[TERMINE] occupez-vous du sens et les mots s’occuperont d’eux-mêmes ÷ angela (mi-avril 2022)

Une raideur gagna sa nuque. A quatre pattes, un bras plongé dans une étagère sans fond, derrière laquelle un livre s’était glissé, il tentait d’en saisir la couverture. Ses épaules étaient bloquées par des piles d’ouvrages empilés qui n’avaient pas encore été rangés. Sohan tendit au maximum son bras et ses doigts, ressentant rapidement les courbatures accumulées depuis quelques jours.
Il avait récupéré lundi les clefs du petit local sur Ceres Avenue. Quarante-mètres carrés à aménager pour trouver de la place à trois milles livres. Beaucoup étaient des dons, Sohan s’étant proposé d’aller débarrasser les étagères de particuliers. Il y avait aussi joint sa collection personnelle. De fait, l’appartement qu’il louait l’étage au-dessus était bien vide. Il s’agissait d’un petit type 2, avec une chambre exigüe laissant de la place à un séjour plutôt spcacieux. Oz n’avait monté que quelques cartons dans son logement, car la majorité était à destination de sa librairie.

Il avait construit ce projet durant neuf mois, dès sa sortie de l’hôpital. India était venue habiter chez lui quelques temps et ils avaient échangé sur son avenir. La jeune femme n’était pas dupe : les drogues avaient pris une place considérable dans la vie du trentenaire, et il devait se trouver une autre « occupation » s’il souhaitait changer ses habitudes de vie. L’addictologue qu’il consultait en ambulatoire avait partagé le même constat. Et tous ses proches amis aussi en fait. Alors il s’était lancé, décidé à concrétiser cette idée qui trainait depuis déjà quelques années dans sa tête.
Durant neuf mois, Ellroy avait rassemblé de l’argent pour pouvoir assurer les trois premiers loyers ainsi que la caution du local et du logement. Pour cela, il avait fait des petits boulots, et aucun dans le délictuel. Risquer la prison n’était pas une possibilité viable pour son projet, alors il s’était gardé de tout argent rapide. Il avait préféré rendre son temps utile, notamment pour les autres. Pendant plus de six mois, Ellroy avait fait de l’aide aux devoirs aux enfants des Blackened Beauty et animé un atelier conte. Ses tarifs étaient libres, adaptés au budget de chacun. Et les Amazones avaient été généreuses. Il faut dire que Pixie et Elsa lui avait fait une sacrée publicité. Sohan avait également travaillé à la bibliothèque municipale, sous la forme d’une sorte de stage. Il voulait apprendre à organiser et gérer un stock de livres. Sa motivation et son efficacité lui avaient valu quelques billets à la fin de son mois de stage. Enfin, il avait présenté son projet à la Mairie qui lui avait accordé une petite subvention, valorisant son projet pour la culture et l’éducation. India l’avait aidé à monter ce dossier et l’avait soutenu jusqu’au bout, venant même avec lui jusqu’au bureau de l’adjoint chargé de la culture pour son entretien.

En parallèle, Sohan poursuivait avec sérieux son sevrage. Il prenait sa méthadone, aux doses prescrites. Lorsque le manque se faisait ressentir, ou que l’angoisse commençait à appuyer sur sa psyché, il composait des musiques. Et en neuf mois, Oz avait été assez productif. Il avait même fait un set de deux heures au Wonderland, trois ou quatre semaines auparavant. Il avait recontacté Angela à cette occasion. Oz s’était excusé de son long silence et lui avait expliqué, au détour d’un café, pourquoi il avait ainsi disparu les huit derniers mois. La jeune femme avait été compréhensive. Et même si cette fois-ci il n’y avait pas eu l’influence des drogues pour parfaire cette connexion entre eux, il l’avait encore ressentie. Ce phénomène restait inexplicable, mais pourtant bien réel. Sohan lui avait aussi parlé de son projet d’ouvrir une librairie solidaire de livres d’occasion, et il lui avait proposé de passer venir voir le local dès qu’il aurait récupéré les clefs.

Ses doigts frôlèrent une première fois la couverture, puis parvinrent à en saisir un angle. Le Cycle des Robots tome 3 avait été corné dans sa chute. Oz l’épousseta et le déposa au sommet de la pile de droite. Puis il se redressa, le dos meurtri par ses trois jours de déménagement et de rangement. La masse de travail à abattre était encore énorme, mais sa librairie prenait forme. Un sourire satisfait sur les lèvres, il se rendit sur son perron. Son premier habitué profitait des rayons brûlants du soleil pour s’offrir des rêves fiévreux. Le jeune chien sursauta lorsqu’il réalisa qu’on lui faisait de l’ombre. Sa queue ne tarda pas à battre l’air, avec enthousiasme. Ellroy s’accroupit et gratta le sommet du crâne du canidé pour lequel il n’avait pas encore défini de nom. Il s’était renseigné auprès des voisins, et ce chien n’appartenant a priori à personne. Les yeux clos, l’animal savourait les caresses. Sohan perçut alors une silhouette apparaître à sa droite. « Salut Angela ! Je suis content que tu sois venue. » Un sourire sincère fendit ses lèvres.

Il n'y pas à dire, cette soirée avait été parfaitement étrange, mais aussi parfaitement parfaite. Qu'est ce qui s'était passé entre vous deux ? Est ce que vous seriez capable de le décrire ? Non, c'était difficile à dire, surtout que vous n'étiez pas dans vos états normaux après la prise de ces petites pilules. L'effet sur Oz avait duré moins longtemps que sur vous, car lui en prenait encore régulièrement, mais vous, ça faisait un moment que vous n'aviez plus été sous sédatifs ou un quelconque traitement donc l'effet avait été plus long. Mais même sans ça, même au delà de ces cachets ingurgités, vous saviez qu'il y avait quelques choses entre vous deux, même si c'était difficile à décrire malgré tout. Il y avait comme un certain feeling, une certaine osmose, comme si vous étiez fait pour vous croiser, pour vous rencontrer dans cette terre de folie qu'est Downfall. Il avait des projets, il avait des choses à faire, et pendant un laps de temps certains, vous n'avez plus eu de nouvelles, comme si finalement, la drogue avait eu raison de lui. Vous pensiez cette hypothèse possible, même si en réalité, vous aviez retrouvée sa trace, en même temps, il n'a jamais été si loin que ça, mais vous le laissiez avancer à son rythme, persuadée que le moment venu, il reviendrait vers vous, et c'est ce qui s'est produit. Pendant ce temps, vous avez fait votre petite vie, vous avez continuée à diffuser vos podcasts avec une audience chaque jour plus grande. Si personne ne savait à quoi vous pouviez véritablement ressembler, votre voix pourrait se reconnaître entre plusieurs. Si certains arrivent à vous reconnaître, ça ne vous dérangerait pas le moins du monde, vous ne faites pas ça pour être spécifiquement anonyme, mais vous aimez la discrétion quand même. Surtout que vous donnez des informations que personne ne connait ou presque concernant certains sujets sensibles. Vous n'êtes pas la seule sur le créneau du trafic d'information, vous savez que dans le coin, il y a une personne qui se fait appeler Hermès qui est là aussi, vous ne la connaissez pas, du moins, véritablement, car peut être que vous l'avez déjà croisée ici et là, peut être même que vous avez donné des informations à son sujet sans savoir que c'était le dieu messager, ou peut être bien une incarnation féminine, cela tomberait sous le sens d'ailleurs. Il est bien connu que les femmes sont plus facilement des commères et que leur langue est bien pendue. Bref, un jour peut être que vous ferez équipe pour distiller les informations au compte goutte à qui voudrait les recevoir. Tout ce que vous pouviez dire n'était pas vérifié en permanence, parfois ce n'était pas vérifiable tout simplement, parce que vous ne donniez jamais de prénom, de nom ou de surnom, mais les gens pouvaient se sentir concernés à travers la description que vous pouviez faire d'eux. Vous étiez assez précise pour qu'ils se reconnaissent, mais assez vague pour que ça ne soit pas le cas, ou que certains de leurs proches puissent faire éventuellement le rapprochement. Et donc Sohan avait finalement fait le pas vers vous après de longues semaines devenues mois sans réelles nouvelles. Et vous voilà revenus sur le lieu de votre première rencontre, là où il s'amusait alors à jouer au DJ, chose étonnante, mais il avait fait du bon travail. Il semblait être en meilleure forme que la dernière fois où vous vous étiez parlés, il semblait ne plus autant planer. Et donc, il vous informa donc du pourquoi du comment, du pourquoi ce silence depuis tant de semaines, tant de mois. C'était un beau projet, il ne fallait pas en douter et vous aviez envie d'y participer, à votre mesure. Il ne faisait pas de doutes que dans un de vos podcasts, vous parleriez de cette bibliothèque. Vous auriez bien donné quelques livres, mais depuis votre arrivée ici, cela n'avait pas été une priorité, alors vous ne pouviez pas faire ce genre de dons là, mais peut être que vous pourriez en faire d'autres, avec un peu de votre temps pour lui, de façon tout à fait bénévole, sauf si par la force des choses, il souhaitait pas la suite vous faire prendre part plus amplement à ce projet. Mais c'était le sien, et vous n'alliez pas l'en empêcher, bien au contraire, vous ne pouviez que l'encourager dans ce sens là. Et donc, il voulait que vous puissiez passer à son local dès qu'il aurait les clés, ce qui allait être chose faite à présent. Vous aviez dit passer dans la matinée et si parfois la notion du temps vous fait défaut, ce ne fut pas le cas cette fois-ci. Vous arriviez donc alors qu'il était sur le perron du local en train de faire quelques gratouilles à ce qui semblait être son chien même si jusqu'à présent, il n'en avait pas mentionné un. C'était un détail après tout, et puis peut être qu'il l'avait adopté il y a peu.

" Hey salut toi. Je suis contente d'être là aussi. Tu me présente à ton petit compagnon ? "

Et vous vous baissez légèrement pour être à sa hauteur. Il semble surpris de votre présence, comme s'il n'était pas habitué à voir du monde, mais vu le projet, cela allait sans doute changer alors autant qu'il vous adopte tout de suite, n'est ce pas ? Oui, ça pourrait être une bonne idée clairement.

A contre-jour, Angela n’était qu’une silhouette sombre auréolée. Ses cheveux captaient la lumière du soleil et brillaient tout en nuances dorées et platines. Qu’importe où et comment elle paraissait, Angela semblait posséder une aura cosmique. Sohan plissa les yeux, ébloui, lorsque la jeune femme s’abaissa à son niveau. Elle le salua chaleureusement et considéra l’animal qui, ensuqué par le soleil, demeurait apathique. « Oh, et bien il n’a pas encore de nom. Il traîne devant la librairie et ne semble appartenir à personne. Mais je préfère attendre encore un peu avant de lui donner un nom. » Et de s’attacher. Enfant, Sohan avait connu quelques malheureuses aventures avec des chiens. Sa mère refusait qu’il en ait un et remettait à la rue ceux qu’il avait fait rentrer chez eux. Ces animaux n’avaient rien à faire là, dans un appartement de junkie. Il devait avoir pas loin de dix ans quand sa mère lui avait demandé de débarrasser sa chambre du cadavre de Mister Nice, jeune croisé qui avait éventré un pochon d’héroïne pour jouer. Ellroy se rappelait aussi que sa mère l’avait battu comme rarement en découvrant ses stocks saccagés par le canidé. Elle l’avait frappé au visage, chose qu’elle évitait généralement pour ne pas inquiéter l’entourage et attirer l’attention de l’équivalent downfallien des services sociaux.
Accusant un bref soupir alors que l’empâtement de ce souvenir saturait sa psyché, Sohan fit une dernière caresse au chien et se leva, s’appuyant sur ses cuisses fourbues. « Rentre Angela, je vais te faire visiter. » Le local de quarante mètres carrés était en forme de rectangle. Une fois la porte passée, se trouvaient à droite un bureau et la caisse, et à gauche un coin qui, jonché de cartons, deviendrait un espace de lecture, grâce à deux fauteuils et une table basse. Il prévoyait d’ajouter un petit meuble pour poser une bouilloire, une boite à thé et une cafetière. Oz voulait que sa librairie solidaire soit un endroit convivial. Et pour tous. Aussi, juste derrière le futur coin lecture, il avait retapé une petite étagère où des livres pour enfants étaient entreposés. Des affiches colorées - encore enroulées dans des étuis - égayeraient le rayon enfants. Il s’agissait de trois dessins et peintures d’une illustratrice talentueuse downfallienne âgée de seize ans. Le rayon le plus à gauche se poursuivait ensuite avec une section comics et bandes dessinées, puis celle des beaux livres d’illustrations. A côté de la caisse, le long du mur de droite, Sohan avait prévu de mettre des ouvrages de philosophie et de sciences humaines, puis un rayonnage sur les arts. Enfin, les deux rayons qui seraient au centre du local concerneraient plutôt les œuvres fictionnelles, du fantastique en passant par le polar et la science-fiction. Oz prit cinq minutes pour faire le tour du propriétaire à Angela, commentant l’arrangement à venir et les ouvrages qui y seront rangés.
Quand ils furent revenus à l’entrée du magasin, Ellroy sonda la réaction de son amie, accordant une réelle importance à ce qu’elle pensait de ce projet et de sa réalisation. « Tu aimes ? » questionna-t-il, à la manière d’un enfant.

Sohan s’affaira ensuite à libérer les assisses des deux fauteuils du futur coin lecture et à débarrasser à surface de la table basse. « Tu veux un thé, un café ? » L’espace à peu près accessible, il invita d’une main Angela à prendre place sur l’un des deux sièges. « Ah, j’ai quelque chose pour toi ! » Le jeune homme partit s’affairer derrière son bureau, butant au passage dans un carton, et parvenant de justesse à éviter la chute en se rattrapant à une étagère qu’il avait heureusement fixée au mur. Il fit attention à bien enjamber l’obstacle lorsqu’il revint vers son invitée, un ouvrage à la couverture richement illustrée, sur laquelle était écrit dans une calligraphie esthétique Alice's Adventures in Wonderland. Tendant le livre à Angela, il précisa : « J’espère que tu ne l’as pas déjà. C’est une édition anglaise plutôt rare et ancienne, aux illustrations vraiment travaillées et superbes. Ça me semblait évident de te l’offrir. » Craignant que son cadeau ne plaise guère à son amie, Sohan détourna le regard et décida de s’occuper à faire chauffer l’eau. « Je ne sais plus ce que tu m’as dit, un café ou un thé ? J’ai du thé vanille, menthe et russe ».
Non loin d’eux, sur le perron, le chien s’était rendormi, bien décidé à profiter de cette douce et calme après-midi ensoleillée.

Il vous regardait un peu bizarrement, enfin, disons que son regard était habituel, mais par rapport aux autres personnes, il y avait toujours quelques choses qui sortait du cadre ordinaire. Est ce que c'est vous qui lui faisiez autant d'effet Angela ? Vous ne sauriez dire, mais entre vous deux, il y a clairement quelques choses d'indescriptible, une sorte de communion, une sorte de liaison invisible mais intrinsèque, qui était là sans que vous n'ayez rien fait de plus pour qu'elle se produise, parce que votre feeling semblait d'un naturel incroyable. Est ce que c'était parce que dans le fond, il y avait comme un grain de folie dans vos esprits et vos coeurs ? Peut être que ça faisait une différence, et qu'à travers les univers, vous étiez fait pour passer du temps ensemble, pour évoluer dans un univers commun. En fait, vous vous rendiez compte qu'il avait juste le soleil dans les yeux, rien de plus, mais quand même, la connexion était là, et si vous lui posiez la question, vous êtes certaine qu'il ne pourrait pas le nier lui-même. Ainsi vous étiez attirée par l'animal qui semblait se laisser vivre, se dorant tranquillement la pilule au soleil à moins qu'il ne soit en train de mourir de chaud et de déshydratation. Il semblait donc être un squatteur par ici, il n'avait pas de nom, mais il traînait dans le coin. Oz ne l'avait pas adopter complètement, comme si un jour quelqu'un viendrait le récupérer parce que c'est leur chien. Vous n'y croyiez pas une seule seconde mais s'il n'avait pas encore de nom, dans votre esprit, vous alliez lui en donner un. Et si le chien s'appelait disons par hasard : Sohan ? C'est un joli prénom tout ça, n'est ce pas ? Oui, ça vous plait. Ainsi, même si vous ne le direz pas à voix haute pour ne pas influencer celui qui était humainement à vos côtés, s'il demandait à un moment plus opportun pour lui, vous donnerez votre petite suggestion. Est ce qu'elle lui plaira ? Vous n'en savez strictement rien du tout mais vous la donnerez quoiqu'il arrive. Mais vous aviez compris l'idée, il ne voulait pas donner de nom au chien, comme pour ne pas trop s'attacher à lui, comme pour ne pas rendre son adoption réelle si jamais il venait à disparaître du jour au lendemain sans laisser de tracer.

" Je vois, et bien nous attendrons avant de te donner un petit nom, mais fais comme chez toi ici, je suis sûre que tu t'y sentiras aussi bien que nous deux. "

Oui, vous parlez au chien presque comme s'il était votre égal, alors que ce n'est pas le cas, mais c'est amusant d'agir de la sorte, du moins, vous le pensez. Le chien en tout cas avait reçu vos caresses, même s'il ne bronchait pas tant que ça, mais au moins, il aurait reçu un peu d'amour. Oz voulait donc vous faire visiter les lieux, et donc, vous lui emboitiez le pas pour découvrir son nouveau royaume comme vous vous amusiez à déjà vous le dire intérieurement. Vous ne saviez pas si vous aurez le droit de le partager un peu, mais c'était une belle initiative que voici, il avait fait les choses comme il le fallait, ça ferait du bien au quartier. Ainsi donc, la pièce semblait être à la fois petite et volumineuse, sans doute parce que vous n'étiez que tous les deux, mais aussi parce qu'elle n'était pas encore agencée de façon définitive. Et donc, il vous fait faire le tour, vous explique chaque recoin alors que tout n'est pas encore en place, mais une chose est sûre, ça aura de la gueule comme on dit une fois fini. Vous espérez qu'il rencontrera le succès escompté, et qu'on ne viendra pas saccagé ce lieu gratuitement. Vous vous dites que c'est possible, mais vous ne l'espérez pas. Il vous demande alors si vous aimez, et avec un grand et généreux sourire, vous lui répondez.

" J'adore, une fois que tout sera en place, ce lieu rayonnera de joie de vivre et de bonne humeur, ça fera du bien au quartier, il n'y a pas de doutes à avoir là dessus. "

Et puis, peut être que ça permettra l'accès à la lecture à une partie de la population qui n'y a pas beaucoup accès voire même pas du tout. Et vous pensez aux jeunes gens notamment, le rayon bandes dessinées et comics va être leur préféré sans doute, pour ceux en âge de lire correctement. De l'autre côté, il y aura là où les parents pourront se poser et lire des histoires à leurs bambins, loin de tout le tumulte du quartier, c'est une bonne chose aussi, clairement. Il vous demande alors si vous voulez un thé ou un café. Le choix était difficile, et vous n'arriviez pas à choisir alors qu'il disait avoir un cadeau pour vous, vous incitant à vous asseoir dans le futur coin lecture, sur un des deux fauteuils qui étaient là. Vous étiez surprise de cela, vous ne vous y attendiez pas le moins du monde, mais cela semblait être clairement une bonne surprise. Et donc, il se mit à chercher quelques choses derrière son bureau alors que vous optiez pour le fauteuil de droite pour vous asseoir. Sans doute qu'il avait pensé à un livre au vue de tout ce qu'il y a ici, ou peut être quelques choses d'autres, mais la logique voudrait qu'il en vienne à vous offrir un livre, ou peut être seulement qu'il vous le prêtera mais que celui-ci lui fait penser à vous, quelques choses dans ce style là. Et lorsqu'il revient vers vous, cela tomba sous le sens, il vous apporta un livre avec une finition remarquable d'Alice au Pays des Merveilles en référence à votre première rencontre au Wonderland. Est ce que vous lui faisiez penser à l'héroïne avec votre chevelure blonde Angela ? Ceci n'était pas impossible du tout, surtout que ce soir là, la drogue et l'alcool avaient été présents et que donc, à quelques parts vous aviez été dans ce pays merveilleux et un peu louche. Vous preniez alors le livre dans vos mains avec un grand sourire. Vous ne saviez pas combien pouvait valoir ce livre, mais clairement l'édition n'était pas anodine. Mais il détournait rapidement le regard pour se concentrer sur l'eau à faire chauffer et dans votre esprit, un thé semblait être le plus approprié.

" Je ne le possède pas, je dois avouer ne pas avoir énormément de livre à la maison, mais celui-ci y aura une belle place crois-moi, il est magnifique, merci beaucoup. Un thé à la menthe, ce sera très bien, merci aussi pour celui-ci. "

La prochaine fois, peut être que vous prendrez un thé à la vanille, ou un thé russe, vous devez admettre que vous ne savez pas quelle saveur il pourrait avoir, alors vous avez opté pour une valeur sûre, celle d'un bon petit thé à la menthe.

Le chien fut laissé à sa sieste. Les rayons du soleil égayaient de reflets auburn son pelage noir. L’animal était un mélange de plusieurs races, mais tenait principalement du berger. Son museau était long et fin, ses oreilles pointues et grandes et ses yeux mordorés. Sa queue en panache avait cessé de battre mollement l’air depuis que Sohan et Angela s’étaient éloignés pour visiter le petit local dont il squattait le perron.

Oz présenta à son amie la future organisation de sa librairie. Aucun rayonnage ne resterait vacant une fois qu’il aurait fini le rangement de tous les livres qui, pour le moment, formaient des piles plus ou moins stables au pied des étagères et bibliothèques. Un sentiment de fierté ne cessait de croitre en lui au fur et à mesure de cette petite visite. Sohan avait enfin l’impression de réaliser quelque chose, quelque chose qui allait plus loin que toutes les pensées, idées et envies qu’il avait eues mais qui étaient toujours restées à ce stade, c’est-à-dire intangibles et immatérielles. Son overdose avait été un vrai déclic. Enfin, non, c’étaient ses amis, venus à son chevet, qui lui avaient permis de réaliser qu’il devait se consacrer à autre chose qu’à ces conduites addictives qui n’avaient aucune autre finalité que la destruction de soi. Avec ce projet, il bâtissait un héritage, quelque chose qui lui survivrait peut-être. Il avait longtemps douté pouvoir donner vie à autre chose qu’une créativité flinguée qu’il fixait sur des enregistrements. Mais la librairie était là à présent, bien qu’encore malformée car à un stade fœtal. Sohan s’était donné dix jours pour finaliser l’agencement et le rangement de son local. Il proposerait ensuite une après-midi/soirée d’ouverture, où ils convieraient tous ses amis mais aussi les habitants du quartier. L’objectif était que cette librairie solidaire soit un lieu culturel d’échange, un refuge pour les quelques âmes qui, comme lui, avaient su intégrer à la survie de tous les jours leur besoin de lire, et d’ainsi s’évader d’une ville que des murs difficilement franchissables gardaient. Il organiserait peut-être des « cafés philo », sorte de petites réunions où des individus se retrouvaient pour exprimer de plus ou moins grandes idées, inspirées d’œuvres littéraires et philosophiques. Il proposerait aussi peut-être un atelier de lecture et écriture de contes pour enfants, comme il l’avait fait à Van Nyus. Ellroy avait découvert à l’occasion de ses ateliers tout le plaisir qu’il y avait à partager un moment avec des enfants. Il n’en avait jamais vraiment côtoyé jusque-là. Il avait seulement gardé Louis, le fils de Lily, quelques fois. Il avait aussi croisé à plusieurs reprises les enfants qu’India gardait, mais s’était abstenu de toute interaction. A l’occasion des ateliers contes, Sohan avait appris à entrer en relation avec eux grâce à l’imaginaire, et il avait adoré.
Bref, son esprit bouillonnait de plein d’idées et d’envies, qu’il espérait réaliser. Cette librairie était l’opportunité d’un nouveau départ.

Le visage rayonnant d’un sourire franc et doux, Angela lui avoua aimer cet endroit qu’il avait créé, et croyait totalement en son potentiel. Elle avait observé les lieux avec un vif intérêt, s’y projetant plutôt aisément. Imitant le sourire de son amie, Sohan acquiesça, satisfait. En bon hôte, il voulut lui offrir une boisson chaude et libéra l’espace du futur coin lecture. Tandis qu’Angela prit place sur l’un des deux fauteuils, le jeune homme se rappela qu’il avait mis de côté un ouvrage pour elle. Il ne savait pas trop que ce qu’elle en penserait, mais fondait l’espoir que cette édition d’Alice au Pays des Merveilles plaise à son amie.
Après lui avoir donné le livre d’une façon quelque peu maladroite et gênée, Oz focalisa son attention sur la bouilloire et son ronflement. De son éternel voix douce, presque évanescente, la jeune blonde confessa de pas posséder beaucoup de livres chez elle. Elle saurait toutefois trouver une belle place à ce cadeau qu’elle jugeait magnifique. Sohan sentit son cœur s’emballer et ses joues s’empourprèrent. « Oh, avec plaisir Angela. Et merci à toi. ». Il fit en sorte de tourner le dos à son amie pour cacher son émoi, et s’occupa de la préparation du thé. Il sortit une théière et deux tasses, puis remplit une boule à thé d’un mélange fait maison par une Blackened Beauty qui tenait une boutique à Van Nyus. Les senteurs parfumées du thé vert, de la cannelle et de la menthe envahirent ses narines. Depuis qu’il avait arrêter de consommer des drogues, et notamment de sniffer, Sohan avait retrouvé un odorat bien plus fin et sensible. Enivré par le parfum qui s’échappait de la petite boîte, il se retourna et proposa à Angela de sentir. Sa honte passagère s’était dissipée, et il se sentait à nouveau à l’aise.
Une fois l’eau parvenue à ébullition, il remplit la théière et y plongea la boule à thé. Il déposa ensuite les tasses, du sucre et la théière sur la petite table basse avant de s’assoir dans l’autre fauteuil. Son corps se détendit, non sans lui rappeler les courbatures qui cinglaient ses muscles. « Tout va bien pour toi Angela ? Tu fais toujours tes podcasts ? J’en ai écouté quelques-uns au début de l’année, mais je n’ai pas eu le temps pour les derniers avec… avec tout ça à organiser. Je suis désolé. » Maintenant qu’il avait ses propres projets, il avait moins de temps pour ses amis. Et en cet instant, il se sentait coupable de les négliger, alors que tous le félicitaient d’enfin penser à lui.

Vous laissiez le chien à sa sieste, il semblait en avoir besoin et puis si ici c'était son domicile, peut être qu'un jour il aurait l'occasion de voir l'intérieur, même si chien et livres ne font pas forcément bon ménage, il est vrai. Quoiqu'il en soit, vous entriez à l'intérieur, et il prenait un soin méthodique pour expliquer tout ce qu'il y aurait ça et là. Il n'y avait pas en douter, le lieu ferait du bien au quartier, peut être même un peu trop, cela pourrait attiser de la jalousie, des choses comme ça. Mais il était bien au dessus de tout ça, n'est ce pas ? Il s'en fichait pas mal, il voulait ce lieu pour lui, pour ses amis, pour les personnes qui s'y connaissaient en lecture et clairement, il y avait quelques lacunes de ce côté là. Avec un lieu comme celui-ci les lacunes pourraient être comblées plus facilement, s'il organisait des cours de lecture, ou simplement des lectures pour les enfants, mais aussi pour les adultes. Vous ne pourriez pas garantir d'être là pour chacune, mais clairement, s'il fait ça, vous serez souvent là, surtout si le conteur sait jouer avec les mots. L'endroit vous plaisait déjà énormément, et quand il prendrait réellement vie, ce sera encore mieux que ce qu'il y a maintenant, juste vous deux dans un coin avec les livres éparpillés un peu de partout, n'ayant pas encore rejoins leurs étagères respectives mais s'en trouvant à proximité. Ce lieu sera assurément magnifique quand tout sera en place et qu'il accueillera son public, en dehors de vous, et des amis d'Oz donc. Vous êtes certaine qu'il trouvera son public, et vous espérez que cela n'attisera pas trop de convoitises. Il faudrait donc qu'au départ, le succès ne soit pas aussi considérable que ça, juste ce qu'il faut, pour que la nature du lieu entre dans les habitudes, les moeurs de tous. Et donc, il vous offre deux cadeaux, ce livre en premier, une belle édition d'une histoire qui vous ressemble parce que dans votre vie, vous avez vu et vous voyez toujours des choses étranges dans leur ensemble, comme si vous étiez au pays des merveilles. Est ce que vous ressemblez un peu à Alice ? Dans un film en live action, vous pourriez être elle clairement, avec ce petit grain de folie qui vous va si bien. Et donc, il vous offre aussi le thé, comme dans cette scène du livre d'ailleurs, comme si à quelques parts ce livre était un peu le reflet de votre relation. Qu'est ce qu'il y avait véritablement entre vous ? Est ce qu'il fallait forcément mettre les mots sur ce genre de relations là ? Non, bien volontairement dans votre esprit, s'il était à part, il n'avait pas de cases prédéfinies, surtout que vous n'aviez pas forcément eu tant de nouvelles et que cela aurait pu vous offusquer même si là, il se rattrapait bien dans son ensemble. Est ce qu'il avait offert ce cadeau dans ce but là ? Possible, mais vous n'y croyez pas un seul instant. Il est tout ce qu'il y a de plus sincère et authentique dans ce qu'il fait pour vous Angela, et vous appréciez l'effort. Vos remerciements sont aussi tout ce qu'il y a de plus sincère, et c'est ce que vous aimez avec lui, il n'y pas besoin de se forcer d'une quelconque façon, tout vient à point à qui sait attendre. Il se mit donc à préparer le thé avec une préparation qui sentait bon, et il ne put s'empêcher de vous faire sentir d'ailleurs et un grand sourire s'afficha sur votre visage.

" Et bien, je ne sais pas où tu as trouvé ça, mais ça sent très bon, j'ai hâte de boire ce breuvage dans ma tasse. "

Et cela tombait bien puisqu'elle était arrivée à la bonne température pour que vous puissiez en profiter dans peu de temps. Et ainsi donc, il apportait la théière pour que vous puissiez boire de ce succulent thé. Il fallait laisser infuser un peu, et c'est ce moment là qu'il choisit pour véritablement venir aux nouvelles, au delà de la base qui avait été instauré. Son temps avait été absorbé par ce projet et vous pouviez le comprendre, ça lui tient à coeur, il veut que ça soit bien, pour tout le monde. Il s'excusait de ne pas avoir pu entendre vos derniers podcasts mais ça n'avait pas d'importance.

" Ne t'en fait pas pour ça, ils ne vont pas disparaître comme ça, tu auras tout le temps de les écouter. Ici, c'est plus important, alors je comprends que ça accapare tout ton temps. "

Vous ne pouviez pas lui en vouloir, ce n'était pas possible, surtout pour un aussi beau projet que celui-ci. En vérité, vous auriez eu du mal à lui en vouloir quelque soit la raison. Vous n'aviez pas de comptes à vous rendre, n'est ce pas ? Quoiqu'il en soit, vous seriez sans doute souvent ici au départ, pour voir si le lieu plait, et puis aussi pour vous renseigner à propos des personnes qui fréquenteront l'endroit, vous allez apprendre tout un tas de choses, c'est une certitude. Et donc, l'odeur du thé montait jusqu'à vos narines, et vous aviez hâte d'en boire quelques gorgées, mais vous le laissiez servir quand il le jugerait bon, vous étiez invitée, vous ne vouliez pas vous imposer.

Darlene - une infirmière qui avait été présente durant toute son hospitalisation en juin dernier - lui avait dit, un soir, pendant son service de nuit et après sa douzième clope de la journée, que tout pouvait s’arranger. Des jours meilleurs l’attendaient s’il s’y mettait, à vivre correctement sa vie. La quarantenaire avait eu un sourire fatigué mais néanmoins sincère quand Sohan lui avait expliqué qu’il nourrissait de nouvelles aspirations pour quelque chose de plus concret, et loin des affres abyssales des drogues. Pour quelque chose qui lui permettrait d’exister dans ce monde auquel il peinait à se sentir appartenir. Une sorte d’ancre existentielle. S’il pouvait compter sur ses amis pour le ramener régulièrement vers la réalité partagée des Hommes, il n’était pas parvenu jusque-là à se créer un point d’appui au sein de cette dimension matérielle. Posséder quelque chose pour soi, c’était une façon de s’appartenir, car en investissant diverses choses d’un peu de soi, on pouvait créer des prolongements narcissiques. Peu adepte de cette mentalité qui flirtait rapidement avec le consumérisme, Oz pensait néanmoins avoir trouvé un juste équilibre en donnant substance à une idée qu’il pourrait partager avec les autres. Il ne s’agissait pas uniquement d’avoir, mais aussi d’être : d’être un membre de cette communauté en y ayant un point d’ancrage. Avoir vécu jusque-là selon un délire pseudo-bouddhiste et hypocrite de se retirer du monde pour éviter toute attache, et de fait tout impact sur la réalité, avait été d’un grand égocentrisme finalement. Aujourd’hui, et sans amertume ni peur, Ellroy acceptait l’idée qu’il appartenait à un tout, qui l’influençait, qu’il influençait, et qu’à ce titre, il se devait de faire le bien autour de lui. Alors, certes, ce projet de librairie solidaire n’avait rien d’un acte humanitaire qui sauverait Downfall, mais il était une façon de prouver aux gens qui tenaient à lui qu’il faisait quelque chose de sa vie, qu’il en reprenait les rênes, prêt à cavaler derrière un fragment de sens.

Sohan s’affairait à préparer le thé depuis quelques minutes. Aucun bruit ne parvenait depuis la rue. Ce calme était appréciable et rare. Assis dans le futur coin salon de la librairie en compagnie de son amie, Oz s’intéressa alors au quotidien de celle-ci. Il se rappelait qu’Angela fixait ses idées sur des enregistrements qu’elle diffusait ensuite via internet. Il en avait écouté quelques-uns et s’était laissé hypnotisé par la voix de la jeune femme, s’abandonnant à la texture des mots qu’elle prononçait au détriment de leur sens. De fait, il ne lui restait que de vagues souvenirs des propos portés et défendus par Angela dans ses podcasts. La jeune femme ne s’offusqua pas de sa négligence et lui laissait tout le temps dont il avait besoin pour écouter les différents enregistrements. Elle comprenait que sa priorité n’était pas là. Ellroy conserva encore quelques secondes sa moue désolée, avant de finalement reprendre la parole, une idée en tête : « Je pensais organiser des après-midis ou de soirées de lecture, avec un lecteur qui lirait à voix haute un ouvrage à un public. Ce serait une façon de permettre à celles et ceux qui ne peuvent pas ou plus lire de continuer à profiter de toutes ces histoires. Et je me dis que tu pourrais être l’une de ces lectrices, car tu as une très belle voix. Une voix qui saurait immédiatement captiver l’auditoire ! Enfin, si tu en as envie bien évidemment. Et le temps. »

Le jeune homme se pencha au-dessus de la table basse et saisit la hanse de théière. Il servit deux tasses qui, fumantes, plongèrent le petit local dans une ambiance douce et apaisante. Sohan souffla à plusieurs reprises sur le liquide infusé, impatient d’en découvrir la saveur. Angela semblait partager sa curiosité. Un léger sourire sur les lèvres, le trentenaire annonça ensuite : « J’organiserai une petite fête d’inauguration de la librairie, idéalement dans dix jours, pas ce samedi mais l’autre. J’y inviterai mes amis et les habitants du quartier. Tu y seras naturellement conviée et attendue ». Ce serait un grand moment, et l’imaginer lui procurait des émotions contraires. Il était impatient de montrer à tous ceux à qui il tenait qu’il avait su mener ce projet jusqu’au bout. Mais en même temps, il craignait que ce qu’il voyait comme grand soit finalement ridicule.

Il avait le temps pour écouter vos podcasts, il avait une éternité pour cela, même si certains risqueraient alors d'être plus ou moins obsolètes parce que le temps aura fait son oeuvre, mais même après quelques semaines ou mois, on finit toujours par s'y retrouver dans vos podcasts. Ils étaient classés par ordre de diffusion bien entendu, mais il existait un petit moteur de recherche pour écouter ce que l'on avait envie, sur un thème particulier concernant Downfall et parfois plus que ça même. Vous saviez y faire, une touche d'humour était toujours bien placée dans vos enregistrements, mais si parfois il y avait des choses un peu exagérées et romancées, tout ce que vous pouviez dire était vrai. Il n'y avait jamais de nom, jamais de prénom, mais ceux qui étaient concernés le savait très bien. Et c'est ce qui faisait votre succès, au delà d'une belle voix, à la fois suave, avec quelques notes de plus graves et paradoxalement de la légèreté. Vous saviez que celui à vos côtés adorait votre voix. Il faut dire que c'est votre outil de travail, et que donc, on sait que l'on pourrait vous écouter des heures durant car vous savez être dynamique, et rentre tout ce qui passe dans votre bouche ainsi. Même une description d'une madeleine, longue de plusieurs pages ne serait pas si soporifique ça, vous en avez déjà fait l'expérience. Après, il faut de l'entraînement et bien maîtriser son sujet et ça passe. Sans entraînement, parlant d'un sujet inconnu, c'est déjà plus difficile mais comme un chat, vous arriverez à retomber toujours sur vos pattes. Et le brun versait enfin le thé dans vos tasses, et l'odeur n'en était que plus merveilleuse à proximité de vos narines, à défaut de pouvoir encore le boire, le liquide risquant d'être tout simplement trop brûlant. Vous sauriez attendre que ça refroidisse un peu, contrairement à celui qui vous faisait fasse puisqu'il ne cessait de souffler sur le contenu de cette belle tasse. Et donc, il vous offre une idée qu'il avait en tête, pour que tout le monde puisse profiter de cet espace. Des après-midis et des soirées de lecture seraient au programme ici, et il voulait que vous puissiez être là pour hypnotiser les gens avec votre belle voix. Ce serait un honneur évidemment, car même si vous vous saviez occupée, vous pourriez bien entendu libérer du temps pour lui, pour que votre voix ne soit plus seulement celle de vos podcasts, mais aussi d'une lectrice assidue dans cette librairie collaborative. Ainsi donc, un sourire s'afficha sur votre visage avec un petit signe positif de tête, vous ne voudriez manquer ça pour rien au monde.

" Ce serait une merveilleuse idée en effet. Je ne pourrais pas garantir une présence à toutes les après-midis et soirées, mais je serais là avec grand plaisir pour capturer les regards hypnotisés des personnes qui m'écouteront. Enfin, tout dépends à quel rythme tu veux organiser ça, mais je pourrais sans problème libérer un peu de temps pour cette activité là. "

Oui, vous pourriez bien libérer le temps d'une après-midi ou d'une soirée par semaine au moins, ou à défaut, toutes les deux semaines sans doute. Il faudrait voir comment il compte organiser de façon plus précise, mais puisque vous veniez de donner votre accord, il ne tarderait pas à donner quelques détails en plus. Et donc, il voulait inaugurer l'endroit dans une dizaine de jours. Vous observiez ce qu'il y avait ici et là. S'il s'en donnait les moyens, ce sera prêt dans les temps qu'il désire, mais il ne faudra sans doute pas chômer pour mettre tout en place. Et vous laissez donc un carton d'invitation, et vous ne manqueriez cela pour rien au monde.

" Et bien, je serais là, tu me diras pour l'heure, et si jamais tu as besoin d'aide pour un peu de rangement ou d'organisation pour la soirée. Ce serait bien de préparer une petite nouvelle à lire au cours de la soirée, quelques pages pour que les gens puissent apprécier encore plus l'endroit, ça pourrait être chouette. "

Comme une première soirée lecture, un moment de quelques minutes dans les festivités de l'inauguration des lieux, mais c'était lui qui voyait comme il voulait faire, vous proposiez simplement une petite idée comme ça, l'air de rien ou presque. Et donc, vous trempiez vos lèvres dans le thé et un petit râle de plaisir se faisait entendre, c'était très bon.

Comme toujours, Angela accueillit son idée avec enthousiasme. Le jeune homme fut touché, et un liseré rosé traversa ses joues. Grâce à la collaboration de personnalités tel que celle de la blonde, cette librairie pourrait devenir un endroit à part à Skid Row, voire à Downfall. Rien à voir avec le silence, parfois malaisant, de la bibliothèque municipale. Ni avec les quelques librairies et bouquinistes qui avaient abandonné toute vocation d’éducation populaire, préférant le confort d’un certain élitisme. Sohan voulait que n’importe qui se sente à l’aise dans son local, et surtout ceux qui n’avaient pas eu l’occasion d’ouvrir beaucoup de livres. Des séances de lecture à haute voix leur permettraient de découvrir les fictions qu’ils n’avaient pas eu la chance de lire, faute de temps. La survie n’offrait que peu d’opportunités pour rêver. Et s’instruire. De nombreux Downfalliens n’avaient pas eu la chance de pouvoir apprendre correctement à lire. Lors de son entretien à la Mairie pour défendre son projet et obtenir des subventions, le Conseiller à l’Education et la Culture ainsi que de la Jeunesse lui avait donné le nom d’une petite association qui soutenait les personnes analphabètes ou qui ne maitrisaient pas assez l’anglais pour les démarches administratives. Cette association donnait aussi trois fois par semaine des cours d’anglais pour l’apprentissage de la lecture et de l’écriture. Oz avait accroché une de leur affiche derrière son comptoir caisse. Ils avaient convenu que des séances de lecture à haute voix seraient assurées par des apprentis lecteurs, auprès d’un public bienveillant, afin de créer un moment de solidarité sociale valorisant. Néanmoins, Sohan avait besoin de bons lecteurs, de conteurs aguerris qui savaient moduler leur voix pour donner de la texture aux textes lus. Angela faisait assurément partie de ces gens talentueux. « Merci beaucoup ! Même si tout reste à organiser, je pensais partir sur un rythme hebdomadaire. Par exemple, tous les vendredis, entre 18h et 20h… Je suis certain que tu auras un succès fou ! »

Le café fut servi, et Oz poursuivit leur discussion. Il annonça à son amie qu’une fête d’inauguration aurait lieu prochainement, et qu’elle y était bien évidemment attendue. La jeune blonde confirma aussitôt sa présence, et proposa même son aide. Elle lui suggéra également d’organiser une brève séance de lecture à haute voix au cours de l’ouverture. Sohan se mit aussitôt à réfléchir à un livre qui serait adapté à ce genre d’évènement. Un ouvrage à portée philosophique peut-être, mais accessible. Des propos autour de la paix et de l’éveil par la culture et le rêve. Le trentenaire se pinça le menton, s’enfonçant encore un peu plus dans ses pensées. Pendant ce temps, son invitée savoura, non sans bruit, le breuvage servi. Le râle d’Angela ramena Ellroy à leur échange. « C’est une bonne idée. Je vais faire une sélection de différentes œuvres ; tu me diras ce qui te semblera le plus adapté et le plus confortable. »

Un bref silence s’imposa. Chacun savourait le thé dont l’arôme avait envahi la librairie. Sohan observa pour une énième fois l’agencement en cours du local, cherchant à en optimiser la logique et l’espace, quand son regard finit par glisser sur le plafond défraichi. « J’habite au-dessus du local. Je pourrais te montrer si tu le souhaites, quand on aura fini le thé. Ce n’est pas très… décoré disons. En fait, je n’ai toujours pas terminé de déballer les cartons. Et j’ai juste un lit, un petit frigo, un canapé et une table basse. » Il avait voulu déménager léger, ne prenant que le minimum. Heureusement, l’appartement possédait un meuble avec évier dans la cuisine, et un similaire, mais plus petit, dans la salle de bain. Ses affaires reposaient toujours dans des cartons, faute d’étagères, de bibliothèque et de penderie pour y être rangées. Tout bien considéré, il se ravisa : « Enfin, peut-être que ça ne vaut peut-être pas la peine d’aller voir ». A nouveau aspiré dans ses pensées, Oz finit par soudainement déclarer : « J’ai l’impression de ne parler que de moi. La psychiatre qui me suit me dit que c’est une bonne chose : d’enfin exister dans ma propre vie, d’avoir un sursaut d’orgueil. Mais… je ne sais pas, c’est bizarre. Je veux dire, c’est agréable comme sensation, d’avoir des choses à dire sur soi et sur sa vie… Toutefois, j’ai la sensation d’être devenu trop égocentré, voire égoïste. Je sais qu’il est juste question de trouver le juste équilibre entre soi et les autres. Mais c’est compliqué… » Sohan marqua une brève pause. Pensif, il fixait sa tasse. « Parfois, j’ai peur de trop changer, et de perdre ce que j’avais… »

Vous aimiez déjà l'homme qu'il était, et les idées qu'il avait avec cette bibliothèque étaient parfaitement parfaites, surtout qu'il tenait à vous avoir avec lui, parce qu'il connaissait votre valeur, par rapport à tout ça. Vous savez lire, très bien même, votre voix est envoutante dirons certains, comme celui qui vous fait face d'ailleurs. Lors de votre rencontre au Wonderland, il semblait avoir véritablement bu vos paroles, et c'était encore le cas aujourd'hui. Alors, dans un futur proche, vous saurez hypnotiser vos auditeurs, au delà de vos podcasts, ici même dans cet entrepôt. Est ce que certains pourraient vous reconnaître ? Possible, cela ne vous dérangera pas le moins du monde. Vous ne vous cachez pas spécialement, même si en vrai, vous ne vous exhibez pas non plus. Vous aimez qu'un juste milieu existe entre tout ça et pour le moment c'est le cas, peut être que ça ne le sera plus avec vos venues régulières ici pour le plaisir des petits et des grands. Parce que oui, quand on pense à quelqu'un qui raconte une histoire, c'est souvent qu'il est entouré d'enfants, mais ici à Downfall, vous êtes persuadée que le public peut être bien plus large que ça, tout simplement parce que les gens ne savent pas tous lire, qu'on ne leur a jamais appris mais qu'ils comprennent néanmoins le sens premier des mots. Ils ne comprendront peut être pas les sous entendus, la lecture au second plan, mais ce n'est pas très grave, vous ne serez pas ici pour les éduquer à ce point là, juste qu'ils puissent profiter d'une belle lecture, avec une belle intonation, une belle modulation pour que les mots les plus importants puissent apparaitre plus clairement à leurs yeux. Et vous savez que vous prendre un malin plaisir à lire de la sorte. Ainsi, il pensait partir sur une séance hebdomadaire, les vendredis soirs pour être sûr de capitaliser plus de monde, en début de soirée de 18h à 20h. L'horaire semblait correct, ensuite, vous pourrez échanger ensemble autour d'un peu de nourriture par exemple alors une fois de plus, un sourire se fichait sur votre visage avec satisfaction. Il restait des choses à organiser, mais il semblait avoir penser à beaucoup de détails, et ça faisait déjà la différence dans votre esprit, parce que vous adorez les détails.

" On peut commencer comme ça oui. Pour le succès, nous verrons bien, mais je pense que le bouche à oreille se fera, et que nous aurons un certain auditoire, tout dépendra des lectures que nous ferons, il faudra des oeuvres accessibles à la plupart sous peine de les perdre car ils ne comprendront pas tout, pas assez pour être pris dans le récit malgré un bon conteur. "

Il faudra veiller à un juste milieu, et c'est peut être bien là le plus compliqué. Il ne faut pas quelques choses de trop enfantin sous peine de perdre les adultes, mais il ne faut pas quelques choses de trop adulte sous peine de perdre les enfants. Après, en fonction, vous pourrez peut être faire deux lectures, une axée pour les enfants, et une autre plus pour les adultes, à voir selon l'usage. Ainsi donc, pour le soir de l'inauguration, il faudra faire une sorte de crash test, ça pourrait servir pour la suite. Il trouva l'idée bonne et donc, ferait une petite sélection qu'il vous soumettrait pour savoir ce qui pourrait être le plus adapté pour cette soirée là. Ce ne serait pas simple, car vous ne saviez pas le monde qu'il y aurait, l'auditoire sera inconnu, il faudra donc tabler sur une oeuvre passe partout pour ne pas avoir à botter en touche, quelques choses de mignon mais pas trop non plus. Vous aviez quelques idées, mais c'était lui le boss, et vous choisirez dans ce qu'il vous proposera. Vous n'aviez rien à ajouter à cela, mais vous faisiez oui de la tête. Ainsi, un silence s'installa alors que vous profitiez de vos thés respectifs, et ça faisait du bien même si clairement, le silence ne resterait pas ici très longtemps, que cette pièce serait sans doute souvent remplie d'un certain bruit de fond, ce qui ne sera pas pour vous déplaire. Et donc, il habitait au dessus, vous proposant d'aller y faire un tour après que vos boissons soient terminées. Il fit la description du peu qu'il y avait, il n'y avait pas grand chose à voir, et il s'en rendit rapidement compte, mais ça ne vous dérangeait pas le moins du monde. Vous aviez ce petit haussement d'épaules, alors que finalement, il se lançait dans une grande tirade introspective vis à vis de lui. Vous l'écoutiez néanmoins avec plus d'attention qu'auparavant, car il se livrait véritablement à vous, signe d'une réelle confiance, confiance que vous n'aviez nullement envie de gâcher. C'est pour cette raison qu'il n'était encore jamais apparu dans vos podcasts même si vous ne donnez jamais de noms, il fait parti en quelques sortes de votre petit jardin secret.

" Pour ton appartement, c'est comme tu voudras, peut être que je pourrais te donner quelques idées de décoration en visualisant bien l'espace. Sinon, je trouve que c'est vraiment bien que tu puisses réussir à te projeter dans ta propre vie. Tant que tu restes équilibré et fidèle à toi-même, tu peux changer, évoluer vers une meilleure version de ton être, et c'est ce que je vois là devant moi. Tu m'as l'air en forme, épanoui, encore plus que la dernière fois, et ça fait plaisir à voir. "

Naturellement, l'alchimie entre vous deux s'était créée, imperceptible au départ, peut être même totalement improbable dirons certains, mais entre deux esprits torturés comme les vôtres, cela n'est pas si étonnant. Jusqu'où tout cela pourrait aller ? Vous n'en savez rien, vous n'êtes pas du genre à faire ces plans là, encore moins sur la comète.

Savoir qu’Angela serait à ses côtés pour l’aider à mener son projet de librairie solidaire quelque part le réconfortait. Si l’ensemble de ses amis l’avait encouragé dans ses démarches, Sohan avait refusé leur soutien direct. Au début, parce qu’il craignait aller nul part, et qu’il ne voulait pas que ses amis perdent leur temps. Par la suite, il avait jalousement conservé cette idée qui éveillait en lui un réel désir, une réelle envie de se projeter dans le monde, par lui-même. Il ne voulait plus confronter ses rêves à l’avis des autres, de crainte de voir ses aspirations puis les premières fondations de son projet tournées en ridicule. Il avait seulement demandé de l’aide à India afin de se rapprocher de la Mairie pour demander une petite subvention. Le Conseiller rencontré lui avait indiqué qu’il avait tout intérêt à se monter en association s’il désirait élargir ses activités à de l’éducation populaire, car son actuel statut de simple commerçant limitait les financements possibles. Pour le moment, Oz attendait simplement de voir si sa librairie trouverait une place dans la vie culturelle de Skid Row. Et si c’était bien le cas, il entamerait de nouvelles démarches, épaulé par sa demi-sœur.
Sohan ne savait pas dire pourquoi Angela tenait une place si à part parmi ses connaissances et amis. Elle était la deuxième personne qu’il avait invité à venir visiter le local. Et serait certainement la dernière avant l’inauguration officielle. Il ne craignait pas de lui faire perdre son temps car, au fond de lui, il était convaincu qu’elle saurait voir, malgré le chaos ambiant, ce que la librairie serait. Sa psychiatre l’avait averti : il devait faire attention à ce genre de pensées qui, collusives, confondaient sa perception de la réalité avec celle que pouvait en avoir l’autre. Oz s’était alors exprimé sur la relation qui l’unissait à Angela, la puissance de leur lien et de leur connexion, malgré le silence qui les avait séparés durant plus de huit mois. La psychiatre avait eu une moue contrariée, vite effacée derrière un sourire doux qu’elle avait forcé. Elle n’approuvait pas la façon dont il investissait « cette inconnue », mais ne pouvait pas non plus le décourager de nouer de nouvelles relations. Alors, elle l’avertissait régulièrement du danger à penser que l’autre était doté des mêmes bonnes intentions que lui, et l’invitait à rester prudent.

Cerné par le regard azur de la jeune femme, Ellroy se montrait volubile et enthousiaste. Il était rare d’autant l’entendre parler. Mais il voulait tout partager avec cette amie en qui il avait une confiance aveugle. Cela lui parut donc naturel, en plus de l’inviter à visiter son local, à venir à l’inauguration de la librairie, et à participer aux séances de lecture à haute voix, de l’inviter à voir son appartement. Sauf que, tout bien réfléchi, le T2 n’offrait rien d’intéressant à contempler.
Cette aisance à parler de lui, de ses envies et aspirations, fut alors voilée par une pointe de culpabilité. Plutôt que de garder la réflexion qui l’animait pour lui, il verbalisa les pensées qui lui pesaient : il se sentait confus. L’arrêt des drogues lui avait permis de retrouver avec plus d’acuité les contours et limites de sa psyché, sans pour autant s’y sentir contenu. Ainsi exister lui apparaissait encore étrange, voire inconfortable. Être au centre de sa vie l’angoissait. Néanmoins, son entourage ne cessait de lui répéter qu’il avait l’air en forme et épanoui. Pourquoi ne le ressentait-il pas ainsi ? Faisait-il semblant, sans même s’en rendre compte ?
Observant d’un regard toujours aussi pensif son amie, Sohan finit par répondre : « Tu as raison. C’est juste que je me rends compte que je change, et je ne sais pas trop qui est cette version, ni ce qu’elle vaut vraiment. Mais tout le monde en dit du bien, donc c’est que c’est une bonne version ! » Son sourire ne dura pas longtemps, car effacé par de nouvelles réflexions existentielles, sur le concept de version de soi. Ses tendances dissociatives étaient tenaces ; sa psychiatre l’avait prévenu.

Alors désireux de revenir sur un sujet plus simple à maitriser, il reprit la parole, relevant les yeux vers le plafond pour indiquer le fameux appartement : « Je ne pense pas que ce soit intéressant à voir. Mais comme tu veux. » Oz n’avait jamais songé à décorer ce nouveau chez lui. Il ne souhaitait pas reproduire la décoration de son ancien appartement, faite principalement d’affiches de musique, ou politiques placardées dans tous les sens, façon chambre d’adolescent. Il ne voulait pas recréer les mêmes repères que cet homme, dépendant aux opiacés et autres produits stupéfiants, avait connu. Or, à ainsi chambouler son existence et ses paramètres pour éviter ses anciennes routines, son quotidien était chargé de beaucoup d’inconnues, entre opportunités et malaises.

Vous serez là pour l'aider, parce que vous avez envie de l'aider, mais aussi parce que vous savez qu'ici, bientôt, ce sera the place to be, et que donc, vous pourriez avoir quelques informations croustillantes à diffuser si vous les jugez pertinentes. Est ce que ça sera le cas ? Difficile à dire, mais vous le pensez, qu'il y aura au moins quelques choses d'intéressant à savoir, et à diffuser surtout. Mais pour le moment la priorité n'était pas vos podcasts, mais bien l'aide réelle que vous alliez pouvoir lui apporter présentement et dans quelques jours, et donc au fil des semaines. Même si vous ne vous étiez plus vu depuis de longues semaines, le temps n'avait pas paru être si long que ça dans vos esprits, comme si finalement, le temps n'était qu'une mesure sans réelle distinction aucune, qui n'avait pas d'importance vu votre relation devenue presque déjà intemporelle, comme si l'éternité ne pouvait pas la détruire. C'était presque bizarre en y repensant, mais si certaines personnes réussissaient à vous agacer, à vous énerver par des mots, des façons de faire, il semblerait qu'il soit bien au dessus de tout ça, qu'il ne puisse pas atteindre ce cap, cette limite, et qu'avec lui, vous soyez aussi douce qu'une petite agnelle. Quoiqu'il en soit, il semblait un peu hésitant pour son appartement. Vous le laissiez agir à sa convenance, si ce n'était pas aujourd'hui, ça pourrait être demain ou avant l'inauguration, après, quand il jugera qu'il est assez bien décoré peut être, difficile à dire. Il était libre de vous emmener dans son antre personnelle quoiqu'il en soit. Il semblait en tout cas aimer la version de lui-même qui était en train d'être façonnée depuis des semaines, et vous ne pouviez pas le contredire. Il avait l'air vraiment vivant aujourd'hui, il ne semblait pas être physiquement là, mentalement ailleurs, tout du moins, beaucoup moins que lors de votre première rencontre.

" Je suis bien d'accord avec l'avis général dans ce cas, j'aime beaucoup cette version et ce qu'elle a entrepris avec tout ce qu'il y a autour de nous. J'ai hâte de voir ce lieu plein de vie et de sourires. "

Des sourires enfantins, mais aussi ceux des adultes, vous avez vraiment envie de voir ça de vos propres yeux, car dans un lieu comme celui-ci, il y aura un peu de magie pour ainsi dire. Ainsi donc, il ne pensait pas que voir son appartement maintenant était une bonne chose, mais il vous laissait le choix néanmoins. Vous ne vouliez pas le forcer.

" Si tu penses que ce n'est pas intéressant, alors je me fis à ton jugement, peut être une prochaine fois si tu en as envie. "

Vous vouliez le rassurer, et un petit sourire s'affichait fièrement sur vos lèvres. Vous prenez un peu de votre thé, la senteur était si douce à vos narines. Vous étiez bien là, présentement, et la suite, l'avenir de ce lieu semblait radieux.

Des tensions existentielles continuaient de le parasiter et d’altérer son rapport à la réalité en y créant des doutes et des malaises. Il n’avait jamais vraiment existé ainsi, sans le filtre des produits stupéfiants. Quitter le monde de l’enfance avait été trop douloureux pour être tolérable sans subterfuges. Son innocence tombée, il s’était alors illusionné à coup d’artifices chimiques. Et jusqu’à présent, la vie ne lui avait jamais offert le luxe d’être vécue tel quel. A trente ans passés, Sohan avait l’impression de connaître une nouvelle naissance – voire renaissance lui diraient certains - : cette fois-ci, il était prêt à voir le monde comme il était et à y prendre place. Parce qu’il était également prêt à sincèrement pardonner sa mère pour tout le mal qu’elle avait pu lui faire. Elle aussi était malade et n’avait rien contrôlé de son existence, causant des dommages collatéraux dont elle n’avait peut-être même pas eu conscience. Et puis, il n’y avait pas plus vaine colère que celle adressée à un mort. Il avait fallu à Sohan plusieurs séances pour accepter cette idée : qu’il en voulait à sa mère de ne pas l’avoir suffisamment protégé, au point qu’il avait préféré rejeter le monde et sa réalité attenante pour trouver une once de réconfort dans des chimères à mi-chemin entre le réel et l’imaginaire.
C’était donc une nouvelle version de lui qui s’exprimait aujourd’hui, de façon apaisée, enthousiaste et volubile. Angela lui confirma aimer l’être qu’il était à présent, et était confiante quant à la pérennité de cet engouement qui les exaltait. Ellroy lui adressa un sourire, avant de boire une nouvelle gorgée de thé. Une question se pressa alors dans son esprit : « Et toi Angela, tu as déjà connu d’autres versions de toi-même ? » Ainsi formulée, son interrogation avait quelque chose de surréaliste, mais il savait que son interlocutrice comprendrait où il voulait en venir. Des motifs assez sombres et obscurs avaient conduite la jeune femme à se reclure derrière le Mur. Ils en avaient un peu parlé la première fois qu’ils s’étaient rencontrés. Oz se demandait donc si cette femme traquée et celle qui avait aujourd’hui trouvé la sécurité à Downfall étaient les mêmes.

L’après-midi s’étirait, avoisinant les six heures. Le soleil déclinant venait de passer derrière un immeuble, privant une partie de la petite librairie de lumière. Le canidé s’était redressé et assis, gardant toujours le perron de la porte. Les oreilles dressées, il guettait les mouvements qui animaient la rue. Sa queue basse balayait sereinement l’air. Quelques moutons de poussière s’étaient pris dans les poils, et rappelèrent à Sohan tout le travail qu’il lui restait à abattre avant de pouvoir ouvrir.
Un silence avait gagné les deux amis. La dégustation du thé occupait pleinement leurs lèvres, tandis que leurs pensées s’égaraient par-ci et là. Oz fixait le dos de l’animal, se demandant que ce le quadrupède pouvait bien interpréter du monde qui s’étendait devant lui, quand son propre corps se rappela douloureusement à lui. Plusieurs raideurs contractaient ses muscles et rendaient la station assisse pénible. Reportant son attention sur Angela, Sohan lui proposa, la voix dynamisée par l’enthousiasme : « Ça te dit d’aller marcher un peu dans le quartier ? Je ne sais pas si tu connais le coin. » Skid Row n’avait aucun secret pour le natif qui y avait vécu toute sa vie. « J’ai bien envie de me dégourdir les jambes. Et de profiter d’un coucher de soleil. » Ellroy déposa sa tasse vide sur la table basse mais demeura assis, attendant l’aval de son amie pour se mettre en mouvement. Ils pourraient partir balader avec le chien, se prendre quelque chose à manger et à boire, avant de finir sur les toits de l’ancienne blanchisserie industrielle. Oz aimait le panorama qu’offrait le lieu. Si du nord-ouest à l’est la vue était totalement bouchée par le Mur, à l’ouest et au sud, ils pourraient voir Downfall se jeter dans l’océan.

Vous ne doutiez pas qu'il réussirait, et vous ne manquiez pas de le lui dire, de le lui faire comprendre, tout en buvant votre thé doucement, mais sûrement, comme pour mieux profiter des senteurs de celui-ci. Ce lieu n'était pas encore tout à fait fini, il y avait encore de nombreux livres à ranger, il y avait encore du monde à faire venir, mais vous ne doutiez pas que la soirée d'inauguration sera une réussite, la première d'une longue série, et vous vous ferez un plaisir de venir prêter votre voix à des lectures qui épateront les petits comme les grands, en usant de la bonne modulation quand cela sera nécessaire, lisant de façon posée ou alors plus rapide, variant donc le débit, mais aussi le ton, insistant sur les mots ou expressions importantes pour mettre en valeurs les idées principales. Vous aviez appris à lire voilà des années de l'autre côté du mur, et cela avait toujours été un réel plaisir même si le fond sonore n'était pas au mieux. Mais vous aviez du faire face à l'abandon très tôt, vous occupant par vous même dès le plus jeune âge, comme si vous étiez invisible ou presque. Mais ici, dans cette pièce, vous étiez tout sauf invisible. C'est alors qu'il vous pose une question improbable, invraisemblable, mais qui pourtant résonne incroyablement fort dans votre esprit, parce que vous savez qu'il ne la pose pas par hasard, parce qu'inconsciemment, il sait que vous n'êtes peut être pas la même avec tous, que vous n'avez pas toujours été ainsi, que ce soit avec lui ou en dehors. Et clairement, vous pouviez dire que votre renouveau s'était fait en arrivant à Downfall, que vous aviez même connue différentes versions, que celle qui était là, devant lui, était au moins la quatrième version d'Angela Sarmoise. Vous n'êtes pas un robot, mais pour ainsi dire, il y a eu votre version enfant, celle qui a été innocente quelques années, celle qui ne comprenait pas ce qui a pu se passer autour d'elle, et puis, celle qui a compris, qui s'est perverti en même temps que la grande perversion de vos parents. La version suivante avait fini par trouver sa place dans un asile pour fou, avant de s'en échapper et de venir ici pour la version actuelle de votre être.

" J'ai connu d'autres version de moi-même oui. La vie nous façonne parfois de drôles de façon à vrai dire, et j'ai eu droit à plusieurs reboot. Ma version actuelle a été façonnée par le quartier expérimentale, et je crois pouvoir dire qu'elle n'est pas si mal que ça. "

Et vous haussez les épaules, lâchant un grand sourire, un presque rire d'ailleurs à ce sujet là. Vous n'êtes pas forcément la meilleure juge pour cette version, mais vous ne doutez pas qu'il apprécie cette version de vous même sinon, vous ne seriez pas là. Et ainsi, le silence s'installait légèrement, alors que vous étiez en train de boire votre thé d'une façon tranquille et aussi légère que l'air qui vous entourait. Il fit alors une proposition qui semblait être très intéressante, une petite balade avant de profiter du coucher de soleil. Votre sourire s'afficha de plus belle sur votre visage.

" C'est une excellente idée oui. Ce n'est pas le coin de Downfall que je connais le mieux alors si tu as quelques petits coins à me faire découvrir, ce serait avec plaisir, tout comme le coucher de soleil brûlant l'horizon. "

Et presque instinctivement, vous posiez votre tasse sur la table basse et vous vous mettiez déjà debout comme si tout d'un coup, vous étiez pressée de faire cette découverte alors que pourtant, vous aviez déjà parcourue ces rues là. Vous connaissiez bien Downfall dans les grandes lignes, certains coins plus que d'autres et Skid Row n'en faisait pas vraiment parti alors si vous aviez un guide pour cela, ce serait parfait, parfait pour savoir où aller chercher quelques petites informations.

C’était avec un enthousiasme toujours renouvelé qu’Angela adhéra à sa proposition. Elle se redressa aussitôt, prête à faire cette balade qu’il lui proposait. Sohan lui rendit son sourire et l’imita, dépliant sa longue silhouette. Il finit son mouvement en levant les bras au-dessus de sa tête, allongeant au maximum les muscles fourbus de son dos. L’étirement lui provoqua un bâillement qu’il parvint à évacuer discrètement. Les yeux pétillants et rougis par la fatigue, il sortit du coin salon et saisit sur le comptoir-caisse le jeu de clef de la librairie. « Ça te dérange si le chien vient avec nous ? » L’animal sembla se sentir concerné et braqua sa tête dans leur direction, une lueur interrogative dans le regard. Ellroy savait qu’il prêtait là des intentions quasi-humaines au canidé, et que ce type de projections d’anthropomorphistes n’avait pas de grande valeur. Mais il aimait à penser ce chien animé d’émotions et avec une personnalité riche et complexe.

Une fois sur le trottoir, Oz ferma la porte de la librairie et abaissa le rideau métallique, non sans bruit, dans une lamentation grinçante qui dura jusqu’à ce qu’il fut totalement baissé. Le jeune homme s’excusa auprès d’Angela - et de ses oreilles – d’une moue désolée. Puis, indiquant la droite d’un doigt, il commença la visite du quartier : « A l’angle, un peu plus bas, il y a une école. Elle a ouvert récemment, en remplacement de l’ancienne qui était devenue trop vétuste pour accueillir des enfants. C’est d’ailleurs là que j’ai été. On passera devant toute à l’heure. Sinon, dans cette rue, il y a plusieurs petits commerces : une épicerie, une laverie, une boutique où tu peux faire réparer plein de choses, du petit électroménager ou des chaussures, ou faire faire des clefs par exemple. C’est un coin assez vivant de Skid Row, et plutôt calme. Il n’y a pas trop de délinquance. Il y a pas mal de personnes âgées en fait, et elles ont une sorte de centre de loisir là-bas, à un bloc à gauche. Faudra penser à les inviter aux séances de lecture. » Sohan avait vraiment envie que sa librairie soit un lieu repéré dans le quartier.

D’un signe de tête, il invita Angela à le suivre. Ils remontèrent la rue qui s’étendait à gauche de la librairie. Au gré de leurs pas, Sohan présenta les différents lieux névralgiques de Skid Row, et s’autorisa quelques anecdotes, dont certaines en lien avec l’histoire de la ville. Quand ils furent arrivés au niveau d’un immeuble de cinq étages à la façade ravagée, il s’arrêta. Sans perdre ce sourire qu’il avait attrapé depuis qu’Angela l’avait rejoint, il précisa : « C’est ici que j’ai grandi. Là, dans l’appartement de droite, au cinquième. » L’appartement était devenu un squat. Oz y remettait les pieds une à deux fois par an, sans trop savoir pourquoi. Peut-être pour cette tapisserie noircie par la crasse qui lui rappelait des souvenirs d’enfance, bons comme mauvais. « Ca a toujours été comme ça. Un taudis, totalement insalubre » ajouta-t-il, plutôt serein. « Et ce bout de rue où l’on est était mon terrain de jeu. » Qu’est-ce qu’ils avaient foulé ce bitume avec Kenan et Pixie… Ils en avaient troué leurs semelles pendant qu’ils se prenaient pour des ninjas de l’espace ou des éleveurs de dragons miniatures. C’était le bon temps. Parce qu’à cette époque, il ne réalisait pas qu’il vivait dans des conditions indécentes, négligé et maltraité par une mère toxico, et régulièrement chahuté par les gamins et aussi les grands du quartier.
N’ayant guère plus de choses à lui montrer de cet immeuble et coin de rue qui l’avaient vu grandir, Sohan reprit la marche. « Je voudrais qu’on aille se poser sur le toit de l’ancienne blanchisserie pour regarder le coucher de soleil. On peut s’arrêter acheter quelque chose à manger si tu veux. Il y a un petit resto asiatique qui fait des plats à emporter à deux rues. Ça te dit ? » Oz n’avait pas oublié la réponse d’Angela à sa question sur les versions d’elle-même passées. Il attendait juste qu’ils se posent quelque part pour approfondir ce sujet, curieux d’en découvrir plus sur son amie, et peut-être ensuite pouvoir s’engager dans une discussion métaphysique sur l’existence et son évanescence.

Oui, une petite balade vous fera le plus grand bien après l'exploration de ce lieu, et ce thé dégusté tranquillement, il fallait maintenant rêver plus loin, plus grand, méditant sur le travail accompli qui n'était pas à minimiser, mais aussi visualisant ce qui restait à faire. L'ouverture dans une semaine ne semblait pas impossible, mais il ne faudrait pas chômer quoiqu'il en soit, il allait devoir mettre un peu d'huile de coude dans le lot pour que tout aille bien pour lui. Il vous demanda alors si le chien qui n'était pas vraiment le sien, mais un petit peu quand même pouvait venir et vous n'y voyiez aucun inconvénient bien entendu.

" Oui, bien sûr, pourquoi ne pourrait-il pas venir ? Après tout, les chiens aiment bien faire leur petite balade quotidienne, n'est ce pas ? "

Oui, contrairement aux chats qui sont plus autonomes, les chiens aimaient bien qu'on s'occupe d'eux pour les promener, ça et là. Quoiqu'il en soit, vous sortiez des lieux, et après avoir fermé la porte, il fit tomber le rideau métallique qui avait besoin d'être un peu huilé, car il grinçait fortement même si ça ne vous déranger pas une seule réelle seconde. Vous haussiez les épaules à la petite moue de ce cher Oz. Et donc, il commence à vous présenter le quartier de votre point de vue actuel. Il semble le connaître comme sa poche, mieux que vous assurément, et vous en souriez. Il sera un bon guide à n'en pas douter.

" Oui, s'ils peuvent venir jusqu'ici, ce serait bien pour eux, un peu d'animation, sinon, on pourrait organiser une séance de lecture dans leur centre de loisir au pire, à voir en fonction de leurs conditions physiques bien entendu. "

Vous ne saviez pas s'ils étaient en forme pour venir jusqu'ici ou pas, mais en fonction vous pourriez vous adapter clairement, surtout lui, puisque c'était sa librairie, vous ne serez qu'une valeur ajoutée pour ainsi dire. Et encore, vous ne savez pas si la valeur sera vraiment en plus, mais vous participerez, autant que possible pour l'aider à fidéliser un certain public, qu'il soit jeune ou plus âgé. Et donc, vous étiez partis en promenade à trois, avec le chien qui suivait sans bronché, sans laisse, il marchait à votre rythme, parce qu'il avait compris ce qui était en train de se passer. Votre guide était très bon, donnant presque envie de déménager à Skid Row malgré la réputation des lieux. Et donc, au bout d'un moment, il s'arrêta sur un immeuble en particulier. C'était là qu'il avait grandi, dans ce logement véritablement insalubre à première vue. Mais peut être que dans le fond, il était mieux logé que vous, avec votre mère qui pratiquait un métier inconvenable pour une jeune fille de votre genre, sans se soucier de ce que vous pouviez voir, ou entendre, ou même comprendre. Mais votre enfance n'en a pas été vraiment une, pas comme cela aurait dû se passer, elle avait réussi à vous fracasser, faisant de vous ce que vous étiez devenu à présent. Vous étiez en train de l'imaginer jouer dans ces rues avec ces quelques amis, peut être des amis imaginaires, allez savoir.

" Et j'ai l'impression que tu t'es quand même bien amusé à l'époque même si tu n'avais pas toutes les commodités qu'il aurait fallu. Tu n'as jamais eu envie d'aller voir ailleurs ? Je veux dire, en dehors de Skid Row et de Downfall ? "

Remarquez, vous aviez grandi en dehors du quartier, mais ça n'avait pas été guère mieux pour vous. Est ce que ça aurait pu être différent si vous étiez originaire du quartier comme lui ? Possible, vous ne le saurez jamais et c'était peut être mieux ainsi. Et donc, vous repreniez la marche. Il semblait avoir fait le tour de ce côté là, et le tour tout court à vrai dire, comme si ailleurs n'avait pas d'importance, et que ça pouvait être dangereux pour vous. Ce qu'il proposait vous allez très bien d'ailleurs.

" Oui, ça me semble parfait vu comme ça, ça fait un bail que je n'ai pas mangé asiatique d'ailleurs. Et puis quoi de plus beau qu'un coucher de soleil après tout ? "

Le chien suivait toujours le mouvement en tout cas, et ça vous fit sourire. Il ne bronchait pas, il suivait bien docilement comme s'il avait adopté le brun alors que le brun était un peu hésitant pourtant. Vous ne saviez pas le passif du chien, mais on dirait bien qu'il a toujours appartenu à Oz alors que ce n'est pas forcément le cas d'après ce qu'il a pu dire, le chien étant lié au bâtiment de la librairie. Et vous réfléchissiez à ce que vous alliez prendre, sans doute des nouilles sautées, et quelques nems. Il n'avait pas précisé si c'était asiatique, ou juste chinois ou japonais, mais au pire, vous aviserez en fonction de ce qu'il y aura de disponible évidemment.

C’était donc en compagnie du chien qu’Angela et Oz s’étaient enfoncés dans Skid Row, longeant quelques artères principales avant de sillonner le quartier par ses ruelles. Le jeune homme connaissait ces rues par cœur, les ayant foulées trente ans durant. Il était convaincu qu’il pourrait les parcourir les yeux fermés, qu’il était même capable de savoir combien de pas suffiraient pour passer d’une rue à l’autre. Ce constat lui arracha un rictus amusé, et il se mit tout seul au défi de tenter l’expérience un jour.

Tout au long de cette visite, les deux amis échangèrent sur divers sujets. Alors qu’il indiquait à son amie où se trouvait le centre de loisirs du 3ème âge, la possibilité d’organiser des séances de lecture plus spécifiquement pour les personnes âgées du quartier effleura le futur libraire. La jeune femme considéra cette idée comme pertinente, mais mentionna également tout l’intérêt de se rendre sur place, afin de toucher les personnes les plus limitées dans leur déplacement. Sohan acquiesça. Il irait rencontrer le personnel du centre et verrait avec eux ce qui serait possible ou non. Cette note à lui-même faite, Ellroy reprit le cours de la visite, et raconta à Angela l’histoire de l’épicerie des Morgan, où travaillaient trois générations de femmes.

Il finit par la conduire, sans vraiment s’en rendre compte, jusqu’à l’immeuble où il avait grandi. L’endroit était désolé, ravagé par la misère. Tout comme lui, Angela voyait par-delà l’insalubrité des lieux. Elle avait perçu la nostalgie qui colorait le regard du natif. Oui, Sohan s’y était bien amusé. L’innocence de l’enfance l’avait pendant longtemps préservé de la réalité de ce qu’il vivait. Et il était parvenu à en conserver une légère patine, encore aujourd’hui, celle des souvenirs, celle-là même qui lui permettait de continuer à venir ici céder à la colère ou à la tristesse. De toute façon, tout cela appartenait au passé, et il n’y pouvait plus rien. Alors autant l’accepter. Lâchant un bref soupir, Oz porta son attention sur Angela et répondit à sa question d’une voix neutre : « Enfant, oui, j’en ai déjà eu envie. Mais sortir de Downfall était impossible : personne ne m’y aurait amené. Alors quitte à rêver de l’impossible, je préférai observer le ciel et m’imaginer partir dans l’espace, découvrir de nouveaux mondes, de nouvelles civilisations, qui avaient mieux à offrir que notre humanité. J’espérais vraiment que ces autres univers seraient moins cruels. J’avais besoin d’y croire… » Aucune émotion ne froissa son visage ; il se contenta de hausser les épaules, signifiant ainsi un « tant pis » silencieux qui, à présent, ne constituait plus une frustration.
Tous deux reprirent la marche. Le chien les suivait tranquillement. Il était d’une telle discrétion qu’à plusieurs reprises, Oz oublia sa présence et fut surpris de sentir sa tête glisser derrière lui et sous sa main, en quête d’une caresse.

Quand Sohan estima avoir montré à Angela tout ce qu’il y avait à voir et à connaître de Skid Row, il lui proposa de dîner sur le toit de l’ancienne blanchisserie et de profiter des derniers rayons du soleil, avant que celui-ci ne disparaisse derrière la ligne d’horizon de l’océan. La jeune femme valida l’idée de manger asiatique et le duo se rendit jusqu’au restaurant-traiteur.
Quelques clients s’étaient déjà installés dans la petite salle, et ce fut un papy au fort accent vietnamien qui les accueillit depuis derrière son comptoir. Oz parcourut rapidement la petite carte et commanda des nouilles sautées aux légumes et au poulet, ainsi que des samoussas. Il attendit qu’Angela commande à son tour pour demander l’ajout de deux bières et de nougats chinois. Puis il tendit brusquement un billet sous le nez du restaurateur, voulant être sûr que seul son argent serait pris. « Je t’invite ».
La commande fut préparée en dix minutes, et ils purent ensuite reprendre leur route vers l’ancienne blanchisserie. Le chien les avait attendu et fit le chemin avec eux jusqu’à ce qu’il se retrouve confronté à un problème pour le mammifère à quatre pattes. Afin d’accéder aux toits, il leur fallait prendre une échelle de secours. Sohan rangea alors soigneusement leur repas dans son sac à dos, afin de ne pas s’encombrer les mains avec.
Si l’échelle était globalement bien fixée, quelques barreaux étaient cassés ou érodés. Elle possédait également une sorte de garde circulaire qui limitait le risque de chute en arrière. Habitué à ce genre d’escapade urbaine, Oz proposa à Angela de passer devant lui. Il pourrait ainsi la retenir si elle glissait. « Prends ton temps. Monte à ton rythme, et ne regarde pas en bas. » Plus d’une dizaine de mètres les sépareraient du sol une fois qu’ils seraient en haut de l’échelle.

C'était presque drôle comme déjà, vous étiez impliquée dans son projet de librairie et de lecture alors que vous n'en saviez rien, il y a encore quelques minutes. Et vous n'aviez même pas parler d'une quelconque rémunération alors que pourtant, tout cela allait prendre des heures par semaine, mais est ce que vous aviez réellement besoin d'argent ou d'une compensation si ce n'est de faire plaisir aux personnes qui viendront ? Il faut bien avouer que malheureusement, c'est un peu le cas, il faut de l'argent pour faire tourner votre monde, même ici à Downfall, même ici. Mais cela n'était pas une priorité, tant que vous passiez un bon moment ensemble, tant que dans les yeux du petit Oz, il y avait cette dose de magie qui se créait à la moindre de vos paroles, à vos moindres gestes. Ainsi donc, vous marchiez dans le quartier où il avait grandi, un quartier que vous ne fréquentiez pas énormément malgré tout, mais où vous pourriez venir plus souvent à présent, au delà de la librairie d'ailleurs. En tout cas, il semblait s'être bien amusé par ici étant plus jeune, c'était une bonne chose malgré tout ce qui lui était arrivé même si vous n'en connaissiez qu'une petite partie évidemment. Il n'avait pas eu une enfance facile, comme vous, sauf que lui, il était ici à Downfall, à Skid Row donc plus précisément. Est ce que tout cela avait réussi à vous façonner d'une drôle de façon ? On peut le penser même si là, avec lui, tout semblait bien se passer comme les deux amis que vous étiez devenus l'un pour l'autre. Est ce qu'il a eu un jour envie d'aller voir ailleurs ? Vous ne savez pas, alors vous lui poser la question et il finit par y répondre avec une certaine fatalité. Il savait que ce n'était pas possible, alors il préférait faire jouer son imagination pour voir au delà du quartier, un monde plus libre, plus fantastique. Il semblait bien le vivre malgré tout, et sans doute que vous auriez été comme lui si vous aviez grandie ici, mais ça n'a pas été le cas. Downfall a été votre refuge, et vous êtes certaine de ne plus le quitter, enfin presque. Pour une fois, vous n'aviez pas grand chose à ajouter à sa vision des choses étant enfant. Et donc, vous alliez chercher à manger pour poursuivre cette soirée encore un peu. Vous n'étiez jamais venue commander de la nourriture ici, alors vous lui faisiez confiance sur ce qu'il choisirait. Vous n'étiez pas bien difficile niveau nourriture quoiqu'il en soit, ça devrait le faire. Et à écouter sa commande, ça donnait grave enfin de manger tout ça, mais avant de le faire, il faudrait le bon point de vue sur le monde, la bonne tablée pour ça. Ainsi donc, vous preniez la même chose que lui, histoire de ne pas vous planter. Vous alliez sortir de quoi payer votre part même s'il avait choisi mais vous n'en aviez pas le temps, ce soir monsieur invitait et vous n'alliez pas vous faire prier pour ça. Un sourire s'afficha sur votre visage. La commande fut rapidement préparée et vous voilà en route pour l'ancienne blanchisserie, ou plus précisément le toit de celle-ci. L'heure s'avançait doucement, et le soleil était sur le déclin. Ainsi donc, il fallait grimper par une échelle et il se montra prévenant, vous laissant passer devant au cas où vous pourriez chuter même si ça ne serait pas le cas. Vous grimpiez donc doucement mais sûrement. Vous n'aviez pas peur du vide néanmoins, et sans encombre, vous arriviez à destination. La vue d'ici était incroyable, sans doute que vous alliez venir plus souvent, avec ou sans lui d'ailleurs. Vous étiez en train de voir la place que vous pourriez prendre pour que la vue soit la plus magnifique possible alors que vous seriez en train de grignoter votre repas.

Le duo était arrivé à destination. L’ancienne blanchisserie en brique les surplombait. Il ne restait plus qu’une cheminée sur les deux, la seconde s’étant effondrée il y avait déjà quelques années. Les fenêtres situées en hauteur, étaient pour la grande majorité cassées, brisées par de nombreux jets de cailloux et autres projectiles. De grands panneaux de tôle, à présent rouillés, faisaient office de toit de fortune là où les tuiles et la charpente avaient cédées et les plafonds s’étaient éventrés. Oz avait passé de nombreuses heures à errer, physiquement et psychiquement, dans ce lieu, en quête de calme. L’endroit n’était pas vraiment squatté, ni par des SDF, ni par des gamins en recherche d’un QG où se réunir. Le risque d’y faire une mauvaise rencontre était quasi-nul. Toutefois, la désolation des lieux et la discrétion qu’ils offraient invitaient à un minimum de prudence. Sohan y avait trouvé un cadavre une fois, dans la salle des machines, à la section nord-ouest. Doutant que cette anecdote sécurise son amie, le trentenaire la garda pour lui.
Il la conduisit jusqu’à l’échelle qui leur permettrait de rejoindre les toits. Leur repas dans son sac à dos, Oz proposa à Angela de passer devant lui, pour qu’il assure ainsi ses arrières en cas de chute. La jeune femme ne sembla pas impressionnée par la dizaine de mètres qu’il lui faudrait parcourir à la verticale. Elle s’engagea sur l’échelle avec sérénité et la gravit aisément jusqu’à son sommet. Le chien jappa – d’inquiétude ou bien contrariété - lorsqu’il vit Sohan commencer son ascension à son tour. L’animal se dressa sur ses pattes arrière afin d’atteindre le premier barreau et se mit à aboyer. Oz tenta de le rassurer, et l’invita à rester tranquille de la même voix douce et prévenante qu’il avait eu avec Angela. « Je reviendrai » lui promit-il, tandis que le canidé faisait les cents pas juste en dessous de l’échelle tout en gémissant.

Alors qu’il atteignit le toit, Sohan vit la fine silhouette de son amie se faire découper par les derniers rayons du soleil. Il s’immobilisa, les mains sur le dernier barreau, sidéré par cette vue qui conférait à Angela une aura d’une grande puissance, quasi-mystique. Ses cheveux, traversés par la lumière et soulevés par une légère brise, la coiffaient d’une auréole. La jeune femme était tel une icône sublime, flirtant avec les cieux et l’univers.
S’arrachant à la sidération de cette vision aux tons divins, Oz finit par rejoindre son amie. Ils s’installèrent non loin d’un rebord où seul un muret d’une vingtaine de centimètre les protégeait du vide. Accroupi, le trentenaire sortit leur repas de son sac. Il décapsula une première bière qu’il tendit à la jeune blonde puis se servit la seconde. « A cette journée ! Puisse-t-il y en avoir encore beaucoup d’autres comme celle-ci ! » Et il trinqua ave Angela, un large sourire fendant ses lèvres.
La bière n’était pas vraiment fraîche, mais fut tout de même agréable à boire. Après deux gorgées, Ellroy prit les samoussas et tendit la barquette à la jeune femme pour qu’elle se serve. Les petites fritures étaient encore bien chaudes. Sohan eut un frisson de plaisir au moment de croquer dans la feuille de brique. Il n’avait rien mangé de la journée, trop occupé à ranger sa librairie. Sa faim s’en trouvait décuplée. Ce fut donc la bouche encore pleine qu’il prit la parole : « Tout à l’heure, tu me disais que toi aussi tu avais connu d’autres versions de toi-même, que tu avais expérimenté plusieurs reboot, dont le dernier a été influencé par ta vie ici, à Downfall. Tu… tu veux bien me raconter toutes ces transformations ? Enfin, si ça ne te dérange. C’est peut-être un peu trop… personnel comme question… Ou bizarre. Mais je trouve ça vraiment très intéressant, cette labilité dans nos personnalités, alors qu’on a tendance à penser qu’un seul et même fil rouge soutient nos vies. Un genre de trame. Comme si tout ce qu’on vivait était uni, par un seul et même sens, ou direction du moins, alors que nos expériences sont fondamentalement uniques et donc différentes et potentiellement chaotiques. » Sohan se tut, se forçant à un silence. Il ne voulait pas s’enfoncer trop loin dans la réflexion méta qui l’animait avant qu’Angela ne lui ait répondu, d’autant que son objectif était de construire ensemble cette discussion, et non de partir dans un monologue pseudo-philosophique dans lequel il ne pourrait pas profiter des pensées de son amie.

La blanchisserie de Skid Row n'était pas un lieu que vous connaissiez, que vous fréquentiez. A dire vrai, ce quartier n'était pas celui que vous vous amusiez à parcourir le plus souvent, même si parfois, vous étiez là quand même à marcher et à observer votre monde tel un fantôme. Parce que oui, souvent, vous êtes si discrète que les gens vous remarque à peine, comme si vous n'existiez pas ou presque. Et donc, vous alliez monté sur le toit, pour avoir une vue imprenable sur un futur coucher de soleil. Cela serait sans doute dangereux de redescendre, mais vous n'aviez pas encore penser, envisager cette perspective là. Vous franchissiez les obstacles sans mal, alors que vous entendiez le chien aboyer, il avait envie de monter lui aussi mais ça allait être compliqué. Vous n'alliez de toute façon pas rester éternellement sur ce toit, n'est ce pas ? Non, mais sans doute que le moment passé ici restera intemporel, comme si le temps avait arrêté sa course pour que vous puissiez être là pour longtemps, au moins le temps du repas commandé. Vous étiez donc sur le toit alors qu'il arrivait à son tour, vous observant d'un oeil enchanté, médusé alors que les rayons du soleil dans votre dose donnait à votre corps une aura cosmique en quelques sortes. Il y avait une légère brise, alors quelques mèches de cheveux paraissaient plus imposante encore, vous donnant un air plus mystérieux encore. Et donc, il arriva à votre hauteur. Vous alliez manger tranquillement ici, profitant de la vue. Il sortie les bières et trinqua à cette belle journée.

" Au début de cette belle aventure. Puisse le magicien d'Oz faire des miracles. "

Petit jeu de mots sur le surnom qu'il avait pu vous donner la première fois, surnom que vous aviez garder et qui en la circonstance faisait parfaitement sens. Et vous buviez une première gorgée de bière. Il vous tendait les samoussas, et donc vous en preniez pour une belle petite dégustation alors qu'il se lança dans ce qui semblait être un grand monologue. Il voulait en savoir plus sur vos précédents version de vous-même.

" Je dirais que j'en suis au moins à ma quatrième version. Cette version est arrivée il y a quelques années, quand je suis passée ici à Downfall. J'ai mis un petit temps d'adaptation, parce que je ne savais plus qui j'étais, et je ne savais pas qui je voulais devenir. Alors, j'ai attendu un peu, comme un nouveau départ, et en observant mon monde, j'ai compris le potentiel que je pouvais en tirer pour moi, et pour les autres par extension. C'est comme ça que je suis devenue une petite voix du quartier, la bonne amie, ou celle qui voit ce que personne ne veut voir. Avant, j'étais enfermée. Encore avant j'étais libre mais je commençais à sombrer dans la folie. Et puis quand j'étais jeune, j'ai tenté de comprendre mon monde, sans réussite. "

Et vous aviez ce petit haussement d'épaules. Vous ne saviez pas précisément, si c'était ce qu'il voulait, mais c'était ce qu'il aurait dans un premier temps. Vous ne vous étiez pas amusée à rentrer dans les détails, mais s'il en voulait plus, vous n'auriez pas honte à lui en donner. Vous étiez une enfant, puis vous avez grandie, sombrant dans une folie douce, avant d'être enfermée, et de vous libérer pour arriver à Downfall, voilà votre parcours semé d'embûches, mais qui avait réussi à vous mener à lui, un mal pour un bien, n'est ce pas ?