Oui.C’est le seul mot que je réponds au texto que je viens de recevoir. J’aurais peut-être dû en rajouter davantage. Probablement même. Puis on ne sait pas vraiment à laquelle des deux questions je réponds là. Est-ce que j’ai terminé ? Oui (même si on ne termine jamais vraiment quand on porte une blouse blanche, on est d’accord). Est-ce que c’est toujours bon ? Oui aussi. Par la force des choses. J’aurais volontiers passé la soirée avec Love, sauf qu’elle est en mission escorte là. Ce qui implique qu’elle aura déjà déserté l’appart d’ici à ce que je rentre et que la probabilité qu’elle ne rentre pas avant que moi je décampe demain matin est réelle. À quoi bon rentrer du coup ? De si bonne heure surtout. Je n’ai clairement pas envie de jouer la garde-malade après une journée à enchaîner les consultations bidon (oui oui, ça m’arrive de réussir à suivre mon planning d’origine sans interruptions constantes … ça
arrive). Et encore moins les babysitteurs. Ce qui risque de me pendre au nez vu que ça fait vingt-trois jours que Ada n’a pas fait de crise (y’a pas à dire, le décompte sur le réfrigérateur ça aide). Du coup, je dois bien dire que ce petit texto tombe à point nommé. Même si j’ai failli zapper le rendez-vous. Pour autant qu’on puisse parler de tel. On va prendre un verre après les heures. C’est ce que font les gens qui bossent ensemble non ? Enfin, au même endroit. Car même si on trifouille toutes les deux dans de la cervelle humaine, on ne peut pas vraiment qualifier nos spécialités d’
ensemble. La question, aussi rhétorique soit-elle, mérite débat. Je vous l’accorde là encore ! Ce soir peut-être. Qui sait.
Je commence à ranger mes affaires (à lire : remettre un semblant d’ordre sur un bureau qui transpire la maniaquerie – no comment). Je m’assure que mes notules du jour sont annexées au dossier correspondant. Que toutes les armoires et tous les tiroirs sont fermés à double-tour (non mais j’vous jure, je vais le choper le petit malin qui s’est amusé à tout mélanger la semaine dernière !). Je vérifie six fois, au moins, que rien ne traîne et tout a trouvé son chemin vers mon sac. Gucci cette fois-ci. Non mais il ne faut pas déconner non plus. C’est assurément le seul qui arrive à tenir la cadence dans cette ville. Et, comme il a déjà pu le prouver par le passé, fichtrement efficace en cas d’altercation. Ce qui n’est plus arrivée depuis ma fameuse journée de libre, bousillée par un gamin voleur de téléphone. Preuve en est que Gucci peut être des plus dissuasifs. Pas autant que Bob, mais peu s’en faut. Si seulement les gens savaient … non, il ne vaut mieux pas. Ça ne m’arrangerait en aucun cas que ma pantoufle à quatre pattes révèle sa véritable nature au grand jour. Cette pensée m’arrache un sourire tandis que je termine de glisser mes dernières affaires personnelles dans mon
fameux sac badass.
Et de fait … il se met à sonner. Enfin pas
il au sens propre, mais bien un truc qu’il a avalé à ma demande.
Je lève les yeux au plafond en inspirant bien fort par le nez pour me contenter de cela et rien de plus, disons, bruyant.
J’aurais vraiment dû lancer les paris.
Je pèse le pour et le contre de décrocher. Je connais ce numéro. Tout le monde dans l’hosto connait ce numéro. Enfin, peut-être pas tout le monde, mais on se comprend. Je jette un œil discret à ma montre, histoire quand même de vérifier l’heure. Je prends sur moi. Ferme les yeux et inspire un grand coup. Puis me redresse comme si de rien n’était et accepte l’appel :
- « Je descends. »~ . ~
Je suis descendue.
Je n’aurais pas dû.
Ça aussi c’était couru d’avance.
But hey, on ne change pas une équipe qui gagne.
Juste la chemise dans laquelle elle avait réussi à se glisser.
De fait, j’ai dû échanger la mienne contre un vêtement qui traînait aux urgences. À comprendre, un t-shirt qu’une infirmière a bien daigné me prêter après qu’un patient me soit passé dessus. Là encore, no comment.
Le temps de passer ma tête sous l’eau et d’enfiler cet emprunt et j’ai dû presser le pas pour ne pas arriver en retard. Pas que ça ne m’arrive jamais, mais autant éviter. Puis, ce n’est pas comme si j’avais eu envie de traîner aux urgences plus que de raison.
Heureusement le bar est à proximité. Je ralentis d’ailleurs la cadence à une vingtaine de mètres de l’entrée. Histoire de reprendre mon souffle. Et de reprendre un peu de contenance. Boire un truc entre collègues, ce n’est vraiment pas mon
truc. Pas difficile me direz-vous, vu que de l’autre côté du mur je n’avais personne avec qui partager mon quotidien. Personne avec qui noyer ma pauvre et triste existence. Ouin ouin ouin. Je me secoue légèrement la tête à cette image du passé tout en passant la
fameuse porte d’entrée. Celle-là même qui annonce mon approche d’une petite sonnette pas du tout discrète. Ce n’est d’ailleurs pas dans ce bar qu’on va trouver ça. De la discrétion je parle. Pas qu’on en ait réellement besoin. C’est juste un constat.
Un serveur vient déjà à ma rencontre. Trop tard, j’ai capté le regard de ma consœur et lui fait signe tout en m’avançant en sa direction – niant en live le mec en uniforme qui venait pour m’accueillir. Rien contre toi personnellement chou, mais je n’ai vraiment pas envie de me prendre la tête à te sourire. Ressaies dans dix minutes. Le temps que je compte combien de degrés d’alcool il me faudra pour tenir une soirée de plus.
Je zigzague habillement entre les tables et rejoins rapidement celle réservée à notre attention. Comme c’est attentif. J’espère qu’elle n’attend pas depuis trop longtemps. Il faut dire que j’ai perdu l’heure de vue avec cet encontre dégueulante.
- « Désolée, ce n’était pas le but que tu prennes la poussière à m’attendre. »Va pour le tutoiement. On se côtoie quasi quotidiennement depuis plusieurs semaines, c’est bon quoi. En dehors des murs de l’hosto on a bien le droit de jarter le titre. Au pire, elle me fait les grands yeux et je comprendrai que je passe la soirée avec le
Docteur Selwood.
Je n’attends pas sa réponse que je me glisse hors de mon manteau, dévoilant par la même occasion la tenue improvisée qu’il m’a été donné de porter ce soir. Et avec mes cheveux encore mouillés, je ne vous dis pas le résultat. Heureusement ils sont déjà vachement moins longs qu’il y a quelques semaines de cela. Là encore, je la coupe avant qu’elle ne puisse me balancer quoi que ce soit :
- « Figurez-vous que Thérèse n’est pas moche, elle n’a pas un physique facile… c’est différent. »Plate comme une planche à repasser, forcément mes formes plus
généreuses (tout en étant loin d’être dans l’excès) ressortent dans ce tissu un peu trop moulant à mon goût. Je sens d’ailleurs mon ventre se dévoiler tandis que je passe ma deuxième manche. Non mais c’est vraiment parce que j’avais déjà confirmé par texto sinon c’était foutu. Mais comme je sais ce que ça fait de se prendre un vent …
Bref, m’est avis que ça suffit à lui expliquer le qui, du pourquoi, du comment de cet accoutrement. Elle comprendra.
C’est le moment que choisi ce même serveur (décidemment il est bien insistant celui-là) pour rejoindre notre table, son calepin à la main. Un pti nouveau je présume …
- « Je vais prendre la même chose que la demoiselle. » Et je m’installe sans lui accorder le moindre regard supplémentaire. J’ai encore besoin d’au moins quelques minutes pour décanter. Ça ira mieux après. Ou pas.
Quand il finit par déguerpir, je pose
enfin mon regard sur la chirurgienne assise pil en face de moi. Je tente un semblant de sourire.
- « Je suis plus sympa après le premier verre. Promis. »Je suis même plus sympa tout court d’habitude.
Mais il n’a pas besoin de savoir quelle est la capacité exacte d’un estomac humain.
Il finira bien par le découvrir par lui-même.
Les risques du métier.