[TERMINE] An obligatory evening of rest because I have to recover quickly ~ Livia I. Aldana

Les écouteurs vissés dans les oreilles, Livia enchaînait sur un énième kilomètre de course, luttant contre la fatigue qui commençait à s’installer dans son corps, et la lourdeur qui s’emparait de ses jambes, à chaque nouvelle foulée qu’elle entreprenait. La mexicaine sentait bien qu’elle puisant dans ses forces, mais têtue comme elle l’était, la brune ne lâcherait rien avant d’avoir atteint l’objectif qu’elle s’était fixé. Quand bien même elle traînerait la patte le lendemain, le corps perclus de courbatures. La jeune femme avait pourtant conscience qu’il n’y avait personne d’autre qu’elle-même à blâmer pour cela, elle qui avait préféré les quatre murs de son bureau ces derniers mois, au détriment de sa forme physique. Il fallait dire que lesdits mois avaient été plutôt intenses, ou du moins, c’est ce qu’aurait prétexté Livia, si elle était de celles qui aiment se trouver des excuses pour justifier leurs manquements.

Un bip dans son oreille, léger, l’informa de l’arrivée d’un sms sur son téléphone, mais la brune ne prit pas la peine d’y jeter un coup d’oeil, concentrant les forces qu’il lui restait dans un dernier sprint, qui la laissa plus qu’essoufflée, le coeur palpitant dans chaque centimètre carré de son corps. Et une fois arrivée aux abords des entrepôts, Liv ralentit la cadence, mètre après mètre, jusqu’à se retrouver à marcher, la poitrine se soulevant avec force, la sueur mouillant ses cheveux, son dos. Ca avait été un bon footing, et quand bien même son manque d’assiduité en la matière ne serait pas sans conséquence, la juriste était satisfaite de cette reprise. Elle était en train de poursuivre son trajet, dont la ligne d’arrivée était son bureau, quand des bruits autour d’elle, couvrant la musique par moments, lui firent froncer les sourcils. Immédiatement, l’hispanique se figea, retirant d’un geste un peu trop brusque les écouteurs de ses oreilles, les sens aux aguets, alors qu’elle listait déjà toutes les raisons pouvant expliquer qu’elle n’était pas seule dans les lieux.

Il ne s’écoula pas plus d’une poignée de secondes quand l’aboiement se répéta, ce son qu’elle n’avait pas réussi à identifier quelques minutes plus tôt, avec la musique. Le visage toujours fermé dans une expression méfiante, Livia tâcha de se guider aux sons entendus, mais l’animal s’était tu après quelques instants, la poussant à s’arrêter une nouvelle fois, alors que son visage se tournait dans plusieurs directions, la brune tâchant de se repérer. Un cri soudain vint déchirer le silence de la zone, et sans y réfléchir vraiment, Liv s’élança, ses sourcils se fronçant davantage quand elle crut entendre…des sanglots. Il y avait, dès lors, sans doute peu de chance que la présence ici soit ennemie, quand bien même elle resta sur ses gardes. Aussi, elle ralentit une nouvelle fois la cadence jusqu’à se mettre à marcher, avançant le plus doucement possible, avec la volonté évidente de ne pas se faire remarquer.

Profitant d’une zone plongée dans une pénombre relative, la jeune femme se fit discrète, avisant finalement celui qui se trouvait là. Un Prayer, lui aussi. La brune relâcha sa respiration, l’expulsant dans un fin filet d’air, sans même s’être aperçue qu’elle l’avait retenue tout ce temps. Par pudeur, ou pour éviter tout embarras à son interlocuteur, la mexicaine attendit quelques instants que les pleurs s’estompent avant de se décider à se racler la gorge, annonçant son arrivée. Elle attendit d’être à quelques mètres du jeune homme, pour lâcher dans un léger hochement de tête, sans véritable chaleur dans la voix : “-Lennox.” Il ne fallait pourtant pas y voir la moindre hostilité, mais une simple salutation, un masque destiné à ceux qui ne faisaient pas partis de son entourage proche. Le regard de la jeune femme quitta le Prayer of Insanity pour observer autour d’elle, passant du chien, à ce lit tout juste défait sur lequel il était assis. “-Tu…vis ici ?” demanda-t-elle bien rapidement, avec cette expression neutre que beaucoup lui connaissaient au sein du cartel, elle qui avait souvent un air indéchiffrable sur le visage.

Le regard sombre de la juriste se posa autour d’eux pour y découvrir les lieux, s’attardant sur le lit, avant de se poser sur le chien, qui réclamait un peu d’attention. Livia observa la bête d’une expression méfiante qu’elle ne chercha pas à masquer, se décidant au bout de longues secondes à tendre prudemment la main vers la bestiole, qui s’empressa de lui renifler les doigts. Puisqu’aucune douleur fulgurante ni morsure ne suivit ce geste, l’hispanique se laissa aller à dispenser une brève caresse sur le crâne du chien, pile entre ses deux oreilles, mais sans grande confiance pour autant. Elle n’avait jamais eu d’animal de compagnie, aucun chat ou chien pour venir apporter un peu de chaleur à son foyer, même si elle avait croisé à Tijuana des tas de chiens errants, de chats abandonnés, livrés à eux-mêmes. Quoi qu’il en soit, elle n’était aujourd’hui pas très à l’aise face à un quelconque animal, ne se risquant même pas à adopter une pauvre bête qui passerait ses journées seule dans son vaste loft, elle qui passait davantage de temps dans son bureau que chez elle.

L’attention de Livia fut détournée de l’animal quand la voix du jeune homme se fit entendre une nouvelle fois, et par réflexe, la brune ramena la main contre elle, comme une façon de se préserver de tout revirement d’humeur de la bête. Les sourcils de l’avocate se froncèrent, alors qu’elle reportait son visage vers Lennox, cette même expression fermée sur les traits. Elle sonda son visage quelques longues secondes, avant d’hocher légèrement la tête. “-Ils…de qui parles-tu, exactement ?” demanda-t-elle en toute innocence, son regard glissant sur la jambe blessée. Évidemment qu’elle savait qu’il avait été blessé lors de l’attaque que le cartel avait mené contre Woodrow. C’était le genre d’informations qui avait circulé au sein de Prayers, le genre de nouvelle qui avait été fêtée.

Les yeux sombres de la brune suivirent les mouvements de Lennox qui avançait, et s’installait finalement contre un mur, se terrant dans un silence étrange qui provoqua un haussement de sourcils de la part de Livia. Un haussement qui s’accentua quand il lui renvoya un regard qu’elle eut toutes les peines du monde à interpréter, et qui la mettait un poil mal à l’aise, quand bien même elle ne le montra pas, ayant appris depuis de très longues années déjà à cacher tout ce qu’elle pouvait ressentir derrière un masque savamment étudié. Son regard ne le quitta pas quand le Prayer vint s’installer à même le sol, alors que les nouvelles paroles prononcées par ce dernier ne manquaient pas de l’interloquer une nouvelle fois. “-Qu’aurait-on dû me dire de toi, Lennox ?” demanda-t-elle, le visage légèrement penché, ne comprenant pas vraiment où voulait en venir le jeune homme.

Se reculant un peu quand le chien vint s’installer contre les jambes de son maître, Livia ne passa pas à côté de ce gémissement qui sembla échapper au Prayer, alors qu’il ne tardait pas à se masser la jambe. De nouvelles questions furent adressées à la brune, qui eut un regard sur sa propre tenue, alors qu’elle répondait, comme si ça coulait de source : “-Hé bien…j’étais…partie courir.” souffla-t-elle, le visage encore luisant de sueur, se décidant à mettre sa musique sur pause, incapable de prédire combien de temps allait durer cette étrange rencontre. Une remarque qui faisait d’ailleurs écho à la question que lui adressait Lennox : “-Hé bien…j’ai pas mal de boulot qui m’attend au bureau, alors…je ne pourrais pas m’attarder bien longtemps.” répondit-elle en toute sincérité, pensant aux dossiers qui l’attendaient sur son bureau, et les heures de travail qui se profilaient à l’horizon avant qu’elle puisse rentrer chez elle.

Livia prit quelques instants pour étirer ses muscles endoloris, alors qu’une question se frayait finalement un chemin dans ses pensées. “-Je peux te demander pourquoi tu restes ici pour ta convalescence, au lieu d’être tranquillement chez toi ? Enfin…j’imagine que ça doit être plus confortable qu’ici…” demanda-t-elle à mi-voix, ne comprenant pas vraiment ce choix qu’avait fait Lennox.

Un infime froncement de sourcils plissa le front de Livia à la réponse plus qu’évasive fournie par Lennox, la mexicaine choisissant de garder le silence, se demandant si le Prayer allait s’arrêter à ces quelques mots, ou rajouter de quoi lui permettre de comprendre ses propos. Et la suite ne tarda d’ailleurs pas, quand bien même la juriste n’y appris rien de bien nouveau, rien qu’elle ne sache pas déjà en tout cas. Liv hocha la tête, très lentement, avant de pincer légèrement les lèvres. Elle ne prit pas le parti de lui dire qu’elle savait déjà tout ça, évidemment, pas davantage décida-t-elle de se lancer dans l’exercice sans doute périlleux d’essayer de le contredire, à vrai dire, elle n’était même pas certaine d’en avoir envie. Aussi, seuls quelques mots quittèrent les lèvres de l’hispanique : “-Je vois…ça a l’air lourd à porter pour un seul homme.” Et elle se félicita une nouvelle fois de ne pas être un livre ouvert, et d’avoir toujours gardé son passé solidement verrouillé, presque secret. Seules les grandes lignes étaient connues, son arrivée de Tijuana, le lien qui unissait le cartel Aldana à celui de Downfall. Et c’était déjà bien suffisant à ses yeux.

Cette fois-ci, son sourcil se haussa plus franchement aux mot prononcés par son subalterne qui semblait l’autoriser à partir quand bon le lui semblait, alors que les mots lui échappaient, plus vifs qu’elle ne l’aurait sans doute voulu : “-Je ne comptais pas demander la moindre permission, mais…merci, j’imagine.” souffla-t-elle d’un ton peu chaleureux, toisant le jeune homme face à elle. Cela faisait même très longtemps que Livia ne demandait plus la permission à qui que ce soit. Son indépendance avait été difficilement acquise, et elle n’y renoncerait pour rien au monde, étant prête à se battre farouchement pour la défendre, bec et ongles.

S’éloignant de quelques pas, la jeune femme prit quelques instants pour faire de brefs étirements, soulignant ce qui lui sautait au visage : cet endroit dans lequel il vivait à cet instant ne devait pas être ce qui se faisait de plus confortable, encore moins quand on avait été blessé, et en pleine convalescence. Le visage de la brune resta parfaitement neutre face aux explications fournies par Lennox alors qu’elle pointait ce qui lui semblait pourtant être une évidence : “-Tu es sûr de toi ? Enfin…tu fais bien ce que tu veux.” répondit-elle, peut-être un peu abruptement, sentant bien qu’elle mettait le nez dans quelque chose qui ne la regardait pas. Du fin fond de son esprit, elle ne put cependant faire barrage à la pensée qui s’insinuait déjà, songeant que son lieu de vie ne devait pas être très chaleureux, si cet entrepôt froid et vide de toute humanité trouvait davantage grâce aux yeux du Prayer.

Le regard sombre de la mexicaine suivait Lennox dans ses mouvements, alors que celui-ci disparaissait soudainement, sans prononcer le moindre mot. Est-ce que ce départ sonnait la fin de cette étrange entrevue ? Elle regarda autour d’eux par réflexe, comme à la recherche de ce qui aurait pu le pousser à retourner à l’intérieur. Mais rien, rien qui semblait menaçant, ou dangereux, rien qui pouvait expliquer sa mystérieuse disparition à l’intérieur. L’avocate se passa de tout commentaire, et eut tout juste le temps de s’éloigner de quelques mètres que la voix de son comparse retentissait une nouvelle fois, la poussant à s’arrêter, alors qu’il la dépassait, pour lui présenter son dos. Quel étrange petit bonhomme. Et les paroles qu’il prononçait l’étaient encore davantage. “-Gentille ? Tu me crois…gentille ?” demanda-t-elle, dans une question qui n'appelait pourtant aucune réponse, alors qu’elle fixait ouvertement Lennox, qui ne pouvait cependant rien en voir, puisqu’il lui tournait le dos.

La juriste prit une longue inspiration, secouant doucement la tête, quand bien même il ne pouvait y avoir aucun témoin de ce geste. Elle n’était pas gentille. Pas vraiment méchante, non plus. Elle n’avait aucun avis sur ce qu’elle était réellement, bonne, mauvaise, peu importait, au final. Telle un caméléon, elle était ce que la situation exigeait qu’elle soit lorsque celle-ci se déroulait, et il n’y avait rien d’autre à ajouter. Et rares étaient les personnes à la connaître réellement. Ces personnes pouvaient sans doute se compter sur les doigts d’une main, et Lennox n’en faisait assurément pas partie. L’hispanique s’avança jusqu’à être à la hauteur du Prayer, soufflant à mi-voix : “-Tu n’as absolument aucune idée de qui je suis…pas vrai ?!” demanda-t-elle, la question n’appelant pourtant une nouvelle fois aucune réponse de sa part.

Il fallait bien l’admettre, Livia ne s’attendait pas à ce que son jogging l’amène jusqu’à Lennox, pas davantage à ce qu’ils aient ce semblant de conversation. La mexicaine ne se sentait pas très à l’aise, sans pouvoir mettre précisément le doigt sur ce qui la gênait dans cette situation. Peut-être les regards insistants du Prayer face à elle, ou les réactions de celui-ci, elle n’en était pas certaine. Le sourcil de la juriste se haussa brusquement à cette question que Lennox lui adressa, qu’elle jugea d’ailleurs rhétorique, alors qu’il semblait penser qu’elle se moquait de lui. Livia pinça les lèvres un instant, se retenant de lui dire qu’elle n’était pas du genre à parler pour ne rien dire, et qu’elle pensait les mots qu’elle prononçait. Libre au maître chien de penser ce qu’il voulait de ses propos. Un léger hochement de tête vint appuyer les paroles de Lennox, quand ce dernier affirma qu’ils n’étaient pas proches l’un de l’autre, un constat qui ne souffrait d’aucune contestation. Ils avaient beau être membres du même groupe, rien ne liait les deux jeunes gens.

Les changements d’humeur du jeune homme face à elle la laissaient perplexe, et Livia en vint rapidement à la conclusion que Lennox ne savait sans doute absolument pas qui elle était, ni quelle était sa place dans la hiérarchie du cartel. La mexicaine releva légèrement le menton quand elle remarqua le regard noir que lui adressa le jeune homme, qui ne la fit pas même frémir. L’hispanique avait appris des années plus tôt à ne jamais montrer le moindre signe de faiblesse, et ce n’était certainement pas aujourd’hui que ça allait commencer. Elle n’était pas le moins du monde impressionnée par la froideur du regard qui se posait sur elle, pas davantage par les paroles qui étaient crachées à son égard, qui avaient tout juste le don de peser sur sa patience, et de la rendre irritable. Gentil, méchant…Liv n’était pas certaine que ces mots aient encore réellement un sens, encore moins ici, dans l’enclave Downfallienne, où le monde était un peu à part, et avait son propre fonctionnement. Le chien déboula tellement vite pour percuter son maître que l’avocate ne vit rien venir, ne faisant pas le moindre pas pour aider son subalterne à se relever. Elle n’en eut de toutes manières pas l’occasion qu’il se relevait déjà, en époussetant ses vêtements.

Le regard vissé sur Lennox, Livia ne put retenir un bref rictus quand celui-ci affirma haut et fort qu’elle ne le connaissait pas, appuyant une nouvelle fois sur ses lacunes quant à son identité à elle, qu’elle avait déjà relevée précédemment. La remarque sur ses parents la fit souffler un bref coup par le nez, alors qu’un infime silence s’installait entre eux, avant que la juriste ne prenne la peine de le rompre. “-Tu t’appelles Lennox Lee, né à Downfall le 11 septembre 1987. Tu as eu quelques problèmes de santé suite à l’accouchement de ta mère, qui t’ont valu des dysfonctionnements du côté gauche de ton corps. Tu avais un petit frère et une petite sœur. Tous deux sont décédés lorsque tu avais trente ans, tout comme ta mère. Ton père et toi avaient été blessés, mais rien de léthal. Cette agression vous a cependant éloignés, et vos relations sont devenues plus distantes.” commença-t-elle, sans se dérober une seule seconde au regard de Lennox. Baisser les yeux ? Jamais. Encore moins devant la gente masculine.

Pour autant, sa petite démonstration n’étant pas terminée, l’avocate poursuivit sur sa lancée : ”-Tu as été arrêté il y a de cela quelques années pour avoir tenté d’étrangler ton père suite à son agression sexuelle sur ta personne. Après un bref procès, tu as été incarcéré à Inglewood pour y purger ta peine, en même temps que ton père, qui y est mort. Fraîchement sorti, tu as rejoint les rangs des Prayers en tant que maître chien, où tu assures la sécurité des docks à Fallenwalk. Je tairais tes activités de prostitution en dehors du cartel, tu occupes ton temps comme tu l’entends, tant que ça ne nuit pas au Business. Et enfin, tu t’es illustré il y a quelques temps dans l’attaque contre Woodrow, et son assassinat, ce qui t’as valu ta blessure actuelle.” souffla-t-elle d’une traite, sans laisser au jeune homme l’occasion de la couper. Voilà qui devrait le faire changer d’avis concernant le fait qu’elle ignorait qui il était. Avant ledit assassinat de Woodrow, il n’était qu’un Prayer parmi les autres, une de ces petites mains qui travaillaient au bon fonctionnement du cartel, mais dont elle ignorait tout, peut-être même jusqu’à l’existence. Mais après le meurtre du gouverneur, Livia avait pris la liberté de se renseigner sur le jeune Lee, préférant toujours avoir une longueur d’avance, et elle avait su à qui s’adresser pour dénicher les informations qui l’intéressaient concernant le maître chien. Le savoir c'est le pouvoir, elle l'avait appris de longues années déjà, et faisait de ces connaissances sa meilleure arme au quotidien. Pour le cartel, bien sûr. Mais pour elle également.

Livia resta silencieuse un bref instant, avant d’ajouter, en faisant un pas inconscient vers lui : “-Permets moi désormais de te rafraîchir la mémoire me concernant.” reprit-elle, même si au fond, elle ne savait pas vraiment si c’était un simple rappel, ou si elle apprenait réellement à Lennox qui se trouvait face à lui. “-Je suis Livia Aldana. Avocate des Prayers of Insanity, chargée du trafic d'influence et d'informations…et bras droit d’Aaron Phillmore. Et ce n’est pas très malin de ta part de ne pas connaître la hiérarchie au sein du gang que tu as rejoint, et de ne pas savoir face à qui canaliser tes excès d’humeur.” compléta-t-elle, sans pourtant aucune trace d’agressivité dans la voix, bien qu’aucune chaleur ne s’en dégagea. Ce genre de petite démonstration de force n’était pas vraiment dans ses habitudes, mais Livia avait souffert trop longtemps d’un manque de respect de la part de certains membres du cartel, qui la traitaient comme une simple monnaie d’échange, envoyée par les narcotrafiquants Aldana pour sceller leur lien avec les Prayers. Elle avait acquis sa place à la sueur de son front, avait bossé sans relâche pour ça, et n’acceptait plus le moindre signe d’irrespect. “-Et si tu veux être un “bon gars”, commence déjà par montrer du respect aux personnes qui te permettent d’avoir un travail.” conclut-elle, la tête droite, une expression fermée sur le visage.

Il n’était pas coutumier pour Livia d’avoir à replacer les points sur les i comme elle venait de le faire, et peut-être ne l’aurait-elle pas fait si Lennox ne l’y avait pas poussé à ce point, sans doute tout à fait inconsciemment. Du moins, aimait-elle le croire. Cependant, les faits étaient là. Bras droit d’Aaron, endossant des postes à responsabilité dans le groupe, haut placée dans la hiérarchie des Prayers of Insanity, s’étant personnellement impliquée plus d’une fois, la mexicaine estimait ne pas avoir à subir les humeurs d’un subalterne qui semblait totalement ignorer à qui il s’adressait, pas davantage que cet irrespect dont il venait de faire preuve à son égard. Cela faisait de nombreuses années qu’elle était une Prayer, et la grande majorité des membres du cartel savait qui elle était, au point qu’elle n’avait pas besoin de se livrer à ce genre de démonstration, ce qui lui convenait totalement d’ailleurs.

Livia ne marqua aucune surprise quand Lennox lui confirma que les informations trouvées sur lui étaient véridiques, elle n’en avait pas douté un seul instant, ses sources étaient fiables. La brune se mordit la lèvre à cette promesse envoyée en l’air, à laquelle elle n’avait que faire. Liv se moquait des promesses, celle tout juste prononcée lui passait bien au-dessus de la tête, mais elle se garda bien de lui faire toute remarque. Tout ce qu’elle voulait de la part de Lennox, tout comme des autres Prayers, c’était le respect qui lui était dû. Ni plus, ni moins. Elle ne savait d’ailleurs pas bien ce qu’il lui promettait là, mais Livia ne chercha pas à en savoir plus, préférant depuis toujours les actes à la saveur douce de simples paroles, qui pouvaient être bafouées à l’excès, et étaient souvent dites sans réelle intention d’être suivies.

Aussi, après cette brève piqûre de rappel, Lennox ne tarda pas à la remercier pour les informations transmises, alors que Livia se contentait d’un très léger hochement de tête, à peine perceptible. Elle n’avait aucune envie de se lancer dans une quelconque morale destinée au jeune homme, l’idée même la révulsait, mais il lui semblait utile de lui livrer malgré tout une dernière recommandation : “-Je te conseille vivement de ne pas perdre la mémoire une nouvelle fois, cela risquerait de t’être très…préjudiciable.” souffla-t-elle de ce même ton que celui emprunté un peu plus tôt, sans qu’aucun sourire ne vienne réchauffer son visage. Et Livia se foutait pas mal que cela puisse sonner comme des menaces. “-Tu devrais également te renseigner sur le reste de la hiérarchie des Prayers of Insanity, pour éviter un nouvel écueil. Tous n’auront pas à cœur de se contenter de te rappeler qui ils sont. Pas avec de simples mots, en tout cas.” L’avertissement n’était pas très chaleureux, mais il avait le mérite d’exister, libre à Lennox de décider si ses lacunes en la matière méritaient quelques minutes de son temps, ou pas.

La tête haute, le dos bien droit, le menton légèrement relevé, Livia ne quittait pas le jeune maître chien du regard, comme une façon silencieuse de le mettre au défi de rajouter quoique ce soit, de faire preuve d’un nouvel excès d’humeur, s’il l’osait. Elle ne se mettait jamais en colère, ne haussait jamais le ton, ne s’emportait pas dans une longue liste d’insultes, la mexicaine n’ayant pas besoin de telles extrémités pour faire savoir son mécontentement. Les mots avaient toujours été de fidèles alliés, ils l’étaient devenus depuis qu’elle devait les manier au quotidien, dans toutes les tâches qui étaient siennes, dans son rôle d’avocate, bien sûr, mais aussi en tant que chargée du trafic d’information et d’influence du cartel. La mexicaine ne comptait plus le nombre de personnes qu’il avait fallu charmer pour obtenir telle ou telle information, ou au contraire, menacer pour obtenir le silence. Les mots étaient une arme puissante et faisaient de nombreux dégâts, elle en avait conscience.

Si la jeune femme répondait avec sa verve, elle savait aussi que bon nombre de Prayers of Insanity choisirait une manière plus brutale de faire valoir leur point de vue, une manière plus léthale, aussi. Une manière que la juriste aurait pu utiliser, elle aussi, ses frères lui ayant appris à se battre, son père à manier une arme à feu, et si elle n’avait pas eu besoin d’avoir recours à telles extrémités face à Lennox, son comportement avec un autre Prayer aurait pu lui coûter plus qu’une légère réprimande. Livia espérait pour sa propre sécurité que le jeune homme saurait s’en souvenir à l’avenir. Il l’invita à ne pas s’inquiéter pour lui, prétextant qu’il n’oublierait pas de sitôt, et la brune hocha légèrement la tête, sans juger utile d’ajouter quoique ce soit. Après tout, il s’agissait de sa propre vie, à Lennox de voir de quelle façon il voulait la voir se terminer. L’hispanique songea à la manière dont auraient réagi certaines fortes têtes du cartel, et il était certain qu’en d’autres circonstances, face à un autre membre du gang, le maître chien ne serait même plus en capacité d’articuler le moindre mot. “-Tu as rejoint une organisation dont la hiérarchie est établie, il vaudrait mieux en effet, pour ta propre sécurité, que tu apprennes à savoir à qui tu t’adresses, afin de modérer ton discours.” souffla-t-elle dans un léger hochement de tête, avant de laisser son regard courir sur le chien, qui recherchait juste un peu d’attention.

C’était la première fois que Livia avait l’occasion d’échanger avec Lennox, leurs missions respectives au sein des Prayers of Insanity faisant qu’ils ne se croisaient jamais, au quotidien. Pour autant, elle savait qui il était, en grande partie à cause de ce qu’il évoquait à présent, à savoir l’assassinat de Woodrow. Elle le regarda avec sérieux, ne l’interrompant pas pour souffler qu’elle savait déjà tout cela, se contentant d’un nouveau hochement de menton : “-Je connais tes faits de guerre, Lennox. Et je sais ce qu’ils t’ont coûté.” répondit-elle donc d’un ton neutre, avant de glisser un regard sur la silhouette du jeune homme. “-Comment se remet ta jambe ?” demanda-t-elle néanmoins au bout de quelques secondes, avec un réel intérêt, pas simplement par simple désir d’entretenir la conversation. Il lui semblait cependant important qu’un Prayer blessé, encore davantage lorsqu’il agissait au nom du cartel, puisse recevoir des soins adaptés, et se remette convenablement de ses blessures. Même lorsqu’il s’agissait d’un Prayer qui ignorait à qui il s’adressait.

Livia se contenta d’un bref hochement de tête en guise de réponse à l’attention de Lennox. Elle ne trouvait pas cela nécessaire d’ajouter quoi que ce soit, elle qui avait donné son point de vue à l’instant au jeune homme. A lui de voir ce qu’il comptait faire de ce qui s’apparentait à quelques conseils, et qu’elle venait de lui livrer. Mieux valait connaître avec précision les personnes qui composaient un cartel, un gang, n’importe quelle organisation d’ailleurs, pour éviter de commettre le moindre manquement de respect, qui risquait de coûter cher. En l'occurrence, la mexicaine n’était pas une sanguine, et il n’était pas dans ses habitudes de sortir une arme à feu, ou une lame, pour régler ses différends, ou récupérer le respect qu’on ne lui avait pas témoigné. Mais tous les Prayers of Insanity n’avaient pas sa retenue, et certains auraient sans doute eu une réaction bien différente de celle de la juriste. Bien plus violente, également.

Le maître chien ne tarda pas à évoquer ce qui s’était passé le jour de l’assassinat de Woodrow, et ce rôle très particulier qu’il avait eu ce jour-là, des faits dont l’avocate était déjà au courant, elle qui s’était renseignée avec attention sur Lennox suite à cet événement, lui qui avait été un protagoniste important, si ce n’était décisif. Aussi, Livia savait qu’il était l’auteur du meurtre de Woodrow, mais qu’il n’était pourtant pas sorti intact de cette entrevue. La juriste n’avait donc pas tardé à prendre des nouvelles de la blessure dont avait écopé le jeune Prayer, alors que le maître chien s’installait à même le sol. La réponse donnée arracha un nouveau hochement de tête à l’hispanique, qui ne tarda pas à ajouter : “-Ne précipite pas ta convalescence. Ton rôle dans le cartel t’attendra le temps qu’il te faudra pour soigner correctement ta jambe.” lâcha la brune, laissant son regard couler sur la jambe en question, comme si ce simple coup d'œil lui permettait de jauger de l’état d’avancement de guérison de la plaie.

L’observation visuelle de la jambe blessée ne dura pas bien longtemps, l’attention de la mexicaine étant bien vite détournée par l’attitude de Lennox, qui se renfrogna subitement, se courbant jusqu’à cacher son visage entre ses jambes. Livia fronça les sourcils, regardant autour d’eux, comme si elle espérait que quelqu’un allait sortir de l’ombre à cet instant, et lui souffler à l’oreille ce qu’elle devait dire, ou faire à cet instant. Ce n’était pas un euphémisme de dire que la jeune femme n’était pas très à l’aise face aux larmes des autres, tout du moins, ceux qui n’étaient pas ses proches. Mais forcé était de constater que Liv était seule, seule face à un Lennox qui pleurait, et reprenait la parole entre deux sanglots. Les sourcils de la brune se froncèrent, alors qu’elle s’humectait légèrement les lèvres : “-Depuis quand ça compte, ce que pensent les autres ?” demanda-t-elle de façon tout à fait rhétorique, elle qui n’avait jamais été intéressée par l’avis des autres sur sa personne.

Pendant de longues secondes, il n’y eut rien de plus qu’un épais silence entre eux, Livia fixant Lennox à ses pieds, un froncement de sourcils persistant sur son visage. Elle ne savait pas ce qui la retenait de ne pas simplement reprendre la route, et retourner à son bureau, comme elle avait prévu de le faire, avant de tomber sur le maître-chien. Toute cette situation la dépassait, en plus de la pousser dans une voie qui ne lui était ni familière, ni agréable. La brune se racla la gorge, avant de soupirer légèrement : “-Tu tomberas toujours sur des personnes qui trouveront à redire sur ce que tu es, dis, et fais. Il n’appartient qu’à toi de décider de ce que tu fais de leurs avis, ou de l’importance que tu donnes à leur opinion. Tu n’as pas besoin du point de vue des autres sur ta personne pour savoir qui tu es.” lâcha-t-elle, elle qui s’était répété ces paroles lors de son arrivée à Downfall, jusqu’à en faire une sorte de mantra, se blindant contre l’opinion des autres sur elle. Et c’était sans doute grâce à cela qu’elle avait réussi à aller déjà si loin, du haut de ses trente-quatre petites années.

Son regard sérieux couvant Lennox, Livia ne se montra pas davantage curieuse concernant la blessure de son subalterne, celle dont il avait écopé suite à l’attaque menée contre Woodrow. Il n’était pas dans ses habitudes de se mêler de la vie privée des autres Prayers of Insanity, mais la blessure ayant été subie dans le cadre des activités du cartel, la situation était un tant soit peu différente. Loin d’elle malgré tout l’idée d’interroger plus en détail le maître chien. Malgré tout, l’avocate tint à lui préciser qu’il n’y avait pas d’urgence pour son retour, et qu’il n’y avait aucune raison de se précipiter s’il n’était pas entièrement guéri. Mieux valait retarder le moment de reprendre ses fonctions, et s’assurer une totale convalescence, que de précipiter les choses. Il n’était pas rare qu’en se pensant capable de reprendre le travail, malgré une blessure ou une maladie, certains rallongeaient en réalité le temps nécessaire à leur complètement guérison. D’autres écopaient malheureusement d’un boitement, d’une gêne, d’une douleur même parfois, à vie, trop obstinés dans leur idée de reprendre le travail, alors que du repos s’avérait encore nécessaire.

Livia ignorait comment la conversation avait pu prendre une tournure donnant matière à ce que Lennox éprouve des sentiments capables de lui arracher les larmes qui coulaient désormais sur ses joues. Incapable de masquer ce que cela lui inspirait, la mexicaine affichait clairement le fait qu’elle était dépassée par la situation, et qu’elle ignorait ce qu’il convenait de dire à cet instant, ou quelle attitude adopter avec le jeune homme, dont l’humeur était décidément bien changeante. Elle resta à le fixer de longues secondes en silence, tergiversant sur le comportement à avoir. Finalement, l’hispanique répondit d’une manière presque abrupte, sans pour autant penser à mal. Elle-même avait toujours pris le parti de se moquer de l’avis des autres, ne sachant que trop bien que quels que soient ses choix, elle aurait toujours des détracteurs, des individus prêts à critiquer chaque décision, chaque parole, chaque geste. Et dans son dos, bien évidemment. A partir de ce constat, Livia avait décidé de ne jamais s’inquiéter de tierces personnes, et toujours agir en fonction de ses convictions, et de ce qu’elle estimait être le mieux pour elle. Et à en croire sa situation actuelle, à quelques détails près, ça avait plutôt bien fonctionné pour elle.

Aussi, elle ne tarda pas à donner son point de vue à Lennox, en arrondissant un peu plus les angles que précédemment. L’essentiel, c’était d’être en phase avec ce que l’on faisait, et qui l’on était, peu importe l’opinion des autres. Du moins…de son avis à elle. Un avis que le maître-chien semblait finalement partager, lui affirmant qu’elle avait raison au bout de quelques secondes. Se contentant d’un simple hochement de tête, Livia l’observa se lever pour se rapprocher d’elle, un peu trop près à son goût d’ailleurs, alors qu’elle haussait légèrement l’un de ses sourcils dans un geste interrogateur. Lennox reprit la parole à cet instant, l’avocate levant une épaule, se retenant bien de dire qu’elle n’avait pas cherché à être gentille, simplement à donner le fond de sa pensée.

Éludant la question de son vis-à-vis, sans même savoir s’il attendait réellement une réponse ou non, Livia ne tarda pas à répondre : “-Hé bien…j’admets que j’ai surtout envie d’aller me doucher après ce footing.” expliqua-t-elle, avant de consulter sa montre, prenant connaissance de l’heure qui avait tourné, et de ses impératifs qui n’attendront pas indéfiniment qu’elle se décide à regagner son bureau. “-Tu devrais effectivement te reposer, surtout si ta jambe n’est pas encore totalement remise. Prends le temps dont tu aurais besoin. Je te souhaite une bonne journée. Au revoir, Lennox.” conclut-elle cette entrevue pour le moins étonnante, et inattendue, ponctuant une nouvelle fois ses paroles d’un léger signe de tête, se montrant réservée et distante, comme avec la plupart des Prayers of Insanity. Un dernier regard pour le jeune homme, et Livia s’éloigna à pas rapides, réellement désireuse désormais de prendre une longue chaude, consciente des tâches qui l’attendaient encore pour cette longue journée de travail.