[TERMINE] White noise

Clic. Clac. Malgré toutes tes tentatives, les pressions de ton doigt sur la gâchette ne servent à rien. Un bruit sourd parcourt l’arme, et aucune balle n’en sort. C’est bien ta veine, putain. T’avais pas vraiment prévu d’aller faire réparer ton arme mais.. Ça t'angoisse presque, de savoir qu’elle ne fonctionne pas. Tu n’as jamais eu la moindre intention de t’en servir, mais bordel qu’est-ce que tu détesterais te sentir impuissante face à une quelconque menace si tu dégainais une arme qui se révélait être factice. Tu sais t’en servir, même si tu n’en a que rarement eu l’occasion, et pour ça que tu as besoin qu’elle fonctionne.

Avec un soupir, tu décides d’aller à l’armurerie avant de rejoindre le Carnival of Sins. C’est là-bas que tu as prévu de passer la soirée, et avec un peu de chance, tu ne devrais pas rater le début du service de tes filles. Ca ne devrait pas être bien long de passer à l’armurerie pour la faire réparer, ou au moins l’échanger comme une arme identique qui fonctionnerait bien mieux. De toute façon… Tu ne saurais pas vraiment en utiliser une autre. Enfin, si, avec de la volonté et quelques minutes d’adaptation, sans doute. Mais disons que tu t’es habituée à celle-là, et que c’est avec celle-là qu’Em t’as appris à tirer. Ton truc à toi, ça n’a jamais vraiment été la pratique. Manipuler les armes, aller au devant des ennuis, se battre… Bordel, non. Tu détestes ça. Tu es plutôt derrière, à jouer les marionnettes, à décider ce qu'il faut faire ensuite, à calculer les pour et les contres de chacune de vos actions, à militer dans l’ombre pour laisser les autres au devant. Tu calcules et tu réfléchis, tu n’agis pas. Contrairement à Emily qui… a toujours agi en premier. Ce qui vous a amené à des dissidences auxquelles tu n’as pas envie de penser.

Passant ton manteau par-dessus tes vêtements, tu prends la direction de l’armurerie des Blackened Beauty en prenant soin de glisser l’arme abîmée contre ta hanche. Ce n’est pas ton arme la plus efficace, en réalité, mais c’est la seule que tu utiliserais si tu étais menacée. En cas de danger réel… C’est le fil tressé dans ta jarretière qui te servirait d’arme. Aussi tranchant que du verre, une violente pression contre la carotide de l’agresseur et sa tête saute en moins d’une seconde. Un vieux tour de ta grand-mère, à ce qu’il paraît… L’une des meilleures criminelles des fondations de la ville, mais aussi l’une des plus tordues à tes yeux. Mais maman avait insisté pour te l’apprendre, pour te le tresser et te le faire porter en permanence juste-au-cas-où. Comme si tu avais l’intention de t’en servir, réellement… A moins d’être kidnappée ou à l’aube de ta mort, c’est même pas la peine d’y penser. Ton petit revolver suffira amplement. C’est glauque, d’ailleurs, de penser que ce genre de tour puisse exister.

A cette heure-ci, tu t’attendais à trouver l’endroit bien plus animé. A croire que les filles ne vivent que la nuit, comme la majorité de ce qui se passe à Van Nyus. Tu entres dans le hall sans te soucier de voir personne (quiconque te trouverais ici ne se poserait pas vraiment de questions, de toute façon (il fût un temps où tu venais souvent, pour qu’Emily (bordel, ne penses pas à elle) t’apprennes à te servir de la dite arme)) et tu prends instinctivement la direction de la salle où tu es persuadée de trouver quelqu’un pour t’aider (et à défaut, les outils pour tenter de la réparer toi-même). Lorsque tu actionnes la porte, tu tombes nez-à-nez avec… elle, putain de bordel de merde. Elle, son regard de tueuse et son putain de mauvais caractère qui balance un bordel faisant fort écho à tes propres pensées. Elle lève les yeux au ciel, marquant son agacement de te trouver là et tu hausse les sourcils en te demandant qui elle s’attendait à recevoir avec autant de sympathie. Une chose est au moins sûre, tes réflexes à toi sont bien pourris. N’importe qui aurait bien pu t’attendre derrière cette porte, tu n’aurais même pas levé le petit doigt pour sortir une arme de ta poche (encore une erreur, Kate, de te croire en sécurité dans les bâtiments qui vous appartiennent… (tu devrais retenir mieux la leçon)). Ou alors est-ce simplement parce que tu sais déjà que ton arme ne fonctionne absolument pas. Au moins, tu ne lui as pas fait le plaisir de sursauter (c’est déjà ça, sans doute).

Sans même ta saluer, elle te bouscules pour aller taper un putain de code dans l’entrée. Bordel, Kate, fais pas comme si tu le savais pas, en plus. T’as juste pas pensé que l’armurerie serait vide à cette heure et qu’il fallait taper ce putain de code. Emily semble contrariée, comme à son habitude, mais elle prend quand même la peine de déposer son arme pour te demander (avec toute la douceur dont elle est capable) ce que tu peux bien foutre ici. Tu ne relèves pas ses soupirs, ni la façon agressive avec laquelle elle signe sa question, et tu supposes qu’elle n’a absolument pas l’intention de mettre ses oreilles sur ON pour tes beaux yeux. Très bien, si c’est ce qu’elle veut… Tu lui réponds de la même façon, bien que tes gestes soient nettement moins agressifs, et en ignorant totalement sa question.

Je pensais qu’il n’y aurait personne. J’ai besoin d’une petite réparation.

Tu sors l’arme de l’entrave positionnée sur ta hanche, et tu lui tend (à distance, parce qu’elle ne s’est toujours pas approchée de toi de toute façon). C’est pas comme si elle t’évitait où elle t’ignorait mais… Quatre ans, c’est long quatre ans putain. C’est pas comme si vous n’étiez pas passées à autre chose, hein ? Et cette façon qu’elle a, de t’agresser alors même que tu viens juste d’entrer dans la pièce. Et toi, qui reste là, immobile, à lui tendre ton arme comme si c’était un putain de jouet cassé. Elle va bien te rire au nez, hein. De pas avoir pensé à l’alarme, de pas avoir imaginé qu’elle pouvait être là, seule de surcroit, et qu’elle risquait d’être la seule (non que dis-tu, elle et son mauvais putain de caractère (ou sa délicatesse, t’en sais rien)) à t’accueillir dans l’armurerie.

Je suis pas à l’aise, sans.

Oui, Em. Même si tu ne t’en sers jamais, t’es pas à l’aise de savoir qu’elle ne fonctionne pas. Encore moins depuis que t’es à la tête du Carnival, encore moins depuis qu’il recommence à t’envoyer des SMS, encore moins depuis que tu t’inquiètes plus (plus souvent) et que t’as besoin d’avoir ce truc pour te protéger. Ce truc même qu’Emily t’as donné, qu’elle t’as appris à utiliser et qui… te fait un petit lien avec elle, mine de rien. Quoique t’ai déjà envie de te barrer à toutes jambes, rien qu’à rester là et à la regarder.

Avouer tes faiblesses n’est pas un danger, avec elle, tu le sais très bien. D’autant que rien n’est vraiment avoué. Emily sait, elle le sait parce que c’est elle qui t’as donné cette putain d’arme et qui t’as appris à t’en servir, elle sait que t’es pas à l’aise sans, que t’a spas envie de te traîner au Carnival sans pouvoir être sûre d’avoir la main dessus ou sans pouvoir te rassurer au moindre contact du métal qui la compose. Ouais, elle le sait, et tu te sens putain de stupide d’avoir ajouté ces gestes-là, comme si t’étais pas déjà assez inconfortable comme ça face à elle, hein ? Au moins, elle a la décence de ne même pas relever tes derniers signes. Elle ignore, jusqu’à se rapprocher de toi et saisir cette arme qu’elle connaît déjà si bien, te faisant un petit signe pour l’inviter à la suivre dans une autre pièce, celle-là même où elle était sûrement déjà en train de travailler quand tu es arrivée.

Posant l’arme sur le comptoir, elle commence minutieusement à la démonter et à l’examiner, alors que tu observes ses doigts à l’ouvrage. Elle a toujours ces petits calosités que tu lui connais bien au creux des mains, signe qu’elle ne laisserait jamais tomber la bagarre même si on la forçait à devenir boulangère. C’est quelque chose qui t’as toujours plu chez elle, cette rudesse brute dans laquelle elle se mure. Passer par la porte ? Beaucoup trop facile. Emily a toujours préféré passer par la fenêtre. A quoi bon faire ce que les autres attendent de nous, n’est-ce pas ? Elle n’a jamais rien fait comme les autres. Elle a préféré se contenter d’exister, sans jamais se poser trop de questions (peut-être parce qu’elle aurait un risque de regretter certaines choses, comme tu le fais toi). Ele se contente de ce qu’elle a, et de prendre ce qu’elle veut sans blesser ou déranger les autres. Elle ne s’entoure pas de fanfreluches ou de jolies paillettes, elle est juste… elle. Bien loin de toi et de tes complexes, bien loin de toi et de tes réflexions qui abreuvent juste des douleurs plus sourdes, bien loin de ton intelligence et de ta mesure, de ta prudence constante sur tout et pour tout. T’es-tu déjà au moins laissé vivre, Kate ? Sans doute pas avec la même facilité de le fait ton ancienne amante.

Sa voix te sort de tes pensées, alors qu’elle annonce que ton ressort est mort. Humpf, okey. Tu ne l’avais même pas vue rallumer son appareil auditif pour te parler. Elle s’éloigne, sans doute pour aller en chercher un autre, et tu restes silencieuse, préférant observer ce qu’elle va faire plutôt que de lui répondre. De toute façon, tu sais déjà qu’elle va le changer si elle le peut, te rendre ton arme, et basta. Pas la peine d’en attendre plus (parce que tu sais que c’est de ta faute s’il ne faut pas en attendre plus.

Un hochement de sourcil s’empare de ton visage, alors qu'elle te donne des horaires. Hein ? Quoi ? La stupeur doit se lire assez facilement sur tes traits, parce qu’elle en rajoute à peine son regard est posé sur toi. Ah, les entraînements… Tu n’es pas venue t’entraîner depuis… depuis elle. Et tu n’avais absolument pas l’intention de le faire. Et les dieux seuls savent qu’elle a passé son temps à te rabâcher que l’entraînement n’était pas inutile, et qu’il fallait absolument te forcer à continuer sans qu’elle soit là pour jouer la prof. De toute évidence, elle sait très bien que tu n’as pas suivi ses conseils. Et si elle s’attend à ce que tu viennes sans elle passer du temps avec les filles pour apprendre à tirer, elle se met complètement le doigt dans l'œil. Elle se prend pour qui, au juste ? Ta mère ? Pas de bol, celle-ci faisait très bien son travail toute seule. De toute façon, tu n’as rien à cacher. Oui, tu n’es pas venue t’entraîner. Oui, t’en as rien à faire que les autres auraient pu raconter quoi que ce soit si tu étais venue avec l’idée d’éviter cette putain de bordel. Sérieux ! Pourquoi elle dit ça comme ça. Comme si tu avais fais exprès de la fuir (un peu, surement) et que si tu manquais d'entraînement c’était à cause d’elle. Oui et non. Et puis merde, t’en as rien à faire de son avis, de toute façon.

Merci mais non merci. Je suis juste venue la faire réparer, pas quémander des heures d’entraînements pour quelque chose que j’utilise occasionnellement.

Occasionnellement depuis que je t’ai laissée tomber, oui, tu sais. C’était quoi ce move là ? Elle espère tirer quoi comme réponse à ça ? Tu ne sais pas vraiment d’où vient ta pseudo-colère, mais tu t’efforces de respirer plus lentement et de calmer tes sens pour te concentrer sur la réalité. Bon sang, Kate ! fous-lui la paix. Elle n'a sûrement rien voulu de tout ça, et elle disait juste ça pour te rendre service. C’est pas la peine de s'agacer de cette façon. Et puis, elle remonte ton arme, et tu pourras t’en aller, c’est tout ce que tu lui demande.

T’es sûre que le ressort suffira ?

Tu demandes, justeaucasoù. Sinon tu risques effectivement de revenir aux horaires convenues pour reprendre ce que tu faisais très bien jusque là : ton ignorance de sa personne et de sa présence dans Van Nyus. Tu ne remets absolument pas ses qualités ni ses compétences en doutes, et tu espères que le ton de ta voix (que tu as essayé le plus calme possible) suffira à couper court aux gamineries dans lesquelles tu pourrais être en train de te lancer.

Tu tends la main, espérant qu’elle te retourne l'arme maintenant qu’elle est remontée, et tu évites soigneusement son regard. Pas de connerie, Kate. Tu la prends, tu respires, tu lui dis au revoir et merci. Et tu arrêtes tes conneries. S’il te plaît.

Un point pour toi, Em’. Tu le sais, que c’est une erreur de ne pas t’entraîner suffisamment souvent mais… Elle fait comme si de rien n’était. Elle te donne les jours et les horaires de ses absences, comme si c’était normal. Comme s’il n’y avait pas cette putain de gêne entre vous deux. Et puis, elle a raison. Tu t’inquiètes pour les filles du Carnival. Le climat agressif instauré par Moïra te rendait prudente et presque paranoïaque, et même si c’est la raison principale de votre discorde, tu as beaucoup regretté de ne plus avoir le soutien d’Emily pendant cette période difficile. Heureusement, la prise de pouvoir de Charlie t’as permis de respirer un peu… Même si ce n’est qu’une question de temps avant que le QG des Blackened ne soit une fois de plus porté sur le devant de la scène. Et les dieux savent que tu aimerais être capable de te défendre ce jour-là, malgré la sécurité rapprochée organisée par les Blackened Beauty.  Vous avez été à l’abri pendant longtemps, mais tu crains qu’un jour le vent ne tourne. Même si ça te tue d’avouer qu’Emily a raison.

Tu observes ses mains remonter l’arme, restant silencieuse après sa dernière pique. Tu ne lui feras pas le plaisir de rentrer dans son jeu, elle serait bien trop fière d’elle si tu lui répondais. Les gestes qu’elle fait, tu l’as vu les faire des milliers de fois. Si bien que, quand elle a presque terminé de remonter l’arme, tu demandes justeaucasoù si le ressort suffira. Oui, elle sait faire. Oui, tu as confiance en elle, mais non tu ne veux pas prendre de risque. Visiblement, tu l’as touchée en posant la question, parce qu’elle s’empresse de te faire une démonstration qui te fait reculer d’un pas. Ok, c’est bon, merci, pas la peine d’exagérer non plus. Elle termine par une petite pique, que tu ignores superbement, avant de reposer ton arme sur le comptoir.

Un léger flottement s’installe, parce qu’aucune de vous deux n’a envie de parler, mais Emily finit par le rompre en répétant les jours d’entraînement. Parfait, si elle y tiens, tu n’auras qu’à y aller. Cela te permettra sans doute de ne plus avoir besoin d’elle, à l’avenir, et tu n’en demandes pas plus (mais c’est ta tête qui pense ça, hein, Kate ?). Elle retourne à ses occupations (sûrement ce qu’elle faisait avant que tu ne l'interrompes), et tu danses légèrement d’un pied sur l’autre  en hésitant à t’en aller sans même ajouter un mot ; quand elle en profite pour en rajouter une couche.

Allez, c’est reparti. T’as l’impression d’être une putain de gamine qui se fait engueuler, et le rouge te monte aux joues. Oui, tu le sais, que tes filles ont besoin d’être protégées. Mais t’es qui, toi, putain ? Si Em’ s’inquiète autant pour elles, elle n’a qu’à surveiller plus souvent le Carnival, ce qui n’est, selon tes observations, pas son cas. Peut-être devrait-elle se soucier un peu plus des commentaires abjects qu’elle te lance, quand on voit qu’elle même ne fait absolument pas partie de ceux qui s’en chargent. Et grand bien t’en fasses, cette petite expérience avec elle te rassure sur le fait que tu n’as absolument pas besoin de la voir.

C’est bon. T’as gagné. J’irai à tes putains d’entraînements le jeudi.

Ta voix se veut neutre, mais elle trahit ton léger agacement. Qu’elle soit sûre que tu prendras soin de l’éviter, et que tu n’as plus l’intention de remettre les pieds à l’armurerie (pas seule, pas avec elle).

Merci beaucoup pour ton aide.

Les dernières paroles sont lancées avec ironie. Tu récupères ton arme d’un mouvement brusque, t’attardes quelques millièmes de secondes à peine pour la ranger à sa place, et tu tournes les talons en évitant soigneusement de croiser une dernière fois son regard. Pour qui elle se prend à te faire des remontrances comme ça. Elle n’a qu’à remettre l’alarme silencieuse derrière-toi, tu n’as pas l’intention de faire demi-tour. En colère, le cœur battant à mille à l’heure, et quelques regrets dissimulés derrière ton ironie et ton silence. Vous n’en seriez pas là, si vos discordes n’avaient pas pris le pas sur vos gestes. Avec Emily, tu avais l’habitude de parler peu, et d’agir plus et vos vieilles habitudes se sont effritées à la seconde près où vous vous êtes rentrées dedans dans le hall de l’armurerie. Si elle avait été en mesure de comprendre, pourquoi tu l’as rejetée il y a de cela quatre ans, peut-être que vos relations auraient pû être bien plus cordiales. Mais non, vous avez préféré vous ignorer et vous renfermer chacune sur vos opinions. Et ce serait mentir de dire que tu ne regrettes pas un peu.