[TERMINE] Petite soirée

“-Prenez une grande inspiration…soufflez…et laissez vous gagner par la musique…” Brave petite madame qui fait exactement ce que je lui dis, alors que l'huile chaude coule jusqu’au creux de sa colonne vertébrale, et que je commence son heure de massage. Si certaines des filles du salon d’Elena détestent ça, je trouve ça aussi relaxant que si c’était moi qui recevait le massage. Une heure sans blabla incessant sur la vie de gens que je connais pas, et qui m’intéressent pas, et sans avoir à faire semblant que j’attends avec impatience de savoir comment telle ou telle histoire va se finir. Nan, ces moments-là, ces modelages dans cette cabine à la lumière tamisée et à la musique d’ambiance douce, c’est une pause pour moi aussi. Je crois même qu’entre bosser au Diner et les autres extras que je peux faire à droite à gauche, c’est ce que je préfère faire. Enfin…ce que je déteste le moins faire, plutôt. Mais j’ai quand même hâte que la journée se termine, que je puisse libérer mes bouclettes, et enfiler un sweat confortable. En plus de ça, c’est soirée filles ce soir, alors faut pas que je traîne trop en sortant de chez Preciosas, histoire d’avoir le temps de faire un crochet par l’appart pour me doucher et de récupérer deux trois trucs.

Voilà comment je me retrouve, bien plus tard dans la journée, à toquer à la porte de chez Hailey, et qu’une poignée de secondes plus tard, la porte s’ouvre sur ce canon. “-C’est moi que t’appelles Beauté ? Tu t’es regardée dans une glace récemment ?” Je sais, je suis hyper balèze pour faire des compliments aux gens que j’aime, c’est inné chez moi. M’enfin, si moi je suis une beauté, elle, c’est carrément…une méga giga beauté de ouf. Au moins. J’entre dans l’appart après qu’elle m’ai embrassé la joue, et alors qu’Hailey annonce qu’elle a pas grand-chose à manger, je lève le sachet que j’ai au bout du bras. “-Empanadillas fraîchement cuites, et poivrons frits. Ma mère a peur que je meurs de faim.” Ma mère s'inquiète surtout des kilos que j’ai perdu récemment, mais elle a eu la sympathie de pas me faire la moindre remarque, ou de pas me faire la morale. Me filer à manger de temps en temps, c’est sa façon à elle de me faire comprendre qu’elle a remarqué qu’un truc allait pas comme d’habitude, et qu’elle me soutient à sa façon, puisqu’elle sait que je suis pas du genre à m’épancher sur mes problèmes.

J’ai un coup d'œil plus qu’appréciateur vers la bouteille de rhum dans la main d’Hailey, alors que je dépose le repas sur la table, et qu’elle nous sert deux verres. “-That’s my girl !” que je lui balance tout à fait stupidement quand elle annonce mettre plus d’alcool que de soft. Ca m’empêche pas de lui attraper la bouteille des mains pour boire directement au goulot plusieurs gorgées qui me piquent la gorge et me fait fermer les yeux. “-On aurait pu se contenter de pas de libré du tout. Mais merci !” que je dis en lui rendant la bouteille, et en attrapant le verre qu’elle me tend à la place. Passer la nuit ici ? Ouais…ça peut être une bonne idée de dormir sur mes deux oreilles pour une fois, ça pourrait me faire du bien de pas craindre une visite surprise au beau milieu de la nuit. “-Okay, je reste pour la nuit. Mais t’as pas intérêt à ronfler !” que je lui dis dans une fausse menace en agitant l’index devant elle, même si je retiens pas un léger sourire, pour lui montrer que je plaisante. De toutes façons, si j’en crois la façon dont la soirée commence, y’a de fortes chances que je sois trop alcoolisée pour même me rendre compte qu’elle est en train de ronfler à côté de moi.

Entre ces murs, c’est un peu comme chez moi, depuis les années que je squatte. C’est pareil quand Hailey vient à l’appart, d’ailleurs. Je me retrouve donc à virer rapidement mes pompes, alors que je m’installe en face d’elle, à table. Que je lui raconte comment ça va ? Putain, la question piège. Je prends quand même le temps de boire quelques gorgées de son cocktail maison, aussi chargée que l’a annoncé mon amie, et quand je finis par prendre la parole, c’est d’un ton blasé, mais détaché. “-Ca va…c’est vraiment la routine en ce moment. Le Diner, le salon de la tia, les ménages, je rentre, je dors, et je recommence de nouveau tout ça, et les jours s'enchaînent sans grande nouveauté. C’est pas hyper épanouissant, mais bon…on fait avec.” Ca, c’est les grandes lignes. Les seules qu’Hailey a besoin de connaître. Je sais qu’on s’est toujours tout dit, mais là…la situation est un peu différente, non ? Je me vois presque lui dire que si j’en dis plus, après je vais être obligée de la zigouiller, comme dans ces films où le héros -ou le vilain, au choix- a un lourd secret qu’il cache à tout le monde. Hailey est pas tout le monde…mais j’ai quand même à coeur de la tenir loin de mes emmerdes. “-Et toi, quoi de neuf ? Les garçons m’ont raconté ton altercation avec un client, hier. J’aurai adoré voir ça !” Ouais, parce qu’il faut pas l’emmerder, Hailey. Avec nos petits uniformes, et le fait qu’on bosse dans un resto pas vraiment étoilé, les gens ont parfois tendance à nous prendre pour de la merde, et la voir remettre quelqu’un à sa place, c’est toujours un sacré spectacle, auquel j’aime assister…avec plaisir.

Bien sûr, qu’on peut être canons à deux. M’enfin, faut dire aussi qu’Hailey et moi, on joue pas du tout dans la même cour. Je veux dire elle, c’est un Canon. Ouais, avec un C majuscule. Le genre de nanas qui fait tourner la tête, et sur qui on se retourne dans la rue. Moi…je suis juste moi. J’ai mon petit succès, c’est vrai, mais rien d’affolant. Et ça me va très bien comme ça, hein…je me retrouve pas à chialer tous les soirs dans mon lit à cause de ça. Au fond, je m’en fous pas mal. Le physique, c’est bien joli, mais c’est franchement pas ce qu’il y a de plus important. Un corps, un visage, ça fane. Ce qui a à l’intérieur, avec un peu de chance, ça résiste au temps qui passe. J’espère que cette phrase passablement clichée, j’en conviens, fonctionne aussi dans un lieu corrompu jusqu’à la moelle comme Downfall. En attendant, je me contente de lever les yeux au ciel pour toute réponse à l’adresse d’Hailey, qui saura très bien lire entre les lignes, sans que j’ai besoin de rajouter le moindre mot de plus.

Maintenant qu’elle s’est décalée pour me laisser entrer dans l’appart, je prends rapidement mes aises, comme à chaque fois que je me retrouve ici, alors que je lui parle des petits plats que ma mère a fait, et que j’ai ramené pour les partager avec elle. Je retiens pas un ricanement débile à ses remarques, alors que je réponds du tac au tac : “-Vu que Raoul s’est barré, y’a une place de libre dans la fratrie Espinoza, ça devrait pouvoir se faire, ton adoption.” que je lâche d’un ton détaché, alors qu’au fond, le sujet du départ de mon grand-frère me fait toujours aussi peu rire, et que la blessure est toujours vive. M’enfin…on va pas en pleurer, hein ? Raoul est un grand garçon qui a fait ses propres choix, comme moi je fais les miens. Je relève pas cette histoire de restes chez Pop’s, même si je vois tout à fait ce que les paroles d’Hailey impliquent. Toutes les deux, on a jamais été du genre à s’apitoyer sur notre sort, à pleurer sur nos galères, à ressasser le fait qu’on a pas de thunes, et que c’est la merde. Alors ouais, je sais de quoi elle parle…parce qu’il est possible que j’ai envisagé aussi plus d’une fois que c’est ce que je finirais par faire, taper dans les restes des clients.

La belle commence à préparer nos cocktails, même si je finis rapidement par lui piquer la bouteille pour boire une longue gorgée directement au goulot. Il paraît que l’alcool arrange pas les problèmes…mais ce soir, je suis bien tentée de vérifier la véracité de cette affirmation, et de boire un peu trop, pour au moins noyer quelques instants mes pensées. En plus, la gnole risque de vite me monter à la tête, vu que j’ai le ventre vide depuis un peu trop longtemps. J’ai à peine posé mon cul sur une chaise que je me relève pour me laver les mains, et je finis par sortir les assiettes préparées par ma mère, une bonne odeur envahissant l’appartement quand j’enlève l’aluminium, alors que je ricane une nouvelle fois aux paroles d’Hailey, qui tente déjà de se défendre concernant le bruit qu’elle fait en pionçant : “-Tu sais que j’ai toujours la vidéo sur mon téléphone ? Tu sais, celle de toi, vautrée sur mon lit, la bouche grande ouverte, un filet de bave sur le menton, et ces ronflements atroces qui sortent de ton corps…” Je lui adresse un sourire sadique, même si on sait bien toutes les deux que j’exagère largement ma description de la vidéo que j’ai d’elle en train de dormir chez moi.

J’attrape une empanadilla que je déchire en deux, lançant déjà Hailey sur cette altercation qu’elle a eu avec un client, y’a pas si longtemps. Et je peux pas m’empêcher de me renfrogner un peu face à son récit. Mouais…encore un abruti. Nan, abruti c’est encore trop sympa pour ce gars. “-Mais quel sale enfoiré…sérieusement…c’est tellement frustrant d’être prises pour de la merde, simplement parce qu’on a un petit uniforme, et qu’on est des meufs.” Je soupire lourdement tout en secouant légèrement la tête, une nouvelle gorgée de cocktail disparaissant dans ma gorge. “-On devrait ficher les clients comme lui, et les empêcher de revenir manger au Diner. Tu nous fais chier, ou tu nous manques de respect, bah tu ramènes plus ta face ici.” Ca nous éviterait bien des ennuis, et des pics de tension, surtout. J’ai un coup d'œil à ce qui reste du cracker martyrisé par Hailey, et je finis par pousser vers elle l’assiette avec ce qu’a préparé ma mère. Aucun connard de client mérite qu’on se prenne la tête pour lui, ou qu’on s’énerve comme on le fait.

A sa remarque supplémentaire, j’ai un léger sourire en coin sans joie, et je me contente de secouer légèrement la tête d’un air dépité. Chauve ou pas, beau gosse ou pas, riche ou pas, personne devrait nous traiter comme ce type l’a traité. Nous, ou n’importe qui d’autre, cela va de soi. “-Je lui aurais planté une fourchette dans sa foutue main de pervers dégueulasse si j’avais été là.” Crétin de client à la con. Bon, j’aurai sans doute aussi perdu mon job dans la foulée, et je me serais attiré de sacrés problèmes. Mais ça me dégoûte tellement ce genre de comportements…ceux qui s'octroient tous les droits, sous prétexte qu’ils ont de la thune. Le pire dans tout ça, c’est que j’ai un gros doute sur la politique de chez Pop’s à ce sujet. Je sais même pas si on serait soutenues par notre manager, s’il avait connaissance d’une telle situation…et franchement, j’ai pas envie qu’elle se reproduise pour voir ce qu’il en est.

J’ai un mouvement d’arrêt quand Hailey m’interpelle sur un autre sujet, ma moitié d’empanadilla en suspens dans l’air un instant, avant que je l’enfourne dans ma bouche sans cérémonie. “-Des garçons ? Quels garçons ? J’ai effectivement pas le temps, pas l’envie non plus.” Je fais passer la bouffe avec une gorgée d’alcool, avant de reprendre dans la foulée. “-Et puis franchement…ça vend pas du rêve, une nana de vingt-huit piges qui bosse dans un Diner, chez sa tante, et fais le ménage chez des inconnus.” Mouais, j’ai bien conscience que c’est pas folichon, mais c’est comme ça. C’est ma vie, et basta. “-Et puis…il parait que j’ai pas le caractère le plus conciliant qui soit, et que ça fait fuir ces messieurs !” que j’ajoute dans un sourire entendu. Si y’a bien une personne qui connait mon foutu caractère, c’est bien elle, alors ouais, j’ai pas besoin de lui rappeler que je peux être une vraie chieuse.

Au fond…je sais que ça me manque, d’avoir une relation, j’en ai bien conscience. Mais…j’ai conscience aussi que le moment est hyper mal choisi pour se lancer dans une nouvelle histoire. Et puis, de toutes façons, c’est pas comme si les prétendants se bousculaient au portillon. A cette pensée, j’ai un nouveau mouvement d’arrêt, alors que je finis par grimacer. “-Tu sais que…je me souviens même plus de la dernière fois où je me suis envoyée en l’air ?” Je le dis d’un air sérieux, et pourtant, je tarde pas à hausser les épaules face à ce triste constat, qui au fond me dérange pas tant que ça. “-Et toi, tu vois vraiment personne, en ce moment ? Aucun jeune homme innocent tombé dans tes filets de Beauté fatale ?”

Sûre que le départ de Raoul a laissé une place vacante dans la maison, une situation que ma mère vit plus que mal, évidemment. Mon père aussi, c’est sûr, mais il fait ce truc macho à deux balles qui consiste à planquer ses sentiments, pour pas qu’on voit qu’il souffre de l’absence de son aîné. Et puis…je sais aussi qu’il garde la face pour ma mère, comme s’il fallait qu’il soit fort pour deux, ou je sais pas quoi. De toutes façons, c’est un sujet qu’on évite d’aborder, et à chaque fois que le prénom de mon grand-frère est prononcé sous le toit de mes parents, c’est pour que je lâche une vacherie à son sujet. Tout ça pour dire que ouais, le job d’aîné de la fratrie étant libre, Hailey peut le prendre quand elle veut. Je suis sûre que ma mère sera plus que ravie, en plus de ça.

J’ai un léger sourire à sa remarque, avant de pouffer légèrement : “-Ouais, ben compte sur moi pour me comporter en parfaite petite soeur, t’emmerder autant que possible, et piquer tes fringues, tes pompes, et ton maquillage !” que je lâche dans un grand sourire. Soit à peu près tout ce que je fais déjà en temps normal. J’ai un autre rire quand elle parle de cette vidéo que j’ai fait d’elle une éternité plus tôt, et après avoir haussé plusieurs fois les sourcils d’un air de conspiratrice, je réponds à mon tour : “-Tu bavais tellement que ça a fait une flaque sur l’oreiller. Je regarde ta vidéo à chaque fois que j’ai un coup de mou, tu peux pas t’imaginer comme elle est efficace pour me redonner le sourire…” que je dis en en ajoutant encore des caisses, ravie de pouvoir la taquiner encore un peu.

En tout cas, je peux pas le nier…qu’Hailey ai débarqué Chez Pop’s a embellit mes journées comme jamais, et je suis plus que ravie de partager mes services dans le Diner avec elle. Avec le temps, on a développé cette capacité de communiquer l’une avec l’autre, sans utiliser rien d’autre qu’un regard, ou un sourire en coin. Mais même si j’adore ça, qu’on bosse ensemble, j’aime un peu moins la façon dont certains clients se permettent parfois de nous traiter, sans que je sache vraiment si c’est parce qu’on est serveuses, qu’on est des nanas, qu’on est dans le Skid…j’ai pas la réponse à cette épineuse question. Je sais juste que ça fait chier quand on nous manque de respect, et que ça me donne envie de brûler la terre entière, encore plus quand je me rends compte que je peux rien faire pour changer ça.

Je rejoins quand même son avis sur le fait que vu nos salaires, le gérant du Diner risque pas d’embaucher qui que ce soit pour s’assurer qu’aucun client ai jamais plus la main baladeuse, ou se comporte comme un vrai connard. Ça relèverait du miracle je crois bien. Mais je dois bien admettre que parfois, ça simplifierait les choses, et on aurait au moins l’impression d’avoir un peu plus de soutien de la part de notre chef. J’avale plusieurs gorgées du cocktail fait par la brune, avant de faire les gros yeux : “-Quoi ?! T’avais un plateau rempli de boissons, et t’en as même pas fait tomber une seule par inadvertance sur les genoux de l’un d’entre eux ?! Sérieux…tout se perd !” que je dis d’un ton faussement outré, même si une fois encore, je sais très bien pourquoi elle a pas pu se permettre la moindre petite vengeance. Parce que comme le dit si bien Hailey, notre manager est plutôt du genre à nous taper sur les doigts quand on a le malheur de répondre à l’un de ces abrutis. “-Mouais…le client est roi, comme il aime nous dire…” que je dis en ronchonnant un peu plus.

En d’autres circonstances, je me serai quand même sans doute pas mal amusée de l’entendre bloquer à ce point sur le fait que le type en question était chauve, comme si c’était l’affront ultime qui a pu lui être fait ce jour-là. Ce qui nous amène au point suivant. Pas les types qui ont des problèmes de calvitie, juste les hommes, de manière générale. Ou plutôt, l’absence d’hommes dans nos vies actuelles. Et sans surprise, je lui confesse que y’a zéro homme dans mon existence en ce moment…ou en tout cas aucun dont je souhaite la présence. Et puis…une part de moi se rend bien compte que j’ai pas forcément le profil de la copine idéale. Je suis pas vraiment stable dans mes emplois, je suis loin de rouler sur l’or, j’ai un tempérament pas toujours facile…bref, pas la nana dont rêvent les mecs. Je fronce les sourcils aux paroles d’Hailey, et les balaie d’un geste de la main : “-Ouais, mais toi, t’es canon.” que je dis en haussant les épaules, comme si c’était l’argument béton du siècle. Ce qui est pas le cas, hein, bien sûr.

Je plaide quand même coupable d’une grimace quand la brune rétorque que je suis une chieuse, parce que je peux pas prétendre le contraire. Même si je préfère dire que j’ai un caractère pas facile, parce que ça sonne mieux. Je grimace quand même ouvertement quand elle me parle de ce mec imaginaire qui saurait me discipliner un peu, une idée qui me tente pas du tout : “-Alors déjà…pauvre gars. Et ensuite, qui a dit que j’avais envie d’être matée ? Et encore plus par un mec ?!” Je ricane un peu, déchirant une empanadilla entre mes doigts, avant d’en avaler un morceau. Vu comme mon cocktail est chargé, si je mange pas un peu, je vais me retrouver à danser en culotte sur la table dans pas longtemps.

L’idée me fait sourire un peu, parce que je suis tout bonnement incapable de dire de quand date la dernière fois que quelqu’un m’a vue en petite culotte…ou avec encore moins sur le dos. Je lève le verre vers mes lèvres, arrêtant mon geste en plein mouvement quand j’entends la remarque d’Hailey. Une seconde de plus, et je serai en train de lui cracher mon cocktail dessus. “-Alors…j’apprécie la proposition, hein…vraiment. Mais pour le bien de notre amitié, on devrait éviter. Après, je vais tomber sous ton charme, ça va me briser le coeur, et tout ça. C’est plus safe qu’on se contente d’être amies !” que je dis avec beaucoup de convictions, manquant de peu de rire à la fin, ce qui aurait tout gâché. Mais au fond, je le pense vraiment. Au-delà du fait que les nanas ça m’attire pas vraiment,  -pas  du tout même-, Hailey et moi on pourrait pas être ensemble, j’en suis persuadée. Mais de toutes façons, j’ai pas le temps d’ajouter quoi que ce soit, qu’Hailey me coupe la chique avec sa révélation. “-Un an ?! Ben putain…j’espère que tu penses à enlever les toiles d’araignées, de temps en temps !” Pas besoin de lui préciser que je plaisante, elle le sait, elle connaît ma façon de penser, et qu’en plus de ça, je suis pas du genre à me moquer. C’est juste qu’on a d’autres préoccupations dans la vie, que s’envoyer en l’air. Même si de temps en temps…ça ferait clairement pas de mal.

Je trinque quand même avec elle, nos deux verres s’entrechoquant légèrement, et j’en profite pour rebondir sur les paroles d’Hailey. Je me dis que si c’est compliqué pour elle, c’est foutu pour nous, le reste des nanas de cette Terre. Alors forcément, vient la question, taquine à souhait, sur ces hommes qui pourraient être plus qu’intéressés par les charmes de la brune. J’ai un sourire amusé à sa remarque, alors que j’hoche la tête avec beaucoup trop de conviction. “-Tout à fait. Je sais que tu les manges tout cru, que t'aspires leurs âmes, et que tu te fais des cures-dents avec leurs os. Bruja !” que je dis sans pouvoir retenir un grand sourire, qui se transforme en une énième grimace à sa remarque. Ouais, les mecs capables de montrer pattes blanches ici, y’en a pas des masses. Mais je sais qu’il en reste quand même, où qu’ils se cachent. Ils doivent bien être quelque part, non ?

Je viens tout juste de finir mon cocktail quand Hailey lâche des infos qui me font presque bondir de ma chaise, alors que d’un geste empressé de la main, je demande déjà : “-Nom, âge, à quoi il ressemble, il fait quoi dans la vie ? C’était où ?! Je vais voir si je le retrouve, histoire de lui demander s’il a pas de la crotte dans les yeux, ou juste le secouer un bon coup pour lui remettre les neurones en place !” Ouais bon…je pourrais faire tout ça, mais avec un peu plus de tact quand même. Enfin…tact. Tact façon Andrea quoi, même si c’est toujours mieux que rien, j’imagine. Comment peut-on être aveugle au charme d’Hailey ?! Je me le demande bien.

Je suis encore en train de cogiter sur la question, quand elle me coupe de mes réflexions, en me parlant de ce mec friqué qu’il lui faudrait, ou de ce sugar daddy. “-Ew, nan…sauf si tu peux avoir le sugar, sans le daddy qui va avec.” que je réagis sans réfléchir plus loin que le bout de mon nez, tendant mon verre pour avoir une nouvelle tournée, plongeant quelques instants dans le silence. “-J’admets que…j’ai peut-être pensé à…tu sais…voir des mecs contre un peu de thunes, mais…je suis incapable de sauter le pas.” que je confesse, parce que si y’a bien une personne qui pourrait entendre ça -à part DarkEm- c’est bien Hailey. “-Et quand je pense à ça, j’essaie de me convaincre que je suis une femme forte et indépendante, et que ça va aller pour moi.” que je lui dis d’un air entendu en haussant les épaules, comme une espèce de mantra que je me serai répété un peu trop de fois.

Je bois quelques gorgées de ce cocktail tout autant chargé que le précédent, et je finis par rebondir sur un truc qu’elle a laissé entendre un peu plus tôt, même si c’était dit dans un rire. “-Plus sérieusement…t’es en dèche comment ?” Parce que même si on a plutôt tendance à en rire parce qu’en pleurer fait pas tomber les dollars, on sait toutes les deux ce qu’il en est, et comme ça peut être dur moralement, quand on galère à joindre les deux bouts.

Je retiens pas un sourire diabolique quand Hailey en vient à la même conclusion que moi, à savoir que je fais déjà tout ce qu’aurait fait une potentielle petite sœur. Ca, et l’emmerder avec beaucoup d’amour, évidemment. Et puis, depuis le temps qu’on se connaît, c’est pas mensonger de dire qu’elle fait partie de la famille maintenant, même si on a pas le même sang qui coule dans nos veines. De toutes façons, je fais partie de ces gens qui pensent que c’est pas l’ADN qui fait des individus des membres d’une même famille ou pas. Maintenant que le sujet de la vidéo d’Hailey en train de pioncer à été évoquée, et que je suis rentrée à fond dans le jeu, je peux pas m’empêcher de la taquiner. C’est pas méchant -jamais entre nous- et je peux pas retenir un sourire à sa remarque, alors que théâtralement, je pose la main sur mon coeur : “-C’est vrai. Tu es le rayon de soleil de ma vie.” Et c’est loin d’être un mensonge, même si se dire des trucs grave nian nian c’est pas trop notre genre.

Parce qu’on s’était pas vues depuis l’incident entre elle et ce client relou -un parmi tant d’autres-, on fait un rapide débrief de ce qui s’est passé, avec cet amer constat final, celui qu’on peut rien faire, parce que le client aura toujours le dernier mot, on a pas d’autre choix que de faire profil bas, d’encaisser en silence, et surtout, de garder le sourire. Conneries. Comme dit, si on veut garder notre taff, on a pas vraiment le choix. Qu’il s’agisse d’hurler à la tronche de ce type que c’est qu’un sale enfoiré, ou de lui renverser une boisson fraîche sur les genoux en espérant que ça calme ses ardeurs, la seule chose à laquelle on aura droit, c’est un aller simple dans le bureau du manager, pour se faire passer un sacré savon. Je suis sûre que certains clients le savent, et en profitent allègrement d’ailleurs. Le gérant du Diner aussi, d’une certaine façon. On sait bien que si on file pas droit -selon ses règles, évidemment- il aura aucun mal à nous remplacer. Des petites nanas qui ont désespérément besoin d’un taff, ça manque pas dans le Skid.

A défaut de faire le boulot de nos rêves -encore aurait-il fallu en avoir un-, on pourrait se dire qu’on se rabat sur des vies sentimentales bien remplies et épanouissantes. Ha ha HA. Pas du tout. Que ce soit de mon côté, ou contre toute attente de celui d’Hailey, c’est le calme plat là aussi. Ça me dérange pas vraiment, ceci dit. Enfin…ça me dérange pas tous les jours quoi, certains soirs faut quand même avouer que c’est un peu pesant, un sentiment qui a quand même tendance à s’effacer assez rapidement. En revanche, j’ai tellement l’habitude de voir à peu près tous les mecs de Downfall se retourner sur le passage d’Hailey, que je suis carrément surprise d’apprendre ce qu’il en est de son côté. Je lui adresse une grimace quand elle me dit que je suis canon aussi, un débat que j’ai clairement pas envie d’avoir maintenant, et que je balaie d’un geste de la main, même si je tarde pas à sourire. “-John a pas tout à fait tort, hein. Ces deux arguments-là peuvent nous ouvrir certaines portes, si on accepte de les mettre en avant.” que je rétorque, en montrant vaguement ma poitrine de la main. Non pas que je le fasse, enfin pas consciemment du moins, mais on sait toutes les deux qu’ils peuvent avoir leur petit effet.

En attendant de se trouver un mec pour de vrai, on se contente d’en parler, d’évoquer cet être imaginaire, qui -s’il existe quelque part- à pas encore l’air vraiment au courant du rôle qu’il est censé avoir dans nos vies. Et puis, comme l’évoque très bien Hailey, j’ai pas le caractère le plus facile du monde, ce qui peut être un frein. De là à dire qu’il faut un mec pour me mater, j’adhère pas des masses à la proposition. Rien que l’expression “se faire mater” me file de l’urticaire. A la remarque de la brune, j’hausse un sourcil, et rétorque sur le même ton : “-Me tenir tête…? Quelle drôle d’idée !” Même si ouais, y’a peu de chance qu’une relation fonctionne avec un type tout mielleux, qui dirait Amen à tout ce que je pourrais faire ou dire, ou qui aurait peur d’exprimer ses opinions, même si elles sont contraires aux miennes.

Et puis…s’il s’avérait que y’avait jamais de mec avec qui faire ma vie, bah…je ferai ma vie avec moi-même. Je suis de bonne compagnie, je suis marrante, je me ferai rire moi-même, ce sera forcément une relation qui marchera. Qui fonctionnera en tout cas plus que si Hailey et moi on tentait de se mettre ensemble, ça c’est sûr ! Y’a genre aucune chance pour qu’une relation amoureuse entre nous finisse bien. Et au moins, on est raccord sur ce constat. Je bouge pas quand elle fait mine de se rapprocher pour m’embrasser -ce serait pas la première fois- et je porte pour la seconde fois de la soirée la main à ma poitrine à ses paroles : “-Oui, s’il te plaît. Fais pas de mal à mon pauvre petit cœur énamouré.” Mon palpitant en a vu d'autres, je suis sûre qu’il se remettrait très bien d’une déception amoureuse…même si on va quand même éviter de le dire trop fort, pour pas se porter la poisse.

Même si je pense pas être quelqu’un de malchanceux…c’est juste que je fais pas de ma vie amoureuse une priorité. Comme le dit abuelita avec beaucoup de philosophie, ça viendra quand ça viendra, et j’ai toute la vie pour m’embêter avec un mec, que je sois pas trop pressée. Oui oui, c’est bien ma grand-mère, mariée à l’âge de dix-neuf ans, qui a dit ça. Mais pour le coup, je suis assez d’accord avec elle. Si quelqu’un a dit un jour qu’il valait mieux être seul que mal accompagné, c’est pas pour rien. Et seule, je le suis depuis un petit moment…et j’apprends qu’Hailey l’est depuis plus longtemps encore, ce qui manque pas de me surprendre. Pour éviter de dramatiser la situation, parce que franchement, y’a rien de grave a avoir eu personne en un an, je la taquine comme elle a l’habitude que je le fasse, alors que je tarde pas à feindre la surprise à sa remarque : “-Des piles ? Pour ton aspirateur, j’imagine !” Pour enlever les toiles d’araignées, tout ça.

Je lui adresse un clin d'œil de circonstances, avant de gratter un peu plus, et de lui demander si elle a vraiment personne. Je me répète, mais je vois tellement de gars baver devant elle, qu’apprendre qu’elle a eu aucun mec en un an me semble dingue. Elle s’offusque gentiment de cette image que je dépeins d’elle d’une croqueuse d’hommes innocents qui tomberaient dans ses filets de sirène, et après un échange de taquineries -classique entre nous- elle finit par me parler d’un gars, en particulier. Je le savais ! Enfin je veux dire…c’est Hailey, bordel !

Elle se montre pas surprise quand je lui sors une liste de questions longue comme le bras concernant l’individu en question, cet idiot qui a pas su tenter sa chance alors qu’il l’avait à portée de main. Un certain Timothy, donc. A peu près notre âge. Et qui a un boulot, est-elle contente de me préciser. “-Ouais…un boulot sans espoir, dis-lui d’arrêter de perdre son temps.” que je réponds d’un ton plus lugubre que nécessaire, en poussant un léger soupir, qui s’accentue sur la fin à ses paroles. “-T’es pas crédible, même toi tu crois pas à tes propres paroles ! Bien sûr que si, tous les mecs te trouvent canon. C’est un fait, c’est comme ça. Il faisait peut-être juste trop sombre…ou il a un problème de vue !” que j’ajoute, sans pouvoir retenir un sourire amusé. Je vois que ça, comme possibilité expliquant que ce monsieur Timothy ait pas demandé son numéro à Hailey.

A sa question sur ce sugar daddy imaginaire qu’elle voudrait avoir, je me dis que ma réponse a peut-être été un peu trop tranchée. Perso, je me suis jamais imaginée dans ce genre de relations, pour un tas de raisons, mais c’est pas pour autant que je possède la vérité universelle, et que tout le monde devrait faire comme moi. Alors, je hausse les épaules, pour répondre : “-Ma réaction était un peu trop vive, désolée. Y’a que toi qui peut décider si c’est terrible ou pas, d’en avoir un. Personne peut décider à ta place de ce qui est bien pour toi. C’est toi qui décide ce qu’il en est.” que je dis en choisissant mes mots, avant de reprendre, sans durcir le ton pour autant. “-Je dis juste que moi je pourrai pas le faire. L’idée de me faire payer pour ma compagnie, c’est…nan, j’arrive pas à l’envisager. Et puis, tu me connais, le gars finirait surtout par me payer pour que je revienne plus jamais le voir !” que j’ajoute en lui adressant un grand sourire malicieux. Bah ouais, quel homme voudrait payer pour la compagnie d’une chieuse ?

Même quand ça a été la dèche comme jamais, y’a des trucs que j’ai jamais pu me résoudre à faire. Le sugar daddy, donc…vendre mes services en échange de quelques dollars non plus. Je suis pas innocente pour autant hein, même si j’aime le clamer à tort et à travers sans aucun sérieux. J’ai fait pas mal de petites arnaques à droite et à gauche, et volé quelques malheureux ayant croisé ma route. La plupart du temps sans grande conséquence…du moins jusqu’à récemment. Si je suis une femme forte et indépendante ? J’hausse une nouvelle fois les épaules : “-Parfois, j’imagine que si. C’est pas comme si on avait le choix, hein.” que j’ajoute, dans un clin d'œil complice. S’apitoyer sur son sort ? Jamais.

Et même si j’adore plaisanter avec elle, je sais aussi quand c’est le moment d’arrêter les conneries et de se montrer sérieuse. Genre quand elle parle d’être dans la dèche, forcément, ça attire mon attention, même si être en dèche, c’est une seconde nature chez nous. Alors forcément, quand je la vois éviter mon regard, et se servir un shot d’alcool pur suite à ma question, ça fait que m’inquiéter davantage. Et quand elle me demande de garder pour moi ce qu’elle est sur le point de me confier, ça achève de me convaincre qu’il y a bien quelque chose. Putain, Hailey, qu’est-ce qui se passe ?! “-Évidemment. Tu sais bien que je suis une tombe concernant ce que tu me dis !” Elle, et chacun de nos amis, d’ailleurs. Je mourrai avec tous les secrets qu’on a pu me confier. Et quand elle finit par lâcher le morceau, je serre la mâchoire, en sentant une pointe de colère monter. Pas envers elle, ça jamais. Mais envers son enfoiré de proprio, qui me dégoûte encore plus qu’en temps normal. Et c’est pas peu dire pourtant.

Visage fermé, sourcils froncés, je penche la tête dans un angle bizarre pour essayer d’établir le contact visuel avec elle, alors que je presse son avant-bras, sur lequel j’ai posé la main. “-Hé ! C’est ce connard qui devrait avoir honte de profiter de ta situation financière pour tirer son coup. Il est gerbant ce gars.” Y’a pas d’autres mots pour décrire ce genre d’individus, dégoûtant au possible. A la manière de notre manager, de certains clients, et de bien d’autres encore, ce rat hésite pas à utiliser le malheur des autres à son profit, aussi ignoble que ça puisse être. Je voudrais trouver un truc hyper spirituel et réconfortant à lui dire, mais le fait est que je trouve aucun mot assez bien pour ça, ou qui pourraient avoir un quelconque effet. “-S’il te refait le coup, tu lui dis de se la foutre derrière l’oreille, tu prends tes affaires, et tu viens chez moi.” On sera serrées, mais au moins, mais au moins elle aura plus à faire à ce connard.

Et puis, sans crier gare, Hailey finit par prononcer de nouveaux mots qui me font me renfrogner, alors que je relâche son avant-bras. “-T’es relou, tu le sais ça ? Pourquoi tu m’as rien dit avant que je te sorte de force les vers du nez ?!” que je demande dans un élan d’humeur, sans lui crier dessus pour autant. Si les rôles étaient inversés, je sais que j’aurais rien dit non plus. Plongeant la main dans la poche de mon jean, j’en ressors quelques billets froissés, que je pose en un tas désorganisé devant elle : “-Trente deux dollars. Me regarde pas comme ça, et cherche même pas à argumenter. Tu me les rendras quand tu pourras. Mon frigo et mes placards sont remplis d’il y a quelques jours, donc c’est bon. Et de toutes façons, si tu refuses, j’irai te faire les courses moi-même, et je veillerai à prendre que des trucs à chier, genre…des choux de Bruxelles…ou des pâtes aux petits pois.” Et elle sait que j’en suis capable, donc autant qu’elle accepte ces quelques dollars de rien du tout. Je sais qu’elle en aurait fait de même si les rôles étaient inversés.

C’est con à dire, mais parfois, il suffit de rien d’autre que de tirer un peu sur son haut pour afficher davantage son décolleté, et bam toutes les portes s’ouvrent à nous. Un peu de chair qui dépasse, et ça frétille dans les calbuts. Cette constatation est, au fond, hyper déprimante. Enfin, je sais bien que tous les mecs sont pas comme ça, et bordel, heureusement, mais y’en a quand même un bon paquet qui perd la capacité de raisonner devant une paire de seins. Et c’est pas un secret, n’importe qui pourrait le dire. J’ai un léger ricanement à la réponse d’Hailey, plaçant mes mains sous mes boobs pour les remonter un peu, alors que je les agite un peu puérilement. “-Des montgolfières, rien que ça ? Ça doit faire un bout de temps que tu les as pas vus, tu les idéalises.” Au fond, je sais pas si ce sont des montgolfières, ou pas. Et faut bien dire que je m’en fous un peu. Ils sont là, ils font le job, et point barre. Je leur en demande pas davantage. Et puis…personne s’en est jamais plaint, d’ailleurs. Ni mes anciens copains, ni même ces gars que j’ai pu foutre dans mon lit le temps d’une nuit.

D’ailleurs en parlant de gars, la conversation tarde pas à dévier sur nos relations amoureuses. Ou plutôt sur l’absence desdites relations amoureuses. Dire que c’est le calme plat et que je connais une traversée du désert serait pas un euphémisme. J’ai pas eu de mec dans mon pieu depuis longtemps, si longtemps que je serai foutrement incapable de donner une date. Et au fond, c’est pas si grave. Entre mes différents boulots, les petits, et mes parents, je me dis que j’aurai vraiment plus une seule minute à moi si je rencontrais quelqu’un. Et puis…franchement…je sais pas non plus si j’ai envie de repasser par les dates, par le fait d’apprendre à connaître l’autre, et tout ça. Quand je vois comment ont fini mes relations précédentes, j’ai l’impression que ce serait juste une perte de temps. Je suis pas si mal toute seule, en plus. Enfin…la plupart du temps. Et clairement, s’il faut choisir entre être seule, ou avoir un mec supposé me mater, le choix est vite fait. Alors ouais…bien sûr que je sais que ce serait mieux de tomber sur un bon gars qui dira pas amen à tout ce que je dis, et qui saura me dire quand j’exagère ou que je fais de la merde…mais sérieux, de là à utiliser le mot “mater”, faut pas abuser. “-Hm…nan, vraiment. y’a pas obligation. De toutes façons, j’ai pas besoin de mec. Je m’en sors très bien toute seule.” Et c’est même pas un mensonge. Faudrait un sacré coup de coeur pour changer ça. Et les coups de foudre, j’y crois moyennement.

C’est vrai quoi…je me suis débrouillée par moi-même depuis que je suis en âge de le faire. Alors oui, évidement que j’ai eu des mecs, par-ci, par-là, et quelques relations plus sérieuses que d’autres. Mais au final ? Bah au final, ça c’est toujours fini pareil. Ca c’est cassé la gueule. Et autant dire que celui qui disait qu’un de perdu, c’était dix de retrouvés parlait clairement pas de mecs. Ce que ça m’a appris d’autre ? C’est qu’on pouvait compter que sur soi-même. Et les amis proches. Ceux qui sont devenus comme de la famille, chez qui on débarque avec des empanadillas, des poivrons frits, et avec qui on se bourre la tronche pour oublier qu’on a le cœur vide, et le compte en banque à sec. Ceux qu’on voudrait perdre pour rien au monde. Ceux sans qui on se sentirait un peu perdu. Alors, forcément, on fait tout ce qui faut pour préserver ce lien qu’on sait unique. Et quand il s’agit d’Hailey et moi, ce lien, on le protège en évitant de nous lancer dans une quelconque histoire amoureuse. Déjà, on est méga hétéros toutes les deux, ce qui serait un premier obstacle non négligeable, et ensuite, parce qu’on passerait notre temps à se friter, ça fait aucun doute. Je peux quand même pas retenir un petit sourire en coin amusé, alors que je finis par grimacer. “-Ouais, enfin…fragile, fragile, c’est vite dit, hein.” Il a ses hauts, et ses bas, comme tout le monde j’imagine. Mais c’est vrai que même quand il est pas hyper en forme, il trouve toujours le moyen de remonter la pente. Et ça, c’est une sacrée bonne chose.

Maintenant qu’on a établi qu’on pourrait pas être ensemble, force est de constater qu’on est toujours aussi célibataires qu’au début de cette conversation. Et si perso ça me passe un peu au-dessus de la tête, j’arrive pas à savoir s’il en est de même pour Hailey. C’est vrai quoi, j’ai tellement l’impression que la terre entière est toujours en train de lui tourner autour et de lui faire les yeux doux, que j’en reviens pas de savoir que ça fait un an qu’elle a pas vu le loup. Alors ouais, bien sûr que ça m’étonne qu’un brave type plus courageux que les autres ai pas fini par lui filer son numéro de téléphone, et qu’il lui ai pas tapé dans l'œil, lui aussi. Ça cache forcément quelque chose. Et ce quelque chose, je suis bien déterminée à trouver ce que c’est. J’ai été plein de choses dans la vie. Caissière. Serveuse. Livreuse de journaux. Magasinière. Ouvreuse dans un ciné. Mais détective, jamais. Je suis pourtant bien décidée à changer ça, dès ce soir.

Voilà comment je me retrouve à lui poser des tas de questions, pour en savoir davantage, surtout quand elle évoque vaguement un mec qu’elle aurait rencontré il y a peu. Je savais bien que c’était impossible qu’il y ai personne qui lui tourne autour en ce moment. Alors, forcément, quand elle me parle de ce jeune homme qui a l’air un peu…disons…différent de ce qu’on voit habituellement dans le quartier, je peux pas m’empêcher de grimacer un peu. Il m’a l’air d’être un sacré numéro, ce Timothy. “-Attends…ça lui tenait à coeur…de remettre notre ville en état ? Il est pas originaire d’ici lui, ça c’est sûr.” Parce que les gens d’ici ont fini par se faire à l’idée qu’à Downfall, ça sera toujours la merde, quoi qu’on essaie de faire. C’est juste comme ça, c’est tout. Je fronce un peu le nez et lève ouvertement les yeux au ciel à sa nouvelle remarque, soupirant lourdement. “-Okay…j’ai un peu exagéré. Un tout petit peu. Mais je vais pas entrer dans ton petit jeu et te dire que siiii, voyons, t’es trop canon, et tout ce bordel. Pas ce soir. Je sais que t’es parfaitement au courant.” Et je lui lance un regard entendu, avant de me figer à la suite de ses paroles. “-Ooooh, je vois. Il a mis une brioche dans le four d’une autre nana. Mouais…bon…connaissant cette info, je sais pas trop si c’est le bon plan, ce mec. T’as vraiment envie de te farcir le marmot d’une autre femme ?” Parce que putain…j’imagine même pas ce que ça pourrait donner. Hailey est pas faite pour être belle-mère. Je la vois pas du tout dans le rôle. Et j’imagine qu’elle-même s’imagine pas non plus dans ce tableau.

Enfin, manifestement, on aura jamais à voir ce que ça pourrait donner, parce qu’Hailey, fidèle à elle-même, a décidé qu’elle serait pas un second choix…et elle a bien raison à ce sujet, de pas vouloir être un lot de consolation. Et bordel, même si je suis entièrement d’accord avec cette idée, je valide pas pour autant celle qui consiste à se trouver un daddy qui a besoin d’une petite pilule pour la lever parce qu’il est trop vieux. Et l’idée de se faire entretenir est, à mon sens, assez dérangeante. Même si, une fois encore, c’est juste mon point de vue. Je lâche un pfffff bien sonore, avant de la bousculer un peu, et de boire une nouvelle gorgée de ce cocktail qui aura tôt fait de me monter au crâne. “-Ca se bouscule pas au portillon, qu’elle dit…” et je secoue la tête de droite à gauche, pour accentuer le fait que putain, des fois, elle m’exaspère vraiment. Faut quoi, que tout Downfall vienne sonner à sa porte ? Ah ben…moi qui trouvait déjà un peu glauque ces suggar daddy prêts à payer pour de la compagnie…et plus si affinités, finalement l’idée que des gars puissent vouloir payer pour se faire écraser les bourses en se faisant traiter de sac à merde me fait revoir légèrement ma position. “-Ouais, bah…que veux-tu…y’a des tarés partout. Et il est où le romantisme, putain ? Les mecs qui offrent des fleurs, et des chocolats, et regardent les étoiles en déclamant des poèmes, et…” Ouais, bon…je suis même pas capable de finir ma phrase sans ricaner, parce que ouais, ça non plus, c’est pas vraiment dans les habitudes de la maison. “-Enfin…disons un juste milieu entre les cœurs d’artichauts et ceux qui aiment se faire marcher dessus et détruire.” C’est peut-être pour ça qu’on a personne, finalement. Parce qu’on sait même pas ce qu’on veut nous mêmes.

Mais c’est pas si grave, hein ! On est pas à plaindre, ça non. Les fins de mois sont parfois assez difficiles, c’est un fait, mais c’est comme ça. On est en vie. En bonne santé. Et ma foi…c’est déjà pas mal, non ? “-Forte et indépendante, ouais. Mais je t’avoue que je serai pas contre l’idée que certains jours soient un peu plus faciles.” que j’admets dans un léger sourire contrit. Un truc qui me manquerait pas, c’est de devoir compter tous les dollars et réfléchir scrupuleusement à toutes mes dépenses, et me dire que j’ai pas à choisir entre une boîte de tampons ou du café. Parce que même si on dirait pas, comme ça, les deux sont pas mal vitaux.

On a bien déconné, et faut comprendre par là qu’on s’est bien cherché des poux et chambré mutuellement, mais je sais quand la situation change, et qu’on laisse tomber la déconnade pour parler des trucs qui font chier. Et puis…je devine facilement à la tronche que tire Hailey, là, tout de suite, qu’il s’est passé quelque chose de grave. Et quand elle me raconte ce qu’a fait ce putain de porc de propriétaire de merde, ça me donne envie de lui arracher les yeux, à ce tocard, et de les lui fourrer là où ils verront plus jamais rien. Il me dégoûte cet enfoiré, et ce qu’il a fait, c’est juste dégueulasse. Malheureusement, ce qui est arrivé à Hailey doit arriver à des tas d’autres petites nanas sans le sou, qui ont la malchance d’être logées chez des connards. Et franchement, s’il essaie de la sauter encore une fois, en échange d’un loyer, je compte sur elle pour lui dire d’aller se faire mettre, prendre ses affaires, et se barrer de là. Une fois, c’était déjà bien trop. Sauf qu’au lieu de prendre ça au sérieux, elle choisit de faire une vieille vanne débile qui me donne envie de lui botter le derrière, même si je vois bien à son expression que le cœur y est pas autant qu’il le faudrait. “-Dans tes rêves. T’es trop bordélique, et tu passes trop de temps dans la salle de bain.” Même si ouais, peut-être que c’est ça, la clé de toutes nos emmerdes, de se faire une coloc. Ca diviserait certaines charges par deux, et ça ferait vraiment du bien à nos budgets. Mais est-ce qu’on est prêtes à vivre ensemble ?

En attendant d’être assez bourrées pour y réfléchir vraiment, je finis par sortir de mes poches les quelques billets que j’ai. C’est pas grand-chose, mais ça devrait permettre de remplir un peu le frigo, et d’être tranquille pour quelques jours. Et je m’en fous de la menacer à moitié pour qu’elle accepte ma thune. Je vais pas la laisser dans la merde si j’ai une solution à portée de main. Je pose tout devant sa tronche, et lui lance déjà un regard chargé de menaces, au cas où il lui viendrait à l’idée de refuser cette petite aide. Faut au moins ça, juste au cas où la menace des pâtes aux petits pois ou des choux de Bruxelles soit pas assez effrayantes. “-Bah…je sais pas. Des bobos bio écolo ? Je me demande quel goût ça peut avoir…” Après tout, si ça existe, c’est bien qu’il doit exister des gens pour les acheter…et les bouffer. “-Mais ouais…évidemment que je suis sûre. Je te dis que j’ai tout ce qui me faut dans mes placards, et j’ai des fringues sur le dos. Donc…tout va bien. Tu peux les utiliser sans souci.” que j’ajoute en poussant encore un peu plus le tas de billets jusqu’à elle, avant de balayer l’air de la main : “-Mais t’inquiètes. Tu me rendras ça quand tu peux. Y’a pas urgence. Faut vraiment pas te biler pour ça.” Vraiment pas. C’est pas comme si j’avais un petit carnet où je notais scrupuleusement ce que je prête, et à qui. Quand c’est pour les proches, je compte pas.

Merde alors…je disais bien que ça allait me monter à la tête hyper vite. Je sais pas trop si c’est parce que j’ai perdu l’habitude de picoler -on peut pas bosser et se mettre des mines en même temps- ou si c’est juste la fatigue, mais je sens l’état d’euphorie s’installer lentement…mais sûrement. J’attrape une empanadilla, et mord dedans à pleines dents, profitant de ma mastication pour regarder autour de moi, alors que ça cogite un peu sous mes boucles. “-Hé…” que je lâche pour attirer son attention, croquant pourtant une nouvelle fois dans le petit chausson. “-Tu crois qu’on devrait vraiment réfléchir à cette histoire d’habiter ensemble ? J’arrive pas à savoir si ça pourrait le faire, ou si c’est le genre de fausses bonnes idées qu’il nous arrive d’avoir quand on est ensemble.” Et bordel, y’en a eu des tas. Mais là…là, je sais pas. J’arrive pas trop à savoir ce qu’il en est. Mais si y’a bien une chose que je sais avec certitude, c’est que je veux pas foutre en l’air notre amitié.

Je ricane un peu, aussi bien parce que la conversation a rien de sérieux, que parce que l’alcool commence à m’aider à trouver tout absolument marrant. Boire quand on est crevée, c’est clairement pas l’idée du siècle, mais je regretterai ça demain, quand la lumière m’agressera les rétines et que ça jouera de la basse dans ma tête. Là, ce soir, j’ai envie de pas me poser trente six mille questions, de pas réfléchir aux conséquences, et de juste profiter de l’instant présent. Un truc que j’ai pas souvent l’occasion de faire. “-Tu sais, si tu veux les revoir, mes boobs, pas besoin de tout ce cinéma là, il suffit de demander !” que je dis d’un air malin, lui adressant un grand sourire malicieux. Ce qui en soit serait ni la première, ni la dernière fois.

Je sais pas comment on en vient à parler si vite de mecs. Ou plutôt, à parler de l’absence de mecs dans nos vies. Ouais, bien sûr que c’est un sujet qui fait nécessairement son apparition au cours de nos soirées, à un moment ou à un autre. Mais d’habitude, c’est pas aussi vite. Même si le timing est pas le même, le fond, lui, change pas. Hailey et moi, on a vraiment deux façons différentes de voir les choses, et j’imagine que c’est pas prêt de changer. Alors, quand elle me répond qu’avoir un mec est, selon elle, un plaisir et non un besoin, je retiens pas une petite grimace, répondant presque aussitôt : “-Tu sais que je fais rarement ce genre de choses. Les plans cul, c’est pas ma came…” en terminant mon verre, me retenant de lui redonner mon avis sur ces sugar daddy à la con. Je crois que ma première réaction était déjà bien assez claire sur le sujet.

Alors que je me contente simplement et de manière très mâture de tirer ma langue pour toute réponse à sa remarque sur celle d’entre nous qui est censée être, ou ne pas être, la fragile du duo, Hailey enchaîne sur un de ces sujets où je suis pas sûre d’avoir envie de débattre avec elle. Elle utilise des tas de mots pour essayer de me faire croire qu’elle pense pas qu’elle est la plus bonne de mes copines, et pour toute réponse, je soupire exagérément, bien bruyamment, histoire qu’elle passe pas à côté du fait qu’elle m’agace, tandis que je lève les yeux au ciel en me contentant d’un simple : “-Ne se prononce pas.” On va quand même pas débattre toute la soirée pour savoir qui d' elle ou moi à raison. Il suffit de voir son nombre de conquêtes, ou le nombre de gars qui se retourne sur elle au bar ou en boîte. CQFD : évidemment que c’est moi qui ai raison.

Vient soudain sur le tapis ce brave jeune homme, qui a pas accordé à Hailey autant d’attention qu’elle le mérite. Et je connais suffisamment bien la brune pour savoir que ça a dû méchamment piquer son égo. Son pouvoir de séduction est l’une des armes dont Miss Riva use et abuse à l’envi. Je fronce un peu le nez aux aveux de mon amie, secouant légèrement la tête : “-Ça allait peut-être plus loin que juste ça…imagine elle l’a quitté en prétendant qu’elle voudrait jamais d’enfant alors que lui en voulait, et là, BAM, il découvre qu’elle est enceinte d’un autre. Tu sais, comme c’est arrivé à Jared, le pote de nos frères. Ça doit foutre un coup…” que je dis en repensant à cette vieille histoire. Pauvre Jared et son petit cœur brisé. Je valide quand même le fait de pas être un second choix, ou un pansement, mais Hailey me connait assez pour savoir que je le pense, sans avoir besoin de le verbaliser.

Et pour ce qui est de la suite, ma foi…nos avis divergent une nouvelle fois. J’hausse les épaules à sa remarque, avant de rétorquer : “-Moi j’ai hâte d’avoir un mini toi à gâter, à qui apprendre des bêtises, et qui m'appellera Tatie Andy !” Et je le dis même si je sais qu’Hailey va s’offusquer, et me faire tout un exposé sur pourquoi, elle voudrait jamais d’enfant, sur le fait qu’elle veut pas voir sa silhouette changer, que les nausées, très peu pour elle, que les vergetures ça la tente pas, et j’en passe. Peut-être que l’idée de la faire râler un peu est un peu trop tentante, mais je saute quand même dessus à pieds joints. Louper une occasion de la faire chier ? Jamais. Et puis…on va pas se mentir, je le pense. J’ai hâte que mes amis soient parents, et qu’on ait des tas de mioches autour de nous. Même si ouais, la problématique reste la même, dans cette belle ville qui est la nôtre.

Je prends le temps de me resservir un verre, avant d’attacher mes cheveux dans un chignon lâche. L’alcool m’a donné chaud, et vu la dose qui vient de tomber par mégarde dans mon verre -hm hm- je crois que je vais avoir encore plus chaud d’ici quelques minutes. Et pour le coup, c’était sans compter sur cette phrase qu’Hailey vient de lâcher, l’air de rien. Y’a cette rumeur qui existe sur les latinas, et ce sang chaud qui coule dans nos veines, nous rendant promptes à la réaction. Autant dire que là, la remarque d’Hailey fait bouillir le mien dans mon corps, et même si elle lève ses mains devant moi en prétendant rigoler, je brandis un index menaçant entre nous :“-Écoute moi bien, Hailey Reagan Riva…si j’apprends, d’une façon ou d’une autre, que t’as cherché à revoir ce gros fils de pute, je t’attache à ton lit, tu m’entends ? Je t’attache à ton lit, jusqu’à ce que cette idée à chier te sorte de la tête…ou je te fais enfermer dans un couvent ! Et je suis sérieux, hein !” Et l’entendre rigoler me donne envie de lui botter le cul. Même si pour ça, faudrait qu’elle se lève, que je me lève aussi, qu’on se mette en position…et ouais, flemme.

Sérieux putain, Kyle. Ce sale enfoiré de connard de merde de Kyle. Hors de question de laisser Hailey retourner vers ce gars, qui mérite rien de mieux que la petite cellule dans laquelle il est en train de moisir. “-Nan, je t’ai dit que je voulais pas de mec.” que je réponds de manière un peu trop abrupte, encore énervée par sa tentative de boutade à la con. Kyle…rien qu’à entendre le prénom résonner dans ma tête je sens venir la crise d’urticaire. Je me rends compte que toute occupée à râler au sujet de son ex, j’ai descendu plus de la moitié de mon verre, et qu’il faudrait vraiment que je ralentisse si je veux pas me retrouver à danser sur le canap d’ici peu. Je pousse un long soupir, comme pour évacuer ce trop plein soudain de colère, les yeux clos. Une boutade, Espinoza, c’était rien d’autre qu’une boutade foireuse. La nouvelle remarque d’Hailey m’arrache un regard blasé, alors que je réponds à mi-voix, sans savoir si c’est vraiment à elle que je m’adresse : “-Bah ouais, apparemment les bad boy et les sugar daddy, c’est plus intéressant…” que je grommelle en boudant un peu.

Quand j’apprends ce qu’à dû faire Hailey la dernière fois qu’elle a pas eu les moyens de payer son loyer, je ressens de nouveau ce même élan de colère que précédemment quand elle a prononcé le prénom de son ex. C’est moi, où Downfall cumule vraiment un nombre sacrément élevé d’enfoirés au mètre carré. Ce mec me dégoûte. Lui, et tous ceux dans son genre qui profitent de situations compliquées pour tirer leurs coups. Gerbants. Alors, ouais, bien sûr que si ce connard essaie de la refoutre dans son pieu sous prétexte qu’elle a du retard sur son loyer, elle sera la bienvenue à l’appart. On sera serrées, encore davantage avec toutes ses affaires, mais au moins elle restera bien loin de son propriétaire. Est-ce que c’est une fausse bonne idée, d’habiter avec elle ? J’avoue que j’en sais rien. J’ai les idées un peu brouillées, aussi bien par l’alcool bu trop vite que par son aveu. Je me retrouve quand même à hocher lentement la tête quand Hailey met le doigt sur la situation des garçons, qui se sont jamais aussi bien entendus que depuis qu’ils ont emménagé ensemble. Mais nous, elle nous conviendrait cette vie à deux ?
Je me retrouve à réfléchir bien plus que ce qui était prévu à la base, essayant de voir au-delà de la simple idée. Le loyer serait forcément plus cher, puisque l’appart plus grand si on veut chacune notre chambre -ce qui est non négociable-, et les factures plus élevées. Mais on aura aussi deux salaires pour supporter toutes ces charges. Et sans compter l’aspect matériel de la situation, même si elle est presque au cœur du problème, faut dire que la perspective de pas trouver un appart vide à chaque fois que je rentrerai du boulot est séduisante. Je suis arrachée à mes réflexions par l’échange qui se tient à quelques mètres de moi, et qui m’arrache un froncement de sourcils. Elle m’avait jamais dit que y’avait une sale ambiance dans son immeuble, et pourtant de ce que j’entends de là où je suis, on nous reproche d’être trop bruyantes, alors que je nous trouve plus que raisonnables ce soir.

Mes sourcils se haussent quand je l’entends parler de déménagement, et acter ce qui était encore au stade de projet de soirée un peu alcoolisée. Ah bon bah…on dirait qu’on va devenir colocataires donc. “-C’était qui ?” que je demande quand elle revient s’installer à la table, balayant d’un geste de main sa remarque sur le fait qu’elle ait décidé pour nous deux. Et quand elle me dit que le type en question était son proprio, je me retrouve debout sur mes pieds, à me précipiter vers la fenêtre qui donne sur la rue alors que la porte de l’immeuble, en bas, claque. J’ai une vue dont je me serai bien passée sur son crâne dégarni, alors que suivant cette impulsion qui me vient de je sais pas où, j’ouvre la fenêtre : “-Héééé ! Gros dégueulasse de profiteur ! Tu m’étonnes qu’avec ta sale tronche ta seule occasion de tirer ton coup, c’est de profiter de tes locataires. T’es qu’une sous-merde, tu mériterais de te faire couper la bite, et…” Et même si je continue sur ma lancée malgré son visage si rouge qu’on dirait qu’il va exploser, ce brave proprio a pas l’occasion d’entendre ma poésie parce qu’Hailey m’a tiré en arrière, et a refermé la fenêtre en me jetant un drôle de regard. “-Bah quoi…il le méritait. Et de toutes façons…tu déménages, non ?” que je dis dans un grand sourire innocent, en terminant le verre de nouveau dans ma main.

Je me souviens pas tellement du reste de la soirée. Je sais qu’on a sans doute un peu trop bu, et qu’à un moment, on s’est retrouvées à ranger les affaires d’Hailey dans des sacs en guise de cartons, et à faire la lettre de préavis la plus politiquement incorrecte qui soit. Est-ce qu’on l’a mise sous pli, et envoyée, alors qu’on était complètement torchées ? Est-ce qu’elle a finalement atterri dans l’un des tiroirs d’Hailey ? J’en sais absolument rien. Je sais même pas si ça ferait une énorme différence au fond. Je retiens juste l’essentiel : on dirait bien que je vais devoir déménager, moi aussi.