{Geoandley} - Un petit verre parce que tu le vaux bien

Quesadillas : check. Doritos : check. Sauce qui va m’arracher la tronche : check. Je récupère ma bière, le plaid qui me vient de la abuela, la télécommande, et je me laisse tomber dans le canapé, direction l’autoroute du kiff. La soirée est déjà bien avancée, mais comme souvent quand je rentre du Diner, j’ai beau ressentir physiquement la fatigue, je sens aussi cette espèce d’excitation liée au rush qui électrise chaque cellule de mon corps, et éloigne Morphée à grands coups de pied au cul. Dans ces moments-là, je sais qu’à part attendre que cette espèce de tension redescende d’elle-même, y’a rien à faire. Alors, j’attends. Et pour ça, je suis pas en mauvaise compagnie, suivant pour la énième fois les aventures de la brigade du 99ème district de Brooklyn.

Quand je sens mon téléphone vibrer sous mes fesses, je dois bien admettre que la tentation première de faire comme si j’avais rien entendu, rien senti, se fait quand même bien présente. Je suis à fond dans cette enquête de cochon qui se marre, les yeux rendus brillants par la sauce épicée, ou la fatigue allez savoir, et je sens une douce torpeur qui commence à s’installer. Ce message, c’est comme une espèce de bombe à retardement. Une proposition de quitter le petit nid douillet qu’on s’est fait avec Hailey, un job confié par Tattooman, ma mère qui a besoin d’un binôme pour un ménage…en gros, rien que j’ai vraiment envie de lire. J'aurais adoré jouer la carte du déni plus longtemps, mais le fait est que la simple idée qu’un proche puisse avoir besoin de moi suffit à ce que je lève mon cul pour attraper le portable.

Le prénom d’Hailey s’affiche sur l’écran à peine celui-ci éclairé, et je prends le temps de lire son message, non sans pousser un léger soupir. Je jette un coup d'œil à mon repas, ma bière, Peralta en train de faire le pitre à la télé, et un nouveau soupir à fendre l’âme quitte mes lèvres. J’ai pas envie d’y aller. Faudrait que je me douche, que je me fringue, que je me prépare, que je sorte, et forcément, on rentrera à pas d’heure. Et j’ai franchement grave envie de dormir. Et en même temps…j’ai envie d’y aller. La musique, danser, les gens, l’ambiance, et le fait que je suis pas sortie en boîte depuis bien longtemps. Ouais, je suis bien tentée…mais…fleeeeeeeeeeeeemme. Je m’extirpe du canapé avec un grognement qu’on en général les plus de trente ans au moindre effort et vais chercher une pièce dans mon portefeuille. Pile, je sors, face, je me pieute. Je bois une gorgée de bière, lance la pièce, et…

Et voilà comme le sort m’envoie en boîte de nuit. Je pourrais dire ça, demain, quand j’aurai la tronche de travers et l’amabilité d’une porte de prison : “je voulais pas sortir, c’est la pièce qui m’a forcée”. Comprendra qui pourra. En attendant, je finis par arriver devant le Wonderland, explique au type qui gère l’entrée que je suis attendue dedans par Hailey, qui connait la gérante. Ca aurait été trop simple qu’elle me donne un nom, ou qu’elle m’attende directement devant la boîte, c’est sûr. Une chance, je sais pas s’il est dans un bon jour, ou s’il en a juste rien à carrer, mais le gars me laisse passer, et je me retrouve aussitôt plongée dans l’ambiance surchauffée de la boîte, où la musique m’agresse les oreilles, et fait pulser mon sang dans tout mon corps au rythme des basses.

Il me faut envoyer un sms à Hailey pour la retrouver au milieu de toute cette foule, et quand je la repère enfin, je me dirige vers elle, jetant un coup d'œil à sa tenue. A son grand sourire, je lui réponds d’une légère moue, alors que j’ai l’impression de devoir hurler pour qu’elle m’entende : “-La prochaine fois, évite de laisser entendre que je suis ton bouche trou quand tu veux que je vienne à une soirée. C’est assez moyen !” que je lui lance, faisant référence à ce sms dans lequel elle me proposait clairement de venir pour pas se retrouver seule. Y’a mieux comme invitation, hein… “-Alors, elle est où ta pote que je suis censée remplacer ?” que je demande en constatant qu’elle est effectivement seule, malgré la masse de gens en train de danser autour de nous.

Est-ce que j’avais imaginé ma soirée différemment ? Oh que oui, on va pas se mentir. J’imaginais presque le pyjama deux fois trop grand, la couette remontée jusqu’au nez, et la longue nuit de sommeil que j’aurai pu m’offrir. Et comme souvent…Hailey a débarqué, et foutu mes plans à la poubelle. J’aurai pu dire non, c’est vrai. Lui dire que je suis crevée -ce qui est pas un mensonge- que j’ai moyennement envie de sortir -ce qui est pas faux non plus- que ça me dit trop rien. Et pourtant, je m’extirpe du canapé avec lequel j’aurai bien fusionné, je me traîne jusqu’à la salle de bain, et je me prépare pour cette nuit de pas trop débauche, enfin j’espère. Y’en a qui bossent demain, et se prendre une cuite est moyennement une option.

Le type qui gère l’entrée du Wonderland me laisse entrer sans faire la moindre difficulté, et je sais pas si j’en suis ravie ou pas. Je crois que y’a encore une part de moi qui se dit que ça aurait pas été si grave s’il m’avait refoulée, que je serai juste rentrée, et voilà. Même si, ouais, maintenant que je me suis pimpée, ça m’aurait peut-être agacée un peu. Sauf que non…il me laisse entrer sans même s’attarder sur ma personne, passant déjà au petit groupe qui faisait la queue derrière moi. A l’intérieur, la musique me submerge presque aussitôt alors que je regarde les fêtards autour de moi, à la recherche d’Hailey. Une tâche qui m’a l’air aussi facile à accomplir que de trouver une aiguille dans une botte de foin. M’enfin…à cœur vaillant, rien d’impossible -ou un truc comme ça- et je me jette dans la mêlée à la recherche de la cubaine.

Ce petit sms que je lui envoie nous permet finalement de nous retrouver assez facilement au milieu de tous ces gens, et je peux pas retenir un petit commentaire sur la façon dont elle a présenté les choses pour m’attirer jusqu’au Wonderland, parce que c’était franchement pas terrible. Sa réponse, presque hurlée à mon oreille, m’arrache une grimace faussement dégoûtée, alors que je réponds presque aussitôt : “-Ew…sale.” Même si ouais, je veux bien imaginer que même si les mots sont sortis comme ça, c’est pas tout à fait ce qu’elle voulait dire. C’est la magie d’Hailey ça, elle a le chic pour sortir des phrases dont le sens peut parfois être douteux. Si elle me les adressait qu’à moi, ça pourrait aller encore, mais…ouais, elle a aussi tendance à le dire devant à peu près n’importe qui, ce qui peut sans doute parfois prêter à confusion…ou donner à certains une lueur d’espoir sur des choses qui arriveront sans doute jamais.

Je me retrouve à lever les yeux au ciel, et à lui faire une moue qui veut clairement dire : “Really ?!” à la suite de sa tirade, alors que je soupire légèrement, ce qui passe totalement inaperçu avec la musique autour de nous. Si c’est comme ça qu’elle espère me faire oublier sa maladresse, elle peut toujours courir. Même si en vrai, et elle le sait très bien, je suis pas vraiment quelqu’un de rancunier quand ça concerne quelque chose d’aussi insignifiant. “-Mouais…sois mignonne, et garde tes minauderies pour tes conquêtes.” que je lui rétorque, faussement blasée, avant de regarder autour de nous, à la recherche de cette fameuse personne dont je suis venue combler le départ. Et à l’instar d’Hailey, je me tourne vers le bar, alors même que je sais pas vraiment à quoi ressemble cette inconnue, et donc sans trop savoir qui chercher.

La musique est si forte que ça oblige la brune à me crier dans les oreilles pour que je puisse l’entendre, et à moi d’en faire autant pour lui adresser une réponse audible : “-Une journée classique au Paradis. Je suggère qu’on en rediscute quand on aura pas besoin de s’arracher les cordes vocales pour se faire entendre.” Même si en soit, je sais pas non plus si elle m’a vraiment entendue. Par contre, ce que j’ai bien entendu -un peu trop bien même- c’est cette proposition à aller boire un coup. Maintenant que je suis là, ma foi…et puis, quelle genre d’amie je serai si je laissais Hailey picoler toute seule ?

On se retrouve donc au bar, où j’ai pas besoin de lui donner ma commande, parce qu’on a fait suffisamment de soirées ensemble pour qu’elle sache déjà ce que je bois. Je sors un billet de vingt, et remercie le barman d’un léger signe de tête, avant d’attraper le bras d’Hailey quand le type se détourne, sans réclamer le moindre dollar : “-Hé ! C’est normal que ce type veuille pas de mon blé ?” Non pas que ça me dérange hein. L’idée de boire à l'œil est même étonnement tentante. Bon, ça risque aussi potentiellement de mal finir, mais ça, c’est juste un détail sur lequel je m’attarde pas, alors que j’attrape mon verre pour en boire une gorgée. La téquila a jamais meilleur goût que quand elle coûte pas un rond.

Je repose quand même mon verre quand je vois Hailey s’agiter à côté de moi, et lève un sourcil en la voyant essayer d’attirer l’attention d’une nana, un peu plus loin. La fameuse pote, sans doute. Et voilà qu’elle se met à faire les présentations, alors que j’adresse un léger signe de tête, et un sourire qui se veut amical à la nouvelle venue. “-Salut !” Je pourrais dire un truc genre “ravie de te rencontrer” ou encore “enchantée de faire ta connaissance”, mais sérieux, ça fait beaucoup trop de mots, pour le même effet. “-Alors comme ça, t’es la gérante du Wonderland ? Classe. Ça doit faire pas mal de taff j’imagine !” Que je laisse échapper, en regardant autour de nous. Et pas mal d’heures de ménage une fois les fêtards partis, même si ça, je suis quasiment certaine que c’est pas elle qui s’y colle. “-Alors, vous vous êtes rencontrées comment, toutes les deux ?” que je demande en reprenant mon verre, posant mon regard à tour de rôle sur elles deux. Et dire que y’a pas dix minutes, je suggérai qu’arrêter d’hurler pour se faire entendre, c’était pas si mal…