[TERMINE] la lecture est une amitié ÷ angela (mars 2023)

Cette discussion dans laquelle ils s’étaient enlisés aurait un impact certain sur leur relation, du moins pour lui. Sohan ne pourrait plus ignorer ni son attirance affective pour son amie ni l’affection qu’elle lui portait également. Et bien qu’il semblât que cet attrait eut toujours fait partie de leur amitié, l’avoir énoncé et accepté changeait le regard que le natif pouvait porter sur leur relation. Succéda alors au malaise une sensation de soulagement. Tous les deux savaient à quoi s’en tenir en cet instant. Angela était prête à marcher au rythme du libraire, tandis que celui-ci pouvait se projeter dans une autre forme d’affection avec la jeune femme. Seul le temps leur dirait s’ils trouveraient une forme d’équilibre, voire d’harmonie dans ce nouveau schéma relationnel. Et du temps, ils allaient s’en donner et en partager plus.

Se délestant de quelques craintes – qu’il chercherait à apaiser une fois Angela partie, par un effort d’introspection lucide - Sohan décida d’entamer le repas, invitant son amie à s’assoir à la petite table. Il lui proposa de la resservir en vin. La jeune femme accepta son offre et s’assit. Dos à elle, Ellroy se laissa aller à un soupir, long et profond, par lequel il souhaitait retrouver son calme et suffisamment de concentration pour mener à bien ce repas. Il se donna une gifle mentale, s’ordonna de se ressaisir, puis se retourna afin d’adresser un sourire calme à son invitée. Il étendit ensuite son bras jusqu’au frigo et en sortit la bouteille de vin. Celle-ci fut posée sur la table ; Oz laissait à Angela le loisir de se servir selon son envie. Pendant ce temps, il s’affairerait à remplir les assiettes de l’entrée. Du moins, avec ce qu’il en restait.

Puis le repas suivit son cours, tandis qu’éclosaient de nouvelles discussions, sur divers sujets. Ellroy parvint à se détendre, le vin aidant à apaiser sa nervosité. Epuisé par le maelstrom émotionnel traversé plus tôt dans la soirée, l’échec de son poulet au curry ne l’embarrassa que peu. Les oignons avaient effectivement brûlé, dispersant leur goût cendré dans tout le plat. Quant au riz, il l’avait laissé cuire trop longtemps. Il fut donc pâteux et sans saveur, faute d’avoir été relevé par la sauce au curry.
Et le dessert ne se révéla pas plus mangeable. Quand il ouvrit l’opercule du petit pot en verre, une forte odeur s’en échappa. Sohan enfonça quand même une cuillère dans la mousse qui, collante, n’avait rien d’aéré et de léger. Un rire nerveux gagna le natif. Cette soirée ne correspondait en rien à ce qu’il avait pu imaginer. C’était vraiment la lose. Mais Angela demeurait à chaque nouvel échec souriante et douce. Elle accepta de seulement se nourrir de glace à la vanille, Oz ayant un pot dans son petit congélateur. Ils la mangèrent devant un film choisi par le libraire : Brazil, de Terry Gilliam. Le DVD sauta à deux reprises, mais ils purent voir le film en entier. Sohan consomma avec modération le vin, sentant l’ivresse amollir son esprit.

La soirée prit fin vers une heure du matin. Oz profita de ramener Angela chez elle pour sortir Sunny. La nuit était fraiche, le fond de l’air humide. Ils évitèrent cependant l’averse. Au moment de quitter son amie sur le palier, Sohan se risqua à l’embrasser sur la joue. « Merci pour cette soirée. Je ne suis pas certain de mieux réussir les prochaines, mais ce sera toujours un plaisir de les partager avec toi. » Est-ce que ce serait également le cas de son amie ? Ne se lasserait-elle pas des maladresses, inhibitions et bizarreries du trentenaire ? Seul le temps le dira, se martela-t-il pour une énième fois. Il tenait néanmoins une chose pour sûre : il pouvait faire confiance à Angela.

Vous saviez que cette soirée, que cette conversation ne serait pas anodine dans son esprit à lui, mais il fallait bien le pousser à peine pour qu'il comprenne qu'il était possible de passer à quelques choses d'autres, de différent pour ainsi dire entre vous deux. Bien entendu, vous ne vouliez pas le brusquer, juste lui faire prendre conscience de quelques choses qu'il ne comprenait pas pleinement mais qui était pourtant déjà bien présent, il n'y avait qu'à voir son sourire à chaque fois que vous étiez dans le coin, un sourire qui n'était pas forcément là quand vous n'étiez pas là. Vous aviez pris le temps de l'observer, peut être plus que nécessaire, mais il semblait être celui qu'il vous fallait, celui qui vous canaliserait en tout temps, au delà de l'amitié que vous possédiez déjà, un amour doux, chaste, presque trop pur par rapport à votre passif, par rapport à tout ce que vous aviez pu vivre durant des années. Mais avec lui, vous étiez prête à ne rien tenter, à ne rien vouloir, le reste nourrissant ces envies, vous délivrant la dopamine suffisante pour que vous n'en vouliez plus. Les lectures étaient à chaque fois trépidantes, vous y mettiez du coeur, ça se voyait, et vous aimiez voir sa réaction, mais aussi la réaction des autres, presque comme si tout cela, dans votre esprit à vous était un acte comparable à une certaine sexualité. C'est fou, mais cela correspondait à votre état d'esprit. Alors oui, Sohan est un peu maladroit, il pense trop, parle parfois drôlement, mais ça faisait tout son charme. Bien entendu, vous n'auriez pas été d'avoir droit à un peu plus, mais cela restait optionnel, non obligatoire, et cela semblait grandement le soulager, parce que contrairement à vous, il n'avait absolument aucun besoin de ce genre là, des besoins pourtant normaux et humains, mais vous étiez bien au delà du spectre du normal. C'est comme ça que ça fonctionnera tout en laissant une porte ouverte à quelques choses d'enviable, et qui sait, si vous le faites dans un futur plus ou moins proche et qu'il voit que cela vous plait, peut être trouvera t il à son tour une certaine satisfaction dans l'acte en lui-même, ou pas, et dans ce cas là, vous n'irez pas plus loin. Mais il avait besoin de réflexion, et il pouvait prendre tout le temps qu'il désirait pour ça. En avait-il réellement besoin ? Non, c'était une certitude, mais les choses sont comme ça, vous laisseriez le temps faire son oeuvre sur sa réflexion, que la réponse soit positive ou négative après tout. Et donc, le repas put se faire, doucement, sans être d'une très grande saveur, mais c'était mieux ainsi. Il pourrait tenter de faire un meilleur repas une prochaine fois. Le vin était bon, et cela était largement convenable. Quand sera le prochain repas ? Où se fera-t-il ? Si vous le faites chez vous Angela, il risque de souffrir de la comparaison si vous vous en donnez la peine. Il serait peut être mieux d'en refaire un ici, ou dans un restaurant de la ville, pour qu'il ne souffre pas de la comparaison. Certes le repas n'était pas extraordinaire mais c'était tout à fait mangeable, et c'était déjà bien, vous auriez pu ne rien manger malgré tout. L'idée était là, il avait essayé et c'était déjà un grand pas pour lui, vous vous en rendiez compte. Si la soirée aurait pu s'arrêter là, ce ne fut pas le cas, puisqu'elle se termina par un film qui était sympathique. Puis finalement, il fut l'heure de partir. Vous auriez pu rentrer chez vous comme une grand fille, toute seule, mais non, il voulut vous raccompagner avec l'excuse de promener le chien en plein milieu de la nuit. Il allait devoir rentrer et il choisit ce moment pour vous faire une bise sur la joue, comme pour prouver qu'il vous appréciait mais qu'il n'avait pas encore décider dans quelle direction vous devriez vous rendre. Il vous remercia pour la soirée, pas sûr qu'il puisse faire mieux une prochaine fois mais ce n'était pas là l'important, il fallait qu'il s'en rende compte.

" L'important n'est pas de faire mieux la prochaine fois tu sais, l'important c'est de passer de bons moments ensemble peu importe les petits aléas qui peuvent se passer et se produire crois-moi. Ce sera toujours un plaisir pour moi aussi. Soit prudent sur le retour. "

Et vous choisissiez de l'embrasser sur le front comme pour lui donner le courage de rentrer sous une bonne étoile, en quelques sortes. Un dernier sourire se frayait un chemin sur votre visage et vous lui tourniez le dos en rentrant chez vous, l'esprit et le coeur léger. Vous aviez fait en sorte de faire votre demande, de lui faire comprendre ce qui sautait aux yeux de tous, mais vous n'étiez pas tout le monde loin de là. L'avenir vous dira comment tout cela évoluera, peut être que cela ne changera pas, ou au contraire que la direction prise sera différente.