Vas-y DJ fais péter le son [Mikaëla & June]

Vas-y DJ fais péter le son

Il était à peine 19h. June avait quitté la morgue plus tôt que d’habitude pour se rendre au dispensaire, aux côtés des vivants. Une idée qui ne l’enchantait pas plus que ça. Elle n’avait pas l’énergie de paraître. Paraître heureuse. Paraître en forme. Paraître tout ce qu’elle n’était pas : une femme de 40 ans, droite et fière de son succès. Elle aurait simplement voulu rentrer, noyer la morosité de son humeur dans un verre de Bourbon hors de prix. Elle aimait s’imposer de payer le prix fort, non pas pour la qualité du produit -elle aurait bien été capable d’avaler n’importe quoi, mais pour se rassurer. Aligner les billets, ça demandait un certain sacrifice. Ça rendait le geste moins facile. Technique illusoire, technique inutile. Surtout lorsqu’on n’en manquait pas, de billet.

Passage obligatoire dans les toilettes de l’hôpital pour enfiler autre chose que la blouse blanche qui avait côtoyé la chair de ses patients toute la journée. Les morts ont une odeur étrange. Coriace. Le genre d’odeur qu’on n’apporte pas avec lors d’une soirée mondaine. Il fallait aussi masquer les poches bleutées qui coulaient sous ses yeux. Son public à elle n’était pas très exigeant. Ils ne s’offusquaient pas de son manque de sommeil, ne remarquaient pas le tremblement subtil de ses mains.

Un dernier regard dans le miroir lui indiqua que ses efforts étaient suffisants. Restait à afficher le sourire de façade qui rehausserait le tout. June quitta l’hôpital pour rejoindre le quartier de Skid Row, où l’attendait la petite fête organisée pour célébrer le départ en retraite d’un collègue dont l’investissement avait notamment permis la réouverture du dispensaire, 4 ans plus tôt. La présence de June n’était pas obligatoire, mais fortement conseillée. Voilà ce que lui apportait le fait de vouloir renouer avec son humanité : plus de mondanité. Elle n’aspirait pourtant qu’à soigner, occasionnellement, les vivants. C’était déjà suffisamment violent.

Le hall avait été redécoré pour l’occasion. Dans un coin, un buffet rempli de petits fours tendaient les bras aux affamés, et des coupes de champagnes, jus et boissons en tout genre prenaient la relève un peu plus loin. June se retint de se diriger directement au rayon alcool, pour atténuer le malaise qui la prenait déjà.

« Ah, Docteur Blackwell, merci d’avoir fait le déplacement ! ». Elle saisit la main tenue et offrit un sourire en guise de réponse : elle n’avait de toute façon pas vraiment eu le choix. Elle aurait aimé être partout, sauf ici. La musique de fond couvrait à peine le brouhaha ambiant. Tous se félicitaient chaudement pour le travail accompli, aucun ne voyait le gouffre se creuser entre la population précaire qui échouait ici, et le prix qu’avait coûté la création de l’évènement.

Qu’importait, finalement. June ravala son sarcasme et se para de l’expression la plus neutre possible en traversant la marée humaine qui emplissait les lieux.

Elle trouva refuge contre un mur, près de l’issue de secours. Elle porta le verre de champagne à ses lèvres. Elle avait tenu 7 minutes avant de commencer à boire.

7 minutes, c’était déjà pas si mal. Non ?

(c) Miss Pie