[TERMINE] Anywhere I go, You'll Follow me Down [Aaron]

Ses yeux cernés fixaient le fond de la tasse de café, espérant secrètement d'y voir apparaître une réponse. Hélas, les présages étaient à reléguer aux contes et autres histoires pour enfants. Son café demeurait tout aussi noir, d'une opacité aussi épaisse que l'angoisse qui lui nouait les tripes depuis des jours.
Ses doigts s'égarèrent un instant sur ses tempes, massant avec puissance une migraine bien installée. Après trois nuits blanches, il avait finalement réussi à s'endormir, s'effondrant sous le poids de la fatigue. Jamais un réveil n'avait été aussi douloureux. Tiraillé par la culpabilité et l'anxiété, Aaron entamait sa soixante-dixième heures sans dormir. Enfoncé dans son siège, Aaron observa son bureau, recréant mentalement son appartement. Il se souvenait exactement de l'état dans lequel il l'avait retrouvé, sept jours plus tôt, alors déserté par sa fille. Le bordel mis dans ses affaites et dans celle de sa fille lui avait fait craindre le pire : un rapt. Puis, il s'était rendu compte qu'un sac de voyage manquait. L'insistance de sa fille à ce qu'il ne se présente pas à la réunion parent-professeur lui était alors revenu en tête, avec la violence d'un putain de boomerang lancé trop fort. India avait fui. Étrangement, cette possibilité l'avait soulagé. Sa fille n'était pas dans les mains que quelques maniaques désireux d'atteindre leur ennemi. India était innocente, du moins, dans ce business-là. En revanche, elle avait à répondre d'actes très graves. Aaron n'en revenait toujours pas. L'adolescente avait-elle vraiment fomenté le viol de son amie ? Et à cause d'un baiser volé ?! A seize ans, Aaron aurait cru que l'Œdipe de sa fille mieux régler que ça... India réalisait-elle ce qu'elle avait infligé à son amie ? Certainement pas. Mais elle aurait à s'excuser, et à réellement regretter son acte.

Quand on frappa à sa porte, Aaron fut secoué par un soupir. Il était épuisé, et incapable de gérer le business en sachant sa fille dans la nature. Il avait téléphoné aux parents de ses amies, fait le tour des quartiers que l'adolescente fréquentait, mais toutes ses recherches avaient fait choux blanc. Après avoir passé quatre journées chez lui à attendre le retour d'India, Aaron avait finalement abandonné à son tour son appartement pour se réfugier à la Zone 33. Il ne pouvait supporter l'absence de sa fille, et vivre dans son silence.
La porte s'ouvrit pudiquement sur le visage grave de Sherman. Aaron n'avait aucune envie d'avoir à faire avec cette tête de con. Si le Prayer se bougeait le cul pour se faire bien voir depuis quelques mois, Phillmore continuait à ne pas donner cher de sa peau. Cependant, il lui concéda quelques secondes.

Vingt minutes après, Aaron avait traversé la ville pour se rendre à Compton, un quartier malfamé de Downfall - bien qu'aucun autre quartier ne relevait le niveau. Elle créchait dans une chambre miteuse. Le concierge commença par refuser de parler. Le canon de l'arme coincé entre ses dents l'aida étrangement à articuler l'étage et le numéro de la chambre.
Rendu devant la piaule dans laquelle India s'était planquée des jours durant, Aaron sentit une vague de colère annihiler celle de soulagement. Il en voulait terriblement à sa fille. Elle accumulait vraiment les conneries en ce moment. Elle ne "kifferait" pas les prochains mois, mais elle devait apprendre certaines choses.
Frappant avec plus de force qu'il ne l'aurait voulu à la porte, Aaron frissonna à l'entente de la voix fluette de sa fille. Or, à peine la porte s'entrouvrit qu'elle se referma aussitôt, dévoilant pendant quelques brèves secondes le visage horrifié de sa fille. Comment osait-elle ! La main du Prayer s'interposa dans l'entrebâillement et empêcha la porte de se refermer. Le bois coinça avec violence ses phalanges, violaçant aussitôt la peau. Aaron ne trahit cependant aucun signe de la douleur qui lui irradiait la main. Inspirant profondément, il donna un coup d'épaule dans la porte, entrant de force dans le repère que s'était créé India. Sans même réfléchir un seul instant, Aaron claqua la joue de l'adolescente de sa main blessée, incapable de s'émouvoir de la violence de son geste.  

Sombre idiote, à quoi tu pensais en t'évanouissant dans la nature comme ça ? Depuis quand on affronte la réalité ainsi ? Lève-toi India, et assume, bordel !

Fondre avec amour dans les bras de l'autre aurait été une version plus jolie et sentimentaliste ; mais la réalité était telle qu'India avait besoin qu'on lui remette les idées en place. Si elle avait besoin de le craindre pour enfin comprendre que la liberté comportait des droits et des devoirs ainsi que d'importantes responsabilités, alors il était prêt à endosser le mauvais rôle, une fois de plus. Elle ne lui en laissait pas le choix.

Un violent tremblement le paralysa. Il se revoyait, des années auparavant. Sauf qu'il était par terre, la joue rouge, et non debout, droit et menaçant. Une vague d'amertume déferla sur sa colère aveugle et sourde, noyant dans son écume âcre tout ressentiment possible. India se tenait face à lui. Sa fille. Et non pas les fantômes d'un passé trop maladroitement relégués au second plan. Un soupir agita Aaron. L'adolescente se tenait au sol, le visage noyé de larmes mais n'affichant pourtant aucun tristesse. Se mêlait à une sorte de colère résignée une peur grandissante. Etait-cela qu'il désirait ? Être l'homme qui terrifiait son propre enfant ?
Aaron recula d'un pas, levant les mains en signe de capitulation. La situation telle qu'elle n'aboutirait à rien. Ils devaient tous les deux baisser la garde. Le Prayer décida de faire le premier pas.

Tu as raison, je ne peux pas comprendre India. Je suis désolé qu'on en arrive à de telles extrémités. Pose ton spray. Je te promets que je resterai à distance. Je veux juste qu'on parle, que tu me dises pourquoi tu as ainsi disparu. Je me suis inquiété. Tu n'as pas le droit de me faire ça, d'où cette claque. C'est la seule que tu aurais du recevoir cependant. Même si je montre patte blanche, je sais que j'ai du sang sur les mains. Si tu ne veux pas parler mais juste dresser mon procès, je t'écoute. Mais parle-moi.

Le changement de ton était assez radical. Les esprits s'étaient échauffés. L'angoisse avait tenaillé Aaron une semaine durant, alimentant insomnie et colère. Quant à India, elle s'était construit une bulle dans laquelle se reclure, et son père venait subitement y faire effraction. Tous les deux avaient le droit d'en vouloir à l'autre ; la colère que chacun affichait été justifiée, mais en aucun cas la solution.
Phillmore baissa lentement les mains, en signe d'apaisement. Il se massa alors les phalanges. La peau était violacée et gonflait sous l'apparition de nombreux hématomes. La douleur lui parvint enfin, et il savoura cette douce sensation avec un rictus amer. Ne pouvait-il que faire du mal ou avoir mal ?

On toussa dans son dos. Aaron sursauta, et la main sur son arme, il fit face à l'intervenant surprise. Le livreur de pizza le dévisagea avec horreur. Sans desserrer les mâchoires, le Prayer balança largement de quoi payer la pizza et récupéra la boite, congédiant le livreur d'un regard noir.
Une fois l'homme parti, Aaron se sentit encombré par son colis. Une certaine dérision s'était invitée dans la scène en cours. Sachant pertinemment qu'il ne partagerait pas cette pizza avec sa file devant une émission débile, il fit glisser le carton jusqu'à l'adolescente.

India, comment en est-on arrivés là ? Je ne veux pas de ça... Je sais qu'on a jamais été un duo fusionnel très expansif, mais de là à se faire autant de mal...

Aaron marqua une pause. La discussion qui allait suivre était privée. Néanmoins, il doutait que sa fille apprécie qu'il ne les enferme dans la même pièce. D'un geste lent, il tira la chaise branlante accordée à un bureau miteux et s'y assit. Il n'était pas décidé à partir.

Il est peut-être temps que je comprenne, non ?

Comment en étaient-ils arrivés là ? Qu'est-ce qui avait pu déconner à ce point ? Malgré l'amour qui les unissait, père et fille avaient toujours été incapables d'en faire le témoignage. Était-ce seulement une question de fierté mal placée ? Ou le problème était-il plus profond que cela ? On dit que l'on répète les erreurs de son passé, et que l'enfance de nos enfants n'est que l'écho de la notre. Aaron avait grandi dans un foyer abîmé. Sa venue au monde était un malheureux accident dont il avait été la première victime. Si sa mère s'était fait une raison, les antidépresseurs aidant, jamais son père n'avait pu se faire à l'idée des responsabilités paternelles qui lui incombaient. Sa peur de l'engagement devint un absentéisme sur fond d'angoisse. Son métier lui permettait de s'échapper de son foyer, pour le plus grand bonheur général. Or, une semaine tous les deux mois, il devait reprendre sa place de père et chef de famille. Et l'autorité n'était pas un problème... Les mots n'avaient jamais été suffisants pour recouvrir l'impact si immédiat des actes. Si bien que la petite famille préférait la violence à la démonstration d'un quelconque amour, ou a minima d'affection, tant cela résonnait en chacun comme une faiblesse.
Et voilà que les vestiges de cette enfance bafouée se répercutait sur une nouvelle âme innocente, une nouvelle victime. India n'avait pas demandé ce passé familial, mais Aaron n'avait pu que lui transmettre, bien que de façon inconsciente. Le Prayer se revoyait, vingt ans auparavant, le canon de l'arme ayant cloué son père dans un fauteuil roulant encore fumant, pleurant des larmes sèches, murmurant que lui non plus n'avait pas voulu de ça. Le miroir qui s'était adressé entre père et fille donna le vertige au Prayer. Pourquoi n'avait-il pas pu la protéger de tout cela...

Finalement, India accepta de baisser les armes. Elle déposa son spray et partit se réfugier sur le lit, un coussin contre elle. Aaron demeura silencieux sur sa chaise, laissant tout le temps à sa fille de s'exprimer. Il ne voulait plus de ce silence glacé entre eux. Cela faisait trop longtemps qu'ils feignaient l'indifférence alors qu'ils en souffraient.
Quand l'adolescente eut fini, Phillmore acquiesça. Malgré le discours décousu de sa fille, Aaron comprenait où elle voulait en venir. Tout était confus dans l'esprit de la jeune femme, mais l'aspect essentiel de cette nouvelle crise familiale trônait dans ses propos : elle ne voulait pas le décevoir, elle n'avait que lui et elle ne voulait pas le perdre. Pour toute réponse, Aaron articula d'une voix posée :

Je t'aime India, et je crois que tu ne pourras rien y faire, je suis désolé.

L'ironie n'était là que pour accentuer l'intensité de son amour pour elle. Elle avait beau avoir commis des actes odieux, il ne l'en aimait pas moins. La déception s'était invitée au tableau, mais elle ne pouvait en aucun cas ternir l'affection qu'il lui portait.

India, comment voudrais-tu que je sois fier de ce que tu as fait ? Je comprends que tu aies voulu garder cela secret, mais tu n'as pas à en vouloir à ton professeur. Il croyait bien faire, même si j'avoue que je n'apprécie que très moyennement sa manie de se mêler de tout. On s'en fout de Shepard, c'est entre toi et moi que cette discussion se passe. Indy, réalises-tu ce que tu as fait ? Car c'est très grave ! Je ne suis pas tant déçu que choqué : pourquoi ?

Avance sur un sujet aussi épineux revenait à marcher sur des œufs. Aaron s'attendait à ce qu'India sorte de ses gongs à tout moment. Cependant, il espérait un peu plus de lucidité de la part de sa fille. Rien de ce qu'elle dirait ne pourrait justifier son acte, mais en parler l'aiderait peut-être à réaliser l'ampleur de son geste.

Sache juste que, quoique tu me dises, je serai toujours là.

Une garantie qui semblait futile de rappeler, mais la fugue de l'adolescente prouvait cependant la nécessité d'insister sur ce point.

Face aux doutes de sa fille, Aaron ne sut qu'esquisser une moue désolée. Non, il ne serait pas toujours là. La mort l'emporterait. Mais sa promesse n'en était pas moins vaine. India se refusait à entendre l'attachement que son père lui vouait. Cela devait mieux correspondre à sa vision pessimiste et adolescente du monde. Or, elle devrait faire avec lui, au moins jusqu'à sa mort. En laissant India venir au monde, Aaron avait consenti à cet engagement, et rien ne l'en détournerait. Il était même prêt à renier les Prayers of Insanity si sa fille lui demandait. Plus d'une fois, il avait envisagé de s'enfuir de Downfall, d'emprunter les souterrains et de rejoindre Los Angeles. Mais que deviendraient-ils là-bas ? Leur argent n'avait de valeur qu'à Downfall. Et Aaron était très certainement connu par les départements de police comme le loup blanc. Tout au long de sa vie, Phillmore s'était efforcé de faire au mieux pour offrir un avenir à sa fille ; mais India ne le voyait pas.

Néanmoins, le sujet épineux de cette discussion n'était pas tant l'échec d'Aaron à incarner une figure paternelle que l'intrusion de Destiny dans le duo père-fille. India, le ton implacable, justifia ses actes. Un sentiment de vengeance ébranla cependant la voix monocorde de l'adolescente. Elle avait décidé de condamner Destiny à la hauteur de son crime et de ses péchés.
Aaron observait sa fille, heurté par ses propos. Se conjuguait à une maturité glaciale une immaturité naïve. India se refusait à laisser qui que ce soit intervenir dans sa relation à son père. La simple bêtise d'une adolescente nymphomane avait été punie comme un crime odieux. La jeune femme était excessive, et ne mesurait certainement pas ses propos, ni même ses actes. Elle rationalisait même son comportement, justifiant la pertinence de son intervention, jouant sur une pseudo-fatalité. Aaron laissa sa fille terminer, mais ne pouvait cautionner cette façon de penser. India devait apprendre à vivre avec la frustration, la honte, l'injustice. Le monde ne se plierait pas à sa volonté. Elle regrettait seulement de l'avoir déçu.

Un court silence offrit aux propos de l'adolescente un écho plus sinistre. S'entendait-elle parler ? Ne pouvant plus feindre l'indifférence, Aaron accepta de trahir sa stupeur. Un soupir le secoua tandis que ses mains s'emparèrent de son visage. Comment en étaient-ils arrivés là ? Et pourquoi India voulait-elle être le monstre de cette sombre histoire ?

India, on ne peut pas se permettre de tels actes. Un baiser volé ne mérite pas d'être puni par un viol. Destiny n'a rien fait de grave. C'est juste une adolescente paumée qui veut briller dans le regard de quelqu'un, même si cela implique qu'elle roule des hanches tout en jouant les allumeuses.

Aaron ne savait comment expliquer à sa fille à quel point sa réaction avait été disproportionnée. Il avait l'impression de parler à un Œdipe des plus têtus.

Tu comptes ainsi t'attaquer à toutes les femmes qui m'approcheront. Personne ne te remplacera India. Et encore moins une ado' attardée qui malgré ses seize ans se prend pour une femme faite et accomplie.

L'exclusivité de sa fille à son encontre stupéfiait Aaron. India avait été forcée à le partager avec un boulot prenant. La place qu'elle occupait dans sa vie devait lui paraître si maigre que l'adolescente gardait farouchement son territoire. Or, elle devait comprendre qu'elle était la chose la plus précieuse qu'il ne possèderait jamais.

Je ne pense pas que tu sois une mauvaise personne India. Et je ne pourrai jamais cesser de t'aimer, malgré tout ce que tu pourrais faire. Mais chaque choix implique une responsabilité. Et un jour ou l'autre, tu auras à essuyer les conséquences. J'espère que tu seras prête. La vengeance entraine la vengeance. Tu penses qu'un règne fondé dans la haine fera de toi une bonne reine ? Je vois plutôt là les manigances d'un tyran. Tu ne peux forcer les gens à t'aimer India. Que feras-tu quand on te descendra de ton trône pour te trainer dans la boue ?

Son discours était peut-être alarmiste. Toutefois, India devait prendre la pleine mesure de ses actes. Pourquoi s'était-elle ainsi battue ? Pour être à la tête des filles populaires de son bahut ? Pour une once de pouvoir dont elle sera dépourvue précocement ?

Et si tout cela n'avait servi à rien ?!

Face à tant d'amertume, Aaron ne put répondre que par un soupir dépassé. India s'était aveuglée, embourbée par son propre raisonnement. Seul le temps l'aiderait à prendre le recul nécessaire. D'ici là, toute discussion se solderait par une éternelle et frustrante incompréhension.
Aaron dévisagea sa fille. Celle-ci vouait une haine démesurée à son ancienne amie. Destiny Lawless avait beau être une adolescente à problème avec peu de jugeote, elle n'était pas le monstre qu'India avait puni aussi sévèrement. Cependant, sentant leur conversion vouée à tourner en rond, le Prayer s'abstint de tout commentaire, haussant mollement les épaules, fatigué de discuter avec l'arrogance bornée de sa fille. S'entendait-elle parler ? Elle prônait la démocratie sous revers d'une dictature tyrannique insidieuse. Posant un regard soudainement plus dur sur l'adolescente, Aaron répondit aux allégations de sa fille :

Tes subalternes ? Sérieusement ? Tes délires utopistes de tyran mal refoulé te sont montés à la tête India. On en parle pas de biens matériaux, de denrées monnayables, mais bien d'êtres humains. Je... Je suis complètement abasourdi de t'entendre prêcher une telle vision du monde. Est-ce de cette façon que tu veux gérer ton monde, dans le chantage et la douleur ? Et pourquoi, pour des idées qui ne seront jamais respectées car imposées avec violence ?!

Aaron marqua une pause, conscient de tenir un double discours. On était en plein dans le "faites ce que je dis mais pas ce que je fais". C'était l'hôpital qui se foutait de la charité, le Prayer en prenait a pleine mesure. Cependant, il refusait que sa fille suive ses traces. Celles-ci ne menaient nulle part. Il n'y avait aucun meilleur lendemain à espérer une fois les mains baignées dans le sang. Avait-il transmis sans le vouloir toute la violence frustrée qui l'habitait ? Pourquoi India lui renvoyait soudainement toute l'horreur de ce qu'il était ? Bien qu'il se dédouanait de ses actes en les prêtant à son supérieur, Aaron ne pouvait complètement laver sa conscience de toutes les atrocités qu'il avait commises. N'avait-il pas fait tuer des familles pour un malheureux traitre trop con pour mesurer l'ampleur d'un engagement rompu ? Pouvait-il décemment reprocher à sa fille sa conduite alors qu'il usait des mêmes stratagèmes pour asseoir son autorité ?
Pour sûr, ce double discours lui reviendrait en pleine gueule lorsque la vérité éclaterait. Et il savait sa fille suffisamment intelligente pour en jouer l'heure venue. Il ne pouvait pas décemment la condamner sans se condamner également.

Les choses ne seront plus jamais les mêmes India, ni pour elle, ni pour toi. A toi d'avoir les épaules pour porter ce que l'avenir te réserve.

Malgré une immaturité affective évidente, l'adolescente voulait être une femme faite, suffisamment forte pour porter les responsabilités de ses actes. Aaron lui laisserait ce privilège. Les choses allaient changer, et India aurait à être à la hauteur de la maturité qu'elle défendait en prenant si ouvertement des libertés sur celle des autres. Non, il ne la condamnerait pas. Ce n'était pas son rôle. La société se chargerait de lui faire comprendre qu'elle n'était rien de plus qu'un pion sur l'échiquier du monde, et que sa frustration serait son éternel lot de consolation à chacun de ses échecs. Une longue route attendait l'adolescente.

Il est temps de rentrer India. Tu crois survivre plus longtemps seule à Downfall ? Crois-moi, c'est un miracle que tu sois indemne, et je ne donne pas cher de ta peau pour les jours à venir. On t'a déjà repéré comme la gamine friquée facile à dépouiller. Claquer ainsi son pognon sous le nez des plus défavorisés, tu n'as pas peur...

Renvoyer India à sa propre arrogance ne rendrait certainement pas le départ plus aisé, mais il voulait aussi lui faire comprendre que sa survie n'était plus qu'une question d'heures, la chance ayant déjà été trop longtemps de son côté. Le revers de fortune serait rude.

Aaron se leva, invitant sa fille à ranger ses affaires. Il n'accepterait aucune résistance de sa part, et l'autorité qui noircissait son regard suffisait à faire passer de manière silencieuse l'ordre d'obtempérer. Malgré la colère qui glaçait son sang, et l'aidait à maintenir une façade d'une froideur cruelle, Aaron réprimait l'envie de prendre sa fille dans ses bras et de lui dire ô combien il avait craint pour sa vie, et ô combien sa perte aurait signé la sienne.