C'est quoi ce bordel ?

Putain…ça faisait tellement longtemps. Tellement, tellement longtemps. Que j’avais pas passé une soirée libre ailleurs qu’à l’appart. Que j’étais pas sortie. Que j’étais pas sortie avec Alphonse et Sophie, les Grumeaux du chaos, d’ailleurs. Et bordel, ça fait un bien fou. La musique. Le fait de danser. L’alcool, un peu aussi. Les gens. Ouais, que je sois contente de voir des gens en dit long sur la situation. J’arrive à m’en foutre totalement qu’on m’est déjà poussée trois ou quatre fois, que mes pieds aient été écrabouillés, et même qu’une main pas rattachée à un certain blond se soit malencontreusement baladée sur mon cul, alors qu’en temps normal, j’aurai arraché ladite main depuis longtemps. Ce soir, je m’en fous. Je me sens…relax. Relaaaax, même. Merci le whisky. Dont je suis pourtant certaine de pas avoir abusé, putain !

Je danse en rythme avec la musique, hochant parfois la tête à l’attention des gens autour de moi qui, tournés dans ma direction, bougent les lèvres. J’imagine qu’ils me parlent…mais avec le raffut autour de nous, j’entends que dalle. Et bon…ça aussi, je m’en tape un peu. Je suis venue faire la fête pas causer. Je lève les bras, ondule des hanches, bouge les pieds, avec cette sensation que la musique résonne en moi, que chaque son trouve un écho jusqu’au plus profond de mon être. Ha putain…il doit être beau le taux d’alcoolémie là. Je suis pas déchirée pourtant. Ça non. J’ai toujours eu une bonne résistance à l’alcool. Même si j’essaierai pas de faire la maligne avec genre…un scalpel ou un truc pointu pour autant. J’ai dépassé le stade de pompette -je crois que j’ai jamais connu- mais je suis pas bourrée non plus. Je suis…bien. Ce fameux état qui correspond à que dalle sur l’éthylotest, mais qu’on est des tas à revendiquer.

Je laisse la musique me porter, je profite vraiment du moment présent, je jette aux oubliettes tout le reste, au point d’occulter presque ce qui m’entoure, et les autres personnes. Je sais que Sammy est là, juste à côté, tout comme les Hargreaves, que je suis en territoire Sirènes, que la musique met une super ambiance, et j’ai pas besoin de plus.  Perdue dans un truc qui s’appelle le kiff total, je danse, me balance, me déhanche…jusqu’à ce qu’une tête blonde s’immisce dans mon champ de vision, et m’arrache instantanément un immense sourire sur la tronche. Je sais pas trop ce qui me pousse à attraper le visage de Tegan entre mes mains, alors que je presse ses joues en me marrant face à ce surnom qu’il lui arrive de me donner de temps en temps. Enfin…quand elle a trop picolé surtout, mais ça, c’est un détail. Je hausse les sourcils à ses paroles, avant de taper doucement son bras, le loupant de peu, répondant aussitôt : “-Mais ouais, évidemment que je sais que t’es là. T’éclipse tooooooouuuuuuut le monde autour de toi !” que je ricane bêtement, me penchant davantage vers la jeune femme quand je vois ses lèvres bouger.

Quand je me recule, je hausse une nouvelle fois les sourcils à sa question, incapable de retenir un nouveau rire. “-Ah ouais…t’as picolé à ce point ?!” que je lui réponds sans me départir de mon sourire, avant de lever un bras pour tendre mon index derrière nous. “-Alors tu vois, ton frère c’est la grande perche blonde qui dépasse, là bas tu…” Ah ben non, elle peut pas voir, puisque ladite perche est plus là où elle était y’a genre…bordel, combien de temps, d’ailleurs ? J’en ai aucune idée. “-Ben merde alors ! Ils étaient là y’a genre…pfff...pas si longtemps.” que je dis avec une rare précision, regardant tout autour de nous pour essayer de repérer son frère et mon mec. En vain. Ils sont passés où, ces deux-là ?!

J’attrape le poignet de Tegan, me penchant une nouvelle fois à son oreille pour qu’elle puisse m’entendre sans que j’ai besoin de m’arracher les cordes vocales. “-Je vais appeler Sammy, essaie d’appeler ton frère !” que j’ai pourtant l’impression d’hurler une nouvelle fois, alors que je sors mon téléphone pour appeler le blondinet qui a subitement disparu des radars. Ça sonne une fois, deux…je perds le fil, jusqu’à ce que j'entende un déclic : “-Hééé bébé !” Ben tiens, c’est nouveau ça ! Je grimace face à ce surnom sorti de je sais pas où, enchaînant pourtant :  “-Je t’ai cherché…et je t’ai pas trouvé, t’es…oh, merde. C’est ton répondeur. C’est son répondeur. Bah il risque pas de me dire où il est passé, ni où est Kenny. Hé, répondeur de Samichou, dis à Sam de me rappeler quand il a ce message, il a disparu et je sais pas où il est. Viens on sort, j’ai envie de fumer.” que je marmonne, parfois dans le téléphone, parfois à l’attention de Tegan, alors que je me dirige déjà vers la sortie, l’air frais de la ruelle contrastant avec la chaleur des corps échauffés du grand garage qui accueille la fiesta de ce soir.

Une fois dehors, je me rends compte que j’ai pas coupé la communication, et alors que j’enfonce le petit bouton rouge du téléphone, je prends une longue inspiration, ouvrant le minuscule petit sac que je me trimballe pour sortir un paquet de clopes, dont l’une atterri bien vite entre mes lèvres : “-Tiens, c’est ma tournée !” que je dis en gueulant un poil trop fort, encore habituée à l’ambiance sonore du garage, où tu peux pas te faire entendre si tu beugles pas comme un veau. Je lui fourre le paquet dans les mains, avant de fouiller mon sac, incapable de trouver mon briquet, avant de me rappeler subitement que c’est Sammy qui l’a gardé tout à l’heure. En même temps, on était censés passer la soirée ensemble avant sa disparition. “-File ton briquet ! Attends, je le prends !” que je dis en allant récupérer le petit bout de plastique dans la poche de jean de Tegan.

La première bouffée de nicotine parvient pas à chasser cet espèce de brouillard bienheureux dans lequel m’ont plongé les quelques verres que j’ai pu boire ce soir. C’est dans des moments comme là, tout de suite, que je me rends compte que ma tolérance à l’alcool a sacrément diminué ces derniers temps, malgré un entraînement plus qu’assidu ces dernières années. Je me ramollis depuis que j’ai repris mes études, et que je passe plus de temps le nez dans les bouquins, ou à arpenter les couloirs de l’hôpital qu’à sortir faire la teuf. Et puis…faut bien dire que les soirées qui riment avec liberté, je les passe bien souvent avec Samaël, quand il travaille pas. Et quand il travaille ? Je l’attends bien sagement chez nous, et on finit souvent vautrés dans le canap, emmêlés. Ce constat me fait ricaner ouvertement, alors que je porte une nouvelle fois la clope à mes lèvres. Le plus drôle dans tout ça ? C’est que cette vie-là me convient parfaitement.

Maintenant qu’on est dehors, j’en profite quand même pour regarder autour de nous, au cas où les mecs auraient eu la même idée que nous, chercher un peu d’air frais, et un coin tranquille pour fumer une clope. Ou un joint, connaissant Kenny. Sauf qu’ici aussi, ils sont aux abonnés absents. “-T’as eu ton frère ?” que je demande alors à Tegan, incapable de me souvenir si je l’ai vu prendre son téléphone pour appeler le musicien ou pas. Et de mon côté, j’appelle de nouveau sur le portable de Sam, pour tomber une nouvelle fois sur son répondeur. Cette fois-ci, j’arrive au moins à me rendre compte tout de suite que c’est un truc automatique qui m’a répondu, et je m’évite le nouvel embarras de laisser un message qui me fera sans doute grimacer demain matin. “-Sérieux, ça disparait pas comme ça, deux mecs. Ils doivent pas être bien loin.” En vrai…va savoir. S’ils sont dans le même état que nous, ils pourraient être en train de tenter d’escalader le Mur ou d’essayer de faire des châteaux de sable qu’on en saurait rien. L’image de Samaël et Kenny en train de chahuter en bord de mer m’arrache un énième ricanement qui laisse échapper la fumée de cette clope déjà presque consumée.

Ca faisait longtemps que je m’étais pas autorisé ce genre de petite sauterie, le genre où je suis quasiment certaine qu’on rentrera pas avant le lever du soleil, et que demain rimera avec aspirine, café bien noir, et glandouille au lit ou sur le canapé. Ça me fait vraiment plaisir de voir les jumeaux en plus de ça, parce qu’on sait que ça rime toujours avec bonne soirée. Soirée qui peut éventuellement partir en couilles, et potentiellement réserver son lot de surprises et d’imprévus, mais bonne soirée quand même. Même si on commence la soirée tous ensemble, à un moment, et de façon assez naturelle, Sam et Kenny ont tendance à partir de leur côté, alors que Tegan et moi on se retrouve en tête à tête.

Je sais pas trop depuis combien de temps on est arrivés, si ça fait longtemps que Sam a disparu de mon champ de vision, ou combien de verres j’ai bu quand Tegan s’impose dans mon champ de vision, en éclipsant tout le reste. Je sais juste que je m’amuse, que je m’amuse vraiment putain, et que j’ai un peu zapé tout le reste. Le pouvoir magique des Hargreaves…et de l’alcool ouais, évidemment. Ce même alcool dont elle a dû abuser aussi si j’en crois ses paroles, et le fait qu’elle arrive plus à mettre la main sur son frère. Comme si cette grande perche blonde pouvait passer inaperçue.

Sauf que ouais…faut bien reconnaître que Tegan a raison, et que son frère est nulle part. Tout comme mon mec, soit dit en passant. Merde alors…ils étaient là y’a pas deux secondes. Où est-ce qu’ils sont passés ? Nulle part à portée de vue, puisque j’ai beau me dévisser la tête dans toutes les directions, je vois aucun des deux. Je voudrais pouvoir me dire que je sais que Sammy est en sécurité, et qu’il va absolument rien lui arriver parce qu’il est avec Kenny, mais…justement, le fait qu’il soit avec Kenny me pousse aussitôt à me dire que y’a de fortes chances qu’ils finissent par enchaîner les conneries ensemble. Je connais l’amour du musicien pour les défis en tout genre -surtout s’ils risquent de lui attirer des ennuis…ou des blessures- et je sais que mon blond est toujours le premier partant pour l’accompagner dans ses délires. C’est un bon pote, sur qui on peut toujours compter. Si c’est pas beau, ça.

Sauf que ouais…ça nous dit pas où ils sont passés, ces deux zigotos. Je dégaine mon téléphone pour appeler Sam, me rendant pas tout de suite compte que je tombe sur son répondeur, et qu’il aurait droit à un message sans queue ni tête quand il aura l’occasion de remarquer mon appel. Enfin, en attendant, ça me dit pas où sont passés les deux blonds, ni pourquoi ils ont subitement disparu. Je me doute qu’ils sont pas très loin, je sais que Sammy serait pas parti sans me prévenir, au moins par un sms, et je suis pas certaine que Kenny aurait planté sa sœur là. Même s’il la sait avec moi. Ou peut-être que si, justement, parce qu’elle est avec moi ? Oh, j’en sais rien moi, je suis plus en état de réfléchir là, avec mes neurones qui dansent le limbo au milieu des shots de téquila que je me suis envoyé toute la soirée.

Comme si ça pouvait dissiper cette brume épaisse dans laquelle se trouve mon cerveau, je me dis que fumer est la meilleure idée qui soit, et que ça nous aidera forcément à retrouver les garçons. Comment ? J’en sais rien. Mais ça semble tellement logique que je me pose pas la question plus de deux minutes, et entraîne Tegan dans mon sillon pour aller dehors, où les mecs se trouvent évidemment pas. Bah nan…ça aurait été trop simple sinon ! Je récupère une clope, lui file mon paquet, et me mets à la fouiller pour trouver son briquet, puisque le mien est aux abonnés absents. Je la vois -l’entends aussi- éclater de rire alors que ma main se faufile dans ma poche, et je dégaine mon plus beau sourire insolent pour lui lancer : “-Quoi ? Tu croyais quand même pas que j’allais te demander la permission ?” Nan sérieux…je l’ai jamais fait depuis qu’on se connait, alors pourquoi ce soir, où l’alcool exacerbe encore un peu plus mon côté sans gêne, je me serai mis à lui demander si elle est d’accord ?

La clope allumée, je tire longuement dessus, noyant encore un peu plus mon cerveau sous les produits chimiques, même si je suis pas certaine que ça fera une grande différence. Quand je demande à Tegan si elle a réussi à avoir son frère, elle m’informe avoir eu droit au répondeur elle aussi, ce qui nous avance toujours aussi peu. Ouais, bien sûr que ça  disparait pas comme ça deux bonhommes, même ceux qui sont pas du genre discrets, comme elle dit, et pourtant, on en est là, à avoir perdu mec et frère. Je soupire un peu, et profite de cette pause clope pour observer tout ce qui se trouve autour de nous, les autres fumeurs, ceux qui causent, les fêtards qui entrent pour s’amuser. J’ai encore un peu de mal à me faire à l’idée que bientôt, on va laisser tout ça derrière nous, et se barrer vivre ailleurs. Je suis pas triste à cette idée, pas vraiment. Pas hésitante non plus. Je sais que c’est la fin d’un truc bien, qui va permettre le début d’un autre truc encore meilleur. Pourtant, j’ai quand même un pincement au cœur quand je pense au fait qu’on va bientôt quitter Downfall, et la famille, les amis qu’on s’y est fait.

Face à ce constat, la cigarette a un goût plus amer que précédemment quand je tire dessus une nouvelle fois, même si Tegan m’arrache assez facilement à mes réflexions plus si joyeuse que ça quand elle brandit un index entre nous, et se remet à la recherche de son portable. Ah ! Des nouvelles ! “-C’est Kenny ?” que je demande par anticipation alors qu’elle a même pas encore récupéré le bidule, qui s’éclaire finalement au bout de quelques secondes, pour délibérer sa sentence. C’est pas le blond. Merde. Je soupire un peu de dépit, avant d’écraser ma clope dans le cendrier, me retournant au moment où je vois Tegan face à son portable : “-Héééééé ! C’est quoi ce sourire niais là ?” que je demande, l’ayant jamais vu sourire comme ça à son écran jusqu’à ce soir.

Je me rapproche, et tente de lire par-dessus son épaule, ce qui est pas si évident quand on connait la taille de Tegan, et le fait que je puisse facilement être assimilée à une naine. Faut bien admettre que le fait qu’elle se refuse à foutre tout talon, même pour sortir, quand je suis juchée sur des machins d’une dizaine de centimètres, ça m’avantage un peu…un tout petit peu, okay, mais quand même. “-C’est qui ? Comment elle s’appelle ? Et elle a écrit quoi pour te faire sourire comme ça ? C’est coquin, c’est ça ?” J’arrive même pas à rester sérieuse en lui faisant passer cet interrogatoire. Façon, je suis sûre que c’est pas le premier qu’elle vit. “-Si tu veux me lâcher pour aller tirer ton coup, je t’en voudrais même pas. Mais vas-y, fais pas ta radine sur les potins !” que je demande, sans même lui laisser le temps de répondre, ce qui est quand même en soit assez paradoxal, même si je m’en rends absolument pas compte.

Et sans que ce soit vraiment une surprise, je finis par faire ce que j’aurai quand même sans doute fait dans mon état normal, c’est à dire essayer de lui choper son téléphone alors qu’elle est en train de répondre au sms qu’elle vient de recevoir. Sauf que cette grande asperge profite de notre légère différence de taille, maintenant le téléphone hors de ma portée. C’est mal connaître la Bambi qui sommeille en moi, celle qu’elle a connu avant Solveig d’ailleurs, et la jouant absolument déloyal, je lui pince le ventre sans y aller comme une brute non plus, mais assez pour que son réflexe se soit de se recroqueviller sur elle-même…et de mettre le portable à portée de main.

Maintenant que j’ai chipé le téléphone, je m’éloigne rapidement de quelques pas, et si j’ai la décence de pas lire le message, parce faut pas déconner, même moi j’ai mes limites, je regarde le nom qui a déclenché ce sourire sur le tronche de Teg. “-Princesse L…petit coeur ?” que je lis d’un ton presque incrédule, avant de brandir le portable devant le nez de mon amie, l’agitant rapidement sous ses yeux : “-C’est qui Princesse L. Et pourquoi y’a un petit cœur ? Depuis quand tu mets des émoticones de coeur, toi ?!” que je demande, tout en lui remettant en main le portable que j’ai si difficilement réussi à obtenir. Ça valait bien le coup de galérer autant…même si j’ai aucun regret. Intrusive, moi ? Si peu…je m’intéresse juste à la vie de mes amis…pour leur bien, voyons. “-Bon alors, c’est qui ? Ta nouvelle nana ? Tu lui as dit que la durée moyenne de tes relations excédait rarement les deux semaines ?” que je demande dans un sourire malicieux, sans aucun jugement pourtant. Et qui je serai pour la juger, quand on sait que Sam est ma toute première vraie relation.

Je la lâche pas du regard, alors qu’elle fixe le sien sur son écran, et je dois vraiment me mordre l’intérieur de la joue pour pas reprendre la tonne de questions que je voudrais lui poser. Au lieu de ça, j’attends qu’elle finisse, qu’elle range son téléphone, et je lui fais un grand sourire, d’une oreille à l’autre, le genre de sourire où elle sait -depuis le temps- qu’il va y avoir une question derrière, et où “non” est clairement pas la réponse que j’ai envie d’entendre. “-On va manger un bout ? Je crève la dalle. Et comme ça, tu me parleras de ta princesse. Je veux tout savoir.” Comme s’il fallait trouver une raison, pour les deux morfales que nous sommes, d’aller casser la croûte quelque part.

Est-ce que je suis désolée de pas l’avoir joué très réglo pour choper le téléphone de Tegan ? Pas une seule seconde. Si y’a un truc que j’ai vite appris, en arrivant à Downfall, c’est que quand on veut un truc, faut se donner les moyens pour l’obtenir. Je voulais le téléphone, j’étais trop petite, j’ai trouvé la solution idéale. CQFD : la fourberie, une méthode qui a fait ses preuves. Bon, évidemment, j’aurai pas fait ça avec beaucoup d’autres personnes que la blonde -cette privilégiée- mais en même temps je savais que y’avait très peu de chances qu’elle se vexe ou se fâche pour si peu. Oh et puis, c’est elle là aussi ! Elle devrait savoir depuis le temps que quand j’ai une idée en tête, je vais toujours au bout, et qu’évidemment je voudrais choper son téléphone, puisqu’elle voulait pas me le montrer !

Et voilà comment je me retrouve avec son portable en main, l’écran sur la conversation que Miss bourreau des cœurs a avec une certaine princesse L. Princesse L. petit coeur, même. L’idée me fait sourire, et je suis pas assez sobre pour songer une seule seconde à essayer de masquer ledit sourire de ma tronche, pas alors que je suis déjà en train de bombarder Tegan de questions. Et en même temps, elle doit bien reconnaître que ça amène forcément son lot de questions, de lire ça ! Surtout quand on connaît Hargreaves fille. Bien évidemment que je suis obligée de la taquiner quand je découvre l’existence de cette Princesse, et de tout ce que ça implique potentiellement.

Si tous les scénarios tournent principalement autour d’une mystérieuse L. et du lit de Tegan, il manque quand même les détails pour combler les trous manquants. Et nan, c’est clairement pas aussi salace que ça en a l’air. Je retiens pas une remarque sur la durée moyenne de ses relations, qui bien qu’elle soit relativement courte, ont au moins le mérite d’exister. Je fais une petite moue presque approbatrice quand la blonde explique à sa façon que son Altesse est déjà au courant de ses habitudes, un peu trop au courant même, si j’en crois le nombre de “e” qui se glissent dans son “bien au courant”. “-C’est bien, l’honnêteté.” Enfin…je crois. Il me semble. En fait, je sais même pas d’où ça vient, cette phrase, ni où je veux en venir en disant ça.

Maintenant que j’ai rendu son téléphone à Tegan, qu’on a fumé nos clopes, et que les gars sont toujours aux abonnés absents…je mangerai bien un truc. Ouais, ça a aucun rapport, évidemment, mais pourquoi faudrait que ça en ait un ? Et au moins, je sais qu’avec elle, c’est toujours okay pour une pizza, un burger ou des tacos à toute heure du jour et de la nuit. Je laisse mes lèvres s’étirer très lentement dans un sourire qui se veut malicieux, mais qui doit plus ressembler au sourire sadique d’un gif quelconque, alors que j’hoche la tête : “-Absolument zéro chance que ça arrive.” Je veux des détails. Tous les détails ! Que je parte en sachant tout de chez tout.

Je lève un sourcil quand Tegan a l’audace de me dire qu’elle connait un endroit où on peut aller manger, dans mon quartier, mais je me contente de laisser un sourire s’étirer au coin de mon visage, et pour toute réponse à ce signe de la main qu’elle me fait pour qu’on se mette en route, je lui adresse un léger signe de tête, et passe devant elle. Le trajet est pas très long, ce qui est pas plus mal parce que j’avais pas non plus spécialement envie de marcher des kilomètres pour me remplir le bide, et quand on arrive, je retrouve mon sourire à la vue de l’endroit où elle nous amène, alors qu’on entre rapidement dans la bâtisse. “-Salut Bambi !” J’adresse un signe du menton à l’une des serveuses, et un léger coucou de la main à la nana déjà occupée à prendre la commande de Tegan, et qui passe ensuite à la mienne. C’est vrai qu’elle connaît les bonnes adresses, la miss Hargreaves.

Nos commandes sont vite prêtes, et pendant que Teg s’installe en face de moi avec un burger presque aussi haut que l’Empire State Building, j’en fait autant, posant devant moi le plateau contenant mes frites sauce cheddar, et mon tacos, dont la première bouchée disparait déjà. Ah ouais…voilà qui est mieux. Je m’offusque pas quand la blonde prend son temps pour répondre à ma question, parce qu’en tant que ventre sur patte, je sais que face à un burger, ou de la bouffe de manière générale, y’a des priorités. Et répondre à mon interrogatoire arrive clairement pas en première place. J’ai le temps de faire disparaître une frite quand elle daigne enfin me répondre pour m’apprendre que cette Princesse fait partie d’une classe à laquelle on appartient pas, toutes les deux. Enfin…à laquelle moi j’appartiens plus depuis que j’ai débarqué dans le quartier serait plus juste, mais je me donne pas la peine de lui répondre. A quoi bon ? Cette vie là est révolue.

Je serai plus jamais cette gamine apprêtée dans ses fringues du dimanche impeccables, sur lesquelles on trouve pas le moindre pli, tirée à quatre épingles, les cheveux figés dans un chignon ou une queue de cheval si serrée que ça me filait mal au crâne, qui doit rester sagement assise à table pendant que les grandes personnes ont des conversations sérieuses, et qui doit jamais avoir un mot plus haut que l’autre. C’est peut-être pas à ça que ressemblent toutes les “hautes sociétés”, pour reprendre les mots de Tegan, mais c’est à ça qu’a ressemblé notre enfance, à Diego et moi. Et putain, ce qu’on détestait ça. Même s’il s’en est toujours bien mieux accommodé que moi. Je prends le temps d’avaler une nouvelle bouchée, haussant légèrement les épaules : “-Et alors…c’est un problème que vous soyez pas du même monde ?” Parce que bon…je veux dire…c’est pas si grave, si ?

La conversation est pas aussi fluide qu’elle aurait pu l’être si on était pas en train de manger, mais ça semble déranger aucune d’entre nous, si on en croit les crocs voraces qu’on laisse dans nos burger et tacos respectifs. Et je sais très bien que même si mon débit de question a diminué, Tegan me connait assez bien pour savoir que je vais pas lâcher l’affaire si facilement, pas tant qu’elle aura pas satisfait la curiosité que j’ai pas forcément en temps normal. Alors, même si ma première réaction à ses paroles est rien d’autre qu’un léger froncement de sourcils, j’écoute avec toute mon attention. “-Hm…pourquoi tu ferais tout foirer ?” Ouais, okay…je l’entends d’ici me renvoyer le fait que je lui ai dit y’a pas une demi-heure que ses relations duraient pas souvent plus de deux semaines. Mais c’est pas une raison. “-Tu sais que ça sonne quand même passablement défaitiste ? Comme si…je sais pas…comme si tu partais du principe que ça allait forcément partir en vrilles à un moment…” Et c’est genre…un peu pessimiste, non ?

Le tacos dans une main, je fais disparaître quelques frites de la barquette, avant de reprendre la parole, une frite que j’agite entre Tegan et moi : “-T’as quand même raison de profiter…faut pas avoir de regrets.” Et je dis pas ça du tout parce que j’aurai pu passer à côté de Sammy à cause de mes propres conneries, et des peurs qui sommeillaient en moi à l’époque. Les deux idiots qu’on est se sont bien trouvés. “-Bon, et alors…j’attends la suite, moi !” que j’ajoute avant d’avaler finalement ma frite, les sourcils haussés. Sauf que je sais pas si Teg entend la même chose que moi par suite, alors j’enchaîne, en parfaite relou que je sais être : “-Elle a un nom, ta princesse ? Un âge ? Une tronche ? Elle fait quoi dans la vie ? Votre rencontre ? Qui a fait le premier pas ? Allez quoi, me force pas à t’arracher les vers du nez Hargreaves.” En vrai ? Elle pourrait me dire d’aller me faire foutre, je m’en formaliserai même pas. A sa place, c’est ce que je me serai dit depuis un moment je crois bien. Et le respect de la vie privée, bordel ?!

Quitte à se faire des confidences -ou à écouter celles de Tegan plutôt- ouais, je préfère avoir de quoi manger sous la main, et une bière. Ou deux. Elle me connait assez bien depuis le temps pour savoir que je lâcherai pas l’affaire si facilement, et qu’il suffit qu’elle m’envoie balader, et refuse de répondre à mes questions, pour que je me montre encore plus insistante. Enfin…dans une certaine mesure, évidemment. Si elle me dit “merde”, même moi je saurai ravaler mes questions et ma curiosité. C’est marrant, parce qu’en général, j’évite de harceler les gens pour connaître les détails de leur vie qu’ils ont pas envie de partager. Je sais pas pourquoi c’est différent cette fois-ci. Peut être parce que j’ai un peu trop bu, et que ça me délie la langue ou me rend plus intrusive, peut-être parce qu’il s’agit de Tegan et que le sujet est quand même vachement inattendu.

Donc ouais, tout ça pour dire que je suis bien contente de pouvoir m’installer en face d’elle avec quelque chose à me foutre sous la dent pendant qu’elle va me raconter tout ça. Ou finir par succomber à mon interrogatoire, au choix. Même si cette pimbêche prend bien tooouuut son temps pour me répondre. Bah, qu’importe ! Tant qu’elle est au courant que je la laisserai pas filer si facilement. Ah, enfin elle crache des infos et me donne plus de détails ! Il était temps, j’ai failli attendre. Une remarque que je ravale, en même temps qu’une frite, pour éviter de la couper dans son élan et qu’elle arrête de me raconter ce que j’ai envie d’entendre. Bon…ouais, elles sont de deux mondes différents, et alors ? En quoi est-ce que c’est un frein, ça ? Ça va quoi, malgré le petit nom dans le téléphone, on est plus au Moyen-âge, où les roturiers devaient se marier entre eux, et les gens de la haute aussi. Dieu merci, on peut se mélanger maintenant.

J’écoute donc sa réponse, manifestant le fait que j'adhère pas par un froncement de sourcils, agitant une frite entre nous quand elle finit de parler. “-Ouais…et donc ? C’est comme dans plein de couples, quoi. L’idée c’est pas d’être à 100% d’accord sur tout pour que ça marche…si ? T'imagines…ce serait grave relou d’avoir tout le temps les mêmes idées ou raisonnements, et d’être raccord sur absolument tout. Et tu peux t'asseoir sur les réconciliations sur l’oreiller dans ce cas-là !” que je dis dans un sourire en coin, alors que j’attrape une nouvelle frite. “-Mais du coup…y’a quand même pas mal de choses que vous voyez pareil…pourquoi ce serait pas suffisant ?” que j’ajoute à voix haute, sans savoir si c’est une réflexion qui s’adresse plus à elle, ou si ça m’est échappé, comme ça.

En tout cas, y’a pas à dire, c’est pas très optimiste, comme façon de voir les choses. Et si on part du principe qu’on va faire foirer un truc…quel est le pourcentage de chance pour que ça foire pour de bon, du coup ? Puis sérieux, l’argument du pourquoi du comment me laisse perplexe, et comme j’ai la bouche pleine, je me contente d’une grimace le temps de finir ma bouchée. “-Bon, vas-y…ça va être la minute relou où je ramène tout à moi. Mais…je te rappelle qu’avant Sam, j’avais jamais eu de vraie relation, parce que…pour un tas de raisons, en fait. Mais les faits sont là. Je partais de zéro, et lui…bah…il flippait aussi. Et on s’est juste dit qu’on allait essayer, qu’on verrait, et voilà…regarde…ça marche pour nous. Alors bordel, Tegan Fucking Chaos Hargreaves, pourquoi ça devrait être différent pour toi ?” Mais ouais, bordel, pourquoi ça devrait être différent pour elle, après tout ? Je récupère encore une frite, avant d’hausser les épaules pour ce qui doit être la énième fois depuis qu’on s’est posées.

En attendant, elle a pas encore nourrit ce démon avide de détails qui se déchaîne en moi. J’en veux plus. Plus d’infos, plus de détails, plus de croustillant. Je me rassure en entendant son rire, et pas un simple “va te faire foutre”, et sens mes lèvres s’étirer par mimétisme, alors que j’avale une nouvelle bouchée. Sérieux, quitte à me raconter, autant tout me dire, non ? C’est quand même un sacré scoop quand on connaît Tegan. Mon sourcil se hausse à sa réplique, parce que putain sobre et consciente, ça laisse entrevoir des tas de scénarios…qui me font tous sourire encore plus. J’avise une frite carbonisée, qui s’échappe malencontreusement de mes doigts pour atterrir pas loin de Tegan, alors que je lui adresse ce regard qui crie : “-plus de détails, bordel !”, avant de boire une gorgée. Si elle croit s’en sortir si facilement, c’est mal me connaître.

Et enfin, elle coopère. Tant mieux. J’avais pas envie de me montrer violente, et ça a rien à voir avec le fait qu’elle peut m’étaler comme elle veut, avec une main dans le dos et à cloche pied. Bref, je repose la boisson, et pour caricaturer le truc jusqu’au bout, je plante mon menton dans ma main, le coude en appui sur la table, dans un geste montrant que je suis prête à boire ses paroles. Oh…wow…des amies de longue date dis donc. Je continue de la regarder, les oreilles grandes ouvertes, sauf que…ouais, apparemment elle a fini. “-Me force pas à t’arracher la langue pour en savoir plus, ta nouvelle copine apprécierait pas.” que je la menace tout à fait inutilement, d’un air un peu renfrogné. En vrai ? Je crois que c’est la dernière fois que je la relance sur le sujet. J’ai beau être passablement têtue, je sais quand m’avouer vaincue.

Sauf que…ouais, je sais reconnaître le soupir de la capitulation quand j’en entends un, et c’est exactement ce qu’est en train de faire Tegan, là, tout de suite. Pour le coup, je serai presque à deux doigts de me frotter les mains l’une contre l’autre dans un petit rire démoniaque. Quand elle me demande de pas la juger, je hausse un sourcil et ouvre la main dans une mimique silencieuse lui demandant clairement si elle est sérieuse là. Depuis quand je suis du genre à juger mes amies moi ?! Je la vois hésiter, ce qui cette fois fronce mes sourcils, barrant mon front d’un pli interloqué. Et elle, depuis quand est-ce qu’elle est du genre à hésiter ? J’ouvre la bouche, pour dire je sais d’ailleurs même pas quoi, sauf qu’elle me coupe l’herbe sous le pied, en lâchant sa bombe. Une méga révélation à laquelle je réponds par un “-Ooooh…” C’est donc à cause de ça, que je suis censée la juger ?

Je reste à la fixer encore de longues secondes, comme si je m’attendais à ce qu’elle ajoute plus de détails, qui arrivent jamais. Bon bah…je vais faire sans, du coup. La tête légèrement penchée, je finis par lever une épaule, reprenant enfin la parole : “-Et du coup, je suis censée te juger par rapport à quoi…?” que je demande sans trop comprendre. “-Tu te tapes ta Boss, et alors ? T’es pas la première, et tu seras pas la dernière non plus. C’est quoi le problème ?” que je demande, même si je m’attends pas vraiment à obtenir la moindre réponse pour autant. C’est vrai quoi, des personnes qui sortent avec leur supérieur hiérarchique, y’en a toujours eu, et y’en aura toujours. C’est comme ça. Certaines situations provoquent des rapprochements, et…voilà. “-Y’en a qui t’emmerdes par rapport à ça, c’est ça ?” que je demande, parce que ça me semble être la seule explication à toute cette réticence qu’elle a eu à me répondre, ou à cracher ce qui semblait être un gros morceau.

En vrai ? Ça m'étonnerait même pas. La connerie humaine est sans limite. Ça me fait juste chier pour Tegan. Et connaissant son caractère, ça doit la faire encore bien plus chier que moi. Je l’imagine rêver de toutes ces mandales qu’elle voudrait mettre à chaque crétin qui lui fait une remarque, et ouais, ce serait mérité. Qu’est ce que ça peut foutre qu’elle sorte avec sa Boss, la petite princesse L qu’elle connaît depuis quatorze ans ? Ça regarde qui, ce qu’elle fait de sa vie, ou qui elle met dans son lit ? Je me rends compte au bout de quelques secondes que ma frite est restée en suspens entre ma barquette et ma bouche, alors que j’écarquille les yeux subitement, alors que mon cerveau accepte enfin de faire 1+1. Je me penche sans attendre, lâchant ma frite sur le plateau, alors que mes yeux manquent de me sortir de leur orbite : “-Putain de merde Tegan, tu te tapes Livia ?! C’est ta seule pote de quatorze ans dont le prénom commence par un L !” que je dis dans ce que je voulais être un chuchotement, mais qui est pas aussi discret que prévu. Enfin, c’est pas si grave, vu qu’on est toutes seules autour, mais quand même.

Tain sérieux, c’est pas autorisé d’être aussi lente à la détente. Elle m’avait donné tous les indices pour que je puisse piger pourtant. Je me recule, les sourcils haussés, alors que je suis en train d’intégrer l’information. A mon tour, je bois une longue -loooongue- gorgée de bière, avant de la reposer un peu brusquement : “-T’es au courant que ça soulève encore plus de questions, du coup ? Comment on passe d’avoir envie d’enfermer une nana dans son coffre à avoir envie de lui faire…enfin bon, d’autres trucs, quoi…” que je demande sans aller au bout de mes pensées, parce qu’on sait très bien toutes les deux où elles me mènent, ces réflexions. “-Putain…ah ouais…quand tu décides de te mettre en couple, tu fais pas les choses à moitié, toi…” que je laisse échapper, calée au fond de ma chaise, plus avachie que juste assise. Ceci dit, maintenant que j’ai toutes les infos, y’a deux trois trucs qui deviennent un peu plus clairs : “-Je vois le truc...T’as peur de foirer votre amitié, si la relation foire aussi ?” Je peux comprendre, vraiment. Je vais pas lui faire le coup de revenir à ma relation une nouvelle fois, mais, comme on dit…been there, done that.