[TERMINE] Oops!... I Did It Again [Solveig]

Je me demande souvent ce qu’aurait été ma vie si j’avais cédé aux pressions d’Alberto, et que je l’avais laissé prendre le contrôle de mon existence. Vu mon âge, et ses propres ambitions, j’imagine sans peine que papa De Souza m’aurait déjà trouvé le compagnon de vie idéal, belle gueule, friqué, bien sapé, à la réputation déjà bien installée, et dont le nom de famille, synonyme de richesse, de pouvoir, ferait joli à côté du mien. Dans l’idéal, j’imagine qu’il aurait été plus que ravi d’être déjà grand-père, encore davantage si la vie avait décidé de nous donner, à M. Parfait et moi-même un fils, fier héritier De Souza au destin déjà tout tracé dans l’entreprise familiale. Manque de chance pour le paternel, j’ai claqué la porte à ses projets en m’enfuyant comme la voleuse qu’il doit voir en moi, étouffant dans l'œuf ma carrière au sein de l’empire De Souza.

Au lieu de quoi, me voilà trentenaire, de nouveau étudiante, et sans la moindre ambition de vie de famille pour l’heure. On est déjà une chouette famille à nous deux, M’sieur Pantoufles et moi, même si ce petit enfoiré remue pas le coussinet pour se payer ses propres croquettes. Mais ça me convient comme ça. Enfin…la plupart du temps. Ces temps-ci, je me surprends à avoir parfois envie d’autre chose pour passer mes soirées qu’une pizza entre deux fiches de traumatologie. Je peux pas dire…je suis pas à plaindre non plus. Charlie se montre aussi prévenante et attentionnée qu’une mère depuis plus de cinq ans, j’ai des amis qui m’ont soutenu quand j’ai décidé de retrouver ma blouse blanche, Mac et Riley en tête, j’ai même rencontré de chouettes personnes à mon retour à l’hôpital. Vraiment, tout va…bien. Mieux que pendant très longtemps, en tout cas.

Pour dire, les choses sont même devenues moins tendues avec Sam, depuis notre discussion sur ce qu’on éprouvait, il y a quelques mois. Enfin…notre discussion, et le fait qu’on se soit envoyés en l’air, sans doute. Ça a changé un truc, en tout cas de mon côté, même si je suis sans doute pas assez futée pour savoir quoi. Ce qui ne devait être qu’une nuit d’égarement s'est transformé en nuits, au pluriel, parce qu’on est deux idiots incapables de réfréner leurs pulsions, de ne pas succomber à cette attirance ressentie pour l’autre. On a beau se dire que cette fois, c’est sûr, c’était la dernière…on résiste jamais bien longtemps, et on a un nombre plutôt élevé de dernières fois à notre compteur.

D’ailleurs, peut-être que si ce soir mes collègues m’avaient pas proposé de sortir, c’est sans doute à sa porte que j’aurai toqué. On aurait probablement commencé à regarder un film, avec aucune certitude cependant qu’on aurait été au bout de l’histoire, et qu’on aurait pas préféré se virer nos fringues mutuellement entre temps. Mais ce soir…ce soir, j’ai fait un truc que j’avais pas fait depuis une éternité : je me suis préparée pour faire autre chose qu’assister à un cours, ou faire une garde. Musique un peu trop forte, j’ai pris juste ce qu’il fallait de temps pour me maquiller un peu, dompter ma crinière mouillée, et me glisser dans une jolie robe noire. Je suis prête à l'instant même où mon portable vibre pour m'annoncer l'arrivée en bas de l'immeuble de ma petite bande de fêtards, direction le Wonderland, pour quelques heures sans penser à rien d’autre qu’à s’amuser.

Une fois la bagnole garée, on s’attarde quelques instants devant la bâtisse le temps que le petit retardataire arrive, et j’en profite pour allumer une clope en attendant, levant bien haut mon majeur quand Steeve, l’infirmier d'ortho que j’ai rencontré en février me dit que cette merde finira par me tuer. Je sais qu’il se prend pas pour un moralisateur à deux balles, vu qu’il se marre aussitôt mon doigt brandi. C’est de bonne guerre entre nous. Le pote finit par arriver, et j’ai tout juste le temps de foutre mon mégot éteint à la poubelle qu’on m’entraîne dans le Wonderland, où la musique et la chaleur nous accueillent aussitôt.

Je me laisse entraîner jusqu’à l’étage, m’installant à la table qui n’attendait que nous, puisque réservée je ne sais depuis quand. Non pas que ça fasse une grande importance, puisque j’ai surtout l’intention de danser ce soir, et pas de rester mon cul assis sur une quelconque banquette. Le pote retardataire, je finis par apprendre qu’il s'appelle Dylan, se montre grand seigneur, payant sa tournée pour se faire pardonner son retard, puis s’éclipse presque aussitôt vers le bar, répétant en boucle la commande de chacun, pour pas oublier nos boissons. Quant à moi…je peux pas rester gentiment immobile plus longtemps, pas alors que la musique me pousse à remuer chaque centimètre de mon corps. Alors, j’attrape la main de Marley à gauche, celle de Steeve à droite, et je les entraîne dans mon sillage pour aller rejoindre la piste, où on se met à danser. Il me faut pas bien longtemps pour me plonger dedans, pour laisser la musique envahir chaque cellule de mon être, pour laisser mes hanches bouger au rythme des basses. Et bon sang, après ces mois de dure labeur, ces longues nuits à l’hôpital, ces heures studieuses, je décrète avoir largement mérité un peu de bon temps.

J’adore être dans des endroits comme celui-ci, avec la musique à fond, les basses qui résonnent dans tous les os du corps, les lumières tamisées, les corps qui s’échauffent. Enfin…j’admets que pour les corps qui viennent se frotter au mien…je passe mon tour. Non pas que ça me dérange de danser collé serré, de temps en temps…mais uniquement quand je le décide, et avec qui je le décide, pas quand des types aux mains un peu trop baladeuses viennent se coller à moi sans permission. Et en parlant de se faire coller, Marley ne tarde pas à danser en tête à tête avec une jolie métisse arborant un rouge aux lèvres qui lui va à ravir. Steeve et moi échangeons un sourire complice, tout en nous décalant un peu pour laisser les deux beautés danser en paix. Je suis ravie pour elle, même plus que ça, et je profite que sa partenaire ai le dos tourné pour lui faire un pouce en l’air accompagné d’un sourire gamin, alors qu’elle me répond en levant les yeux au ciel, et en prenant la décision de m’ignorer, ce qui est sans doute la meilleure qu’elle puisse prendre à cet instant.

L’infirmier ne tarde d’ailleurs pas à m’attraper les mains pour me faire tourner, ce qui me fait glousser parce que ça colle pas du tout avec la musique, mais on s’en fout totalement. Il se penche vers mon oreille pour baragouiner je ne sais quoi, alors que je tends le cou pour mieux lui prêter mon attention, sans réussir à tout capter pour autant : “-Quoi ton cousin ?” Avec la musique qui braille par les haut-parleurs, j’ai un peu de mal à entendre ce qu’il dit, et je me rapproche encore un peu, alors qu’il se répète. Et pour le coup, je m’attendais pas à…ça. Alors que Steeve me regarde avec un grand sourire, et un regard de chat Potté, je lui adresse une petite grimace, avant de pincer les lèvres. Sortir avec son cousin…sérieux…mais d'où elle vient, cette drôle d'idée ? “-Je suis pas certaine que ce soit une bonne idée…” Il m’entend pas, ou fait semblant de pas m’entendre, et préfère jeter un coup d'œil à son portable, dont l’écran est allumé. Ses yeux s’écarquillent, et il tire sur mon bras subitement, hurlant à mon oreille en me montrant un gars, un peu plus loin, en train de saluer nos amis. Ah…ouais. Oh. Bah...Ça change tout. “-Attends…c’est lui ton cousin ?!” Ok, j’en prendrais bien un bout, finalement.

Marley nous envoie bouler quand on lui fait signe qu’on va vers la table où se trouvent les autres, et Steeve et moi on fend la foule, droit vers son cousin. Les deux Goncalves se prennent dans les bras, avant que les présentations officielles soient faites, Miguel m’adressant un grand sourire. Ouh…et il est à croquer, ce sourire. Le Monsieur tout entier est à croquer, à vrai dire. On échange quelques banalités, avant qu’il propose de m’offrir un verre…que j’ai déjà. Il s’excuse en annonçant aller se chercher à boire à son tour, et…il est possible que j’en profite pour regarder si son verso est tout aussi à croquer. Et…bingo ! Mon regard échappe d’ailleurs pas à Steeve, que je vois ricaner à défaut de l’entendre, vu le volume sonore de l’endroit. Je lui réponds façon Marley, et jette mon dévolu sur ma boisson.

D’ailleurs, en parlant de la sage-femme, je sonde les danseurs du regard pour vérifier que tout va bien pour elle, mais mon regard accroche pas vraiment celle que je cherchais. Sam…enfin…Sam en particulièrement charmante compagnie, plutôt. Trois nanas gravitent autour de lui, dont une qui gravite de vraiment très, très près. Hé bah…j’espère qu’ils utilisent une protection au moins, vu comme elle est engluée sur lui…autour de lui, comme si elle voulait les faire fusionner. Aucune pudeur. Miguel me coupe de cette vision en réapparaissant avec son verre, et je lui adresse un sourire plus par automatisme qu’autre chose, laissant mon regard traîner encore quelques secondes sur le cuistot, avant de détourner les yeux. En parfait entremetteur, et sans cacher ses intentions, Steeve entraîne la petite troupe vers la piste, nous laissant seuls, son cousin et moi, Miguel se rapprochant pour qu’on puisse discuter sans avoir besoin de beugler comme des veaux. Et c’est exactement ce qu’on fait, discuter de ces trucs banals que font les gens qui viennent de se rencontrer, des trucs superficiels, pour jauger la température, et essayer de voir si ça vaut vraiment le coup de creuser, ou pas. Et franchement...ça me dérange même pas de devoir répéter parfois deux ou trois fois ce que je raconte parce que la musique est trop forte, ou qu'il a compris de travers. Ca nous fait rire, et vu la façon dont on est obligés de se rapprocher, ou de se pencher l'un vers l'autre, je comprends pourquoi Steeve a choisi cet endroit pour faire les présentations.

Je l’aime bien. Enfin…je veux dire, il est intéressant, et sa compagnie est appréciable. Il a de la conversation, et il est drôle, sans même avoir besoin de se forcer pour l’être. Et ce sourire…ce sourire, bon sang. Miguel se montre vraiment intéressé par mes études, et c’est facile. De lui parler de l’hôpital, des gardes, et vaguement du reste, aussi. Superficiellement, malgré tout, parce que certaines habitudes sont profondément ancrées, et qu’il est difficile d’aller contre elles, difficile de se livrer, ne serait-ce qu’un tout petit peu, quand on a l’habitude de tout verrouiller, à triple tours. C’est pour ça que je suis devenue presque experte quand il s’agit de détourner les conversations, et de la recentrer sur l’autre. C’est comme ça que je découvre qu’il est l’aîné de sa fratrie, mais aussi très proche de Steeve, qu’il fait de la boxe pour le plaisir, qu’il parle espagnol à la perfection, et qu’il est prof de maternelle. Des petits marmots qui courent dans tous les sens à longueur de journée, ça doit être l’angoisse totale. Mais pas pour lui…nan, il a même l’air de kiffer ça, vu son sourire presque béat quand il parle de son travail, et ces espèces d’étincelles ridicules qui font briller ses yeux. Je suis sûre qu’il est la coqueluche de toutes les mamans de l’école. Et ce qu’il y a de bien aussi avec lui, c’est qu’il a pas l’air de s’offusquer que je réponde à ses questions sans m’attarder sur les détails. Ca…ouais, ça, c’est vraiment bien.

Y’a pas à dire, Miguel est…charmant, vraiment. Et pourtant, j’ai malgré moi un léger mouvement de recul quand il lève la main pour repousser l’une de mes mèches de cheveux. Je trouve ça trop…intime, sans vraiment trop savoir pourquoi d’ailleurs. Un peu comme s’il venait subitement d’envahir un espace privé qui lui était pas encore accessible, comme si ce geste là était réservé aux personnes qui en avaient gagné le droit. Une chance, il a pas l’air de s’être rendu compte que j’étais pas totalement à l’aise pendant quelques instants, et j’ai pas besoin de lui expliquer qu’on est pas proches, et que c’est pour ça que mon réflexe a été le repli quand il a envahi mon espace personnel. Pas tout le monde a le droit d’avoir ce genre de geste, c’est tout. Miguel me propose finalement d’aller danser un peu, une proposition que je m’empresse d’accepter, bien évidemment. Gentleman, à moins que ce soit pour mieux mater mon cul, il m’invite à passer devant lui d’un geste de la main, alors qu’il attrape nos verres, me glissant à l’oreille qu’il va au bar.

Il m’accompagne jusqu’au bord de la piste, et me laisse là, alors que je me faufile entre les gens, commençant à danser sans attendre le retour de l’instit. Sauf que la silhouette masculine qui se plante devant moi bien rapidement n’est pas celle que j’attendais, quand bien même je retiens pas un large sourire quand mon regard clair se pose sur le nouveau venu. “-Sammy !” Je passe un bras autour de ses épaules, et dépose mes lèvres sur sa joue, sans trop savoir pourquoi. C’était spontané, juste…comme ça. Comme une façon tout à fait anodine et normale de se saluer entre voisins. Entre amis. Entre voisins-amis qui se sont déjà vus tout nus. Je me recule assez vite sans m'être départie de mon sourire, avant de hausser une épaule à sa remarque, d’un air décontracté, suffisamment proche pour qu’il puisse m’entendre malgré la musique. “-Ouais, j’ai décrété que j’avais droit à une pause. Et je me suis dit qu’au pire, je pouvais compter sur mon voisin d’en face pour m’aider à rattraper mon retard dans mes révisions, si j'en accumule !” Autrement dit…lui. Et il faut dire qu’il est d’un sacré soutien pour passer en revue mes fiches, et autres schémas heuristiques.

Je prends quelques instants pour regarder autour de nous, sans pour autant repérer qui que ce soit de familier, qu’il s’agisse de mon groupe d’amis, ou de l’instituteur. Miguel n’a pas l’air de retour, pas davantage que cette nana qui était engluée à Sam quelques instants plus tôt. Je me demande vaguement où est passée Miss pot de colle. “-Alors…ça avance comment avec la brune qui voulait fusionner avec toi ? Ça a l’air plutôt bien parti pour que tu rentres pas tout seul ce soir…” Je voudrais sourire, mais…je suis quasi sûre que ça ressemble plutôt à une grimace. Je sais pas pourquoi ça me fait ce vilain pincement dans la poitrine, à l’idée qu’il puisse s’envoyer en l’air avec une autre nana ce soir. Ou un autre soir, ouais. Je tente pourtant d’éloigner la sensation en forçant le sourire sur mon visage, et en ayant l’air totalement ravie pour lui. Conneries. Je me penche à nouveau vers lui, pour lui demander : “-T’es venu tout seul ?” Ouais, j’aurai pu tout aussi bien lui demander s’il était juste venu se trouver une nana pour la nuit, mais je préfère y aller par des chemins détournés. Pas le choix. On se l’est dit. C’était la dernière fois. Bon sang, il est passé où, Miguel ? Je pourrais avoir besoin d’une distraction, là, maintenant, tout de suite.

C’est vrai ça, elle est passée où la sangsue qui était si collée à lui encore quelques minutes plus tôt qu’on aurait dit des siamois ? J’ai beau regarder autour de nous, sans savoir si je la cherche elle ou Miguel, je trouve nulle part trace de cette nana. Sam se rapproche pour me répondre, la musique est sacrément forte c’est vrai, et je lève les yeux au ciel quand il explique attirer que les tarées. Sérieux. Et moi alors ? Je suis pas tarée, bordel. Euh…enfin, je suis pas en train de dire qu’il m’attire. Enfin si…mais juste que je suis pas tarée. Je finis par afficher une grimace quand il me raconte que la nénette est en train de l’attendre dans les toilettes du Wonderland, prête à se faire sauter avant de retrouver ses copines pour poursuivre sa soirée. Sacré programme. Bon…“-Ok, peut-être que celle-ci est effectivement toquée.” que je lui accorde dans un sourire, avant de reprendre presque aussitôt, quand il me parle de demande en mariage : “-Ouais…il serait peut-être temps que tu stoppes ta collection de fiancées.” Et peut-être que le ton est pas aussi amusé que j’aurai voulu que ce soit le cas…mais avec un peu de chance, avec la musique, le jeu des lumières, et tout ça, l’intonation de ma voix est peut-être passée inaperçue.

Je finis par lui demander s’il est venu accompagné, Samaël se penchant rapidement une nouvelle fois vers moi pour m’expliquer qu’il est venu en solo, et quand il me parle de Tim, je peux pas m’empêcher de rigoler un coup, alors que ma main se pose sur son bras. Je suis pas certaine que ce soit le copilote idéal pour les plans drague de son cadet, quand il vient dans ce genre d’endroits. Et en même temps… “-Ton frère est beau garçon, tu sais...et plutôt chou, en plus de ça. Et ça fait son petit effet auprès de pas mal de nanas !” Les garçons timides, ça a son charme aussi, c’est indéniable. Et en pensant à ça, je me retrouve une nouvelle fois sur la pointe des pieds, à rechercher l’instituteur porté disparu depuis de longues minutes déjà. Ben merde alors, il s’est paumé ou quoi ?

J’ai pas le temps de me renfrogner que Sam m’interroge sur lui, alors que je fronce les sourcils, esquissant une petite moue : “-Euh…ouais. Il est parti au bar déposer nos verres, et…pouf, il s’est évaporé.” Genre…juste comme ça. Et ouais, possible que ça me frustre un peu. Beaucoup ? Je préfère éviter d’y penser. “-J’imagine qu’on vient de me poser…euh…un lapin, voilà. C’est donc ça que vous ressentez vous, le commun des mortels, quand on vous plante…? C’est…bof. Je suis pas fan de la sensation.” Et je me gratte l’arrière de l’oreille dans une légère grimace, pas franchement à l’aise que ce brave Miguel ai oublié de revenir du bar. “-C’est con, hein…j’avais l’impression que le courant passait bien pourtant.” Ouais…plutôt vraiment bien, même. Mais inutile de s'attarder sur la situation. Miguel aurait eu l’occasion de se pointer cent fois s’il comptait vraiment revenir. C’est comme ça, pas la peine d’en faire tout un bordel. “-Ouais, ça me dit.” que je réponds donc à Sam, parce qu’il est hors de question de rester à ronchonner pour le reste de la soirée, toute seule dans mon coin. Même si je suis plutôt certaine que je resterai pas seule longtemps.

Je l’attrape par la main, et nous entraîne plus loin, quittant la piste pour aller vers les escaliers, direction l’étage au-dessus. En chemin, on tombe sur ma bande d’amis, et je nous fait faire un petit détour pour choper Steeve. “-Ton cousin a disparu. Tu peux…tu peux essayer de voir si tout va bien pour lui ? Je…enfin…tu vois quoi.” Pour le coup, même moi je suis pas sûre de voir. Peut-être que mon égo a du mal à accepter ce coup que j’avais clairement pas vu venir, à savoir qu’il ai fait semblant d’être intéressé pour pas me froisser, et qu'aller déposer nos verres était juste l'occasion parfaite pour se tirer en douce. Alors, pour ménager ma fierté, je cherche d’autres raisons à l’absence de Miguel. Genre…qu’il est devenu subitement malade…ou je sais pas quoi. Qu'il s'est fait enlever par une armée d'extra-terrestres. Parce que ça pourrait expliquer pourquoi il est pas revenu du bar, non ? Non ? Oh, j’ai pas envie d’y réfléchir plus longtemps, et après un coup d'œil entendu à Steeve, je continue de nous faire avancer, Sam et moi. Sauf qu’en poursuivant vers les escaliers, je ressens une drôle de sensation, persistante, et pas franchement agréable. J’ai l’étrange impression de sentir des regards pesants sur nous, et… en relevant le nez, je me rends compte que…ouais, effectivement. Trois paires d’yeux sont vrillées sur nous, et des visages fâchés. Vraiment, vraiment très fâchés. Si fâchés que ça me pousse à m’arrêter net, à faire les gros yeux, alors que je tourne la tête vers Sammy : “-Euh…c’est pas ton mollusque, là-bas, droit devant ? Je crois qu’elle t’attend plus aux chiottes…”

Groumpf. Ouais, voilà la réaction que m’inspire la mention de cette nana qui lui a salement brisé le cœur quelques années plus tôt, et de Salomé, qui a sacrément foutu la merde dans notre amitié. Enfin…ouais, je suis peut-être injuste sur ce coup. C’est moi qui ai sacrément foutu la merde, parce que j’ai pas été foutue de parler quand j’aurai pu simplement aller voir Sam, et mettre des mots sur ce que j’ai pu ressentir, et qui m’a poussé à le fuir. Une chance que lui soit plus courageux que moi, et qu’il soit venu me demander ce qui m’arrivait, alors même que j’étais froide et imbuvable avec lui. Une vraie peste, ouais. Mais, il m’en a pas tenu rigueur, il a cherché à comprendre, au lieu de simplement lâcher l’affaire, et me laisser faire la tronche dans mon coin, comme une gamine. Une chance pour nous deux qu’il ai été plus mâture que moi sur ce coup.

Je plisse les yeux un instant à ses paroles concernant Timmy, fixant Sam sans parvenir à cacher la lueur de malice qui s’invite d’elle-même dans mon regard. “-Je me fais des idées, ou t’es en train de me vendre les charmes de ton frère ? Parce que…ce serait un tantinet bizarre, non ?” Ouais nan, en vrai, ce serait carrément glauque. Même si Timmy est chou, c’est vrai. Et que même si je le connais pas vraiment, je suis quand même persuadée que Sam a raison quand il parle de son aîné. Ça se voit, qu’il y a rien de mauvais chez Timothy, qu’il est que gentillesse et bonté. C’est mignon de voir comment Samaël parle de son frère, de ce lien puissant entre eux, de la force de leur relation. Ça me ramène toujours immanquablement à Diego, évidemment, et il me manque jamais autant que dans ces instants-là. C’est plutôt bizarre comme sensation. Totalement déstabilisant même.

On en vient à parler de Miguel, qui brille soudainement par son absence, lui qui est jamais revenu de son escapade au bar. Et ouais, possible que ça me fasse un peu chier. Et que je comprenne pas. Pas du tout, même. Je pensais que le courant passait bien, et qu’on passait un bon moment, alors sa disparition me pique un peu. Et me chiffonne l’égo aussi, faut bien l’avouer. Un magicien ? Même son trait d’humour tombe à plat, m’arrachant pas le moindre sourire. Par contre, je tarde pas à relever les sourcils quand Sam continue sur sa lancée, me taquinant comme lui seul sait le faire. Alors, forcément…j’entre grave dans le jeu : “-Sam, voyons…tu m’as bien vu, non ? Tu m’as même vue de très très près. Non, je ne me prends pas de vent. Jamais.” Ou du moins, c’est ainsi que je présente les choses au barman, lui adressant un grand sourire malin. “Mais…oui. Je comprends bien pourquoi toi tu t’en prends, des vents.” que je lui balance, pointant son visage de mon index, sans pouvoir ravaler mon sourire. “-Un Apollon…tsss.” En vrai…il se défend sacrément bien, et son caractère, sa gentillesse sont la cerise sur le gâteau. Mais ça…je vais éviter de lui dire.

Il me propose de me tenir compagnie le temps que Miguel, ou un autre type, finisse par se pointer, et on s’éloigne pour rejoindre l’étage supérieur. On s’arrête en cours de route pour que je puisse échanger quelques mots avec mes amis, puis on repart de plus belle, sa main toujours dans la mienne. Sauf qu’en cours de route, j’ai cette étrange sensation, persistante, qu’on est en train de nous observer, et je remarque trois nanas à l’air constipé, qui nous fixent comme si elles essayaient de nous fusiller de leur regard noir. Elles s’avancent vers nous, et si les trois quart de l’échange entre Sam et elles m’échappe, impossible de passer à côté des verres que Miss Mollusque et ses potes finissent par lui lancer au visage. “-Garces !” Je m’élance à la suite du trio de pimbêches, prête à régler mes comptes, enfin, ceux de Sam, mais je suis retenue en arrière, par sa main dans la mienne, qui se serre un peu plus pour m’empêcher de m’échapper. Je lui fais les gros yeux, lui demandant silencieuse ce qui lui prend en levant nos mains jointes pour qu’il me lâche, et que je puisse aller en découdre. Il sait très bien que ça me fait pas peur de jouer des poings.

Sauf que…Sammy a manifestement aucune envie de ça pour moi ce soir, et à sa remarque, je ferme brièvement les yeux, capitulant. Sa tentative pour dédramatiser la situation me fait secouer un peu la tête, mais j’ajoute rien. Je me rapproche de lui, soufflant un bref coup par le nez pour tenter de dissiper ma colère, lâchant en même temps. “-Tu perds rien. Elle par contre…elle sait pas à côté de quoi elle passe.” Et ma voix est pas aussi chaleureuse que je le voudrais. Je le regarde en penchant un peu la tête, et il ferait presque peine à voir, avec ses cheveux et le haut de sa chemise mouillée. “-Un sex on the beach, hein ? Attends, laisse moi en juger.” Et aussitôt, je m’avance, et lui léchouille la joue, avant de me reculer, comme si c’était la chose la plus normale du monde. “-Ah ouais…il est pas terrible, ceci dit. Même si tu le rends indéniablement meilleur.” J’arrive à esquisser un semblant de sourire, même si ça me fait royalement chier pour lui quand même. Rien de pire que les égos fragiles. Je regarde autour de nous, à la recherche des trois morues, ou peut-être de Miguel, mais partout où je pose le regard, je vois des gens en train de s’amuser, de rire, de picoler, et c’est tout à coup…trop. Ça matche plus avec mon état d’esprit sensiblement renfrogné. “-Et si on rentrait ? Je…j’ai plus trop envie de rester ici.”

Ouais…bien sûr que je l’ai vu. Bien bien vu, même. A plusieurs reprises. Et sans m’en lasser. Mais ce serait carrément contre productif de l’admettre devant Sammy, pas alors que je suis en train de le taquiner sur le fait qu’il soit pas un Apollon malgré ce qu’il en dit. Ce serait trop simple d’aller dans son sens, ça lui ferait trop grandement plaisir. Quoiqu’il en soit, on finit par traverser la marée de gens amassés là, à danser, à rire, à se frotter, à s’embrasser à pleine bouche. Main dans la main, on avance vers notre objectif, jusqu’à ce que des paires d’yeux incendiaires se vrillent sur nous, et nous lâchent plus, déversant leur colère sans retenue. Si un regard pouvait tuer, on serait déjà en train d’agoniser. Il me faut pas longtemps pour piger qu’il s’agit de la nana que le barman a éconduit un peu plus tôt, et qui vit manifestement assez mal le fait que le blond ai pas été aussi intéressé qu’elle.

La confrontation est rapide, et se résout en un éclair par le genre de trucs que j’avais vu que dans les films jusque-là : les trois nénettes jettent leurs verres d’alcool au visage de Samaël, avant de partir comme des furies, une fierté totalement mal placée suintant par tous les pores de leurs sales tronches. Si ça avait tenu qu’à moi, j'aurais rattrapé les trois pestes, et je leur aurai expliqué ma façon de voir les choses, sans aucune douceur. Sauf que la main de Sam dans la mienne m’empêche d’avancer, et…c’est peut-être pas plus mal, ouais. Il parait que je suis une petite furie quand je m’y mets. Un sex on the beach, hein ? Je préfère vérifier par moi-même ce qu’il en est, et un coup de langue sur sa joue plus tard, je confirme le verdict. Un Sex on the beach. Et un pas très bon en plus de ça. Je souris à sa remarque sur le fait que les siens sont meilleurs, me souvenant de ces soirées où il a tenu à me faire quelques cocktails pour élargir mes connaissances en matière d’alcool, et…il s’en est plutôt bien tiré. “-Si c’est une proposition, je suis carrément partante.” que je lance donc, de toutes façons toujours d’accord pour picoler.

Quoi qu’il en soit, entre la disparition mystérieuse de Miguel, et le coup des trois nazes, j’ai plus spécialement envie de rester là. Oh…peut-être qu’avec un peu de temps, d’entrain, et de danse, l’envie de faire la fête pourrait repartir, mais…Sam est couvert d’alcool, de jus de fruits, et de je sais pas quoi d’autre, et je doute qu’il ai envie de rester comme ça. Le cuisinier est d’accord avec l’idée dès qu’elle est lancée, et je hausse les épaules à sa question, que j’avais pas forcément anticipée. Chez moi, chez lui…pas grande différence, je sais qu’on passera une bonne soirée, d’une manière ou d’une autre : “-Comme tu veux. On a qu’à dire chez toi, j’ai pas vu tes chats depuis une éternité.” Depuis quelques jours quoi.

On traverse une nouvelle fois la grande salle en sens inverse, sans s’être lâchés une seule fois, alors que je récupère mon téléphone pour écrire un sms à mes amis, leur expliquant qu’ils doivent pas s’inquiéter de ma disparition soudaine, qui s’explique par rien d’autre que le fait que je sois rentrée. Je relève le nez de mon écran tout juste au moment où on foule le bitume en dehors de la boîte de nuit, l’air frais soulevant légèrement mes cheveux. C’est en galérant à ranger mon téléphone dans mon sac que je prends conscience de sa main, toujours dans la mienne. Ah…ouais. Je sais qu’il a continué à la tenir pour m’éviter de sauter à la gorge des trois tarées, et pour éviter qu’on s’éloigne l’un de l’autre dans la boîte, mais là… “-Euh…on a…on a covoituré.” que je réponds, fixant toujours nos mains, avant de les lever un peu, à hauteur d'yeux : “-Je crois qu’on risque plus de se perdre ici…” J’ai un léger sourire, alors que je finis par relâcher doucement sa main, me frottant l’arrière de la nuque dans la foulée. C’était pas désagréable, vraiment pas.

Je profite que Sam soit en train d’appeler notre carrosse pour me sortir une clope, lui en allumant une dans la foulée que je lui tends aussitôt : “-Si ça répond pas, on peut toujours rentrer à pied. Je sais pas trop à combien de kilomètres on est de chez nous…” que je lance, regardant en direction du chemin qu’on a emprunté tous les deux en arrivant, comme si ça pouvait me donner une indication sur la distance à parcourir. J’ai un léger frisson qui court le long de mes bras, mais j’ai pas froid, et mes chaussures me permettent totalement de pouvoir marcher. Au pire…je finirais pieds nus. Ce serait pas la première fois. Occupée à tirer sur la clope, j’en profite pour zieuter Sam, m’humectant les lèvres une seconde avant de souffler doucement. “-Pas trop déçu ? Par la tournure qu’à pris ta soirée, je veux dire…” que je demande en scrutant son visage, avant de laisser échapper un bref sourire en coin, haussant les sourcils plusieurs fois à la suite : “-T’es venu tout seul, alors…enfin…on sait tous les deux ce que ça veut dire.” Et j’ajoute ça de façon totalement détachée. Enfin…j’essaye, en tout cas.

Tout en laissant la fumée s’échapper d’entre mes lèvres, je fixe Sam, téléphone à la main, en train d’essayer d’entrer en contact avec un taxi. Il a l’air malin, avec sa chemise mouillée qui doit lui coller à la peau, et le sucre qui doit pas rendre ça vraiment très agréable. Je l’entends échanger quelques mots avec celui qui doit être le chauffeur, et quand il raccroche, mon regard retourne à la conquête de son visage. Je lève les sourcils à son petit monologue, ne pouvant retenir un sourire en coin, alors que je hoche doucement la tête : “-Ces chaussures sont très confortables, Samaël Montgomery. Je peux marcher avec…je suis même sûre que je pourrais te battre à la course avec ça aux pieds.” Même si en vrai, ce serait pas forcément l’idée du siècle que d’essayer. Je me rapproche de lui, souriant encore un peu plus. “-C’est quand même bien dommage pour toi, Monsieur le Gentleman, parce que tu passes à côté de ce qui aurait été un très bon massage. Je tiens toujours ma parole. Et…je note quand même mon incroyable capacité à te retourner le cerveau, sans même rien faire. Trop balèze !” Et je lui adresse un sourire malin, avant de sentir mon téléphone vibrer dans ma main, ce qui me pousse à détourner le regard quelques instants. Les réactions à mon départ sont variées sur notre groupe de conversation, entre ceux qui sont déçus que je parte si tôt, et ceux qui me souhaitent ouvertement, avec le lot de smiley qui vont bien, de passer une très bonne fin de soirée avec celui avec qui ils m’ont vu partir. Je prends le parti de pas répondre, malgré le léger sourire que provoquent certains de ces messages.

J’aurai sans doute pu avoir mauvaise conscience de partir en laissant mon groupe derrière, mais en voyant Sam, sa chemise collante sur le dos, je sais que rentrer était la meilleure décision, même si c’était clairement pas ce qu’on avait imaginé tous les deux pour cette soirée. Je suis pas née de la dernière pluie, pas vraiment, du coup j’ai plutôt une bonne idée de ce qu’il avait imaginé de son côté. La clope aux lèvres, je le regarde réfléchir à ma question, à savoir s’il est pas trop déçu de rentrer avec sa voisine, et pas une nana canon qui lui aurait tapé dans l'œil. Enfin, il est quand même venu tout seul, et si ça c’est pas exactement ce que font les personnes qui n’ont pas envie de passer la nuit en tête à tête avec elles-mêmes, alors je m’y connais pas. Sauf que Sammy a tiré le mauvais lot, en l’occurrence un trio de nanas pas très bien lunées qui ont écourté un peu sa soirée. Sauf…que ça a pas l’air de le perturber plus que ça, ce brave cuistot. Sa réponse me fait sourire un peu, et possible qu’elle flatte aussi une part de mon égo. Je sais pas s’il le pense, ou s’il dit ça juste pour me faire plaisir, mais je m’en fous. “-Hé bah…au moins t’es sûr qu’avec moi, tu te prendras aucun cocktail au visage. L’alcool, c’est sacré, et j’aime pas le gâchis !” que je lui balance, sans me départir de mon sourire. Sérieusement…le coup du verre au visage…je pensais que ça existait que dans les séries, ça !

Je tourne une nouvelle fois le visage vers lui quand il poursuit, et je peux pas m’empêcher de froncer les sourcils quand il évoque cette partie de jambes en l’air dans les toilettes du Wonderland, à côté de laquelle il vient de passer. Par réflexe, mon regard se porte sur l’entrée de la boîte de nuit, comme si je m’attendais à y voir surgir la nana furie, à tout instant. Sauf que bien sûr, c’est pas le cas, et je me retrouve à hausser les sourcils, en secouant la tête : “-Hé bah…soit c’était un sacré coup de foudre de son côté, soit la mademoiselle était vraiment très…euh…demandeuse. Les toilettes du Wonderland…j’imagine même pas tout ce que t’aurais pu choper si t’avais cédé à l’appel de cette nana.” Ouais…nan, je préfère pas imaginer. Je tire sur la clope, avant d’ajouter, sur le même ton : “-Merci d’avoir fait de mon pauvre petit cœur martyrisé ta priorité.” Et je ricane un peu, pour la forme. Petit cœur martyrisé, tu parles. C’est surtout ma fierté qui en a pris un coup.

Mon regard accroche la silhouette d’un type en train de s’éloigner, et…je jurerai qu’il s’agit de Miguel. Il est de dos, et il fait sombre, mais franchement…j’aurai presque pu y mettre ma main à couper. Je plisse les yeux, forçant mon regard comme si ça pouvait m’aider à faire le point sur le bonhomme, avant que mon attention soit accaparée par Sam, qui dépose sa veste sur mes épaules, pour pas que j’attrape froid. Ca fait doucement étirer mes lèvres dans un sourire, un truc à peine remarquable, et tandis que je retire mes cheveux de sous le vêtement, je me dis que Miguel peut aller au diable. Hors de question de courir après un type qui veut clairement pas passer de temps avec moi, pas alors que je peux être avec un ami, qui s’inquiète que je choppe pas la crève. “-T’en fais pas. Il faudrait que je sois à l’article de la mort pour pas m’occuper de toi si t’as besoin de quelque chose.” Je crois pas avoir beaucoup de qualités, ni même être quelqu’un de foncièrement bon, mais je sais que je suis une nana loyale, et très investie pour ses amis. Et, Sam et moi on est amis. Des amis qui se sont vus tous nus à de nombreuses reprises, certes…mais des amis quand même.

Je le remercie quand il me laisse passer la première dans le taxi, je me glisse donc sur la banquette arrière, et tandis que Sam prend place à son tour, je donne notre adresse au chauffeur, qui démarre sitôt la portière refermée. Je suis vite attirée par ce qui se passe à l’extérieur de la voiture, et je laisse mon regard observer ce qui défile par les fenêtres, les quelques badauds, les rues dont l’agitation se dissipe au fur et à mesure de notre éloignement du Wonderland, à tel point qu’il n’y a bientôt plus rien à regarder. On est encore à quelques minutes de chez nous, il me semble, et je finis par tourner la tête vers le barman, retenant pas un léger sourire quand je pose le regard sur sa chemise. Je peux deviner son torse à travers le tissu collé contre sa peau, et je tends la main pour en attraper l’encolure, l’écartant légèrement : “-T’as vraiment pas tiré le bon lot, hein…” Franchement…quand je les voyais danser collés-serrés, j'aurais pas prédit une fin comme celle-ci. Enfin… “-Et en même temps…t’as quand même été un peu chanceux…tu gagnes au change, vu que finalement c’est avec moi que tu vas passer ta soirée ! On devrait boire à la santé de Miguel et de sa mystérieuse disparition.” Je finis par lâcher la chemise pour éviter toute tentation, croisant le regard curieux du chauffeur dans le rétroviseur.

Le trajet dure quelques instants de plus, et le taxi finit par se garer devant chez nous, alors que je tends quelques billets au chauffeur, le remerciant pour la course. L’immeuble est silencieux quand on y rentre, et quand on passe devant l’étage de Gaby, je peux pas retenir un petit sourire, et un signe de menton en direction de la porte d’appart de la vieille dame : “-Tu veux pas aller dire bonsoir à ton grand Amour ?” Et je lui donne un petit coup d’épaule taquin au passage, me marrant à l’évocation d’une conversation qui date de ce qui semble être le siècle dernier. Quelques pas de plus nous amènent à notre étage, et on entend déjà miauler de l’autre côté de la porte de Sam. M’sieur Pantoufles, lui, a pas vraiment l’air de s’émouvoir de mon retour. Ingrat de chat ! “-Tu vois ! Ca faisait trop longtemps que j’étais pas venue, je leur manquais !” que je dis au moment même où la porte s’ouvre, et qu’une boule de poils rouquine se rue contre mes jambes pour s’y frotter. J’attrape Raf avec délicatesse, et on passe le seuil de la porte, lui dans mes bras, à profiter de papouilles que je lui donne bien volontiers.

Lui rappeler tous les jours cette soirée qui a tourné au fiasco, pour lui, comme pour moi ? Nope, c’est pas vraiment dans mes intentions. Je crois qu’on devrait laisser Miguel et les trois furies où ils sont, et…faire en sorte de se créer un meilleur souvenir de cette soirée. Sauf que j’ai pas l’occasion de proposer cette alternative que Sam enchaîne sur cette histoire de toilettes, alors que je fronce un peu le nez. “-Hé bah…si tu veux, on fait demi-tour, et on va lui demander si un truc la faisait flipper dans le fait de te voir nu ailleurs que dans des WC dégueu ? Un mot de ta part, et je demande au taxi de retourner au Wonderland.” Possible que je retienne pas un sourire en coin, amusée par les réactions du jeune cuistot. D’ailleurs, je rigole un peu quand il ajoute qu’il a pas été seul dès son arrivée dans la boîte, et qu’il a soudainement froid dans le dos. “-OUH…ouais, ça ressemble bien à un coup de foudre, ça ! L’envie irrésistible de te sauter dessus, peu importe l’endroit, de toujours rester avec toi, de te coller de…partout. Hum hum…je suis sûre que ses rétines avaient la forme d’un cœur quand elle te regardait.” Ouais…bon…possible que ça me fasse marrer un peu qu’il se soit cru surveillé par une bande de nanas un peu siphonnées.

Quoiqu’il en soit, on arrive devant notre immeuble, dans lequel on rentre silencieusement, nos voisines dormant peut-être à cette heure-ci, alors qu’on traîne un peu plus la patte à l’étage de Gaby. Je rigole un peu à sa réponse, alors que mon coude file tout droit vers ses côtes, sans chercher à lui faire mal, bien sûr. “-Un bisou, hein…la chanceuse !” J’espère que Gaby a pas les oreilles qui sifflent, vu le nombre de fois où on parle d’elle. Mais jamais en mauvais terme, on a tous les deux de l’affection pour la vieille dame. Enfin, pas de même nature, puisque de son côté Sam est en pleine love story. La porte de son appartement tout juste ouverte, deux boules de poils apparaissent, alors que j’attrape celle qui se frotte contre mes jambes pour la câliner dans mes bras, entrant quand le cuistot me le propose.

Fidèle à ce qui a été évoqué un peu plus tôt, Samael commence à me faire visiter son appartement…qui semble être tout à fait identique à mon dernier passage. Je peux pas retenir un sourire face à sa taquinerie, reposant doucement le chat sur le sol. « -Doué, ton décorateur ! Du bon boulot.” Tu parles. Rien a changé, ou presque. Je pince un peu les lèvres, laissant l’esquisse d’un sourire apparaître sur mes traits, alors que mon regard glisse vers les escaliers. Tiens…je me demande si la déco a changé, là-haut aussi. Quelques temps plus tôt, je lui aurai sans doute demandé une visite guidée de l’étage également…mais pas aujourd’hui. Aujourd’hui, je reste sage, on ne peut plus sage, et reporte un regard parfaitement innocent sur le barman, manifestement tout fier de sa petite visite improvisée. “-Et…tu devrais éviter de l’invoquer…Bambi, je veux dire. Ce soir je suis juste Solveig.” Enfin…je suis juste Solveig depuis un bon moment je crois bien, surtout avec lui, même si Bambi persiste à faire quelques percées de temps en temps.

Je prends le temps de retirer la veste sur mes épaules, la déposant sur le dos d’une chaise, quand Samaël reprend la parole, me faisant hausser les sourcils. «- Une douche ? » que je répète bêtement, en fronçant les sourcils, avant que la lumière s’allume dans ma tête et y chasse les images qui commençaient déjà à y prendre place. «- Ah…ouais, les cocktails…tout ça. Logique. » Plus que logique même. Il est couvert de sucre, ça doit coller, et il doit juste avoir envie de retirer sa chemise. Je me racle la gorge, regardant autour de moi, ajoutant tout à fait inutilement. «- Moi je…vais rester ici. Habillée. Avec les chats. Et faire…euh…des trucs. » Mais sérieusement ? Je suis à deux doigts de me frapper le front toute seule, saoulée par ma connerie. Bien sûr qu’il va prendre une douche, puisque trois hystéros lui ont balancé leurs verres au visage. Et bien sûr que je vais rester ici, à attendre bien gentiment qu’il ai fini. Je me détourne quand il commence à monter les escaliers, me dirigeant vers l’un des chats pour me donner une contenance que j’ai pas forcément, à cet instant.

Heureusement, la bestiole est réceptive à mes papouilles, et souriant au félin qui se frotte contre ma main, j’en oublie mes propres bêtises. J’oublie que Sam est en haut, sans fringue, sous la douche, et que de l'eau ruisselle sur son corps. Enfin…en tout cas, j’essaye de chasser les pensées que ça m’inspire, et cette idée, stupide, de le rejoindre. «- Faut pas penser à ça…hein Minou ? » J’ai droit à un nouveau coup de tête contre ma main en réponse, alors que je fronce un peu les sourcils, un peu surprise par mes propres pensées. Fut un temps, j’aurai sans doute lâché une proposition plus que douteuse en réponse aux paroles du blond, lui demandant s’il avait besoin que je lui frotte le dos, ou que je lui tienne compagnie. Je suis même prête à parier que j’ai déjà dû lui faire des propositions aussi indécentes par le passé. Mais ce soir…ce soir, j’ai gardé ma langue dans ma poche. A croire que j’ai réellement fait du chemin, ou que quelque chose a changé, sans que je sache pourtant très bien de quoi il s’agit.

A cette pensée, je soupire lourdement, et me dirige droit vers la télé, laissant de la musique envahir le salon. Je vais ensuite dans la cuisine, et prends quelques instants pour me laver les mains, essayant de forcer mon esprit à se focaliser sur autre chose que le bruit de l’eau qui coule, à l’étage, et les idées que ça m'évoque. Une chance, mon estomac choisit cet instant pour se mettre à protester, et puisque j’ai le droit de faire comme chez moi -grossière erreur de débutant- je me dirige droit vers le frigo, sans y découvrir rien de bien intéressant, mis à part un reste de pizza froide. Y’a deux beaux cupcakes aussi, mais je suis pas certaine d’avoir le droit d’y toucher, alors après les avoir regardé intensément, et imaginé le goût qu’ils peuvent bien avoir, je referme le frigo dans une moue déçue. A force de venir, je connais les placards comme les miens, un peu comme Sam sait où trouver mes verres ou mon alcool, et je mets la main sur un paquet de chips, dont je verse une très généreuse portion dans un saladier, avant de grimper sur le plan de travail, une jambe repliée.

J’y suis vite rejoint par deux chats curieux, qui viennent mettre leurs truffes d’un peu trop près dans mon saladier, et comme souvent, je résiste pas à l’envie de prendre Raf dans mes bras. Une chance qu’il soit aussi réceptif, parce que je pourrais sacrément me vexer sinon. “-Tu veux danser Minou ?” Non…bien sûr que non, qu’il veut pas danser. C’est un chat. Et pourtant, après avoir piqué une nouvelle chips, je me retrouve sur mes pieds, Rafael contre moi, alors que je bouge un peu, rien qui puisse donner mal au cœur à la bestiole, au son de la musique. M’sieur Pantoufles doit être ravi que je fasse subir mes bêtises à un autre chat ce soir. Je pouffe un peu du ridicule de la situation, gardant en tête l'idée que ça pourrait me changer les idées. “-T’as le rythme dans la peau Minou !” Le plus con ? C’est que ça marche. Ça marche vraiment. Au point que j’entends pas l’eau qui se coupe, les légers bruits qui viennent de l’étage, ou les pas dans les escaliers quand Samaël redescend.

Occupée à observer les réactions du chat-danseur pour éviter de me faire niaquer quand il en aura marre de mes pitreries, j’entends pas Sam qui redescend après sa douche. Sa remarque m’arrache un petit sourire amusé, alors que mon regard se lève vers le cuistot, les cheveux humides. “-J’ai un bon partenaire, ça fait tout !” que je réplique presque aussitôt, avant d’arborer une fausse moue, mi-indignée, mi-incrédule, sans pouvoir empêcher le sourire qui parvient à trouver un chemin jusqu’à mes lèvres : “-Je suis tout bonnement…scandalisée. Personne n’oublie jamais que j’ai été danseuse.” Que je suis danseuse ? Pas celle que j’aurai voulu devenir, clairement, mais je peux pas nier que la danse fait partie intégrante de celle que je suis. Je suis même certaine d’avoir développé un nouveau brin d’ADN à cause de cette passion. Enfin, c’est pas trop le moment d’avoir ce genre de débat. J’apprécie à sa juste valeur la scène qui se déroule sous mes yeux, celle de Sam et son chat, en plein instant de câlins et de complicité. C’est beau de voir ce lien qui les unit, tous les deux. Raph choisit cet instant pour manifester son impatience, et après une gratouille légère au sommet de son crâne, je laisse filer la boule de poils : “-Merci pour la danse Minou…si ton Humain se décide pas à me proposer de danser avec lui avant la fin de la soirée, on se fera un nouveau tête à tête…” que j’ajoute, dans la plus parfaite indifférence du chat, qui se fout pas mal de savoir si Samaël et moi allons ou non danser ensemble.

Je retiens pas un léger froncement de nez quand il me parle de proposer ce type de danses à mes sœurs pour leurs shows, même si je sais bien qu’il est pas du tout sérieux sur le sujet. “-Bien sûr ouais…c’est pour ça que les clients viennent au Naughty, pour voir des nanas ultra canon danser avec des matous…mon petit Samaël, quand un client dit qu’il aime les chattes, c’est pas vraiment à ce genre de félin qu’il fait référence.” que je dis avec une lueur espiègle, parce qu’imaginer cette scène est tout simplement absurde. J’ose même pas penser à la tête que tireraient certaines Blackened, si je proposais ça. Je relève le menton quand Sam, manifestement d’humeur taquine et provocatrice, invoque une nouvelle fois celle sous laquelle je me suis présentée, cette Bambi infernale qui m’a longtemps servi de bouclier. Sauf que…vu le genre de phrases qu’il laisse échapper, j’ai beau essayer de juguler la bête sauvage, elle a tendance à revenir à la charge à n’importe quel instant. Ce qui fait que quand il me propose de me refaire le même cocktail que la dernière fois, je fais mine de pas comprendre la référence, alors même que le contexte est plutôt limpide : “-Hé bah…j’imagine que ça dépend de quelle dernière fois t’es en train de parler…m’enfin…vu que toutes les dernières fois m’ont plutôt pas mal plu, j’aurai tendance à te répondre que oui.” que je lui réponds avec l’ombre d’un sourire, ajoutant presque aussitôt : “-Disons que t’as carte blanche pour me faire ce que tu veux. Enfin…le cocktail que tu veux, bien sûr.” Parce qu’il s’agit juste de ça, de savoir ce qu’il est censé nous faire à boire…non ? Oh et puis c’est de sa faute, hein ! Je lui avais bien dit de pas invoquer le démon qui sommeille en moi !

Avec une mine innocente parfaitement étudiée, je l’observe sortir tout son attirail de barman du placard sur lequel j’ai eu la bonne idée de poser mon cul, pinçant les lèvres une seconde. Je saurai pas vraiment expliquer pourquoi, ou en tout cas c’est ce que j’aime prétendre, mais j’ai pas envie que Bambi s’invite dans notre soirée. Ca fait déjà un moment que c’est plus le cas. J’ai pas besoin d’elle, ici…enfin, avec Sam quoi. J’ai découvert que je pouvais être juste moi, et que c’était suffisant, sans que je comprenne vraiment pourquoi. “-Le pas trop sucré mais qui a vraiment le goût d’alcool, ce sera parfait. Fort, mais qui respecte ma glycémie.” Voilà, ça c’est la réponse politiquement correcte, celle que j’aurai dû avoir dès le début. Je finis par descendre de mon perchoir et retrouver la terre ferme, alors que je sors les bouteilles d’alcool, celles dont je crois me souvenir qu’il aura besoin pour les poser sur la table. J’attrape une chips, lui en tend une dans la foulée puisqu’il a les mains prises par tout son bordel, et finis par sortir des placards les verres dont on aura besoin, prenant sans doute un peu trop au pied de la lettre sa proposition de faire comme chez moi.  “-C’est moi qui mélange aujourd’hui ! Enfin, faudra peut-être que tu me remontres où mettre mes mains sur le truc qu’on secoue, là. Ce serait dommage qu’il s’ouvre, suffisamment d’alcool a été gâché ce soir !” Une hérésie. Je vole une autre chips, avant de me tourner instinctivement vers la source de musique, laissant une mimique appréciatrice se poser sur mes lèvres quand les premières notes d'une chanson que j'affectionne tout particulièrement se font entendre. Je laisse mes épaules commencer à bouger doucement en rythme, avant de demander : "-Tu voudras faire un truc particulier ? Il doit rester un ou deux films sur ma clé qu'on a pas encore regardé..."

Je peux pas retenir un sourire qui se transforme en rire léger qui se mêle à celui de Sammy quand il se met à imiter un bon gros matou, toutes griffes dehors. “-Des tigresses…c’est tout à fait ça ! On voit les connaisseurs !” que j’ajoute dans un sourire malin, avant de le voir s’accroupir pour farfouiller dans le placard juste en dessous de ce bout de plan de travail sur lequel je me suis installée. Je retiens pas une grimace qui se mue en sourire amusé quand je le vois évoquer le démon qui sommeille en moi, et qui demande pas mieux qu’une brève incantation pour ressortir et faire des siennes. Je me marre un peu face à cette tronche qu’il tire à mes paroles en se redressant, un sourire aux coins des lèvres quand je l’entends s’adresser à Bambi, prétendre qu’elle lui manquerait. Sauvageonne, ouais, c’est le mot exact. C’est bien pour ça que je doute qu’elle puisse manquer à qui que ce soit.

Je m’amuse pourtant de sa remarque, et plisse un peu le regard tout en répondant : “-Tiens donc…maintenant, elles te manquent, mes petites tenues ? C’est drôle, j’avais pourtant l’impression que tu disais tout le contraire fut un temps.” Même si j’ai l’impression que c’était y’a une éternité, avant qu’on cède à cet espèce de truc. A plusieurs reprises. “-Enfin…tu sais…si vraiment le manque devenait trop insupportable, que ça t’empêche de dormir, et que ça devient une torture, je pourrais éventuellement recommencer. Mais juste une fois, tu sais…pour t’aider à aller de l’avant, et tout ça.” La meilleure voisine du monde, clairement. Et si j’arborais un air passablement sérieux en proposant ça, je finis par sourire en coin, pour lui montrer que c’est pas forcément le genre de proposition à prendre au sérieux.

Il a pas l’air franchement réfractaire au fait que je prépare nos cocktails ce soir sous son œil de pro, même si j’admets que je crains un peu le passage où il faudra mélanger tout ça. Je suis pas manchote, ni même particulièrement maladroite, mais l’idée de repeindre sa cuisine me tente moyennement. Et pourtant…ça a l’air si facile quand il le fait, même quand il ajoute ces gestes qui doivent lui valoir quelques exclamations admiratives quand il les exécute derrière son comptoir. “-Frimeur.” que je balance pour le taquiner, tout en lui donnant un petit coup d’épaule censé lui faire perdre le fil de ses acrobaties avec le shaker. Sans succès, puisqu’il reste maître de la situation jusqu’au bout. Je crois que je vais, de mon côté, me contenter d’un truc beaucoup plus classique. Genre, tenir fermement le machin entre mes deux mains, et secouer de haut en bas en espérant que ça va pas s’ouvrir. C’est la première fois que je tente l’expérience, et même s’il dit que ça a rien de compliqué, mon côté perfectionniste fait que j’ai envie que ce soit réussi dès le premier coup d’essai.

Je l’observe préparer les instruments sans doute suivant des habitudes désormais bien ancrées, lui proposant de regarder un film, un truc qu’on a pas fait depuis un petit moment. A sa réponse, je plisse les yeux, le regardant avec une moue faussement suspicieuse, et pas du tout convaincue : “-Samaël, Samaël, Samaël…vraiment ? C’est tout ce que t’as trouvé comme excuse pour pas regarder un film avec moi ? Dis plutôt qu’Ofelia ne rentre pas ce soir, et que tu flippes de dormir tout seul après avoir vu un film d’horreur. Si y’a que ça, je peux rester pour te border, tu sais…” Je sais qu’il déteste pas ce genre de films, parce qu’on a poncé le contenu de ma clé USB ensemble, et que y’a vraiment rien de joli, mignon et poétique parmi ces films. Je profite que Leo se frotte à mes jambes pour lui adresser une brève caresse, avant de rajouter : “-Mais je note donc…que dans ton esprit, la première chose que je ferai si j’étais ivre, et toi endormi, serait de te dessiner des pénis sur le visage.” Alors qu’au fond, ce serait sans doute la dernière idée qui me viendrait en tête…et je préfère éviter de penser à celle qui pourrait être la numéro 1.

Quoiqu’il en soit, on finit par se mettre aux fourneaux…ou peu importe ce truc qu’on dit quand on fait des cocktails. Je me penche un peu, pour louper aucun des gestes que fait Samaël, hochant la tête de temps en temps, tâchant de retenir tout ce qu’il peut dire, et notamment tous les dosages. Je m’étais jamais rendue compte que c’était si délicat, l’art des cocktails, toute cette minutie qu’il faut avoir pour que ce soit réussi. Et après ses bons conseils, et instructions, c’est à mon tour de m’y mettre. J’écoute attentivement ses consignes, et essaye de les exécuter aussi bien que possible, prêtant une réelle attention à ce que je fais. “-Attention les yeux !” Et les deux mains bien scellées sur le shaker pour éviter tout accident malencontreux, j’agite le machin, avant de tenter d’imiter, volontairement très mal, sa démonstration précédente. De mon côté, j’ai juste l’impression de ressembler à quelqu’un qui se ferait tourner autour d’un peu trop près par une guêpe, et de pas aimer trop ça. Mais je m’en fous, ça me fait marrer.

Le liquide finit par passer dans un truc tout fin, puis dans les verres. J’arrose copieusement Sammy d’eau quand je me retrouve à faire la vaisselle…et on recommence une nouvelle fois, pour son cocktail à lui. Le cuistot intervient dès que je m’y prend de travers pour corriger ce que je fais, mais je suis loin de m’en offusquer, le but c’est qu’il puisse quand même boire ce que je suis en train de lui faire. Et après quelques minutes, nos cocktails sont là, prêts à être bus. Le blond veut tester nos mélanges, et je le quitte pas du regard alors qu’il trempe ses lèvres dans le breuvage, puis vient ensuite mon tour de goûter. “-Hum…les conditions du test ne sont pas exactement similaires à celles du Wonderland, m’enfin…allons-y.” Je retiens pas une moue un peu déçue face à cette constatation, haussant une épaule, attrapant malgré tout le verre que me tend Sam.

Je bois une gorgée, bientôt suivie d’une seconde, avant de hocher doucement la tête. “-Pas mal, oui…mais à des années lumière de ceux que toi tu fais. Même s’il faut reconnaître que je me suis bien débrouillée…et je te vois venir, avec tes “ça, c’est grâce au talent du professeur !”” Ou sans doute que je confonds, parce que c’est le genre de trucs que je dirai moi, sans l’ombre d’un doute. Je rends à Sammy le sien, avant d’attraper une nouvelle chips, et de me hisser sur la table, buvant une nouvelle gorgée. “-C’est cool…si jamais je me fais jeter du programme d’internat, je crois que je tiens ma reconversion ! Je ferai une barmaid du tonnerre. Je m’y vois déjà…imagine ça, je me ferai embaucher dans le même bar que toi, et je pourrais employer toutes mes journées à te rendre dingue.” Je laisse mon regard se perdre dans le vide comme si la scène se déroulait vraiment devant mes yeux, surjouant un peu la scène, comme si j’étais vraiment tentée par cette idée. Enfin oui, pour le coup, le rendre dingue me tente vraiment. Qui aime bien châtie bien, à ce qu’il parait. “-Merci, du coup…de m’avoir montré qu’un autre avenir est possible pour moi.” que je dis d’un ton ultra solennel qui me ressemble absolument pas, et qui fait que je réussis pas à rester sérieuse quand je le dis. Même si je suis sincère, et que j’apprécie qu’il m’ai montré ça, ce petit bout de son métier. “-Quand tu veux je te montre comment on fait des sutures. Super activité, tu verras !” que j’ajoute en piquant une autre chips, absolument pas sérieuse, comme un échange de presque bons procédés.