Sauvée par Nick (ator) ft Nick

Le bar dans lequel on a l’habitude de se retrouver est moins fréquenté qu’en temps normal ce soir. Ce qui en soit, est loin de me déranger. Quand je viens avec mes amis, je me mêle assez facilement aux autres, je discute avec tout le monde, même d’illustres inconnus dont j’aurai oublié la tronche et le prénom le lendemain matin. Pourtant, quand je suis avec mon frère, il se passe un truc chelou par lequel j’ai l’impression qu’on est les seuls au monde. Le rire grave de Ben a la capacité d’éclipser les conversations autour de nous, et j’y réponds presque toujours par un sourire en coin, qui trahit la complicité qu’on a. Peut-être parce qu’on est la seule famille qu’il reste à l’autre, si on excepte notre grand-mère.

En tout cas, je suis contente qu’il ait pu se libérer ce soir, alors que ça faisait presque deux semaines qu’on s’était pas vus. Une éternité pour nous. Sauf que voilà…Ben tarde pas à consulter son portable, et à lâcher qu’il doit se sauver. “-Mais sérieux ? Tain, t’es relou depuis que tu t’es trouvé une nana, bordel !” que je râle ouvertement, alors que Môsieur enfile sa veste et claque un billet sur la table. Je sais que ça fait un moment qu’il fréquente ladite nana, et que non, malgré mes paroles, elle lui a jamais imposé le moindre couvre-feu. Mais quand même ! Mon frère est un crétin amoureux qui se fait mener par le bout du nez -pour pas dire d’autre chose-, et qui, du coup, met un terme bien trop tôt à mon goût à notre soirée pour rejoindre sa dulcinée. “-Ton air niais me donne envie de gerber, t’as raison, rentre, et épargne moi tout ça, là !” que je dis en faisant un vague geste de la main juste devant son visage, lui frôlant le nez. Il me répond par un doigt d’honneur plus que mérité, mais pose quand même un baiser sur mes cheveux avant de s’éloigner, slalomant entre les clients du bar pour rejoindre la sortie.

Comme des tas de fois par le passé, je fixe son dos pendant qu’il s’éloigne, et qu’il finit par disparaître de ma vue. La seule chose qui change, c’est que maintenant, on est adultes tous les deux, et que je sais qu’il reste chez lui, pas qu’il va se fourrer dans je sais pas quelle situation dangereuse avec nos frères ou notre père. Je jette un coup d'œil à l’écran de mon portable pour regarder l’heure, et laisse échapper un léger soupir. Nana dort déjà, et même si je me décidais à rentrer maintenant, ce serait pour rejoindre mon appart vide, ou celui, silencieux à souhait, de ma grand-mère. Ouais, je peux bien rester ici encore un peu. Boire un coup seule m’a jamais vraiment effrayée.

Je récupère la thune de Ben, embarque les verres vides, et les pose sur le comptoir, sur lequel je m’accoude. Ici, c’est un peu comme chez nous, unique raison pour laquelle je fais le petit effort de ramener ma vaisselle sale sans avoir à emmerder qui que ce soit, et que j’accepte de laisser la table libre pour d’autres clients quand je peux me contenter de squatter un bout du bar. “-Hé Tony ! La même steuplait.” Comme l’a fait mon frère un peu plus tôt, je claque le billet qui servira à payer nos précédentes conso, et celle-ci. Le moins qu’on puisse dire, c’est que mon frère est pas un chien. Il a beau s’être barré pour rejoindre sa nana, il a quand même pas lésiné pour que je passe une bonne fin de soirée.

La bière atterrit devant moi rapidement, et je grimpe sur un tabouret pour en boire de longues gorgées, jetant de distraits coups d'œil à mon téléphone, me laissant porter par l’ambiance du bar, la musique qu’on entend à peine par moments, la rumeur des conversations…et bientôt, des éclats de voix. Mes sourcils se froncent quand je tourne le visage pour regarder ce qui se passe un peu plus loin, où un type est en train d’emmerder une petite nana qui avait rien demandé à personne. Et surtout pas qu’il vienne la déranger. Tout chez elle crie qu’elle veut qu’il lui foute la paix, qu’elle refuse son contact, sa présence, qu’elle veut rien qui vienne de lui, mais le type est incapable de le voir. Ou en a juste strictement rien à foutre.

Je me tourne vers Tony, prête à lui désigner la scène d’un geste, mais il me tourne presque le dos, occupé avec un autre client, et quand je tourne de nouveau la tête vers les deux autres, l’enfoiré est désormais en train de dominer de toute sa taille la demoiselle, recroquevillée par terre. Comme souvent dans ces moments-là, je prends pas la peine de réfléchir, et décide de me mêler de ce qui me regarde pas. “-Je sais pas trop ce que tu lui a proposé, mais je suis assez sûre qu’elle a dit non.” que je dis pour toute entrée en matière, alors que le type se désintéresse de la petite…métisse ? Latino ? Impossible à savoir avec certitude vu la luminosité du bar. “Va te faire foutre.” J'aurais vraiment préféré plutôt que d'avoir à intervenir..., vraiment. Même si, ouais…j’étais assez certaine que ce qui sortirait de sa bouche sonnerait comme ça. Aussi charmant qu’il en a l’air.

Sauf que charmant ou pas, plus grand ou pas, hargneux ou pas, je suis pas du genre à me démonter. En fait, s’ils sont grands et hargneux, je me sens irrémédiablement attirée…par la provoc. Comme une façon de tester ma chance, et de voir à quel point ça peut déraper et partir en couilles. Maso ? Si peu. “-Casse toi, c’est entre elle et moi.” Son haleine empeste l’alcool, mais ça me semble pas être une raison suffisante pour m’éloigner. Sérieux, il est con, ou quoi ? Il voit pas, qu’elle est terrorisée, et que ses joues sont mouillées de larmes. Ah putain, j’ai vraiment la main qui me dérange. “-Nan trouduc, plus maintenant.” Je m’interpose, même si pour ça, je suis quasiment collée à lui, ma poitrine presque contre son torse, et obligée de lever le nez pour continuer à regarder sa sale face.

Au moins, ma manœuvre à le mérite de le déstabiliser. Possible qu’il s’attendait à ce que, vu mon gabarit, j’élève un peu la voix, et je finisse par capituler. C’est mal me connaître. Glissant la main dans la poche de mon jean, je finis par en sortir mon poing américain, que je prends mon temps pour glisser à mes doigts, sans le quitter du regard un seul instant. Le Trouduc lève les sourcils, puis son regard va de la nana à moi, et se repose sur elle. J’ai l’impression de le voir, dans son regard bovin éteint par la picole, qu’il est en train de réfléchir -ou un truc qui y ressemble vaguement- de peser le pour et le contre, d’essayer de savoir si, oui ou non, ça vaut le coup qu’il insiste encore un peu, si malgré tout ce qui vient de se passer, il pourrait encore avoir sa chance. Quand je le disais…un vrai crétin fini à la pisse.