[TERMINE] la lecture est une amitié ÷ angela (mars 2023)

Klaus, comme d’habitude, fut le premier à se lever, tapant ses mains caleuses l’une contre l’autre. Il fut rapidement suivi par l’ensemble de la petite assemblée réunie en ce vendredi de mars. Sohan, assis derrière son comptoir, accorda un regard rapide au réveil radio qui trônait à côté d’une tasse encore fumante de thé posée devant lui. Il était 8:02 pm, et Angela venait d’achever la lecture des chapitres cinq et six d’un roman de Stephen King. L’ambiance horrifique de la fiction avait captivé le petit auditoire. Il fallait bien reconnaître que la jeune femme savait parfaitement donner chair et âme aux mots de l’auteur. Certains passages étaient vraiment saisissants et plongeaient qui les entendait dans une immersion totale. Ellroy ralluma d’ailleurs quelques lumières, sortant son local d’une légère pénombre tout à fait adaptée à la lecture qui s’était dépliée une heure et demie durant.

Les auditeurs vinrent, chacun leur tour, remercier et saluer Angela pour sa prestation. Klaus, un sexagénaire à la bonhomie franche, tendit à la jeune femme une tarte aux pommes qu’il avait cuisiné selon la recette de sa défunte grand-mère. Puis, le petit public passa devant le libraire, le saluant à son tour chaleureusement, et se promettant par des « à la semaine prochaine » de se revoir. « Même jour, même heure » répéta, un sourire aux lèvres, Sohan aux différents clients de la librairie.
Klaus fut le dernier à sortir. Il s’immobilisa sur le perron du local et se retourna vers Oz. Il l'appela à le rejoindre d’un mouvement de la main. Le jeune homme s’exécuta, et quand il fut au niveau de l’ainé, ce dernier lui glissa à l’oreille : « Vous devriez vous assurer de ne jamais la perdre Sohan. Qui sait combien de temps elle patientera. » Le trentenaire eut un bref mouvement de recul et observa très rapidement Angela par-dessus son épaule avant de reposer son regard sur Klaus. Insinuait-il bien ce qu’il en comprenait : que la jeune femme et lui pourraient, ou même devraient devenir plus que des amis ? La remarque du vieux Klaus l’étonnait, mais trouvait un écho dans une réflexion que le libraire s’était récemment faite au sujet de sa vie sentimentale. Gêné par cette soudaine exposition de ses potentiels penchants affectifs, Sohan grimaça un sourire et dit aurevoir à l’ainé.

Ce fut le visage traversé par un léger liseré rosâtre qu’Ellroy ferma la porte de sa librairie, laissant juste le temps à Sunny de se faufiler dans l’entrebâillement, avant de s’avancer vers le coin lecture aménagé où Angela commençait à ranger le mobilier. « Ils étaient captivés. Bravo pour cette énième performance ! » Cela faisait à présent sept mois que les séances de lecture avaient lieu. Elles avaient débuté en septembre dernier, deux fois par mois. Angela lisait des poèmes, des contes et des fables, dont la longueur n’excédait pas la demi-heure chacun, en présentant trois à quatre par séance. C’était la première fois qu’ils se lançaient sur une lecture sur plusieurs sessions. Un rythme hebdomadaire avait été choisi, afin que les souvenirs des précédentes lectures restent frais en mémoire. Le choix d’un roman de Stephen King avait été voté par les auditeurs réguliers, ceux-ci étant en demande d’une fiction au ton fantastique mais avec un ancrage réaliste.

Tandis qu’Oz empilait la douzaine de chaises sorties pour l’occasion, il poursuivit : « Je… Pour te remercier, j’aimerai t’inviter à manger chez moi ce soir. J’ai préparé le repas. Mais si tu as autre chose de prévu, ce n’est pas grave. Je comprendrai que ce soit plus important, ou que tu aies mieux à faire... » Sohan se sentait embarrassé, les propos du vieux Klaus lui revenant en mémoire. Il ne savait vraiment plus quoi penser de leur relation. Il était très heureux de leur amitié, et n’attendait rien de plus de la jeune femme. Mais il y avait un mais : il ignorait ce qu’Angela pensait de leur amitié. En était-elle aussi satisfaite que lui ? Il craignait parfois qu’elle l’eut pris en pitié et qu’elle s’était retrouvée piégée dans cet atelier de lecture. Ne voulant pas le blesser, elle ne savait pas comment arrêter sa participation. Oz avait vraiment peur que cette option soit une réalité. C’était pour cela qu’il n’osait pas lui poser la question. Car il craignait qu’elle lui dise qu’elle désirait prendre ses distances avec la librairie et avec lui.Mais il était peut-être temps d'en parler.

L'habitude avait été prise, et vos talents de conteuse semblait avoir réussi à fidéliser un bon petit groupe qui s'était stabilisé autour d'une belle brochette d'individus de tous les âges. Il faut dire que vous savez rendre vivant un récit, quel qu'il soit, comme si les personnages allaient presque sortir du livre. Cela était vrai pour n'importe quel support et genre artistique. Mais ce soir, c'était encore plus flagrant, surtout avec l'ambiance tamisé qu'Oz s'était amusé à mettre, comme pour mieux se plonger dans l'horreur du récit. Vous n'en étiez pas encore aux pires moments, mais déjà ça commençait à chauffer, pour ainsi dire. Klaus fut le premier à se lever et à applaudir, vous donnant un sourire resplendissant sur le visage. Même si dans le fond, ils pourraient partir sans rien dire, cela faisait toujours plaisir de recevoir ce genre de compliments. Et ainsi donc les auditeurs vinrent vous saluer, vous remerciant de leur faire vivre ce genre d'expérience. Il n'y avait pas à dire, Oz avait eu une merveilleuse idée en proposant cette lecture devenue hebdomadaire avec le roman commencé, pour que les chapitres précédents restent bien en tête. Vous acceptiez la part de tarte de Klaus, suivant une recette ancestrale, elle devrait être mangeable, à priori. Vous la posiez juste à vos côtés, elle serait pour plus tard, pas tout de suite, là ce serait plus judicieux d'aller manger un bout. Vous ne saviez pas ce que vous alliez bien pouvoir manger, mais la nourriture n'est pas trop un problème, vous n'êtes pas difficile, même si vous aimez manger dans l'ordre d'une entrée, un plat et un dessert quand cela est disponible. Ce soir, vous aviez déjà le dessert, il ne restait plus qu'à trouver pour le reste. Les habitants du quartier passaient ensuite saluer le tenancier des lieux, leur promettant de revenir la semaine prochaine, et il ne faisait aucun doute que ce serait assurément le cas. Ils aimaient vous entendre lire à voix haute et si vous aviez pu vous demander s'ils allaient accrochés à une lecture faite sur plusieurs semaines, il semblerait que ça soit le cas. Il y avait le fan numéro un qui était le premier a arrivé, et le dernier à partir. D'ailleurs, ce soir, il semblait avoir envie d'en dire plus au propriétaire des lieux. Vous étiez curieuse, mais vous restiez à votre place, nul doute qu'Oz viendra vous faire part de ce qu'ils auront partagés si cela a une quelconque importance. Vous étiez en train de ranger les chaises pour que le coin soit plus clair pour le lendemain lorsque les gens viendront simplement par eux même pour lui. Il vous félicita une nouvelle fois, mais pour vous c'était un plaisir de lire, à voix haute, pour les autres. Avec un peu de préparation, votre lecture était d'une grande fluidité, vous permettant de changer de ton, de débit en fonction des personnages, pour les rendre comme vivants ou presque.

" Merci, j'espère que toi aussi tu étais captivé. "

Vous en souriez, s'il ne l'avait pas été, il ne vous le dirait pas, c'était comme ça que ça fonctionnait après tout, n'est ce pas ? Vous alliez donc à priori vous quitter pour vous retrouver la semaine prochaine, ou peut être que vous passeriez avant pour le rassurer. Toutefois, il émit une autre requête, presque étonnante à vos oreilles. Il était en train de vous inviter, il avait déjà fait le repas, et donc, il n'y avait plus que vous pour compléter le tout. Il comprendrait cependant si vous aviez prévu d'autres choses. Mais tout ce qui peut être prévu peut être décalé, or ce soir, vous n'aviez fait aucun plan sur la comète.

" Du coup, j'ai une partie du dessert si tu veux, je ne sais pas ce que vaut la part de tarte de Klaus, mais on pourra partager. Cela me ferait plaisir de partager un repas avec toi. "

Qu'avait-il prévu ? Si vous aviez déjà partagé quelques repas, jamais cela ne s'était fait dans le cadre de son chez lui. Du coup, il avait un peu d'appréhension, mais aussi d'excitation de découvrir enfin cet appartement. Il avait voulu vous le montrer, sans le faire, et depuis, vous ne l'aviez pas forcé. Ce soir serait donc une grande première. Vous finissiez de ranger le coin lecture, tout semblait en ordre ici, il n'y avait plus qu'à.

S’il avait été captivé ? Sohan sentit son visage s’empourprer. Il fit en sorte de n’offrir à son amie que son profil qui, dans le manque de lumière, ne devrait rien trahir de son soudain émoi. Le jeune libraire en voulait à Klaus de s’être permis un tel commentaire ; commentaire qui s’était inscrit avec vigueur dans sa psyché, suscitant en lui un trouble qu’il peinait à contrôler. Il n’était pas assez naïf pour ignorer les enjeux d’un tel glissement dans sa pensée. Car le problème n’était pas tant la nature de ses sentiments que l’investissement avec lequel il s’était attaché à Angela. La force de leur lien lui faisait redouter la douleur d’un délaissement, d’un abandon. C’était bien ce point très précis qui l’angoissait : qu’il puisse la perdre.
Ralenti par ses pensées, ce fut avec quelques secondes de trop qu’il finit par répondre d’un ton tellement maitrisé qu’il en fut dépourvu de toute vitalité : « Difficile de t’échapper une fois que ta voix envahit l’espace et les esprits. »

Puis, malgré son malaise, il poursuivit en invitant la jeune femme à dîner avec lui, chez lui. C’était une grande première. Il y avait bientôt un an, Sohan lui avait maladroitement proposé de visiter l’appartement qu’il louait au-dessus de sa boutique. Or, quand il eut réalisé que rien ne méritait d’être vu, il avait retiré son offre et les deux amis étaient partis sillonner Skid Row. Le natif lui avait alors montré les rues qu’il parcourait depuis l’enfance, les fragments de son histoire se mêlant à ceux de l’ex-quartier expérimental.
Le petit type 2 avait depuis été aménagé, notamment grâce aux conseils d’India, de Pixie mais aussi d’Elsa. Chacune s’était d’ailleurs permise de changer ce que l’autre avait proposé. Et ce, jusqu’à ce qu’Ellroy s’arrête - et les arrête de fait - sur une décoration qui, certes hétéroclite, avait le mérite d’avoir fait naître en lui l’agréable sensation d’être chez lui. Chacune avait râlé évidemment, avec plus ou moins de verve, contre certains des choix maintenus, mais toutes avaient compris que pour le locataire - et premier concerné -, cet intérieur avait trouvé son aménagement optimal. Sohan n’avait pas vraiment investi sa chambre, celle-ci étant de toute façon trop exiguë pour y mettre autre chose qu’un matelas deux places et une petite bibliothèque où il rangeait ses quelques vêtements. Bien plus spacieux, le séjour incluait le coin cuisine équipé d’un petit réfrigérateur, d’une gazinière électrique avec quatre feux et un four et d’un meuble évier où il pouvait ranger sa vaisselle. Des placards en hauteur contenaient la nourriture. Non loin, une table de jardin en métal juste assez grande pour deux était encadrée de deux chaises elles-aussi d’extérieur. Il avait repeint l’ensemble en blanc afin de couvrir les tâches de rouille et de soleil. Le coin salon accueillant un long canapé en cuir de grand-mère et de trois places ainsi qu’un fauteuil du même style. Ils étaient disposés autour d’une table basse en bois sombre. Contre les murs, il y avait trois bibliothèques : l’une contenait des livres, une autre des CDs et vinyles, ainsi que les appareils électroniques pour les lire, et la troisième des boîtes de jeux, des souvenirs et ses platines. Tout était bien rangé, dégageant ainsi une impression d’ordre. Oz avait toujours été très attentif au soin porté à ses affaires, à ces objets qu’il aimait. Enfin, les murs avaient été recouverts par endroits d’affiches de groupes de musique, de films ou encore d’illustrations ; les motifs étaient assez psychédéliques ou dans un style art déco.
Il invitait Angela à y pénétrer à son tour, sur prétexte d’un dîner. Plus tôt dans la journée, il avait fait quelques courses, l’idée de cuisiner pour son amie étant née la semaine dernière, après la séance de lecture. Oz avait acheté de quoi faire un poulet au curry, avec en entrée un taboulé libanais et en dessert une mousse au chocolat. Il était allé dans une petite épicerie tenue par une Vietnamienne, à quelques pas de Little Tokyo. Puis il avait acheté le poulet à une boucherie de Skid Row.

Angela lui confirma qu’elle n’avait rien de mieux à faire et accepta la proposition, avec « plaisir ». Ils pourraient déguster la tarte aux pommes de Klaus en dessert, bien que la jeune femme ne pût en garantir le goût. « Oh, je ne m’inquiète pas pour ça. Klaus m’en a déjà ramené une fois, pour payer un livre pour lequel il n’avait plus d’argent. Et franchement, sa tarte était très bonne. Au moins, on aura quelque chose à manger si jamais ma cuisine est trop mauvaise. »  A cet instant, Sohan ignorait encore qu’ils ne mangeraient pratiquement que ça ce soir.

Le jeune libraire, libéré de la gêne, voulut offrir un sourire à son amie, en réponse au sien. Il se coinça alors les doigts de la main droite entre deux chaises. Un bref cri de surprise sortit de sa maigre carcasse tandis qu’il recula de deux grands pas, ses doigts meurtris enserrés dans son autre main. Sunny s’agita, et s’avança, inquiet, vers son maître. Il cherchait de ses deux grands yeux mordorés à comprendre quel mal avait frappé Oz. Ce dernier rassura l’animal en quelques phrases, et décida - une sensation de douleur encore tenace dans les doigts - d’écourter le rangement : « Merci Angela, tu peux laisser le reste. Je m’en chargerai demain avant l’ouverture. » Sa main valide vint trouver sur le comptoir les clefs du local et de l’appartement, et se referma dessus. « Après toi. C’est la porte tagguée juste à gauche quand tu sors. Elle est ouverte, la serrure est cassée. Il faut monter au premier. » Ellroy laissa passer son amie devant lui et donna un tour de clef à son magasin, avant de redescendre la grille. Il fut contraint d’utiliser ses doigts encore douloureux, ce qui lui arracha une grimace contrariée. Il était pourtant plutôt endurant face à la douleur. Aussi, espérait-il ne s’être rien tordu, voire cassé.
Sohan emboita ensuite le pas d’Angela et entra dans le petit immeuble à son tour, en gravit les marches menant au premier pallier. Il n’y avait qu’une seule porte, sur leur gauche. Oz s’avança et joua avec la serrure une poignée de secondes avant que celle-ci ne cède, leur donnant accès au petit appartement.

Si vous aimez le petit fan club qui s'est formé depuis que vous lisez régulièrement en ce lieu, vous n'êtes pas là pour eux. S'il ne vous l'avait pas demandé, vous ne seriez pas là, jamais vous n'auriez été là. Si vous êtes là, c'est pour lui, parce que vous l'aimez bien, parce que votre première rencontre a été psychédélique pour ainsi dire, hypnotique, et que quelques choses s'est créé entre vous deux cette nuit là. Est ce que c'est son esprit torturé qui vous attire à lui ? Cela ne fait aucun doute. Une étincelle, voilà ce que cela a été, mais maintenant les choses vont bien au delà. Si vous aviez entendu Klaus, nul doute que vous lui donneriez raison, et même sans l'avoir entendu, vous savez que ce n'est pas une simple amitié qui se passe ici. Est ce qu'il avait été captivé par votre récit ? Vu son temps de réflexion, vu son manque de spontanéité, vous auriez pu en douter, mais chez lui, ça voulait dire tout le contraire, il avait été tellement captivé, qu'il avait presque honte de l'avouer à voix haute. Vous en souriez néanmoins lorsqu'il confirme tout ça, vous donnant entièrement raison. Qu'en serait-il s'il lisait ? Difficile à dire, sa diction était moins fluide, mais avec de l'entrainement, il pourrait faire des miracles. Peut être que ce soir, vous pourriez faire un exercice de ce genre, après le repas. Vous verrez le moment venu, mais cette invitation était plaisante même si le repas était raté, ce ne serait pas un problème, vous ne mangez que rarement par pur plaisir, tellement par nécessité que sauter un repas n'est pas un problème. Quoiqu'il en soit, si le repas n'était pas bon, ce qui n'était pas à exclure même si vous ne pourriez pas lui en vouloir, il y avait cette part généreuse de tarte de Klaus. C'était la première fois qu'il vous offrait ce genre de délice, mais visiblement Oz avait déjà eu à en manger, et cela semblait être bon. Il ne semblait pas être sûr que sa cuisine soit mangeable, mais ce n'était pas grave.

" Ne t'en fais pas pour ça, je suis sûre que ça serait bon. Qui sait peut être que sommeille en toi l'âme d'un grand cuisinier. "

Vous en souriez mais comme vous n'avez jamais mangé sa cuisine, tout cela est très hasardeux. Peut être que ça sera bon, peut être que non, difficile à dire, vous constaterez dans peu de temps quoiqu'il en soit. Peut être qu'il avait fait mijoter quelques choses qui était sur le feu depuis le début de la séance de lecture, enfin juste avant donc. Vous rêviez d'un repas à vous en pourlécher les babines l'espace d'un instant, avant de vous dire que ceci était secondaire, pas forcément important dans l'absolu. Alors qu'il rangeait le mobilier, il sembla légèrement se faire mal, criant et se reculant des chaises qu'il était en train de ranger. Son chien s'approcha rapidement, mais il le rassura alors vous ne posiez pas plus de questions à ce sujet. Vous l'aidiez à ranger mais il semblait être pressé de manger, vous disant qu'il finirait le rangement demain avant l'ouverture. C'était lui qui voyait, pour vous ça ne changeait pas grand chose dans l'absolu. Vous sortiez du local pour monter à son appartement donc, et d'y entrer. Instinctivement vous humiez l'air pour savoir ce qu'il avait pu préparé mais rien de significatif n'en ressortait, tant pis, ce sera la surprise, vous n'aviez pas envie de lui demander alors que vous lui tendiez la part de tarte, qu'elle finisse peut être au frigo s'il en possédait un en état de fonctionnement. La décoration était éclectique, mais elle était néanmoins plaisante, une sorte de compromis entre bien des choses.

" Je dois quitter mes chaussures ? Tu me fais visiter ? "

Pour les chaussures vous en doutiez un peu mais vous préférez demander, on ne sait jamais, quand à la seconde question, elle était presque de rhétorique, il semblait évident qu'il vous ferrait visiter.

Il y était parvenu : il l’avait invitée à venir manger chez lui. En tout bien, tout honneur, bien entendu. Pourtant, son stress semblait indiquer que quelque chose d’important pourrait se jouer ce soir. Sohan parvenait difficilement à être au clair avec lui-même. Il n’avait parlé à personne de son lien si atypique, si spécial avec Angela. Il s’était tu, non pas par gêne, du moins au début, mais pour ménager les susceptibilités de ses amies. Toutes avaient une tendance prononcée pour l’exclusivité et craignaient constamment qu’une autre profite de sa gentille et naïveté. Aussi, elles aimaient donner leur avis – souvent catégoriques – sur les autres. Par exemple, India ne tolérait pas vraiment qu’il fréquente Elsa. Pixie émettait également des réserves concernant sa sœur Blackened Beauty. India et Pixie s’acceptaient, mais Ellroy n’avait jamais tenté de les mettre dans la même pièce, sans trop savoir pourquoi il ne voulait pas tenter l’expérience. Peut-être redoutait-il un silence malaisé. Ou alors, une complicité motivée par le besoin de lui faire la morale. Car il avait beau avoir trente ans passés, les deux jeunes femmes aimaient adopter avec lui un ton maternel, ou autrement dit, maternant et parental. Mais cela n’empêchait pas que Sohan appréciait faire l’objet de leur attention et affection.
Aussi, le libraire s’était demandé à plusieurs reprises pourquoi il avait la sensation que les femmes qui comptaient tant pour lui ne sauraient approuver Angela. Il était tenté d’accuser une bonne vieille rivalité féminine, mais il savait qu’il ne s’agissait là que d’une forme de sexisme désuet. Au fond, Ellroy pensait que ce qui pourrait les inquiéter serait l’intensité confusionnelle avec laquelle il ressentait son amitié pour la jeune blonde. Comme s’il y avait quelque chose d’irraisonnable et d’irrationnel dans la façon de se donner à elle. Il avait l’impression qu’aucune limite ne pourrait jamais arrêter leur psyché, tant elles étaient libérées par ce que beaucoup appelaient la folie.

Toujours était-il que Sohan et Angela, parvenus au premier étage du petit immeuble, entrèrent dans l’appartement du locataire. Ce dernier eut la désagréable sensation que son intérieur était trop négligé pour être ainsi présenté à son amie. Or, il était trop tard pour lui demander de finalement attendre quinze minutes sur le pallier, le temps qu’il passe un coup de serpillière. Un sourire figé sur les lèvres, Oz voulut masquer son embarras et saisit la tarte que lui tendait Angela. « Entre, je t’en prie. C’est… » Il voulait pointer le désordre qui régnait chez lui et s’en excuser -désordre qui n’était qu’une vue de son esprit soudainement trop anxieux – mais se ravisa : « C’est chez moi. » En même temps, il ne se serait pas permis de l’inviter chez la voisine du second…
S’insultant mentalement d’être un abruti, Sohan s’avança dans le séjour et se rapprocha du coin cuisine. Il déposa la tarte sur le petit plan de travail à côté de l’évier et se pencha ensuite pour ouvrir son réfrigérateur. « Tu veux boire quelque chose ? J’ai de la bière et du vin blanc. » Apparemment, ce second alcool était « apprécié des femmes ». Oz ignorait d’où sortait ce qui lui semblait être un a priori débile, mais il avait fait confiance au caviste. Et au prix où il avait payé cette bouteille, Sohan espérait qu’Angela serait ce genre de femmes.

Son amie ne s’était avancée que de quelques pas dans l’appartement. Elle lui demanda s’il était nécessaire qu’elle enlève ses chaussures. Puis, elle sollicita une visite des lieux. Revenant vers elle, il lui répondit : « Comme tu préfères. Je dirai même, fais comme chez toi ! » Un sourire courtois plus tard, Ellroy présenta d’un geste de la main son séjour : « La pièce de vie, avec un salon et un coin cuisine, comme tu peux le voir. » Décidément, il avait l’impression de ne balancer que des évidences qui ne méritaient aucune explicitation. « Là, à droite, le bout de couloir dessert, porte de gauche, ma chambre, puis la salle de bains, et la porte de droite cache les toilettes. » C’était à peu près tout. Mais il prit la peine de s’avancer dans le fameux couloir et de pousser les portes de sa chambre et de la salle d’eau pour en donner à voir l’intérieur. « C’est basique, mais suffisant pour moi », conclut-il, presque désolé de n’avoir rien de plus impressionnant à offrir à voir à son amie.

Puis ses pas le conduisirent à nouveau dans le séjour. « Dans la seconde bibliothèque, j’ai un lecteur de vinyles et pas mal d’albums : des classiques du rock et du metal, mais aussi du jazz et de la techno. Je te laisse choisir la musique pendant que je commence à cuisiner. » Plus tôt dans la journée, Oz avait coupé une tomate, un oignon rouge et le poulet en morceaux. Il devait commencer par faire cuire les oignons avant d’y verser le lait de coco, la pâte de curry et les tomates. Mais avant de toucher quoique ce soit, il se lava longuement les mains, se laissant hypnotiser quelques secondes par le bruit de l’eau. Et quand Ellroy revint à l’instant présent, la musique avait empli le séjour.

Vous ne saviez pas comment les choses allaient se passer, mais s'il y avait bien une personne avec qui vous aviez une belle relation, c'est bien avec lui. Vous étiez amis, mais en grattant un peu la surface, tout le monde pouvait voir qu'il y avait plus que ça, même si pour le moment, vous ne vous l'étiez pas véritablement avouée à vous-même. Mais l'invitation était là, et vous aviez hâte de connaître un peu plus son univers au delà d'ici, au delà d'un lieu pouvant accueillir du public, juste lui, juste vous, juste vous deux. Et donc, vous montiez à l'étage, chez lui. C'était un petit appartement ce qu'il y a de plus classique mais qui semblait être fonctionnel et proche de son lieu de travail ce qui était un bel avantage. Il ne savait pas comment agir, s'il fallait qu'il en fasse plus, ou moins, difficile à cerner ce qui pouvait lui passer par la tête alors qu'il prenait la part de tarte que vous pourrez déguster en dessert tout à l'heure. Il vous proposa alors rapidement à boire. Désirait-il vous saouler ? Cette idée traversa forcément votre esprit puisqu'il ne proposait que de l'alcool, mais après tout, peut être que ça serait plus facile pour vous deux, pour la suite, si vous étiez un peu alcoolisé, n'est ce pas ? Possible, peut être que c'était ça le plan, ou alors, il voulait juste faire bien proposant bière et vin blanc.

" Si c'est un vin blanc moelleux et sucré, je veux bien, sinon, ne te tracasse pas, je prendrais la même chose que toi, ça m'ira bien. "

Vous ne vous rendiez pas compte que vos connaissances en vin, bien que limitées, étaient sans doute plus importantes que celles que possédaient Sohan. Il existe en effet, tout un tas de vin blanc différent, même si la gamme est donc différente de celle des vins rouges ou rosés. Mais il faut avoir vécu de l'autre côté du mur pour comprendre et connaître véritablement ces subtilités. Est ce qu'il avait acheté la bouteille exprès pour ce soir là ? C'était une possibilité, dans ce cas, même si le vin blanc n'était pas si moelleux que ça, qu'il était juste fruité, ou demi-sec ça irait. Même s'il était un peu sec, ça resterait du vin blanc avec des touches de parfums différents. Vous n'en aviez pas bu depuis un moment. En même temps, vous ne buvez pratiquement jamais d'alcool. Après avoir fait quelques pas dans l'appartement, vous lui demandiez toutefois s'il fallait enlever les chaussures. Ce serait à vous de décider. Ainsi donc, pour le moment, pas précaution, vous les gardiez à vos pieds ne sachant pas si le sol était assez propre pour vous baladez sans protection. La visite commença alors, et l'appartement était classique, sans fioriture bien qu'un poil impersonnel, mais c'est mieux que s'il y avait trop de décorations exotiques.

" Oui, c'est fonctionnel, c'est le plus important de toute façon. "

L'appartement d'une personne ne reflétait en rien ce qu'elle était, et en cette occasion, c'était assez équivoque. C'était un appartement pour une personne, assez grand mais pas trop pour ne pas avoir à faire le ménage trop souvent bien que cela ne soit pas un souci pour vous. Vous reveniez donc au niveau du séjour. Il semblerait que vous soyez donc en charge de la musique le temps qu'il cuisine ou finisse de cuisiner ce qu'il avait pu déjà commencer à préparer. Et donc, c'est avec naturel que vous optiez pour un vinyle de jazz. En musique d'ambiance c'était parfait même si pour la suite, peut être que du rock ou du métal serait mieux à même de refléter l'ambiance qui régnera ici.

Il réfléchissait beaucoup trop, ce qui n’était pas sans susciter un certain inconfort. Pourtant, la relation qui le liait à Angela avait toujours eu pour force d’être naturelle et spontanée, car donnée tel quel, sans qu’aucune réflexion ne puisse l’ébranler. Mais, récemment, l’évidence de leur amitié avait vacillé, tremblé. Et cette secousse avait eu pour épicentre une discussion avec Pixie et Kenan sur les relations sentimentales et de couple. Bien qu’il eût, trente ans durant, un désintérêt total pour tout ce qui relevait du sexuel et du romantique, Ellroy s’était surpris à se demander pour la première fois s’il ne passait pas à côté de quelque chose. Voir ses amis s’épanouir grâce à l’autre, comme variable indispensable à ce bonheur, l’avait amené à reconsidérer ses propres relations affectives. Comme à son habitude, Oz s’était plongé dans la littérature afin d’en extraire des éléments de réflexion. Il avait également eu une discussion à ce sujet avec Elsa, pour connaître son point de vue sur cette question. En revanche, il n’était pas parvenu à ouvrir cette discussion avec sa demi-sœur. Tous les deux semblaient ne pouvoir se voir que comme dénués de tout désir charnel et de toute ambition sentimentale, comme si tout cela n’existait pas. Sohan avait tiré pour conclusion provisoire de tous ces éléments que l’amour était une vaste problématique, d’autant qu’il échappait régulièrement à une claire et explicite mise en mots de ce qu’il pouvait susciter. L’usage des métaphores était un exemple significatif de cet impossible à dire, comme si de l’amour demeurait à toujours une part d’incompréhensible, d’inintelligible. Et après deux mois d’investigation, le jeune libraire désirait connaître l’opinion d’Angela sur le sujet. Une curiosité qui l’avait d’autant plus troublé qu’il avait ressenti une forme de gêne à la simple idée d’en parler avec elle, comme s’il y avait un risque à savoir ce qu’elle pensait.
Bref, il réfléchissait encore, et cela devenait réellement invalidant. A ainsi observer chacune de ses pensées, Sohan se retirait dans sa psyché, et négligeait la réalité d’un instant partagé. Angela eut néanmoins la délicatesse de ne rien dire de l’état lunaire de son hôte. Peut-être même qu’elle n’avait rien remarqué, mais cette hypothèse lui paraissait peu crédible : rien ne semblait échapper à son regard perçant.

Ellroy fit visiter les quelques mètres carrés qu’il habitait à son invitée. Il conclut sa présentation d’un constat mitigé quant à ce qu’il avait à lui montrer : son chez-lui n’avait que le mérite d’être basique. L’endroit ne manquait pas d’âme – on ressentait bien que ces murs étaient habités -, mais n’avait aucun charme. La décoration était assez pauvre et trop hétéroclite pour prétendre à la moindre réflexion. Sohan se sentit déçu de ne pas avoir été capable de mieux.

Puis, sur un fond de musique jazz, il se décida à débuter la cuisine du plat de ce soir : un poulet au curry. L’entrée, un taboulé libanais, était déjà prêt, car acheté le matin même à un petit traiteur. Les mains lavées, il ouvrit la porte du petit réfrigérateur et en sortit les tomates et oignons. Il saisit également la bouteille de vin blanc et en lut l’étiquette, qui ne lui apprit rien de si cette boisson était moelleuse et sucrée. « Je… Je ne sais plus ce que le vendeur m’a dit exactement. Mais je crois me rappeler que c’est plutôt fruité. Le mieux, c’est encore de goûter j’imagine. » Se grandissant, Oz chercha dans un placard en hauteur deux verres à pied que lui avait achetés India. Elle avait trouvé « honteux » qu’il puisse boire du vin dans des verres classiques, juste dignes à contenir de l’eau. Profondément désolé, il s’était empressé d’aller acheter des verres à pied dès le lendemain, n’ayant pas saisi que cette remarque avait été plus motivée par l’humour que par une réelle indisposition.
Une fois la bouteille débouchée – non sans mal, Sohan ayant à faire au second bouchon de sa vie -, il remplit à un quart les verres, et en tendit un à Angela. « Si tu n’aimes pas, ne te force pas. » Il trinqua avec elle avant de plonger ses lèvres dans l’alcool. Celui-ci était effectivement sucré et fruité, sans être trop liquoreux pour autant. Voulant laisser à son invitée toute la liberté de se prononcer ou non sur le goût du vin, Ellroy la libéra de toute attention, et se retourna vers sa gazinière électrique. Il plaça sur un feu une grande poêle creuse dont il recouvrit le fond d’huile. Puis il y ajouta les oignons. Il fallait maintenant attendre qu’ils frémissent.

Invitant Angela à s’asseoir dans le coin salon, Sohan lui emboîta le pas et voulut relancer la discussion : « Ta semaine s’est bien passée ? » Les deux amis se voyaient à un rythme hebdomadaire dans le cadre des séances de lecture à la librairie, et ils avaient ainsi gagné une certaine visibilité sur le quotidien de l’autre. « Tu arrives toujours à trouver du temps pour préparer tes lectures ? » Angela avait divers projets, et les séances de lecture n’en étaient qu’un parmi d’autres. Cependant, il s’inquiétait que ce projet soit devenu trop lourd ou ennuyant pour son amie. Ainsi espérait-il, à travers cette question, savoir comment elle appréhendait les choses.

Est ce que vous n'êtes que de simples amis ? Les choses ne semblaient pas être si limpides que ça dans l'absolu, loin de là même, mais vous aviez décidée de vous laissez porter, voyant où la spontanéité de cette relation pourrait bien vous mener. Pour toi, ça n'avait aucune importance dans le fond, mais peut être que pour lui c'était bien différent, difficile à dire, il fallait bien l'avouer. Mais le fait d'arriver chez lui, pour la première fois était un signe implicite qu'un cap avait été néanmoins passé, n'est ce pas ? Absolument, mais il semblait être pensif, comme s'il était physiquement présent, mais mentalement ailleurs. Ceci était hautement probable, il lui arrivait régulièrement de décrocher, de partir loin de là où il était physiquement présent. Mais vous l'appréciez dans cet état de fait, ce n'était pas quelques choses de forcément dérangeant, pour vous en tout cas. Est ce que le fait que vous soyez chez lui pouvait le déranger ? Dans l'absolu, non, mais tout était dans l'interprétation des choses. Comment fallait-il le voir, l'interpréter ? C'était difficile à dire pour le moment, et même après une brève visite de l'appartement en question, vous ne sauriez pas dire la réelle idée qu'il avait derrière la tête, tout étant sujet à interprétation diverses et variées. L'amitié s'était naturellement installée entre vous deux, mais est ce qu'il y avait quelques choses qui allait de là de ceci ? Son appartement était fonctionnel et c'était donc le plus important, au delà d'un certain style, ça correspondait à l'homme qu'il était au final. Vous auriez été étonné de trouver une décoration trop marquée, même s'il aurait pu vous surprendre, chaque pièce aurait pu avoir un thème particulier, en fonction de la pièce en question, mais non, il n'y avait pas de surprises à ce niveau là, et vous le sentiez un peu déçu de ne pas avoir réussi à vous impressionner mais il n'y en avait pas besoin. Vous n'en rajoutiez pas néanmoins ça ne servait à rien du tout. Et donc, c'est sur un peu de jazz qu'il préparerait le repas. Vous ne saviez pas s'il savait réellement cuisiner mais c'était le geste qui comptait, n'est ce pas ? Oui, vous vouliez le voir comme ça même s'il serait assurément déçu s'il ratait son repas. Il ouvrit alors la bouteille de vin avec une assurance inexistante. Il faut dire que depuis que vous étiez ici, vous n'en aviez pas vu énormément de vrai bouteille de vin, et il ne faisait aucun doute que Sohan n'était pas habitué à en ouvrir mais il réussit à le faire non sans mal. Vous en souriez alors qu'il en verse quelques centilitres dans les verres prévus à cet effet. Il fut le premier à tremper les lèvres dans le liquide blanc. Le vendeur lui avait vendu un vin blanc fruité apparemment mais c'était bien le cas, ce qui convenait parfaitement pour un vin d'apéritif même s'il aurait pu être plus moelleux et sucré évidemment. Mais il était très bon.

" Il est très bon rassure toi, le vendeur ne t'as pas trompé sur la marchandise, tu pourras y retourner. "

Vous saviez que certaines personnes par ici aimaient profité de la crédulité des habitants, de ceux qui n'ont jamais vu de l'autre côté du mur, mais vous, vous connaissiez alors il était difficile de vous duper sur ce genre de chose. Mais là, il était dans les clous; donc tout allait bien. Il commença donc à préparer le repas sans faire quelques choses qui semblait sortir de l'ordinaire. Ce n'est pas que vous n'aviez pas confiance, mais vous savez cuisiner, même si vous ne prenez pas toujours le temps de vous faire quelques choses évidemment. Il vous demanda alors si la semaine avait été bonne et c'était le cas.

" Elle l'a été oui, j'ai pu préparé ma lecture tranquillement, je me suis enregistré pour voir comment la faire de la manière qui capterait le plus notre auditoire. Au vue des regards pendus à mes lèvres ce soir, je pense que je ne m'en suis pas trop mal sortie, n'est ce pas ? "

Vous lui posiez la question, même si la réalité était ailleurs, la question n'attendant pas réellement de réponses tellement cela semblait être évident. Ils avaient aimés, et il ne fait aucun doute qu'ils seront là la semaine prochaine pour découvrir la suite du récit. Votre emploi du temps était assez flexible par rapport à votre rythme d'enregistrement de podcast. Si vous aviez habituée vos auditeurs à un rythme régulier, parfois il était plus rapide, parfois un peu plus court.

Non sans effort Sohan essayait d’agir et d’interagir le plus naturellement possible, mais il ne pouvait s’empêcher de continuer à observer chacun de ses mouvements ainsi que la moindre de ses pensées. Il espérait que reporter son attention sur les préparatifs en cuisine qui l’attendaient l’aiderait à réduire cette distance entre l’instant partagé avec son amie et sa temporalité interne, bien plus chaotique et prégnante. Bien que le vin ne fût servi à ce dessein, l’ébriété qu’il pourrait procurer apparu salutaire au jeune libraire. Ainsi, il but rapidement une seconde gorgée avant de mettre à cuire les oignons, délaissant son verre à côté de l’évier. Dans son dos, sur une musique jazz, Angela commenta le vin servi et le décrivit comme « très bon », confirmant qu’il ne s’était pas fait arnaquer par le caviste. Oz se sentit rassuré et se détendit légèrement. Cette soirée ne connaissait, pour le moment, aucune contrariété. Et il réalisa qu’il devait cesser d’autant cogiter s’il espérait pouvoir en profiter lui-aussi.

Les oignons sur le feu, Oz proposa à son amie de rejoindre le confort – relatif – du coin salon, où le canapé en cuir n’attendait qu’eux. Angela pouvait également choisir de s’installer dans le fauteuil si l’assise lui seyait mieux. Reprenant son verre de vin, le jeune homme en but une nouvelle gorgée et demanda ensuite, l’haleine sucrée, si son invitée avait passé une bonne semaine. Quelques platitudes semblaient nécessaires pour calmer l’affolement des pensées du natif. Or, sa seconde question trahit ses angoisses : il cherchait déjà à obtenir des éléments de réponse quant à un sujet qui le préoccupait, et il sentit sa psyché s’emballer à nouveau.
La réponse d’Angela aurait pu le rassurer, mais faute de savoir clairement si elle aimait encore faire ces ateliers avec lui, Ellroy ne parvenait pas à se défaire d’une certaine gêne. Il évita néanmoins de lui planter un silence anxieux et répondit à son amie, d’une voix mal assurée : « Pas trop mal sortie ? C’est peu dire. Car oui, ils étaient clairement suspendus à tes lèvres. C’était une superbe prestation ! Mais… » Sohan se tut, ravalant les mots qui lui venaient. Or, un « mais » lui avait échappé, indiquant bien trop clairement qu’il avait quelque chose à redire sur ses déclarations. Pouvait-il laisser sa phrase en suspend en l’état ? Angela n’allait-elle pas, en imaginant la suite, se méprendre sur ce qu’il comptait dire ? Il n’y avait qu’une seule façon de limiter un tel risque : dire ce qu’il n’avait pas osé prononcer. « Mais je voulais savoir si ça te plaisait toujours autant de faire ces lectures, ainsi que de les préparer avec tant de soin. Cela fait maintenant plus de six mois que tu interviens à la librairie, je comprendrais que tu puisses t’en lasser. En tout cas, je ne veux pas que tu ne les fasses que pour moi, parce que tu te serais engagée vis-à-vis de moi. Il faut que ce soit un plaisir pour toi aussi. » Voilà qui était dit, et d’une manière plutôt claire. Ressasser cette question avait au moins eu le mérite d’en rendre l’énonciation intelligible et concise. « C’est peut-être bête, mais ça m’angoisse depuis quelques semaines maintenant. Tu… tu n'as jamais rien montré qui indiquerait être lasse des lectures, mais je veux être sûr que tu aimes ce que tu fais. Je ne supporte pas l’idée de t’imposer quelque chose. » Sa voix perdit en vigueur, au point de n’être plus qu’un murmure au moment d’articuler les derniers mots. Le jeune homme se força à observer son amie, afin de saisir le moindre élément de réponse qui animerait son corps. Il savait qu’il était plutôt facile de mentir avec les mots. Néanmoins, l’infra-verbal était un langage autrement plus difficile à discipliner et donc souvent porteurs des vérités de l’interlocuteur.

Si concentré qu’il était, Sohan en oublia les oignons qui, saisis à un feu trop vif, et déjà caramélisés, commençaient à brûler.

Il n'y avait pas que votre voix qui était enchanteresse, mais vous preniez un malin plaisir à l'utiliser de la meilleure des façons, que ça soit dans ces séances de lecture devenues hebdomadaires, ou dans vos podcasts qui continuaient de paraître régulièrement sur la toile, écorchant doucement mais sûrement les âmes qui vivaient ici. Bien entendu, vous n'étiez pas aussi tranchante avec les personnes que vous côtoyiez régulièrement, mais vous ne mâchiez pas vos mots avec les autres, ceux qui étaient prêts à tout entendre de votre part. Mais voilà, vous étiez une petite voix de Downfall, pour ainsi dire le petit diable qui sort de sa boite ou quelques choses comme ça. Mais avec celui qui était là, vous n'étiez pas cette voix carnassière, mais tout le contraire, vous étiez bien plus douce, bien plus compréhensive avec celui qui semblait tant vous ressemblez sur bien des points, mais qui était aussi tant éloigné, c'était presque paradoxal d'ailleurs. Mais le feeling entre vos deux âmes était indéniable, si bien qu'une amitié s'était forgée, et qu'elle se dirigeait naturellement vers quelques choses de plus fort. Est ce que cela se fera aujourd'hui ? Difficile à dire, parce que si dans votre esprit cela se dessinait de plus en plus clairement, dans celui de votre hôte, c'était assurément différent, plus complexe, parce que vous étiez bien différents à ce niveau là. Vous seriez atypiques, voguant dans des eaux troubles, mais ce n'était pas un réel problème, n'est ce pas ? Pas pour vous en tout cas Angela, mais pour lui ? Peut être bien oui. Et le vin qu'il avait acheté était très bon, il convenait parfaitement à l'usage qu'il voulait en faire, et de vive voix, vous veniez de le lui confirmer, mais dans son regard, il y avait cette pointe d'inquiétude malgré tout. Ce n'était pas par rapport au vin, par rapport à d'autres choses, votre collaboration de lecture en priorité. Il avait conscience que cela pourrait devenir ennuyeux pour un intellect comme celui que vous possédiez mais ce n'était point le cas. Préparer vos lectures, et voir le regard des autres éberlués à chaque fois était une belle récompense et votre premier fan n'était pas très loin, néanmoins, s'il ne doutait pas de vos performances vocales, il semblait s'inquiéter de ce qu'il y avait autour. Et donc, il voulait vous en parler depuis quelques semaines déjà, voilà qui était fait, et votre sourire trahissait déjà votre pensée. Est ce que faire ceci n'était pas une gageure pour vous ? Aucunement, sinon, vous en auriez parlé avec lui, et vous auriez claqué la porte depuis longtemps. Vous venez à lui prendre une main.

" Si cela ne me plaisait pas, je t'en aurais fait part, mais ce n'est pas le cas. C'est entré dans ma routine hebdomadaire et c'est un plaisir de ravir tes oreilles, mais aussi celle de notre petit fan club. Par contre, tu devrais aller voir tes oignons, je crois qu'ils sont à présent bien cuit. "

Vous l'aviez rassurée sur la lecture, mais pas sur sa cuisine, mais de là où vous étiez, vous l'entendiez et vous sentiez qu'il était temps de rajouter les ingrédients suivants si vous vouliez manger quelques choses. Dans le fond, la nourriture était secondaire, mais bon, il s'était donné du mal, ce serait bête quand même.

Finalement, ses pensées lui avaient échappé, éclatant en mots prononcés à haute voix, en quête de vérité. Savoir avait été retenue comme l’alternative la plus viable et honnête ; alternative rendue possible par la qualité de leur relation. Il en était convaincu à présent : l’hypocrisie, même par condescendance, n’avait pas sa place dans leur lien. Et à présent qu’Angela le rassurait quant à son investissement enthousiaste des ateliers de lecture, Sohan avait honte d’avoir ainsi pu douter de leur amitié. Quand bien même la jeune femme aurait déclaré vouloir cesser leur petite entreprise, Oz réalisait que cela n’aurait en rien remis en question leur attachement réciproque. Il aurait certes été déçu d’avoir embarqué son amie dans un projet qui lui déplaisait, mais il lui paraissait évident que cela n’aurait pas pour autant précipité la fin de leur amitié.

Un liseré rosâtre et honteux traversa à nouveau le visage du jeune libraire. Sa main libre vint gratter nerveusement son menton, tandis que l’autre, logée au creux de celles d’Angela, s’était raidie d’inconfort. Pourtant, encore une fois, ce fut avec délicatesse que son amie lui signala, cette fois-ci, que les oignons semblaient bien cuits. Jurant d’un bref « Oh merde », Ellroy rompit toute proximité avec Angela et courut jusqu’au coin cuisine. Dans la poêle, les oignons commençaient effectivement à noircir. Par de grands gestes maladroits et précipités, Sohan versa une brique de lait de coco, faisant ainsi rugir le revêtement brûlant de la poêle. Il vida ensuite un pot de pate de curry à coups de grosse cuillère. Puis il mélangea le tout, jusqu’à ce que le liquide prenne une couleur uniforme. Oz rajouta enfin les morceaux de tomates dans la poêle ; ceux-ci furent aussitôt engloutis par la sauce. Il réduisit enfin la puissance de feu. Sohan doutait avoir procédé à toutes les étapes dans le bon ordre. Si Sam lui avait écrit sur un bout de papier comment réaliser simplement un plat en sauce curry, Ellroy l’avait perdu, certainement au moment de faire les courses ce matin. C’était donc de mémoire qu’il tentait de réaliser ce plat, et son opération lui paraissait mal engagée. Sam l’avait mis en garde sur les puissances des feux, expliquant que brûler un ingrédient nuirait au goût de tout le plat. Oz percuta, un peu trop tard, qu’il aurait peut-être dû enlever les oignons brûlés avant de procéder à l’ajout des autres ingrédients. Mais il était trop tard à présent pour y remédier. D’une manière aussi littérale que métaphorique, Ellroy posa un couvercle sur ce curry qui se faisait de plus en plus contrariant et revint vers Angela, assise dans le petit séjour.

Il lui fallut quelques secondes - un sourire bête sur les lèvres en guise de parade - pour reprendre le fil de leur discussion à peine entamée. Ah, oui, ils parlaient des ateliers de lecture. « Je ne sais pas pourquoi j’ai pu douter que tu oses m’en parler. Parfois je me perds un peu dans mes pensées et angoisses, et j’en oublie que les gens sont les plus à même d’exprimer ce qu’ils pensent. En tout cas, je suis soulagé de savoir que tu aimes cette routine ainsi que notre « fan club », comme tu dis. Ces personnes sont vraiment adorables : elles sont à chaque fois très contentes des séances, et ne cessent de nous remercier pour le temps qu’on leur accorde. Ce n’est pourtant pas grand-chose, mais cela semble faire la différence pour elles. C’est chouette et un peu triste à la fois… »

L’odeur épicée et salée du curry s’imposa dans le petit appartement. Prenant une gorgée de vin blanc, Sohan observa son mobilier comme s’il le découvrait pour la première fois, pensif. Sa psyché continuait de produire un flot intense de pensées, si bien que sans trop savoir pourquoi il en était arrivé à cette interrogation, il demanda à son invitée : « Y’a-t-il des personnes à qui tu tiens ? Peut-être des personnes qui t’attendent au-delà du mur ? Tu… tu ne parles jamais des autres personnes que tu fréquentes ou qui comptent pour toi. On en a peut-être déjà parlé, mais je n’en ai aucun souvenir. » Et il avait une très bonne mémoire. Ses yeux se posèrent sur la jeune femme, l’observant avec pudeur.

Votre relation va bien au delà des ateliers de lecture qui ont été mis en place dans la librairie du brun, bien au delà de ça, et il s'en rendait à présent bien compte, tellement qu'il en oubliait le repas qu'il était en train de préparer, perdu dans ses pensées pour ainsi dire, sans qu'il ne se rende réellement compte de ce qui était en train de se passer. Vous n'êtes pas la meilleure des cuisinières, mais vous savez que si vous ne vous concentrez pas un minimum sur la cuisine, ça peut vite tourner au désastre. Est ce que c'était le cas ici ? Possible, après tout, il n'avait mis que les oignons, pas le reste. Peut être qu'il serait plus judicieux de préparer tout cela à deux, n'est ce pas ? Peut être oui, mais en aucun cas vous ne désiriez vous imposer à lui dans ce qui était son appartement. Peut être qu'il aimait cuisiner, seul, sans personne autour de lui, peut être que c'était un peu son jardin secret, ou alors il faisait un effort exceptionnel aujourd'hui. Vous ne sauriez dire ce qui était le plus probable, mais son esprit avait été accaparé par autres choses que la cuisine, si bien qu'il en avait oublié certains principes. Mais vous ne pouviez pas lui en vouloir, bien au contraire. Il continua donc la recette qu'il s'était prévu, et vous l'observiez faire. Les gestes ne semblaient pas être forcément bien maitrisés, il semblait faire au feeling, mais si c'était un bon cuisinier peut être que ça irait, vous verrez bien une fois le plat cuit et servi. Le repas était néanmoins secondaire, le plus important était le temps passé ici, lui, vous, les deux ensemble pour engranger encore sur cette amitié là. Mais étais-ce seulement de l'amitié ? N'étais-ce pas plus que ça ? Dans votre esprit, les choses semblaient allées dans ce sens, mais en aucun cas, vous ne désiriez brusquer tout ceci. Et donc, il revenait vers vous, réussissant à enchainer sur votre conversation à propos des ateliers de lecture. Il semblait soulagé que cela ne vous dérange pas d'y participer, mais c'est Sohan, il reste parfois perdu là-haut, dans ses pensées, perdu à un point où il ne réalise pas complètement les choses comme elles sont. Il pensait peut être que vous n'aviez plus envie de faire ça, mais si cela avait été le cas, vous lui en auriez fait part. Certainement que le fan club aurait été déçu de cela lui aussi, certainement oui, un autre aurait repris le flambeau, d'une manière différente, car il faut savoir s'approprier les textes et leur rendre leurs lettres de noblesses. Mais à priori, vous êtes celle qui sait le mieux le faire, qui lit de façon la plus fluide possible, sans buter sur les mots, rendant le texte plus vivant que jamais. Ainsi, Oz fait un constat à la fin de tout ça. Ces gens sont seuls, et c'est triste de constater que c'est un moment de convivialité qui se dresse devant eux, un moment de partage, un moment agréable dans leur semaine, raison sans doute de leur assiduité par ici, dans cette librairie. Si personne ne vient leur lire quelques choses, sans doute qu'ils ne viendraient plus, ou pas aussi souvent en tout cas, mais il est ainsi et pour le moment, il n'y a pas de raisons de changer de fusil d'épaule.

" Ce n'est pas facile pour ces personnes là tu sais. Je ne sais pas où elles en étaient avant que tu ne mettes en place la librairie, mais sans doute qu'elles sont effectivement souvent seules, et que donc c'est un moment privilégié de leur semaine. Ce serait dommage de le leur enlever, mais peut être que dans quelques temps nous ne le ferons pas. Ce n'est pas à l'ordre du jour, mais on ne sait pas ce qui pourrait se passer après tout. "

Il serait dommage de voir ces efforts partir en fumée, mais après tout, c'est Downfall, il ne faut pas s'étonner quelques choses puissent être plus compliquées qu'elles n'y paraissent. Et donc, il en vient à vous poser d'autres questions, plus personnelles, car il se sent suffisamment à l'aise pour les poser, sachant que vous n'allez pas l'envoyer sur les roses d'une façon trop violente. Vous êtes plutôt du genre à vouloir l'apaiser, et là, il se montre curieux, il veut tenter de comprendre des choses, des choses où il n'y a rien à comprendre en vérité. Vous n'êtes pas très volubile sur votre vie privée, parce qu'il n'y a pas grand chose à dire, c'est la triste vérité, un triste constat, un constat qui vous convient parfaitement. Vous souriez au fait que vous ayez déjà pu en parler.

" Nous n'avons encore jamais abordé ce sujet, donc tu n'as pas pu l'oublier rassure toi. Mais il n'y a personne qui m'attends au delà du mur, ma vie est ici depuis plusieurs années maintenant, mes amis sont ici. Il y a des personnes à qui je tiens oui, je crois que tu es la personne la plus précieuse que je possède ici Sohan. Non, je ne crois pas, j'en suis certaine, tu comptes beaucoup pour moi. "

Ce n'est pas une déclaration d'amour, pas vraiment, mais vous lui dites avec franchise et le plus de douceur possible que vous l'appréciez grandement, et qu'ici, à Downfall, il n'y a donc personne qui ne compte plus que lui. Vous ne savez pas exactement comment il le prendra, mais dans l'absolu, vous êtes persuadée que la réciproque est là, que vous aussi, vous comptez beaucoup à ses yeux sinon, vous ne seriez pas ici, dans son appartement pour un repas.

Le curry cuisait à feu doux. Il lui faudrait seulement ajouter le poulet d’ici cinq à dix minutes, puis mettre le riz à cuire, et le plat pourrait être servi. De retour dans le petit séjour, Oz se préoccupa de son invitée. Malgré ses égarements, il était parvenu à maintenir un fil de discussion à peu près cohérent. Angela s’était montrée rassurante, et lui avait garanti participer de bonne volonté aux ateliers de lecture. Son engagement était d’ailleurs double : elle le faisait pour lui, certes, mais aussi pour leur « fan club ». Sohan appréciait le souci de la jeune femme pour son auditoire, pour ces habitants du quartier qui avaient pris l’habitude de venir l’écouter lire des histoires toutes les semaines. Et il en vint alors à penser que les ateliers étaient devenus un temps apprécié de réunion et de convivialité pour plusieurs d’entre eux, qui plutôt isolés, ne se seraient sûrement jamais rencontré autrement. Les ateliers étaient une opportunité agréable pour faire passer le temps et rompre avec la solitude. Ils étaient l’occasion pour nombre d’entre eux de socialiser dans un espace sécurisant. Ellroy en conclut que ces moments partagés autour de la lecture étaient en effet une bonne chose, mais ils révélaient également l’isolement dans lequel se trouvaient certains habitants du quartier.
Angela soutint son constat. Elle fit allusion à la possibilité que ces ateliers ne puissent perdurer pour toujours. Il sembla à Sohan que la jeune femme tentait ainsi de dédramatiser la responsabilité qu’il éprouvait à devoir faire vivre ces moments. En lui rappelant que cela se terminerait nécessairement un jour où l’autre, elle l’invitait à relativiser son implication dans la vie de ces personnes : il ne leur devait rien, et il pouvait déjà se satisfaire des instants partagés qu’il avait su créer. Enfin, Oz ne savait pas si c’était exactement ce qu’avait voulu sous-entendre son amie, mais c’était ainsi qu’il interprétait ses mots. Aussi, il se contenta d’acquiescer, un léger sourire toujours pas vraiment satisfait sur les lèvres.

Puis, ses pensées divaguèrent, partant de ce constat de solitude dans nombre de vies pour interroger celle qu’il pouvait parfois ressentir. Depuis qu’il s’était sevré, Ellroy vivait autrement les moments où il se retrouvait seul : il les supportait moins bien. Adopter un chien était un aveu de cette difficulté à demeurer seul avec lui-même. Tout comme ce projet de librairie. Il avait, en ouvrant sa boutique, créé un prétexte et des occasions pour rencontrer des gens. Arrêter de traîner en teuf avait réduit sa vie sociale à une poignée de bons amis. Il ne fréquentait plus que Pixie et Kenan, Elsa, Lovelyn et Andrea ; et ce, à un rythme assez espacé, chacun étant pris par sa propre vie et ses projets. Mais le pire dans ce sevrage - et changement de vie de fait - n’était pas tant l’isolement social : c’était l’ennui. Sa psyché sous influence, jamais il n’avait ressenti ce sentiment de vide, du moins, de manière si envahissante et angoissante. D’une certaine façon, défoncé, Oz s’accompagnait de ses propres pensées, notamment parce qu’elles lui paraissaient étrangères à lui-même, et qu’il pouvait ainsi engager une forme de discussion interne. A présent, il ne s’entendait plus vraiment raisonner mais résonner. Il lui avait fallu occuper cet espace psychique, le peupler, avec autre chose que les chimères des stupéfiants.
Son cas considéré, Sohan s’interrogea sur celui de son amie. Angela lui avait dit avoir eu plusieurs versions d’elle-même car plusieurs vies, dont certaines de l’autre côté du mur. Elle s’était néanmoins établie à Downfall dans la perspective d’y demeurer. Avait-elle dû laisser des personnes importantes derrière elle ? Des parents ? Des frères ou des sœurs ? Des amis ? Un amour ? Refusant de spéculer sur cette question, Oz se décida à la poser. Il n’avait aucun souvenir d’avoir déjà eu cette discussion avec elle, mais introduisit toutefois cette possibilité, s’excusant ainsi de la faire se répéter si tel était le cas.

Le visage toujours égayé d’un sourire doux, Angela lui confirma n’en avoir jamais parlé avec lui. Peut-être parce que personne ne l’attendait au-delà du mur. Il n’y avait donc rien à dire. Elle s’était reconstruite une vie à Downfall, et attachée à certains de ses habitants, dont lui. Il était même la personne la plus précieuse qu’elle possédait ici. Surpris par cet aveu, Sohan détourna le regard, les joues légèrement roses. Jamais il n’avait imaginé occuper une telle place dans la vie de son amie. Il la trouvait si solaire et extraordinaire ; elle attirait forcément les gens, des gens bien plus intéressants que lui. Alors savoir qu’elle était plus attachée à leur amitié qu’aux autres qu’elle avait pu nouer à Downfall flattait l’ego hypotrophié du natif. Tentant de conserver un ton assuré, il poursuivit, voulant aller au bout de son propos : « Mais est-ce que tu as déjà aimé ? »

Qu'est ce qui allait se passer ? Comment cette soirée allait-elle se terminer ? Vous ne sauriez dire, vous ne vouliez pas brûler d'étapes vis à vis de celui qui était juste là. Il n'était peut être pas certain de tout ce qui était en train de se passer, mais vous vouliez lui ouvrir les yeux en douceur, chose que vous ne faites pas si souvent que ça finalement. En dehors du groupe de lecture et de Sohan, vous n'êtes pas forcément douce Angela, au contraire, vous êtes plutôt franche, brute de décoffrage, cela semblerait mieux vous caractériser, faisant preuve parfois d'une violence inouïe, mais ce n'était pas le cas en sa présence, comme s'il avait réussi à agir comme un catalyseur pour vous. Il n'était pas votre kryptonite, au contraire, il semblait avoir réussi à vous rendre meilleure, simplement à travers sa présence à vos côtés. Et lui, il semblait avoir ce calme, presque imperturbable, encore plus depuis qu'il était clean, depuis qu'il avait presque tout seul comme un grand décidé de reprendre sa vie en main et de faire plus de choses pour les autres, pour lui aussi, mais plus en étant tourné vers de meilleurs fréquentations. Est ce que vous en faisiez partie ? Oui, mutuellement, vous étiez du positif l'un pour l'autre, et plus vous y pensiez, plus vous vous disiez que ça pourrait être plus qu'une amitié, et vous vouliez faire ça en douceur, sans brûler de passion, la consumer et que tout parte à volo. Alors sa question avait du sens, parce qu'il voulait être sûr que les choses soient claires, et que peut être n'était-il pas certain de ce qu'était l'amour, que ce qu'il ressentait pour vous Angela était bien ce sentiment là dans le fond, et que cette invitation ici était bien un rendez-vous galant.

Pourtant, vous étiez en train de vous remémorer votre dernière histoire d'amour ... Et elle avait mal finie, si mal que vous aviez tuée votre belle, pour vous enfuir de votre hôpital psychiatrique arrivant ici à Downfall. C'est pour ça que de l'autre côté personne ne vous attendait, si ce n'est la case prison, quoique, il est certain qu'on vous jugerez irresponsable, que celle succulente infirmière s'était éprise de la mauvaise personne, qu'elle avait fait une grossière erreur et que finalement, vous en aviez simplement profitée. Mais vous l'aviez vraiment aimée, la passion brûlait fortement entre vous deux, jusqu'à ce qu'elle soit consumée, que ce cycle là se termine de façon tragique, et que vous arriviez ici, pour vous fondre dans le décor, tout simplement. Vous n'aviez rien, mais vous avez réussie à rapidement vous débrouiller, pour gagner un peu d'argent, un appartement, du matériel informatique, vos podcasts, un système qui fonctionnait à merveille, vous la petit voix de Downfall depuis quelques années maintenant. Vous racontiez la vie des habitants, avec un fond de vérité, toujours un fond de vérité, agencé avec le curry adéquat pour que ça puisse être possible, plausible, sans que ça ne puisse être véritablement vérifié, vérifiable aussi. Ce n'était pas le moment de faire peur au sosie de Freddy Mercury cela dit.

" J'ai déjà aimé, et j'aimerais encore, mais toi, est ce que tu as déjà aimé Sohan ? "

Vous le regardez avec une grande intensité comme pour lire en lui comme dans un livre ouvert. Vous ne voulez pas le brusquer, mais peut être lui faire comprendre que vous aviez ce sentiment pour lui, comme on avait pu le lui suggérer à l'oreille. Il était néanmoins libre de prendre ce genre de décisions.

A aucun moment Sohan n’avait envisagé aborder de tels sujets avec son amie. Ce repas, il voulait lui offrir en remerciement de son engagement aux séances de lecture à voix haute qu’il organisait dans sa petite librairie. Il n’avait jamais été question de venir, par des interrogations maladroites, jauger l’intérêt et la sincérité d’Angela à son encontre. Et bien considéré, cela lui paraissait inconvenant. Il l’avait piégée chez lui, le temps d’un repas avec entrée-plat-dessert qui, encore en préparation, contraignait la jeune femme à subir sa présence pour au moins une paire d’heures.
Pourtant, chacune de ses interrogations avait trouvé une réponse bienveillante et même aimante chez son invitée. Angela lui assura apprécier raconter des histoires aux habitants du quartier les vendredis soirs. Elle lui confirma aussi, plus qu’affectionner, estimer leur amitié. Dans cette vie qu’elle s’était reconstruite au sein du purgatoire downfallien, elle avait trouvé une âme errante à laquelle s’attacher. Sohan ne s’était jamais vécu comme une personne précieuse, à défaut d’avoir su faire luire d’amour le regard de sa mère. Il savait donc pas reconnaître cet éclat dans les yeux des gens qui l’aimaient. Cette impossibilité à pouvoir penser que son existence précieuse à certaines personnes avait été le sujet de plusieurs séances avec sa psychiatre. Celle-ci l’avait encouragé - faute de savoir décrypter les signaux – à poser clairement la question aux personnes auxquelles lui s’était attaché. Mais c’était la première fois qu’il appliquait ce conseil, n’ayant pas trouvé jusque-là le courage de se confronter à un éventuel rejet de la part de sa demi-sœur et de ceux qu’il considérait comme ses amis.

Angela se montrait disposée à répondre à chacune de ses angoisses, qu’elles fassent plus ou moins explicitement l’objet de ses questions. Elle devait le trouver pathétique à ainsi essayer de se réassurer. Oz choisit cependant de poursuivre ses interrogations, allant jusqu’à demander si son amie avait déjà aimé. Encore une fois, il se trouvait indiscret. Sa question posée, il tenta de noyer son malaise dans une nouvelle gorgée de vin blanc et acheva ainsi son verre. Angela l’observait avec intensité, et d’une voix posée et contenante, elle lui répondit avoir aimé, et se projeter dans de nouveaux amours. Puis elle lui retourna la question. « Dé-désolé, tout ça ne me regarde pas… » A nouveau rongé par l’impression désagréable de n’avoir aucune légitimité à imposer ce genre de discussion à son amie, Ellroy fuit côté cuisine.

Il ajouta à son curry les morceaux de poulet, et mit sur un second feu une casserole d’eau. Puis il ouvrit le placard qui contenait sa vaisselle et sortit deux assiettes et deux paires de couverts qu’il déposa sur la petite table. « Si tu veux venir t’asseoir, je vais servir l’entrée. Un taboulé libanais acheté chez un petit traiteur. » Sohan ne se risqua pas à la regarder, encore trop gêné pour oser croiser son regard.
Parallèlement à son anxiété, un sentiment de culpabilité croissait. A quoi jouait-il, à ainsi aller et venir dans la discussion, confrontant son amie sans jamais lui se risquer à dire quoique ce soit de ce qui l’animait ? Il n’était pas juste. D’autant qu’il savait qu’il pouvait lui faire confiance. Il devait cesser d’écouter les angoisses qui murmuraient à sa psyché et arrêter de remettre en question tout ce qu’Angela lui disait, car cela revenait à l’accuser de mentir. « Je suis désolé Angela. J’agis bizarrement ce soir… parce que c’est un peu confus dans ma tête… Pour répondre à ta question, je ne sais pas trop ce qu’est l’amour, celui dit romantique. Je suis attaché à certaines personnes : je tiens à elles, elles sont mes amies. Je veux leur bien, et je ferai tout pour elles. Je pensais que cela me suffisait… » Sohan ne savait pas comment mettre en mots ce qui lui manquait - si cela lui manquait vraiment. « Parfois, je me dis que je passe peut-être à côté de quelque chose. Et je ne sais même pas si j’en ai envie, parce que je n’arrive pas à le représenter… Ce que je raconte est bête. » La barquette de taboulé à la main, une cuillère dans l’autre, il commença à servir les assiettes, le visage baissé.

Vous ne pensiez pas que cette soirée prendrait cette tournure là avec Sohan mais après tout, ce n'était pas si dérangeant, parce que vous vous sentiez bien avec lui, normale ou presque, parce qu'il avait ce regard qui ne jugeait pas, tout du moins qui ne voyait pas le mal comme les autres. Depuis qu'il était à priori clean, depuis qu'il avait ouvert sa librairie, depuis que les séances de lecture s'y faisait de manière régulière, même si vous ne vous parliez pas tant que ça en dehors de ces moments, quelques choses s'était assurément créé entre lui et vous, quelques choses d'unique, sur lequel il n'y avait pas besoin de mettre spécifiquement de mots tant que ça convenait à lui, à vous Angela. Mais ce soir, il faut croire que les mots vont être posés sur les sous entendus, les non dits depuis maintenant quelques temps. Mais pour lui, tout cela semblait être très abstrait, car il n'envisageait pas réellement la chose, une belle amitié, voilà ce qu'il y avait déjà entre vous, mais dans le fond, vous étiez convaincue que c'était plus que ça, dans la logique des choses, dans une presque trop grande pureté. Malgré tout, il était mal à l'aise avec les idées qui étaient échangées, il ne se sentait sans doute pas forcément légitime de vous demander tout ça alors que pourtant, il en avait tout à fait le droit, et que vous n'y voyez aucun inconvénient. Vous lui parlez avec douceur, tact, mais avec une grande franchise comme avec tout le monde, sauf que vous saviez prendre les pincettes qu'il fallait avec lui, trop fragile, trop pure pour ce monde dans lequel il évoluait. Même de cette façon, il ne se sentait pas dans son assiette alors qu'il préparait petit à petit le repas. Allait-il répondre à votre question concernant l'amour ? Connaissait-il vraiment ce qu'était l'amour déjà ? Vous en doutiez fortement, il a toujours été bien au dessus de tout ça, comme ça ne le concernait pas, jusqu'à peu finalement, alors que son esprit semble réussir à être de plus en plus terre à terre pour ainsi dire. Il plane encore bien comme il faut la plupart du temps, mais votre impression est changeante au fil du temps, comme s'il arrivait de plus en plus à se poser, au moins quelques instants pour vivre presque normalement. Est ce que vous êtes en train de l'aider à cela ? Par vos mots, vos gestes, vos habitudes de lecture, cela n'en fait presque aucun doute, mais ça ne sera jamais suffisant s'il n'arrive pas à aller au delà de sa timidité maladive évidemment. Mais il arrivait à en faire plus avec vous, même si là, le sujet était trop sensible pour son encéphale. Et donc, il revint avec les assiettes, les couverts, vous aviez déjà les verres à disposition. L'entrée était un taboulé libanais acheté chez un traiteur de Downfall. Ce n'est pas quelques choses que vous avez l'habitude de manger, même si ça arrive, ce n'est pas ce qui vous vient facilement en tête à vrai dire. En tout cas, il avait à présent la tête basse, ne voulant pas affronter votre regard qui pourtant ne le jugerais pas, ne serait aucunement désapprobateur vis à vis de tout ce qu'il était en train de faire, de dire par rapport à cet amour qu'il n'avait peut être jamais réellement connu. Mais finalement, il prend son courage à deux mains, et répond, confirmant, ce que vous en pensiez. Il essayait tant bien que mal de s'exprimer, n'arrivant pas à s'expliquer comme il l'aurait souhaité, le visage baissé, il se mit alors à servir le taboulé dans les assiettes. Il n'avait pas à mettre des mots sur tout, et cela prendrait le temps que ça prendrait d'essayer d'aimer de cette façon. Souriante, vous veniez à lui soulever le menton avec votre main gauche.

" Ce que tu racontes n'a rien de bête, crois-moi. Au contraire, c'est très clair, plus que tu ne peux le penser. L'amour est un sentiment fort, il n'est pas toujours romantique comme tu le dis, on peut aimer ses amis, et être prêt à donner notre vie pour eux, et c'est beau, c'est rare qu'il en soit ainsi. Mais si tu as envie d'essayer, avec moi, je peux tenter de te montrer ce qu'est cet amour romantique, et tu verras s'il te convient, si cela te plait aussi. Il ne faut pas avoir peur, encore moins avoir honte de tout ça Sohan. Alors si tu veux essayer, on peut le faire, ensemble, tous les deux, et si ça ne te convient pas, on reviendra à une forme différente de cet amour. "

Vous savez que ça sera compliqué pour lui, mais s'il est déjà un ami fidèle et proche, dans votre coeur à vous, il a dépassé ce stade là depuis un petit moment. Vous l'aimez sincèrement, mais vous ne brusquerez pas les choses, vous irez à son allure. Ainsi s'il accepte votre proposition, mais que finalement, il n'y arrive pas, que cela ne lui plait pas, alors vous retournerez à un amour plus platonique sans que cela ne change réellement vos habitudes, notamment celles avec le club de lecture. La seule chose qui pourrait se briser, c'est lui finalement, car peut être qu'il aura peur, peut être qu'il n'aimera pas, mais comme il ne sait pas, comme il n'arrive pas à se représenter cet amour là, il faut qu'il essaye, qu'il tente d'essayer, d'aller au delà de ses habitudes, au delà de tout ce qu'il a pu déjà faire avant avec n'importe qui. Vous savez que vous êtes dans sa zone de confiance depuis tout ce temps, il sait qu'il peut vous faire confiance, encore faut-il qu'il arrive à franchir les quelques barrières qu'il reste à franchir. Aimerait-il un baiser ? Vous aimeriez bien le lui faire comprendre de cette façon, mais avant, vous attendez sa réponse alors même que votre main continu de soutenir sa tête, pour qu'il voit toute votre sincérité.

Sohan s’était replié dans le coin cuisine et s’affairait à dresser la modeste table à manger – et de jardin - à laquelle il invitait Angela. D’après les souvenirs qu’il lui restait de la recette donnée par Sam, une fois le poulet ajouté à la préparation, un minimum de trente minutes de cuisson à feu doux était souhaitable. Il pouvait aussi laisser la viande cuire plus longtemps ; elle n’en serait que plus tendre. Il était donc peut-être un peu tôt pour se lancer dans l’entrée, mais Oz espérait que, la bouche pleine, il saurait enfin se taire.
D’ailleurs, embarrassé, le jeune homme se refusait à regarder son amie. Il s’excusa cependant de son attitude. Angela avait toujours été bienveillante et tolérante avec lui. Elle avait compris comment il fonctionnait, et ne se formalisait pas de ses bizarreries. Pourtant, Oz avait l’impression d’abuser de sa patience. Il en venait parfois même à penser, comme en cet instant, - et quoiqu’elle en dise - qu’il lui faisait clairement perdre son temps avec ses discussions bizarres et ses lubies de libraire solidaire. Poursuivant néanmoins dans son effort de mises en mots de la question qui l’animait, Sohan fit mention de l’amour amical et du fort attachement qu’il pouvait ressentir envers certaines personnes. Or, il pensait ignorer ce qu’était l’amour dit romantique, celui qui mêlait sentiments, émotions et désir. Cet amour semblait occuper une place importante dans la vie des gens, notamment dans la vie de ceux qu’il côtoyait. Il permettait de faire couple, et d’ainsi affronter l’existence à deux.
Ayant lu sur le sujet, Ellroy savait cette modalité relationnelle – celle de l’union au nom de sentiments – occidentale. D’autres – et nombreuses - sociétés arborait la notion de conjugalité autrement, sans qu’elle soit infiltrée d’amour. Dans cette perspective, l’objectif de la réunion d’un homme et d’une femme était l’héritage, au sens d’une reproduction devant permettre la transmission d’un patrimoine, qu’il soit génétique, culturel, identitaire ou terrestre. Mais est-ce que les individus qui vivaient dans ces sociétés éprouvaient également le besoin d’aimer et d’être aimé par le dispositif généralement exclusif du couple ? Ou bien ce besoin avait-il été créé par les coordonnées existentielles données par la société occidentale ? De ce qu’il avait pu lire jusque-là, tant du côté d’une réalité sociologique, psychologique et anthropologique que du côté du fictionnel, le concept d’amour était complexe, car imbriqué dans de multiples logiques qui empêchaient tout universalisme de pouvoir s’imposer. Ainsi, en cet instant, Oz souhaitait découvrir et comprendre comment Angela se représentait ce concept d’amour romantique, ainsi que sa manière de l’éprouver, dans l’espoir naïf de pouvoir évaluer s’il ratait quelque chose.

La barquette de taboulé à la main, une cuillère dans l’autre, Sohan commença à servir les assiettes, le visage baissé. Il épargna à son amie le résumé de ses découvertes théoriques et littéraires sur le sujet, bien qu’il lui semblât fort attrayant de se cacher derrière leur récit plutôt que de s’exposer comme il venait de le faire. Qu’est-ce qu’il pouvait se sentir bête… Se réfugiant dans un silence honteux, il aperçut Angela quitter le coin salon et se diriger vers lui. Elle entra doucement dans son cercle de proximité intime et vint, d’une main délicate, toucher son visage. De ses doigts, elle l’invitait à relever le menton et à la regarder. Oz y consentit, les mains toujours occupées par la barquette de taboulé et une cuillère.
D’une voix bienveillante, Angela le rassura : ce qu’il avait raconté avait du sens. Du moins, en avait trouvé un chez elle. Elle déclina à son tour l’existence de l’amour amical, le décrivant comme noble. Puis elle lui fit une proposition qui sidéra Ellroy. Il en lâcha ce qu’il tenait. La barquette se renversa sur le sol, éparpillant petits dés de tomates et de concombres, ciselés de coriandre et graines de boulghour tout autour d’eux. Angela lui proposait d’entrer dans une relation romantique avec elle, pour lui montrer, et qu’il puisse ainsi juger de son intérêt pour un tel type de relation. Elle le mit aussitôt à l’aise : en cas d’inconfort, ils reviendraient à une autre forme d’amour, plus tolérable. Mais pourraient-ils retrouver cette amitié qu’ils partageaient compte-tenu de ce qu’il se serait passé ? Et puis, n’était-elle pas en train de se sacrifier pour lui, au nom de l’affection qu’elle lui portait, sans pour autant être forcément attirée par la nouvelle relation qu’elle lui proposait ? Cela faisait beaucoup de choses à analyser d’un seul coup. Aussi, Sohan se mit à bégayer : « Je-je ne sais pas... C’est-c’est… c’est… Laisse-moi-moi une minute. » Reculant d’un pas, il se libéra de sa main et tomba accroupi afin d’entreprendre le nettoyage du sol.
Ellroy savait qu’aussi tentant cela était-il, il ne pouvait se reclure pour la soirée dans le silence. Il se devait de faire suffisamment confiance à son amitié avec Angela pour oser lui répondre, et ce, rapidement, et d’ainsi montrer qu’il respectait les mots forts qu’elle avait partagés avec lui. « Je-je ne m’y atten-attendais pas. Mais… Mais il est vrai que cette question m’est ve-venue en pensant à t-toi… à-à nous. Sauf que je ne sais pas si je serai capable de-de te satisfaire… Je veux dire par-là que… que je n’ai pas-pas beaucoup de dé-dé-désir sexuel. C’est-c’est comme ça, je n’en re-ressens pas… Pourtant, oui, je serai cu-curieux de voir ce que ça fait-fait de faire cou-couple. Mais j’ai peur que si ça-ça ne nous plait pas, à l’un ou l’autre, ou tous les deux, que ça détruise ce qu’on a-avait déjà. Et j’ai-aime beaucoup ce qu’on partage déjà. »

Les choses n'étaient pas simples dans la tête de votre hôte pour la soirée Angela, mais ça ne l'était pas au départ, et avec ce qui se tramait sous le casque, ça n'allait pas l'être d'avantage, surtout au vue de ce que certains avaient pu lui dire. Si l'amour, le sexe sont des choses qui ne sont aucunement tabous pour vous, que ce sont des choses normales, appartenant à un certain quotidien, pour lui, c'était tout l'inverse, il était très pudique là-dessus, car son expérience était proche du néant, si elle n'y était pas. Vous en aviez conscience, c'est pour cela que vous n'aviez pas brusquée les choses, mais puisque le sujet arrivait sur la table, autant y aller, et contrairement à tous les autres, vous alliez y mettre des gants, sans être trop franche, trop cru, avec le plus de tact possible, avec le plus de douceur possible, comme la relation qui était en train de vous unir, une belle amitié, mais qui au fond était plus que ça, c'était juste qu'il avait du mal à s'en convaincre parce qu'il n'avait de toute évidence jamais rencontré cela, pas de cette façon. Des questions se trouvaient dans votre tête, mais vous ne les poseriez pas pour le moment, le but n'était pas de rendre ce moment tendre vers un malaise certain. Bien entendu qu'il y en aurait un peu, mais s'il avait besoin d'un temps de réflexion, vous le lui laisseriez, même si cela doit durer des jours, des semaines, vous êtes prête à attendre sa réponse même si elle est négative. Peut être qu'il ne désire pas aller au delà de votre amitié, car il ne se sent pas prêt pour ce genre de relation dont il ignore absolument tout. Pourtant, vous avez cru voir dans sa librairie qu'il y avait quelques bouquins sur le sujet des relations amoureuses, des conseils, mais aussi des romans dans ce genre là. Il n'est pas question d'imiter une quelconque romance, juste de partager votre temps ensemble d'une façon légèrement différente, parce que vous tenez à lui, plus qu'à quiconque, vous en êtes persuadée, mais c'est pour lui, que ça pourrait être plus difficile sans doute, qu'il faudra y aller au rythme qui lui conviendra. Ce soir c'est déjà un pas dans cette direction, un repas, préparé par ses soins pour vous deux, rien que vous deux, et personne d'autres, pas de potentiel chaperon, rien de ce genre là, juste vous deux. Mais visiblement, la proposition faites semblait être folle, terrifiante pour le jeune homme si bien qu'il en lâcha la barquette de taboulé sur le sol et le tout s'éparpilla un peu partout. Vous ne vous étiez pas attendu à ce que cela lui fasse un tel choc alors que pourtant votre proposition était sincère mais elle tenait compte de trop de paramètres pour lui, cela semblait à présent évident. Il avait lu sur le sujet, peut être même trop, car il voulait comprendre mais il était au dessus de tout ça, vraiment à des années lumières d'une rencontre de ce genre, alors que pourtant, vous saviez parfaitement que cette relation vous conviendrez. Mais peut être ne pensait-il pas que cela soit aussi simple dans le fond, parce que lorsqu'il s'agit du psyché, tout est rapidement plus difficile pour l'Ellroy. Pourtant, si les grains de semoule, les tomates et les poivrons recouvraient partiellement le sol à vos pieds, la priorité n'était pas au nettoyage, votre main toujours sur son menton. Mais il recula légèrement, se libérant de cette petite emprise. Il avait besoin de tenter de s'éclaircir les idées. Et donc, il commença le nettoyage à la main. Dans l'idée vous aviez envie de l'aider mais s'occuper l'esprit savoir avoir votre regard dans son champs de vision était plus simple pour lui. Pourtant, il répond rapidement à votre proposition. Il aimerait essayé, mais il a peur de perdre ce que vous avez déjà, et il ne le veut pas, il n'en a pas envie, parce que votre amitié lui plait grandement, lui convient plus qu'il ne lui en faut. Mais c'est vrai, il marque un point sur le désir sexuel. Vous pourriez le faire à longueur de journée comme lui n'en ressent aucun besoin, cela pourrait être frustrant, mais qui sait, peut être qu'avec la bonne personne, il pourrait se prendre au jeu ? Il y a déjà une belle confiance entre vous deux, peut être qu'il suffirait de peu pour que les choses soient pour ainsi dire plus simple pour lui.

" Tu n'es pas obligé de me répondre rapidement tu sais. Si je te fais cette proposition, c'est que j'ai confiance que ça se passera bien, mais c'est à toi de voir ce que tu désires vraiment. Je sais que je pourrais revenir à ce que nous avons actuellement si ça ne te convient pas, mais je m'adapte, et qui sait peut être que je pourrais te faire goûter à des choses que tu ne connais pas vraiment, dont tu ne ressens actuellement pas le besoin. Après, dans une relation, le désir sexuel comme tu dis n'est pas une obligation réelle, et si ça peut te rassurer ce n'est pas le plus important pour moi. Mais tu es libre de réfléchir là-dessus, et de me donner une réponse positive ou négative, je ne le prendrais pas mal. Tu fais comme tu as envie Oz. "

Vous le laissez libre de choisir, libre de prendre le temps de la réflexion par rapport à tout ça, parce que si pour vous c'est simple et limpide, pour lui, ça ne le sera peut être pas autant, parce que si votre psyché est détraquée, son esprit à lui est encore calibré d'une façon différente.  

A aucun moment Sohan n’avait envisagé que la soirée pourrait prendre une telle tournure. Empêtré dans le marasme de sa psyché, il s’enlisait dans chacune de ses pensées. Son contact avec la réalité semblait se réduire. Et il peinait à maintenir un semblant de contenance, tant il se sentait débordé par le simple fait d’exister, ici, en cet instant, avec Angela. Cette confusion ne pouvait être un hasard ; et Oz n’avait pas le droit de se rassembler derrière un tel leurre. Il devait faire face à ce qu’il ressentait, à ce qui soudainement l’animait avec tant de puissance, au point que cela lui faisait violence. Il devait écouter cette avalanche chimique qui saturait son cerveau, car elle était tout aussi réelle, si ce n'était plus, que le maelstrom de ses pensées. Vivre ne se suffisait pas à penser ; c’était avant tout ressentir. Et ainsi donner une consistance à l’expérience ; consistance sans laquelle rien ne pourrait être appréhendé par l’esprit… Bref, il lui fallait se recentrer sur ce qu’il éprouvait en cet instant, sans se laisser duper par les parades de son esprit qui, habile et habillé de culture, saurait lui offrir l’occasion de s’échapper de ce qui, pourtant, aurait de la valeur à condition d’être pleinement accepté tel quel.

Les propos de son amie l’obligèrent à reculer d’un pas. Puis les mots peinèrent à se former dans sa bouche, asséchés par une sensation de plus en plus prononcée de pâteuse. Sohan lui demanda un bref répit, le temps de ramasser le taboulé éparpillé et de rassembler son ego éclaté. D’autant qu’il lui devait une réponse ; la réponse honnête et la plus complète possible. Alors le natif se força à rompre plus tôt qu’il ne l’aurait souhaité le silence qui s’installait, et expliqua à Angela ne jamais avoir vraiment envisagé que leur relation prenne un tel virage. Pourtant, c’était bien en pensant à elle, à eux, qu’il s’était interrogé d’un point de vue théorique sur l’amour romantique. Il ressentait pour elle une attirance affective certaine. Cependant, Ellroy n’avait jamais été saisi au corps par cet attrait pour son amie. Seul son cœur s’irriguait puissamment quand il pensait à elle. Rien n’émergeait du côté d’un désir sexuel. Et ce n’était pas du fait d’Angela. Sohan ne se rappelait pas avoir déjà désiré physiquement quelqu’un. Adolescent et jeune adulte, il avait confondu cette indifférence avec une sorte de détachement, avant de comprendre, aux détours de lectures, que l’absence d’envie était en fait l’expression d’une envie : celle de ne pas avoir de rapport sexuel. Néanmoins, Oz avait jusque-là eu tendance à considérer ce désintérêt comme une marque d’égoïsme qu’un couple ne saurait supporter, tant il paraissait attendu qu’une relation de couple devait comporter une sexualité partagée, au moins dans l’une de ses multiples formes. Ainsi, il ne lui paraissait pas acceptable de contraindre Angela à une absence de contact sexuel alors qu’elle en avait peut-être besoin. Mais il lui paraissait tout aussi absurde de s’imposer à lui-même des pratiques sexuelles dont il ne ressentait pas l’envie. Et face à cette équation qui, dans l’instant, comportait encore trop d’inconnues pour apparaître solutionnable, Sohan craignait de tout perdre.

Grains par grains, morceaux par morceaux, Oz rassemblait ce qui s’était brutalement éparpillé. D’une voix tendre, Angela tint, avec toujours autant de bienveillance, à le rassurer. Elle leur faisait confiance, à lui comme à elle, pour vivre cette relation de la manière la plus sereine qui soi, pour lui comme pour elle. Elle n’avait aucun doute quant au fait qu’ils sauraient, en cas d’inconfort dans leur couple, se porter la même affection qui les unissait déjà, quand bien même ils auraient essayé d’en modifier les modalités d’expression. Sohan demeurait plus réservé sur ce point, car si le sexe n’était pas une obligation réelle dans un couple, si ce n’était pas le plus important, il en demeurait une composante pour Angela. Dans tous les cas, la jeune femme lui laissait le temps de réfléchir, et lui assura qu’elle saurait accepter une réponse positive comme négative. Ce qui lui importait était de respecter son envie.
Les mots de son amie soulagèrent le trentenaire. Redressant son mètre quatre-vingts, il esquissa un sourire triste. « Merci Angela. Merci de ta douceur et de ta bienveillance. Je… je pense que j’aurai besoin d’un peu de temps pour réfléchir à tout ça. Mais, je ne veux pas trop y réfléchir non plus, car j’ai peur que mes pensées m’éloignent de ce que je ressens, en le banalisant ou le rationalisant. Il est vrai que quand je te vois, j’éprouve à chaque fois une immense joie. Et je n’aime pas quand on doit se séparer. J’ai… oui, j’ai envie de passer plus de temps avec toi. Et peut-être que ce temps en plus me permettra de mieux comprendre ce que je veux et ce que je ne veux pas. Mais, je pense qu’il me faut être honnête avec toi : je ne sais pas si j’aurai un jour envie de ton corps. Ce n’est pas ce que j’aime chez toi… Se risquant à croiser son regard, Oz poursuivit : « Je… j’espère que tu ne le prendras pas mal, et que tu pourras comprendre comment je ressens les choses, car ça n’a rien à voir avec ton physique. Tu es une très belle femme. Et tu m’attires, c’est certain. Mais ça n’éveille pas de désir sexuel en moi. Je… J’en suis désolé. » Ellroy craignait qu’Angela ne prenne ses propos pour une formulation polie de ce qui n’en restait pas moins une insulte. Il ne voulait lui causer aucune peine. « Tu peux t’asseoir et commencer l’entrée si tu veux. Je nous ressers un verre ? » finit-il par proposer, d’une voix toujours gênée, après s’être rapproché du coin cuisine pour jeter la barquette dans la poubelle et se laver les mains.

Comment est ce que tout cela évoluerait-il ? Vous n'en aviez aucune idée Angela, mais les choses bougeaient, changeaient dans un sens comme dans un autre. Vous étiez si différents dans bien des domaines, mais pourtant si complémentaires dans d'autres, ce qui était finalement, assez paradoxal quand on y regarde de plus près. Vous ne pensez pas comme le commun des mortels, cela ne fait aucun doute, mais vous pensez bien différemment. Depuis que vous avez croisé la route de Sohan, vous n'avez jamais mis l'accent sur ce genre de choses, alors que pourtant, c'est votre rayon, mais là, cela semblait aller dans ce sens, l'invitation dans son appartement, cela ressemblait à un rendez-vous galant, alors que pourtant dans son esprit, cela ne sonnait pas ainsi, cela ne résonnait pas dans les mêmes proportions. Mais peu importe, vous aviez construits quelques choses de beau, et cela n'allait pas se rompre si facilement, surtout que finalement, tout le monde voyait ce qui se passait, sauf peut être l'Ellroy qui était à des années lumières de penser ainsi. Pourtant les récentes remarques qu'il avait eu faisaient écho dans son esprit, plus qu'il ne semblait le réaliser, l'imaginer. Et donc, vous lui laissiez le temps de réfléchir d'avantage, de lui laisser ramasser le taboulé échu par terre, pour qu'il puisse vous donner une réponse digne de ce nom, même si vous n'en attendiez pas tant que ça sa part, sachant pertinemment que cela ne serait aucunement anodin pour lui, bien au contraire. Et finalement, les grains de semoule semblaient être comme ses pensées de l'instant, éparpillées aux quatre coins de son esprit, tentant de résoudre une équation qui paraissait simple pour la plupart des personnes, mais quasiment insoluble pour lui. Vous en aviez conscience, raison pour laquelle vous ne souhaitiez pas lui mettre la pression, lui offrant une nouvelle possibilité qu'il pourrait refuser sans problème, qu'il pouvait tenter d'accepter aussi, et que si cela ne lui convenait pas, un retour en arrière serait possible. Et qui sait ? Peut être que dans un futur proche, un désir pourrait naître au delà de son coeur penchant en votre direction, peut être bien oui. Mais peut être que rien de tout cela ne pourrait le faire changer en profondeur, peut être que jamais il ne désirera un corps, le vôtre ou celui d'une autre, d'un autre peut être même tellement il était dans un autre monde. Mais votre esprit étant lui aussi bancal, s'il décidait d'essayer puis de faire machine arrière, alors vous réussiriez sans soucis à faire abstraction de ce qui aura pu se passer, chose qui n'est pas possible pour tout le monde, vous en conviendrez. Et donc, à vos mots lui laissant libre choix d'opter pour l'une ou l'autre alternative, il sembla rassuré, vous remerciant alors. Avec lui, vous étiez toujours ainsi, rien ne pourrait changer cette douceur et cette bienveillance à son égard. La raison était évidente, mais elle vous échappait. Il était réellement le premier avec lequel vous étiez ainsi, aussi douce et tendre. Vous saviez faire semblant, vous aviez fait semblant avec les autres avant de les poignarder dans le dos, mais Oz avait réussi à changer la donne, alors inconsciemment, vous étiez en train de vous dire que peut être, lui aussi, pourrait devenir une nouvelle version de lui-même, capable d'apprécier un certain désir jusque là absent totalement de son être tout entier. Mais le temps répondra à tout cela, alors vous laisseriez le temps faire son oeuvre, menant la réflexion de l'Ellroy vers une réponse négative ou positive, peu importe, du moment qu'il arrivait à trouver une réponse qui lui convenait, elle vous conviendrait aussi Angela. Il était en tout cas franc avec vous, peut être qu'il n'aurait jamais envie de votre corps pourtant agréable à regarder selon ses propos. Mais ce n'était pas dans son être tout simplement, ce désir n'existait aucunement, et les chances pour qu'il apparaisse semblaient minces. Néanmoins l'espoir semblait être permis.

" Ne t'en fais pas pour ça, je veux avant tout que tu sois le plus à l'aise possible si d'aventures nous tentons quelques choses de plus. Cela me fera plaisir quoiqu'il en soit de passer plus de temps avec toi, au delà des ateliers de lecture comme on peut le faire parfois. Tu réfléchiras à ta guise sur ce que tu veux faire, soit sans crainte. "

Vous vous saviez être une belle femme, ils sont peu finalement à vous avoir résister dans l'absolu, surtout en découvrant ce corps si féminin, si divinement formé. Mais cette option là resterait sans doute au placard avec Sohan, et même s'il désirait dans un futur tenté le coup, et que finalement, il ne veuille plus ensuite, ou n'y arrive pas, vous ne ferez pas en sorte de le culpabiliser, même si pour le moment, vous étiez loin d'en être là. Ainsi donc, vous alliez pouvoir manger l'entrée, pas ce qui avait chu par terre mais bien le contenu de vos assiettes. Et donc, il n'était pas contre resservir un verre. Vous en souriez.

" Oui, c'est une bonne idée, merci. "

Vous auriez bien pris la bouteille pour remplir les verres pendant qu'il se lavait les mains, mais vous ne vouliez pas le contrarier après les mots qui avaient été échangés. Vous le laisseriez faire alors que vous preniez place pour manger une première bouchée de taboulé.