” dit-elle, avant de faire mine de réfléchir quelques instants à ces paroles : “-Et comment tu t’y prends, pour deviner le rêve des gens ? Par exemple…tu saurais deviner le mien ?” demanda-t-elle, sa main toujours sur le bras de la jeune Blackened, et le sourire sur les lèvres.

Finalement, Livia reprit sa place initiale, buvant une gorgée de sa boisson fraîche, son regard suivant celui de Love, qui s’appropriait la scène de ses billes bleutées. Le spectacle ? Oh, la mexicaine ne doutait pas qu’il devait être à l’image de tous les autres. Exquis. Divertissant. Propice à titiller les sens. Pour autant, ce soir, elle ne lui accordait sans doute pas autant d’attention que ces jeunes danseuses le méritaient. Elle n’était pas là pour le plaisir, simplement pour mener à bien un recrutement, et comme à chaque fois qu’elle officiait pour le cartel, la juriste ne se laissait divertir d’aucune façon, gardant toujours à l’esprit ses objectifs. “-Oh…oui, le spectacle.” dit-elle pourtant d’un ton qui se voulait presque coupable, comme si elle avait été prise la main dans le sac, à faire autre chose que le suivre avec assiduité. “-J’avais presque oublié qu’il y en avait un.” grimaça-t-elle, alors qu’elle se tournait résolument vers la scène, pour y admirer les jeunes femmes en pleine représentation. “-Elles sont vraiment douées, il n’y a pas à dire !” ajouta-t-elle cependant au bout de quelques instants. “-Et ces costumes !” fit-elle mine de s’extasier, avec une conviction dont il était difficile de douter.

Profitant de cette position qui lui donnait accès à toute la salle d’un regard, Livia balaya les alentours de ses prunelles sombres, ses yeux accrochant McCreary, qui se trouvait quelques tables plus loin, près de l’entrée, en train de siroter ce qu’elle devinait être un whisky. Hochant imperceptiblement la tête à son attention, la mexicaine fit une nouvelle fois face à Love, pinçant les lèvres dans une mimique d’hésitation. “-Vu que tu n’as pas de plan particulier pour ce soir…et que moi non plus…on pourrait peut-être…prévoir quelque chose…ensemble ?” demanda-t-elle finalement, en faisant mine de buter sur les mots, à cause d’une quelconque timidité que Livia n’avait jamais expérimentée. Pour lui proposer de collaborer avec elle, l’avocate des Prayers of Insanity ne pouvait prendre le risque de parler près d’oreilles indiscrètes, et il y en avait bien trop à son goût, autour d’elles. Aussi, pour mener à bien cette mission, Livia devait réussir à attirer Love loin du Carnival, où elles pourraient discuter entre quatre yeux, et proposer à la brunette un travail qui lui rapporterait bien plus que n’importe laquelle de ses passes.

Jouer un rôle n’était pas si difficile, au final. Il fallait dire que Livia avait l’habitude, désormais, elle qui revêtait sans sourciller des identités imaginaires, tirées de sa psychée, lorsque le besoin s’en faisait ressentir. Après tout, ce n’était pas comme si elle pouvait clamer sur tous les toits qu’elle travaillait pour le cartel des Prayers of Insanity, et qu’elle était là pour servir les intérêts de son organisation. La tonne d’ennuis qui risquait de lui tomber dessus la dissuadait bien rapidement de se montrer tout à fait honnête sur sa personne, et avec le temps, c’était devenu une habitude, à tel point que peu de personnes savaient grand-chose sur la vraie Livia Itzel Aldana.

Prétendre être quelqu’un d’autre était devenu une nécessité, la mexicaine parvenant à se glisser plus aisément dans la peau de ses alter-ego à chaque fois que cela s’avérait nécessaire. Comme ce soir, où elle n’était que Luisa, dont elle pouvait parfois envier la petite existence tranquille. Luisa ne craignait pas qu’on découvre qu’elle était le bras droit d’un narcotrafiquant influent, et que son quotidien rimait avec illégalité, et trafic de drogues. Luisa avait la possibilité de mener une vie où n’existait pas la trahison, les menaces, les torsions de neurones à force de réflexions. Une vie sans responsabilité plus qu’enviable aux yeux de Livia.

L’échange avec la belle Blackened Beauty face à elle était à la hauteur de celui que Livia avait imaginé, et allait dans le sens qu’elle avait espéré. La conversation se faisait assez facilement, bien qu’un observateur extérieur y verrait peut-être là deux femmes en train de flirter gentiment. La mexicaine ne niait pas avoir recours à ses charmes lorsque le besoin s’en faisait ressentir, lorsqu’elle cherchait à obtenir des informations, par exemple, bien qu’il existait une limite qui, si elle avait déjà été franchie pour les besoins du cartel, ne l’était pourtant que rarement. Elle se plaisait à croire qu’il ne faisait pas bon de mélanger le travail et le plaisir, et s’interdisait ainsi toute relation avec un collaborateur, ou un informateur.

La conversation était légère, badine, et à vrai dire, malgré le fait qu’il s’agisse là de professionnel, et non de plaisir, Livia passait un moment agréable avec la brune face à elle. Les sourires qu’elle lui adressait n’étaient pas feints, et elle appréciait le répondant de la jeune femme, ne doutant pas une seule seconde que Love savait le pouvoir qu’elle devait exercer sur les autres de par son charme. Aucune réaction ne vint troubler le visage de l’hispanique quand sa vis à vis l’informa être incapable de deviner son rêve, ce qui n’étonna pas vraiment Livia. Comment deviner le rêve d’une personne qui n’avait aucune existence matérielle ? Pour toute réponse à cette question que lui lançait la Blackened à ses côtés, sur cette envie de trouver une occupation plus palpitante, Livia étira légèrement le coin de ses lèvres, répondant aussitôt : “-Qui sait ce qui pourrait arriver…la nuit ne fait que commencer.” répliqua-t-elle sans se départir de son sourire.

Lovelyn recentra la conversation sur le spectacle de ses sœurs, à qui elles n’accordaient résolument pas toute l’attention qu’il méritait. Alors que la plupart des regards étaient tournés vers ses déesses aux corps dévêtus, les deux brunes échangeaient entre elles, comme si leurs propos étaient plus importants que le show en lui-même. Il fallait bien que Livia parvienne à ferrer l’attention de sa voisine de bar, et ce n’était pas en l’ignorant pour dévorer du regard les danseuses que cela risquait de fonctionner. Alors, feignant la culpabilité, la juriste laissa sous-entendre que Lovelyn était la seule responsable de son manque d’attention, qu’elle chercha à rattraper aussitôt en se tournant vers la scène. Les remarques sur cette Katty arrachèrent à la mexicaine un sourire amusé, bien qu’elle ne sache pas quoi y répondre réellement. Elles n’avaient pas souvent accordé de réelle attention à ce qu’elle qualifiait volontiers de crêpage de chignons sans intérêt, pour la simple et bonne raison qu’elle-même n’avait pas grand-monde avec qui se livrer à une telle activité.

La soirée suivait son cours, et si Livia passait un moment divertissant, la coupant de son quotidien, elle n’en oubliait pas pour autant la véritable raison de sa présence. Maintenant qu’elle avait l’attention de Lovelyn, il était peut-être temps de penser à la suite. Aussi, elle ne tarda pas, sous couvert d’une timidité difficile à surmonter, et d’une hésitation qu’il lui était presque difficile de feindre, à proposer de quitter le cabaret, pour aller poursuivre cette soirée ailleurs. Aussi, quand Love accepta de quitter le Carnival pour passer la soirée ailleurs, ou tout du moins une partie, Livia fit mine de s’étonner de sa réponse le temps d’une brève seconde, avant de s’enthousiasmer face aux paroles prononcées, ce qui se traduisit par un grand sourire sur son visage. A son tour, la mexicaine récupéra son sac, puis emboîta le pas de la Blackened Beauty qui l’entrainait hors du cabaret, alors qu’en passant près de la table où McCreary dégustait sans doute un verre de whisky, elle lui adressa un léger signe de tête. Il n’y avait pas besoin de mots, ou de davantage d’explications. Elle savait qu’il attendrait le temps suffisant pour que son timing ne semble pas suspect, et quitterait à son tour le Carnival of Sins.

L’extérieur du cabaret était fréquenté par quelques clients venus, à l’instar de Love, fumer une cigarette ou deux. L’hispanique refusa poliment la proposition de la jeune femme d’un sourire et d’un petit signe de la main, observant à la dérobée les individus autour d’elles. Il y avait encore trop de monde au goût de Livia, qui ici, hors des murs de la salle de spectacle surchauffée, ne bénéficiait plus de la musique pour couvrir ses propos, ou des danseuses évoluant sur la scène pour détourner l’attention. Et autant dire que cette situation ne lui convenait pas vraiment.

Aussi, quand Lovelyn la relança sur ses intentions, lui demandant si elle pensait à un plan en particulier quand elle l’avait attirée hors du Carnival, Livia ne put que poser un nouveau sourire sur son visage, alors qu’elle cherchait comment rebondir face à cette déconvenue. “-Hé bien…je n’ai pas vraiment l’habitude de venir à Van Nuys à vrai dire, et…” Elle s’arrêta, comme pour faire mine d’hésiter, ou de se questionner, même s’il n’était pas tout à fait faux de dire que son attitude n’était pas totalement feinte cette fois-ci. Comment faire pour subtilement l’entraîner à l’écart encore davantage ? “-On pourrait juste…marcher ?” proposa-t-elle donc dans une légère grimace, observant la rue qui s’ouvrait à elles.

La porte du cabaret s’ouvrit sur l’intérieur du Carnival, l’ambiance sonore grimpant de quelques décibels à cette occasion, et McCreary en sortit alors, traçant son chemin comme si de rien n’était lorsqu’il remarqua les deux brunes postées là. Ils n’échangèrent aucun regard, alors qu’il s’éloignait en direction de la voiture avec laquelle ils étaient venus. Après un léger flottement, et l’air de rien, Livia entraîna Lovelyn dans cette même direction, laissant plusieurs mètres d’avance à Ethan, qui n’était plus qu’un point, loin devant elles. “-Ca doit être génial de vivre dans un quartier avec quasiment que des femmes, et que tu puisses considérer la plupart d’entre elles comme des sœurs. Je n’imagine même pas la complicité et la solidarité qu’il doit y avoir entre vous…” laissa-t-elle échapper au bout de quelques mètres, sans trop savoir d’où lui venait cette pensée qui émanait bien de Livia et non de Luisa. Elle-même n’avait eu que des frères, et si l’entente avait été bonne avec presque tous, elle regrettait parfois de ne pas avoir eu une soeur avec qui partager ses petits secrets.

Sortir du Carnival of Sins était indispensable pour que Livia puisse mener à bien la mission qu’elle s’était fixée ce soir, au bout de laquelle elle ne pouvait pas aller si elles restaient dans la cabaret, entourées de toutes ces oreilles indiscrètes susceptibles de capter leurs paroles, de ces paires yeux qui se vrillaient parfois sur les deux brunes, comme pour mieux tenter de deviner leurs secrets. En réalité ? Il y avait fort à parier que les clients du Carnival, des hommes essentiellement même s’il y avait là quelques visages féminins, étaient surtout intéressés par le spectacle qui se déroulait sur la scène, où évoluaient de sublimes Blackened Beauties, mais le doute persistant, la discrétion était de rigueur.

Aussi, Livia ne tarda pas à proposer à Lovelyn de quitter cet endroit bien trop bondé pour lui convenir, cachant du mieux qu’elle put sa surprise, son ravissement également, de voir la jeune femme accepter la proposition sans même rechigner un seul instant. Les deux brunes quittèrent donc le Carnival of Sins, bien que l’extérieur du cabaret ne se montra pas à la hauteur des espérances de la mexicaine, encore trop fréquenté à son goût. Ici, elle ne pouvait d’ailleurs pas compter sur de jolies jeunes femmes en tenues exotiques pour distraire ces quelques messieurs venus s’offrir, eux aussi, une cigarette ou deux. Livia tâche de réfléchir aussi vite que possible, et ne tarda pas à se rabattre sur une proposition qui n’avait rien de tentant en soit, mais qui était la seule à lui être venue en tête à cet instant : marcher.

Une nouvelle proposition que Love accepta presque aussitôt, dans un sourire que Livia ne parvint pas à interpréter, mais auquel elle répondit d’un enthousiasme qu’elle n’espérait pas feint. Il n’en fallut pas davantage pour que les deux brunes se mettent en route, marchant dans le sillage de McCreary, qui avait plusieurs mètres d’avance sur elles. Tout d’abord silencieuse, comme si elle préparait la suite des opérations, la mexicaine ne tarda pas à laisser échapper une remarque qui n’était pas à attribuer à Luisa, mais à elle-même, ne niant pas qu’elle aurait sans doute apprécié de vivre dans un quartier comme celui-ci, entourée de femmes qu’elle aurait pu appeler amies, ou sœurs. L’un des plus amers constats concernant la vie de la juriste était qu’elle n’était pas très entourée, et qu’elle menait une existence plutôt solitaire, n’ayant pu, à quelques exceptions près, compter essentiellement que sur elle-même. Et même si elle ne le saurait jamais vraiment, Livia pensait que si elle avait vécu dans un quartier comme celui-ci, la solitude aurait été sans doute un peu moins présente dans son existence.

L’hispanique ne fut donc pas vraiment étonnée du nombre de personnes que Love salua pendant qu’elles marchaient, alors qu’elle distribuait elle aussi des signes de têtes respectueux en guise de salutations aux sœurs de sa compagne de promenade. Et tandis que Lovelyn reprenait la parole, Livia lui adressa un regard en biais, laissant un vague sourire étirer ses lèvres. “-Je ne suis pas trop étonnée que dans les sororité aussi, il y ait des tensions. Les soeurs, ça se fâche souvent, pour un oui ou pour un non…” dit-elle en haussant légèrement les épaules, pas vraiment surprise par l’information, ne doutant pas que les Blackened Beauties devaient également connaître leur lot de crêpage de chignon. Livia n’imaginait pas une famille qui ne connaisse pas de disputes, de points de divergence, de petits accrochages, ou alors elle n’imaginait pas le nombre de non dits existants. La sienne n’y échappait d’ailleurs pas non plus.

A cette question sur les autres membres de la fratrie Aldana, la mexicaine ressentit une légère torsion dans son ventre, comme un nœud qu’on aurait brusquement resserré, pour le relâcher presque aussitôt. Elle tâcha d'adresser un sourire à la jeune femme à ses côtés, pourtant persuadée que ce fut plutôt une grimace qui étira ses lèvres. “-Je suis fille unique également.” lâcha-t-elle sobrement, bien loin de la vérité. Si Luisa était prétendument fille unique, Livia, elle, était la cadette de trois aînés qu’elle n’avait pas revu depuis plus de dix ans, et qui lui manquaient parfois, un fait qu’elle n’avait pas vraiment le luxe de se payer dans cette existence vouée à sa carrière professionnelle qui était la sienne.

La promenade se poursuivait sans que rien ni personne ne vienne troubler la quiétude des deux jeunes femmes. C’était appréciable, Livia ne pouvait le nier. Il fallait dire qu’elle n’avait que rarement l’occasion de s’offrir une promenade à la nuit tombée en charmante compagnie. Et même si elle n’avait pas menti concernant sa méconnaissance du quartier, l’hispanique ne s’en inquiétait pas vraiment, sachant que McCreary devait veiller dans un coin, tapi dans l’ombre, et suivre l’avancée des deux brunes avec attention, prêt à agir s’il sentait que c’était nécessaire.

Lorsque Love ralentit le pas, Livia en fit de même, ne quittant pas du regard la jeune Blackened, qui levait subitement le nez vers un immeuble en particulier. Peut-être celui d’une amie, ou d’une membre de sa famille, songea la juriste, qui posa un œil intéressé sur le numéro du bâtiment, se disant qu’elle prendrait note de la rue en la quittant. L’information que Lovelyn venait de lui donner, bien malgré elle, pourrait se montrer intéressante dans le cadre d’éventuelles…négociations. Des pourparlers que Livia se sentait désormais prête à aborder. Aussi, après avoir jeté un œil discret -et intéressé- des deux côtés de la rue, la mexicaine se racla doucement la gorge : “-Non…rien en particulier.” répondit-elle sobrement, sans s’arrêter pour autant.

Nouvelle oeillade autour d’elle, et finalement, Livia jugea l’instant idéal pour se jeter à l’eau, et aborder -enfin- la véritable raison de sa visite au Carnival of Sins. “-Il y a en revanche, quelque chose que je voudrais te demander.” commença-t-elle, glissant un regard en biais vers la Blackened Beauty, enchaînant avant de laisser l’occasion à cette dernière de lui répondre : “-Que dirais-tu d’arrondir tes fins de mois, en m’aidant dans certaines de mes tâches ?” demanda-t-elle donc au bout de quelques secondes, le visage à peine tourné vers Love, assez pour jauger sa réaction, mais tout en gardant un œil sur la rue en même temps. “-Je souhaiterai obtenir certaines…informations sur des personnes bien précises. Des personnes que tu pourrais approcher bien plus facilement que moi. Des informations pour lesquelles tu seras très bien rémunérée.” poursuivit-elle, pourtant pas désireuse d’en dire davantage que ces quelques mots, qui en dévoilaient déjà suffisamment à Love sur les intentions de Livia.

Un léger hochement de tête appuya les paroles de Love, lorsqu’elle déclara que les petites altercations entre Blackened Beauties arrivaient de temps en temps, que c’était dans l’ordre des choses, comme le disait si bien la brune face à elle. Évidemment, c’était presque monnaie courante dans certaines fratries, même si ce n’était parfois que pour des broutilles que le ton montait, que les esprits s’échauffaient. Livia était passée par là, elle aussi, même si elle adorait ses frères, qui le lui avaient toujours bien rendu. Enfin…si l’on exceptait Pedro, bien sûr. Lui, son aîné, la portait si peu dans son cœur qu’il n’avait pas hésité à l’envoyer à des kilomètres de lui, l’offrant en guise de présent à un autre cartel pour nouer une relation privilégiée.

A cause de son grand-frère, celui qui aurait dû la protéger envers et contre tous, la mexicaine avait dû quitter sa famille, ses amis, la vie qu’elle avait à Tijuana pour poser ses valises dans un pays où elle ne connaissait personne. Même si quitter les siens lui avait offert des possibilités d’avenir indéniables, preuve en était que Livia avait réussir à gravir les échelons des Prayers of Insanity jusqu’à en devenir le bras droit, la toute jeune adulte aspirait à une autre vie que celle qui était désormais la sienne. Elle avait pourtant pris les cartes qu’on lui avait donné, et en avait tiré le meilleur parti possible, s’estimant plus que satisfaite de ce que cela avait donné.

Mais bien sûr, il lui était impossible d’alimenter la conversation avec son propre vécu, avec des anecdotes des désaccords qu’elle avait eu avec ses aînés, de ces bagarres infantiles, de ces disputes qui se finissaient par de grands éclats de rire, et des embrassades à n’en plus finir. Luisa était fille unique. Et par ailleurs, Livia n’avait confié ces morceaux de son enfance, de ses relations avec sa fratrie qu’à de rares personnes, qui pouvaient aisément se compter sur les doigts d’une main. Et autant dire que malgré les informations que la juriste avait réussi à amasser sur la Blackened Beauty face à elle, Love restait une inconnue pour elle. De toutes manières, Livia jouait un simple rôle devant la brune, et de ce fait, elle ne risquait pas de livrer quoi que ce soit de vrai la concernant. Même si le léger ton envieux qui était le sien lorsqu’elle avait évoqué la solidarité et la complicité qui devait exister dans la sororité dont faisait partie la jeune femme n’était pas feint.

Les pas des deux brunes les avaient guidé devant un immeuble qui sembla aussitôt accaparer l’attention de Love, qui leva son minois vers une fenêtre quelconque, comme pour vérifier si une lumière y était allumée, ou pas. Un précieux renseignement que la Blackened Beauty fournit à Livia, sans même être consciente de ce qu’elle avait fait, un renseignement que l’hispanique espérait n’avoir jamais à utiliser contre la jeune femme. Aussi, avec discrétion, l’avocate des Prayers of Insanity prit connaissance du numéro du bâtiment, avant de river de nouveau son regard sur Love, qui lui avait semblé distante le temps de quelques secondes, avant de porter une nouvelle fois son attention sur Livia, qui sentait que le moment était venu de dévoiler ses cartes, et la véritable raison de sa présence au Carnival of Sins ce soir-là.

Aussi, avec des mots choisis avec soin, la mexicaine expliqua que ce rapprochement n’était pas innocent, et qu’elle avait bien une petite idée derrière la tête. Une information qui ne sembla pas troubler la Blackened Beauty, du moins ce fut l’impression que cela donna à Livia, qui ne quittait pas du regard Love, tandis qu’elle lui faisait part d’une demande certes un peu particulière, mais qui saurait sans doute titiller l’intérêt de la jeune prostituée dès lors que la jolie somme d’argent serait mentionnée. Avec un léger signe de tête, Livia se décida à accepter la cigarette proposée par la femme face à elle, se penchant légèrement dans sa direction lorsque celle-ci fit jaillir une flamme de son briquet, qui ne tarda pas à embraser le bâton de nicotine.

Les deux brunes fumèrent quelques secondes en silence, et alors que Lovelyn finissait par prendre appui sur le bâtiment derrière elle, Livia fit de même avec la voiture dans son dos, contre laquelle elle prit appui. L’hispanique inhala une bouffée de nicotine qu’elle recracha après quelques secondes, le visage légèrement levé vers le ciel noir, alors qu’elle ne quittait pas la Blackened Beauty du regard. Ne jugeant pas utile de tourner autour du pot indéfiniment, Livia ne tarda donc pas à reprendre : “-Je connais tes activités au sein de ta sororité. Je sais que tu offres tes services en échange de sommes d’argent.” commença-t-elle d’un ton neutre, sa voix dénuée de tout jugement. Après tout, elle ne faisait qu’évoquer un simple fait. “-Mes recherches m’ont permis de savoir que cet homme fréquentait certains établissements du quartier rouge, et qu’il lui arrivait de faire appel aux services de l’une ou l’autre de tes sœurs.” ajouta-t-elle au bout de quelques secondes, reposant ses lèvres sur la cigarette pour tirer dessus.

Tandis qu’elle avait expliqué à Love ce qu’elle avait en tête, Livia l’observait avec attention, comme une façon de jauger ses réactions, de les deviner avant que la Blackened ne les formule à voix haute. Les informations collectées au sujet de la jeune femme lui avaient permis d’apprendre qu’un petit plus de plusieurs milliers de dollars serait plus que le bienvenu dans son porte-monnaie, mais le métier de l’hispanique lui avait aussi appris que certains avaient une moralité à toute épreuve, et ne se laissaient pas embarquer dans des histoires qui pourraient potentiellement les dépasser. “-Mon employeur est prêt à se montrer plus que généreux si les informations que tu pourrais récolter se révèlent utiles pour lui. Plus tu pourras en apprendre, plus mon patron saura se montrer reconnaissant.” ajouta donc l’hispanique, qui croisa l’un de ses bras sous sa poitrine.

Scrutant attentivement Lovelyn face à elle, la mexicaine resta silencieuse quelques instants, comme pour lui laisser l’occasion d’assimiler ses propos, tapotant légèrement la cigarette pour en faire tomber la cendre. Elle aspira une nouvelle bouffée de nicotine, avant de poursuivre : “-Sache néanmoins que si tu tentes de baiser mon patron d’une manière ou d’une autre, il n’est pas du genre à pardonner aisément.” ajouta-t-elle au bout de quelques instants, levant la main entre elles, comme pour demander silencieusement à la brune de lui laisser l’occasion d’aller au bout de sa pensée. “-Et malgré les mots employés, ce n’est pas une menace. Je te donne simplement toutes les informations qui pourront te permettre de prendre la meilleure décision qui soit pour toi. Nous sommes généreux…mais nous n’accordons pas de seconde chance.” précisa-t-elle d’un ton sérieux, Livia prenant totalement le pas sur l’innocente Luisa, qui n’avait plus sa place désormais. “-Si tu penses que ces conditions te conviennent, alors nous pouvons envisager de faire affaire.” conclut-elle, alors qu’elle coinçait une nouvelle fois la tige blanche entre ses lèvres, avant d’expirer doucement la fumée. Les informations étaient données, la balle était désormais dans le camp de Lovelyn, à qui la décision finale revenait.