L'accueil du motel était un haut lieu de débauche, où le langage corporel était presque toujours à double entente. Kenyon n'avait eu qu'un regard à échanger avec ce client en particulier pour savoir qu'il était intéressé par la marchandise. Parfois, il fallait se montrer un peu plus subtil ; certains faisaient semblant jusqu'à la dernière minute d'être venus pour une femme, puis s'éclipsaient à sa suite quand personne ne risquait de les apercevoir, ou faisaient semblant de lui demander un renseignement agrémenté d'un clin d'oeil entendu. Il pouvait les comprendre, et il était infiniment soulagé de ne plus avoir à se donner tant de peine.
Dans un sens, il vivait ici comme un moine ; il ne s'adonnait au sexe que pour le compte des autres, sa clientèle qui ne lui demandait guère s'il était d'humeur et sa patronne à qui revenait l'essentiel de ses gains. Par ailleurs, il ne sortait pas flirter ou chercher l'amour sur son temps libre. Il ne lui restait plus guère d'énergie pour cela en fin de journée, quand il avait terminé ses passes et ses corrections de devoirs. Ses élèves avaient de la chance : la lassitude le rendait indulgent.
Au début, l'homme prétendit être venu pour un massage. Il travaillait sur un chantier, il s'était fait un tour de reins en soulevant une charge lourde... il allait rester étalé sur le lit et laisser Kenyon travailler. Le prostitué s'était volontiers plié au jeu. Sensuel sans être trop direct, il avait promené ses mains au long de la musculature impressionnante, dénoué quelques noeuds ça et là, prodigué quelques caresses. La nudité du client ne laissait aucun doute sur son état d'excitation, mais ce dernier continuait à nier qu'il était là pour autre chose qu'un massage. Soit, chacun ses kinks après tout. Kenyon avait donc cessé toute approche. L'homme transpirait en le regardant, nu également à cheval au-dessus de lui, animé de mouvements réguliers, une danse où les parties les plus motivées de leurs êtres ne se touchaient pas, tout au plus un frôlement accidentel. Ses yeux étaient brûlants. Le jeune homme se redressa en demandant s'il voulait prendre une douche avec lui, avant de se rhabiller. Une minute passée était toujours une minute payée, après tout.
C'est alors que quelque chose parut se déclencher dans l'esprit de l'inconnu, qui pour tout prénom n'avait donné qu'un sombre "Sam". L'expression de son visage changea et se durcit. Il suivit l'employé dans la cabine de douche, mais il avait plutôt l'air de lui donner la chasse. Sitôt la porte refermée sur eux, il le saisit à la gorge. Ah, enfin ! pensa Kenyon, les choses sérieuses vont peut-être commencer. Un peu de brutalité dans l'acte, voire beaucoup, ne lui posaient pas de problèmes tant qu'il s'agissait d'un jeu. Et cet homme semblait avoir besoin de jeux élaborés pour prendre son pied. Il était prêt à l'accompagner jusqu'au bout, curieux même. Mais la pression était trop vive, et l'homme ne cherchait toujours pas à initier un quelconque contact sexuel. Les signes d'inconfort, puis de supplication du prostitué à sa merci ne faisaient que renforcer l'éclat métallique dans son regard fixe, qui n'avait pas cillé depuis leur entrée dans la douche. L'eau qui ruisselait sur son visage semblait déformer ses traits.
Dans un éclair de terreur, Kenyon comprit que son seul but était de l'étrangler. Il resta paralysé pendant quelques secondes, et sentit un vertige s'infiltrer lentement dans son cerveau. Il fallait agir maintenant ou ce serait trop tard. Sans réfléchir, il se mit à frapper. Il n'aimait pas se battre, mais il jouait avec ferveur les scènes de combat au théâtre, et il avait enregistré quelques chorégraphies, quelques enchaînements qui donnaient l'impression d'une certaine expérience. Entre la douleur et la surprise de le voir contre-attaquer, Sam le lâcha, dérapant sur le sol humide. Il n'en fallut pas plus au jeune homme pour se glisser hors de la cabine. Nu et trempé, il se jeta sur la porte de son logement et eut le temps de l'ouvrir en grand, avant que son poursuivant ne le rattrape. Les insultes fusaient sans qu'il parvienne à les comprendre. C'était pourtant de l'anglais, mais il était dans un état de panique, à peine capable de réaliser qu'il était à nouveau maîtrisé et qu'il fallait appeler au secours.
Sans même prendre la peine de refermer la porte, l'homme le traîna au pied du lit. Son talon prit appui sur la poitrine de sa proie. Il pressait si fort que le cri de Kenyon s'éteignit en sanglots hachés. Il soulevait quelque chose de lourd avec ses bras. Le coin du lit. Rouvrant les yeux, le captif aperçut au-dessus de son visage le pied du lit que l'homme hissait de plus en plus haut, prêt à le faire retomber. Celui-là n'était pas venu pour un peu de compagnie, ou pour un massage, il n'était pas venu pour baiser ; il était venu pour détruire.
Ce soir les affaires marchait bien. Elle le savait car Yelena lui faisait un rapport régulièrement sur ce qui se passait dans le motel. Yelena, sa fidèle « secrétaire » qui était poster a l’accueil et qui veiller au grain. Nastya ne savait pas ce qu’elle ferait sans cette femme, elle avait beaucoup de respect pour elle. Un respect qui était mutuelle. Et même si Yelena était bien plus vieille que Nastya, elle ne la traiter jamais comme une gamine, bien au contraire. Yelena était importante dans la famille, Nastya lui devait beaucoup. Et grâce a elle, elle avait moins de travail. Elle était en train de faire les compte encore une fois et s’apprêter a partir. Elle devait rejoindre sa famille pour passer la soirée avec eux. Ce soir elle avait prévue de laisser les commandes de la boutique a Yelena et partir tôt. Elle en rêver de cette soirée avec Randy et leur fille. Une soirée où elle serait juste maman et femme, et pas maquerelle. Parfois c’était usant comme travail, même pour quelqu’un au cœur quasiment inexistent comme Nastya. Alors elle avait parfois besoin de soirée a souffler et a ne pas penser a son travail. Et ce soir s’en était un. Elle boucla sa compta, fini sa tasse de thé et se leva de son siège. Après avoir ranger son carnet de compta dans un tiroir et l’avoir fermer a clé, elle attrapa son manteau de fourrure blanc immaculer, comme très souvent et l’enfila. Elle avait comme d’habitude son arme tranquillement ranger dans son holster d’épaule, donc il était rapidement cacher par le long manteau blanc. Souvent personne ne soupçonnait qu’elle était armée, et pourtant elle l’était toujours. Elle ne sortait jamais dans les rues de cette ville sans moyen de défense.
Elle était sortie de son bureau et se dirigeait vers la sortie, quand une de ses filles vint en courant vers elle. « Madame Reznikova ! Il y a des bruit bizarre dans la chambre de Kenyon ! » La femme semblait en panique. Nastya posa un regard interrogateur sur la prostituer comme pour lui intimer sans mots d’en dire plus. « On dirait… Une bagarre. » Nastya soupira doucement, elle qui avait envie d’une soirée tranquille. Elle posa les yeux sur Yelena. « Chambre 103 » Qu’elle dit sans même que sa patronne n’est besoin de lui demander. Puis elle posa les yeux sur Dimitri, son grand frère, une armoire a glace blond de presque deux metre de haut et qui ne donner pas envie de faire le malin. L’homme n’eu lui aussi pas besoin que la blonde ne dise un mot, il lui avait déjà emboiter le pas. Ils arrivèrent rapidement a la chambre et ne toqua pas, elle entra directement. Après tout elle était chez elle ici, elle pouvait rentrer où elle voulait, si elle voulait. Effectivement elle tomba sur une scène qui ne lui plut absolument pas. Elle s’éclaircie la gorge pour attirer l’attention du grand homme nue qui menacer de lâcher le lit sur la figure de Kenyon. « On va se calmer maintenant et lâcher doucement le lit ailleurs que sur le visage de mon employer. » Dit elle d’un ton sérieux. Dimitri était a coté de sa sœur prêt a intervenir. On ne pouvait pas douter un seul instant qu’ils étaient frère et sœur, ils avaient un très gros air de famille, mais le sujet n’était pas là. « Qu’es ce qu’elle veut la pétasse là ?! Et t’es qui d’abord, de quel droit tu rentre ici ! » Elle était toujours froide et stoïque, son regard était glaciale. « Je suis la propriétaire des lieux, et j’ai horreur de me répéter, alors pose le lit sur le sol et lâche cet homme. » Dit elle d’un ton encore plus froid. Elle sortie ensuite son arme et la pointa en direction de l’homme agressif. « Et ne me force pas a le répéter une troisième fois, ma patience a des limites. » Toujours sur le même ton. L’homme la regardait par-dessus son épaule, la fixa un instant. Il la testait surement, peut être qu’il pensait qu’elle bluffer. Mais Nastya soutenait son regard avec l’air froid et sérieux. Elle n’avait absolument pas peur de lui. Aucun homme ne lui faisait plus peur depuis très longtemps aussi grand soit il. L’homme se ravisa et posa le lit a coté de Kenyon sans le blesser. Dimitri lui sauta presque dessus et avec une clés de bras l’immobilisa. Il l’éloigna de Kenyon et alla installer le client sur un des siége présent dans la chambre.
Nastya s’approcha de Kenyon après avoir ranger son arme délicatement sous son long manteau blanc a la fourrure immaculer et se pencha un peu vers lui. « Es ce que ca va ? » Qu’elle lui demanda, d’une voix un peu plus amicale. Elle remarqua les blessures qu’il avait. Elle appellerait le docteur quand ils en auraient fini avec cet homme récalcitrant. Elle pouvait oublier sa soirée tranquille visiblement. Elle laissa le Syrien reprendre ses esprits et se relever. Elle le fit s’assoir sur le lit, toujours en le fixant. Elle n’avait pas cillé une seconde face a la nudité des deux hommes. Elle se fichait pas mal de cela, elle en avait vue tellement pendant sa courte vie. C’était juste quelque chose que seule Dimitri savait dans cette piéce, elle aussi elle avait vendu son corps. « Raconte moi ce qu’il s’est passer. » Dit elle simplement. « C’est qu’une grosse péda… » L’homme qui était toujours assis sur un siége avec Dimitri a coté de lui qui le surveiller avait commencer a hurler. Nastya avait lever un doigt en sa direction d’un geste sec pour l’arrêter. Elle ne posa même pas les yeux sur l’homme, restant son attention visuel sur Kenyon. « On va faire un truc, toi tu l’ouvre que quand je te dis de le faire. » L’homme grinca des dents. « Et sinon quoi ? » Nastya soupira doucement et Kenyon put voir une sorte de l’assitude dans son regard. « Dimitri. » Le grand frère de Nastya ne dit pas un mot et colla une droite dans le visage du client récalcitrant. « On est d’accord ? » Elle entendit l’homme déglutir. « Parfait. Donc. Tu me raconte s’il te plait ? » Qu’elle dit a nouveau a Kenyon cette fois. C’était surement la première fois que Kenyon assisté a ce genre de chose depuis qu’il travaillait pour Nastya. Surement la première fois qu’il voyait sa patronne agir comme cela. Elle qui semblait pourtant si belle et fragile. Oui, la elle révélait a son employer un peu de son réel visage. Elle n’était pas aussi fragile qu’elle n’en avait l’air.
Combien de temps faudrait-il avant qu'on le retrouve ? Aurait-il encore en lui un souffle de vie, et prendrait-on la peine de le ranimer ? C'est tout ce que Kenyon était capable de penser en ce moment. Le coma avait l'air de d'option la plus rassurante. Il n'osait même plus hurler, de peur de déclencher la rage de son agresseur : d'ici quelques secondes tout au plus, il ne serait plus en état d'arrêter ses gestes. Inconscient, peut-être, dans un sens il l'espérait.
Tout à coup, la tornade se heurta à une autre et les éclairs fusèrent tout autour de lui. Il était dans un abattoir, il se retrouvait dans un champ de bataille. Une sorte de courant glacé parcourut tout son corps et il se sentit sombrer. Il allait s'effondrer, la terreur le rendait physiquement malade et il ne s'était jamais senti aussi mal sous le joug des grosses fièvres qu'il avait connues au cours de sa vie. Et pourtant, il était paralysé, impossible même de rouler sur le côté pour se soustraire au risque, de ramper jusqu'à une cachette. Il songea que s'il avait la nausée dans cette position, il risquait de s'étouffer, puis ce fut le trou noir pendant une minute. Quand il émergea, le visage de sa patronne était penché sur lui. Elle avait presque l'air soucieux. Oh, comme il s'en voulait de lui causer un tel choc... Lui qui avait promis qu'il se débrouillerait très bien.
Elle n'avait pas l'air fâchée, en tout cas, pas vraiment. Il avait presque l'impression qu'elle n'avait pas compris la gravité de la scène. Mais c'était plus subtil que ça ; elle avait compris et elle avait fait disparaître cette gravité, d'un claquement de doigt. Elle était une déesse descendue parmi les hommes pour rendre la justice, et rien ne pouvait l'impressionner. "Je suis désolé," murmura Kenyon en surmontant un frisson pour bloquer sa mâchoire, cherchant désespérément à reprendre le contrôle de ses nerfs. "Je suis vraiment désolé, tout est de ma faute."
Pour se calmer, il se répéta mentalement la liste des mots-pièges qu'il avait placé dans sa dernière dictée, au collège. Une blague pour les gamins, il ne noterait pas ces fautes-là. Une visite au zoo, les animaux mignons du bout du monde, le potamogale velox, le binturong, le myrmidon, le tenrec zébré, l'oryctérope du Cap... petit à petit, sa respiration hachée s'apaisait et la couleur revenait à ses joues. Il n'allait pas faire un malaise, il n'allait pas s'évanouir. Ce n'était pas le moment : deux yeux étaient braqués sur lui et il voulait se rendre utile, pas s'effondrer. Il voulait qu'elle le garde. Il ne voulait surtout pas qu'elle le rejette dans cette nuit terrifiante où des monstres comme ce client l'attendaient à tous les coins de rues, mâchoires grandes ouvertes pour le broyer.
Une pensée soudaine traversa son esprit, menaçant de le rejeter en crise de nerfs. Qu'est-ce qui allait arriver au client maintenant ? Qu'est-ce qui était prévu dans ces cas-là ? Il allait recevoir une amende ? Le coup en plein visage l'avait fait sursauter. Il était sur le lit et il ne risquait pas de tomber, mais l'envie de se recroqueviller sur lui-même lui faisait serrer les poings.
"Monsieur voulait juste un massage. Je lui ai fait des avances. Il a mal réagi mais... ça peut arriver à tout le monde. Monsieur, je vous fais toutes mes excuses, c'était une stupide méprise de ma part. Je n'aurais jamais dû me méprendre sur vos intentions."
Son regard se releva brièvement dans la direction du client, qui semblait à moitié méprisant, à moitié abasourdi, mais pas vraiment conscient du risque qu'il avait pris. Kenyon, lui, savait à quel point ses patrons étaient dangereux. Il le savait d'un point de vue intellectuel. Et il était en train de l'apprendre d'un point de vue viscéral. Il aurait voulu se jeter à genoux aux pieds de cette belle dame blonde, qui était sans doute à l'origine du nom d'Angel's Nest porté par le bordel, et la supplier. Mais il restait paralysé, reportant son attention rapidement de l'une à l'autre des personnes présentes, sans savoir d'où arriverait la prochaine explosion de violence.
Il ne voulait pas qu'on fasse encore du mal à quelqu'un. Très égoïstement, il ne voulait pas voir ça. Son stock de cauchemars était déjà plein, et il ressentait une montée rapide de cette vieille culpabilité familiale dont il n'était jamais arrivé à se défaire totalement. Elle le suivrait sans doute toute sa vie, et la perspective d'une exécution sommaire la réactivait cruellement. Mais ce n'était pas à lui de rendre le verdict, ou de chercher à l'influencer en aucune manière.
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