Une main tendue x Love

Un long bâillement quitta les lèvres de Priya, qui se pinça l’arête du nez en fermant les yeux. Un coup d'œil à l’horloge accrochée au mur l’informa qu’elle avait dépassé depuis plus d’une heure déjà l’heure inscrite sur son contrat, celle à laquelle elle était censée finir. Une réalité qu’elle n’avait jamais frôlée ne serait-ce que du doigt, ayant l’habitude de toujours dépasser un peu chaque soir. Pour compenser ses retards du matin ? Absolument pas, elle arrivait toujours un bon quart d’heure avant sa prise de poste, juste au cas où, disait-elle, sans savoir ce qui pouvait potentiellement se cacher derrière cette expression. Son index manucuré enfonça le bouton de l’écran de l’ordinateur qui devint noir, mettant ainsi officiellement un terme à sa journée de travail.

Une lumière brillait encore sous la porte close de la salle de réunion, et plusieurs voix se mêlèrent quand Priya passa devant la pièce, faisant le moins de bruit possible, ombre parmi les ombres. Elle laissa la porte des bureaux se refermer sur elle, puis sortit son téléphone de son sac à main, le portant à son oreille après avoir bidouillé dessus quelques secondes. “-Je viens seulement de finir. Oui, je sais, j’abuse. Je t’offrirai un verre pour me faire pardonner. Je passe chez moi me changer vite fait, et j’arrive. Mais oui, je me dépêche !” dit-elle à la jeune femme à l’autre bout du téléphone, une Tegan déjà survoltée, qui était plus que capable de lui botter les fesses pour son retard, comme elle venait de le lui annoncer.

Mais c’était plus fort que Priya…elle avait besoin de s’assurer que tout était carré, fait -et bien fait- avant de rentrer chez elle, que rien ne dépassait. Ce n’étaient pas tant les reproches qui lui faisaient peur, la crainte qu’on la convoque dans le bureau des associés le lendemain pour lui parler de son travail mal fait. Non, c’était plutôt que quand tout n’était pas conforme aux attentes, ne suivait pas scrupuleusement les trames préétablies à l’avance, et les consignes données, cela avait la méchante manie de la stresser, et même si son corps quittait le cabinet des avocats, son esprit, lui, y revenait sans cesse. Ainsi, autant faire directement le travail tel qu’il était attendu, et s’éviter des sueurs froides et autres nuits blanches.

Rangeant son téléphone dans son sac, Priya ne tarda donc pas à rejoindre son petit logement, son premier appartement, dont elle parvenait à payer le loyer avec de l’argent qui n’était volé à personne, mais qu’elle avait obtenu honnêtement, à la sueur de son front, et on ne peut plus légalement. Elle ne vivait plus dans une maison qu’elle partageait avec une tripotée d’autres indiens, et ne squattait pas davantage la petite chambre qu’Arnold Lepetit avait mis à sa disposition sous son propre toit, où elle vivait au milieu des siens. C’était son vrai chez elle, celui dont elle avait décidé de la décoration, de la disposition des meubles, et où elle rentrait chaque soir avec une étincelle de satisfaction au creux de l’estomac.

Rentrée chez elle, Priya prit le temps de se glisser sous le jet brûlant de la douche, sous lequel elle ne s’autorisa pourtant pas à rester aussi longtemps qu’elle l’aurait voulu, et après quelques trop brèves minutes, elle quitta la salle de bain. Ses affaires étaient déjà prêtes depuis la veille, une organisation peut-être un peu trop poussée, qui rassurait pourtant la jeune indienne, et chassait ainsi toute anxiété. Si bien que la brune ne prit pas vraiment le temps de tergiverser, et se glissa dans cette tenue on ne peut plus sobre qu’elle avait préparé la veille, et quelques minutes plus tard, elle quitta son appartement pour se rendre à Van Nuys, où Tegan devait commencer à trouver le temps long en l’attendant.

Cette simple pensée arracha un sourire en coin amusé à la jeune indienne, qui n’avait jamais pensé un seul instant que Tegan et ennui puissent un jour se trouver dans la même phrase. La jeune Hargreaves était un puits de ressources en ce qui concernait le fait de passer le temps…surtout quand elle était dans le quartier rouge, évidemment. De son côté, sans y trouver autant de divertissements et de distractions que son amie, Priya appréciait de passer du temps à Van Nuys, où l’ambiance survoltée et la musique forte permettaient de garder ses pensées solidement enfermées dans un recoin de sa tête où Priya n’y avait plus accès le temps de quelques heures. Un répit qui était plus que le bienvenue dans ce cerveau qui ne s’arrêtait jamais de penser, surtout lorsqu’il s’agissait d’imaginer le pire.

Et imaginer le pire, cela lui arrivait bien trop souvent lorsqu’elle était avec Tegan, même s’il s’agissait en l’occurrence de s’imaginer comment elles allaient se sortir dans cette nouvelle situation improbable qui était la leur. A cause de la blondinette ? Priya n’irait pas jusqu’à dire que c’était toujours le cas, même s’il fallait admettre qu’il y avait là une certaine récurrence malgré tout. Combien de fois s’était-elle imaginée menottée à un banc dans un commissariat, embarquée pour une garde à vue pour seulement avoir suivi Tegan dans ses bêtises ? Et combien de fois avait-elle pensé que cette arrestation la ramènerait tout droit à son passé, et qu’on lui demanderait -enfin- de répondre de ses actes de vols passés ? Elle avait arrêté de compter.

Si Priya n’en était évidemment pas fière, et il n’y avait effectivement pas de quoi l’être, elle espérait pourtant passer à travers les mailles du filet de la police Downfallienne. Peut-être s’était-elle trop souvent répété qu’elle avait fait tout cela contre son gré, qu’elle n’avait pas eu le choix, et qu’elle avait fini par y croire, tout simplement. Peut-être s’imaginer qu’elle n’avait été que la marionnette de Sanjay, puis d’Isham, était une manière de se dédouaner, de rejeter cette responsabilité qui était pourtant la sienne, et cette culpabilité qu’elle traînait derrière elle, comme un boulet accroché à sa cheville. Aussi, rares étaient les personnes à connaître son passé, car rares étaient celles et ceux à qui elle faisait assez confiance pour livrer cette part sombre de son histoire.

Le portable dans son sac vibra, et la jeune indienne ne tarda pas à plonger la main à l’intérieur pour en ressortir le téléphone qui lui indiqua qu’elle avait un nouveau message. A croire que ce soir, Tegan attendait vraiment avec impatience son arrivée. Levant le nez pour se situer, Priya ne tarda pas à lui répondre qu’il lui faudrait encore environ un quart d’heure pour arriver, et qu’elle se dépêchait. La comptable pressa donc le pas, traversant rapidement pour poursuivre son chemin, chaque pas la rapprochant davantage de Van Nuys, et des magnifiques jeunes femmes qui y habitaient. Elle pouvait comprendre assez aisément le lien qui existait entre elles, cette impression d’appartenir à une sorte de grande famille, alors que ce n’était pas le même sang qui coulait dans leurs veines. Priya aussi avait touché du doigt cette réalité le temps de quelques années, avant que tout s’effondre lorsque Vikram avait dû être hospitalisé, et que sa famille de bric et de broc avait volé en éclats.

La brune n’avait pas tourné à l’angle d’un bâtiment depuis plus de quelques pas qu’instinctivement elle se sentit ralentir, forçant sur ses yeux comme pour mieux appréhender la scène qui se déroulait face à elle. A quelques mètres de là, une jeune femme semblait en train de discuter avec deux hommes, bien que sa démarche incertaine, et cette façon qu’elle avait de s’appuyer contre le mur interpellèrent bien rapidement Priya. Cette dernière ralentit le pas, l’air de rien, suffisamment pour entendre les bribes de conversation, son nez se fronçant aussitôt de dégoût face aux paroles adressées à la jeune femme, à peine plus âgée qu’elle. Elle ne prit pas la peine de réfléchir, et face aux nouvelles avances que subissait l’inconnue, l’indienne se lança aussitôt : “-Ashley, te voilà !! Bon sang, je suis désolée d’être en retard, je n’ai pas vu le temps passer !” s’exclama-t-elle, sans doute bien plus fort que la distance ne le nécessitait, passant devant l’un des hommes qui s’était tourné d’un air presque ahuri vers elle.

Priya ne tarda pas à passer une main dans le dos de la jeune femme, alors qu’elle lui claquait bruyamment une bise sur les joues, un grand sourire sur le visage. Une expression qui contrastait pourtant avec cette étincelle de peur au creux du ventre de l’indienne, qui glissa son bras autour des épaules de la brune, dont le regard semblait fiévreux, presque fuyant. “-Allez, on y va ! Les garçons seront là dans deux minutes.” raconta-t-elle, sans trop savoir où elle-même allait, entraînant la jeune femme dans son sillage. Enfin…entraîner, ce n’était peut-être pas le mot exact, finalement. Portant à moitié la demoiselle contre elle, semblait être plus approprié pour décrire ce qui se passait. Le pas de l’inconnu était lent, traînant, à croire qu’il lui était difficile de marcher.

Pourtant, Priya fit bonne figure -ou du moins essaya- même s’il semblait clair qu’elle était en train de vaciller sous le poids -pourtant plume- de la brune. Lorsqu’elle s’autorisa un coup d'œil en arrière, quelques dizaines de mètres plus loin, ce fut pour constater avec soulagement que les deux types avaient disparu. “-Il y a un banc un peu plus loin, encore quelques pas et on y sera…” dit-elle à destination de l’inconnue, les mots lui servant d’encouragements à elle aussi. La si petite distance lui sembla difficile à franchir, si bien que l’indienne laissa tomber sur le banc la femme contre elle plutôt qu’elle l’aida réellement à s’y assoir. “-Vous êtes sûre que ça va aller ? Vous voulez que j’appelle quelqu’un…? Vous n’avez vraiment pas l’air en forme…” dit-elle, s’agenouillant pour être à hauteur de la demoiselle qui semblait pourtant si loin d’elle. Le regard de Priya fouilla autour d’elles, avant de revenir au banc, alors qu’elle ne pouvait s’empêcher de se demander…et maintenant ?

Décidément, il semblait que l’univers entier conspirait pour que Priya ne parvienne jamais à destination, et ne rejoigne pas Tegan, qui l’attendait à Van Nuys. Enfin, l’attendait…tout était relatif, bien entendu, puisque les Hargreaves n’étaient pas du genre à attendre qui que ce soit pour commencer la fête et prendre du bon temps, mais malgré tout, l’indienne savait que la blonde comptait sur elle. Depuis le temps, d’ailleurs, qu’elle lui demandait de l’accompagner quelque part -n’importe où avait-elle précisé- tant que la comptable mettait le nez hors de son bureau ou de son appartement. Sauf que voilà…quand une situation ne lui disait rien qui vaille, la brune n’était pas du genre à détourner le regard, ou à faire demi-tour. Même quand faire quelque chose rimait avec appréhension, et une bonne dose d’improvisation. Un peu comme à cet instant, quand elle s’était précipitée vers cette inconnue pour la prendre dans ses bras, et espérer éloigner ces hommes qui lui tournaient un peu trop autour pour que ce soit tout à fait honnête.

Alors qu’elle s’éloignait en portant à moitié la jeune femme contre elle, Priya se retenait de ne pas jeter un coup d’oeil par dessus son épaule, pour vérifier que ces deux bonhommes, à l’air plus que suspect, n’étaient pas en train de marcher dans leurs pas, pour les rattraper, et…non, elle ne préférait pas penser à la suite, à ce que ces deux gars pourraient leur faire. Elle craignait qu’en se retournant, les deux inconnus comprennent le subterfuge dont elle venait de faire usage pour sortir la jeune brune d’entre leurs mains avides, et les rattrape, si bien que l’indienne tendait l’oreille au maximum, essayant de deviner ce qui se passait dans son dos. Une situation passablement anxiogène, celle de ne pas savoir avec certitude ce qui se passait, et qui lui donnait l’impression d’avoir avalé une lourde pierre qui avait atteri, juste là, au creux de son estomac.

Pourtant, après plusieurs mètres de cette marche forcée, Priya s’autorisa enfin un furtif regard en arrière, ne retenant pas un petit soupir de soulagement en constatant qu’elles étaient seules, et que les deux mecs louches s’étaient suffisamment éloignés pour ne plus être des menaces. Un constat qui permit à la jeune indienne de respirer plus librement, même si elle commençait un peu à tirer la langue sous le poids de la brune contre elle. Une chance, un banc se trouvait non loin, point de chute accessible qui semblait n’attendre qu’elles, et ne tarda pas à constituer l’objectif immédiat de la brune. Elle ne pourrait de toutes façons pas aller bien loin avec l’inconnue qui n’y mettait vraiment pas du sien dans cette affaire, traînant la patte, alors même que Priya restait persuadée qu’elle faisait de son mieux.

Le banc fut enfin juste là, à portée de main -ou de fesses, plutôt- et la jeune femme laissa tomber plus qu’elle ne posa délicatement la fausse Ashley sur l’assise, ne pouvant retenir une légère grimace quand la pression exercée sur son dos disparut soudainement. Maintenant qu’elle avait l’occasion d'observer avec davantage d’attention l’inconnue, Priya ne manqua pas de remarquer ces petits détails qui lui firent bien rapidement froncer les sourcils. A tel point qu’elle ne tarda pas à s’agenouiller devant la jeune brune, comme pour mieux observer les traits de son visage. Il y avait quelque chose qui n’allait pas, la jeune indienne pouvait le sentir, sans pourtant réussir à mettre le doigt sur ce dont il était question précisément. Aussi, elle demanda à la jeune femme si tout allait bien, même s’il était évident que non.

Et à la réponse qu’elle ne tarda pas à lui adresser, Priya ne put retenir un haussement de sourcils surpris, alors que ses lèvres s’entrouvraient : “-Oh, euh…oui, je m’en doutais bien. Enfin…la probabilité que vous vous appeliez vraiment Ashley, alors que c'est simplement le premier prénom qui me soit venu en tête aurait été vraiment, vraiment faible. Pas impossible, certes, mais juste…faible.” dit-elle d’une traite, se rendant compte qu’elle avait utilisé des tas de mots pour pas grand-chose au final. Par réflexe plus qu’autre chose, la brune tourna sa tête dans la direction que semblait lui indiquer la jeune femme, où une certaine Ashley mais pas pour de vrai, se trouvait en temps normal. Une amie, supposa-t-elle, puisque l’inconnue indiquait connaître son vrai prénom.

Sauf que là-bas, où que ça puisse être exactement, il n’y avait strictement personne. Rien qu’un bout de trottoir désert éclairé par le halo fané d’un réverbère usé. Les lèvres pincées, Priya reporta son regard sur la jeune femme, dont les sourcils froncés ne tardèrent pas à l’interpeller. Pourquoi…quoi ?! Et voilà qu’elles étaient désormais deux à froncer les sourcils, alors qu’un peu naïvement, l’indienne regarda autour d’elle, à la recherche de ladite lumière…qu’elle ne trouva évidemment pas. “-C’est mon halo d’ange.” répondit-elle pourtant dans un sourire, avant de remarquer le regard de l’inconnue, qui était…bizarre. Trop…grand. Flou. Dilaté. Comme le regard de certains mendiants qu’ils avaient pu rencontrer, son groupe et elle, étant plus jeunes. “-La fille qui s’appelle Ashley pour de faux, c’est votre amie ? Vous voulez que j’aille voir si elle est là, pour qu’elle vous ramène chez vous ?” proposa la comptable, toujours accroupie devant l’inconnue, qui n’avait vraiment pas bonne mine. “-Je…enfin…je ne suis pas certaine que ce soit une bonne idée que vous restiez toute seule sur ce banc. Ces types étaient vraiment bizarres, et ils ne sont peut-être pas partis pour de vrai…” ajouta-t-elle au bout de quelques secondes de silence. Autant éviter de jeter la jeune femme une seconde fois dans la gueule du loup…qui ne se laisserait sans doute pas berner une deuxième fois si facilement.

Maintenant que ces sales types s’étaient éloignés, et qu’il semblait à Priya que la situation était de nouveau sous contrôle, le rythme cardiaque de la jeune femme semblait avoir repris un rythme plus normal, même si elle ne pouvait s’empêcher de continuer à regarder autour d’elles, juste pour s’assurer que ces gars n’allaient pas tenter une nouvelle approche en pensant qu’ils avaient réussi à endormir la vigilance des brunes, à les duper. C’était sans compter sur la nervosité de l’indienne, ou peut-être juste sa méfiance naturelle, qui la poussaient à continuer cette semi-surveillance juste au cas où.

Maintenant qu’elles avaient atteint le banc, certes avec quelques difficultés, Priya voulu aider la jeune femme à s’y installer, bien qu’elle manqua cruellement de douceur alors qu’elle la laissait plus ou moins s’effondrer pour se délester de la charge que représentait la brune, pourtant pas bien lourde. Ca n’empêcha pas la jeune comptable de tirer un peu la langue et de laisser échapper un soupir de soulagement. Fausse Ashley ne tarda pas à lui préciser que ce n’était pas son vrai prénom, non pas que cela surprit réellement Priya, qui se lança pourtant dans une trop longue explication au regard de la situation. D’ailleurs, elle était même prête à parier qu’elle avait perdu son vis-à-vis au cours de son monologue.

Heureusement, l’inconnue ne sembla pas s’en formaliser, et ne tarda pas à déstabiliser Priya par une question qu’elle n’aurait pu prédire. Un halo lumineux autour d’elle ? Ca ne pouvait qu’être la lumière du réverbère au-dessus d’elles, et pourtant, sans trop savoir ce qui la poussait sur cette voie-là, l’indienne tenta une touche d’humour, prétendant être un ange, une petite plaisanterie qui laissa la brune incapable de la moindre réaction, et bouche bée. Un instant de flottement pendant lequel Priya en profita pour l’observer avec davantage d’attention, remarquant ainsi les yeux de la jeune femme, qui semblait étonnemment flou. Sans être une spécialiste en la matière, l’indienne comprit rapidement qu’il devait bien y avoir une, voire plusieurs, substances illicites là-dessous…et c’était une raison plus que suffisante pour ne pas partir comme si de rien n’était, et rejoindre la soirée où elle était attendue.

Aussi, Priya demanda à l’inconnue si cette Ashley pourrait être d’un quelconque secours, et raccompagner la brune chez elle, où elle serait bien mieux que n’importe où ailleurs vu son état. Pourtant, la réponse était loin d’être celle à laquelle s’attendait l’indienne, qui eut un léger mouvement de recul alors que ses sourcils se haussaient d’étonnement. Hé bien, ça n’allait pas les aider beaucoup que les deux femmes ne soient pas amies, ni que Ashley ne sache pas où habitait celle qui continuait à la regarder avec de grands yeux vitreux. Peut-être croiseraient-elles quelqu’un d’autre qui pourrait les aider à ce que l’inconnue puisse rejoindre son foyer saine et sauve ?

Parce que, contrairement à ce que semblait sous-entendre la brune face à elle, Priya était loin de penser que la laisser là, toute seule, soit une bonne idée. Même l’entendre dire que les types étaient sans doute loin maintenant ne fut pas suffisant pour convaincre l’indienne de simplement laisser la jeune femme plantée là. “-Hm…non. Je crois que je vais rester avec vous…d’accord ?” demanda-t-elle, tout en oubliant de préciser qu’elle n’accepterait pas un “non” comme réponse. Même si elle ne la connaissait pas, et sans crier à la solidarité féminine, il était pourtant hors de question pour la comptable de livrer la jeune femme seule face à l’inconnu, alors qu’elle lui semblait incapable de réussir à se défendre seule s’il devait lui arriver quelque chose.

Priya était déjà en train de réfléchir à une nouvelle idée pour les sortir de là quand la jeune brune reprit la parole, rebondissant sur cette histoire d’ange, comme si elle avait pris l’indienne au pied de la lettre avec ce qui n’était à l’origine qu’une boutade. Légèrement penchée en avant, la comptable plissa le bout du nez, réfléchissant quelques secondes à ce qu’elle savait de ces êtres célestes, soit…pas grand-chose. “-Hé bien…les anges aident toutes les personnes qui en ont besoin, peu importe qui elles sont, ou ce qu’elles font…” expliqua-t-elle dans un léger haussement d’épaules, un léger pli barrant son front. Après tout…c’était bien ce que faisaient les anges, non ? Aider les humains en ayant besoin.

Le reste des propos de la jeune femme firent hausser les sourcils de Priya, et rosir ses joues, quand elle comprit que cette façon dont se désignait l’inconnue, par ce mot de “pute” n’était pas une simple insulte ou une façon de se dénigrer, mais le métier qu’elle exerçait. Un fait qui la mit mal à l’aise, non pas parce qu’elle jugeait la profession qu’exerçait la brune face à elle, mais simplement parce que tout ce qui avait un rapport à la nudité, à l’intimité, au sexe avait cet effet là sur elle. Si bien que la jeune indienne se racla la gorge, tâchant de masquer sa gêne, secouant légèrement la tête, comme pour s’éclaircir les idées. “-Je m’appelle Priya. Et toi ? Enfin…si tu n’as pas le droit de dire ton prénom, tu utilises peut-être un pseudo ?” se reprit-elle presque aussitôt, en fronçant doucement les sourcils, se rappelant les paroles toutes récentes de la prostituée.

En tout cas, cette dernière semblait avoir raison concernant le fait que les trois hommes devaient désormais être loin, bien que cela ne semblait pas être une raison suffisante pour Priya de s’éloigner. Des sales types, il y en avait à la pelle dans le coin. “-Hum…bon…je ne suis pas une cliente, alors…tu n’enfreindrais pas vraiment une règle si je t’accompagnais chez toi, pour être sûre que tu arrives saine et sauve.” dit-elle au bout de quelques instants, alors qu’après avoir scanné la rue une nouvelle fois, le regard de l’indienne se reposait sur la brune. “-Ou alors…tu passes la nuit chez moi ? Tu pourras prendre une douche, te reposer, et quand tu te sentiras mieux, tu pourras repartir. Je suis une colocataire plutôt discrète.” ajouta-t-elle après une brève hésitation, laissant même un petit sourire rassurant trouver ses lèvres. Peu importait bien l’endroit où elles allaient, tant que l’inconnue se trouvait en sécurité le temps de reprendre ses esprits.