The first step...

Après s’être longuement étiré, Wes’ jette un œil à sa montre, alors qu’il profite d’un instant de calme entre deux patients. Ca n’a pas désempli depuis ce matin et, même s’il aime être occupé, il aurait largement préféré avoir moins de monde qui se bouscule au portillon. Il faut dire que les gens qui viennent au dispensaire n’ont pas les moyens de se rendre à l’hôpital. Et, comme à chaque fois, ça lui serre le cœur.

Un bref regard à la gamine qui attend, serrant la main de sa mère avec force, ses grands yeux apeurés fixant tout autour d’elle avec une inquiétude palpable d’ici. Il retient un soupir et se pare de son plus beau sourire, alors qu’il s’approche des deux femmes. « Alors, il parait qu’on joue à la cascadeuse ? » Hochement de tête timide, alors que la mère commence à expliquer ce qui s’est passé. Missy a glissé sur le balcon et son menton a frappé la rambarde. D’où la violente coupure au menton. De plus près, la petite a les yeux rougis de larmes et semble prête à pleurer de nouveau. Mais, comme à son habitude, il prend le temps de la distraire, de lui faire oublier la douleur, à défaut d’avoir de quoi la traiter convenablement. Dire qu’ils manquent de moyens est un euphémisme mais, là encore, il s’est habitué à faire de son mieux.

Finalement, elle accepte qu’il nettoie la plaie et supporte bravement les deux points de suture qu’il finit par poser. Un clin d’œil dans sa direction alors que deux grosses larmes débordent tout de même et il finit par fouiner dans son tiroir après avoir posé un pansement sur la blessure. « T’as été super courageuse. Tiens. » Une énorme sucette qu’elle attrape, les yeux ronds. « C’est pour moiii ? » Un regard à sa mère qui hoche la tête et elle saute de son siège, ravie, oubliant visiblement la douleur l’espace d’un instant. « Je vous laisse passer dans quelques jours pour enlever les points. Si elle a mal, donnez-lui ça… » Une plaquette de médicaments. Clairement, il n’y a rien de bien légal dans la façon dont le dispensaire a pu la récupérer, mais ça fait longtemps qu’il ne s’arrête plus à ces détails.

Un coup de nettoyage avant un nouveau patient et les heures s’enchainent. La fin de la journée approche et il ne reste plus qu’une personne qui patiente. Attrapant le petit formulaire qu’elle a rempli en arrivant, il a un bref froncement de sourcils en voyant qu’elle s’est contentée d’indiquer son prénom et son âge. Et un vague chute dans les escaliers. « Mmmh… » Pas de commentaires mais plutôt un soupir silencieux. « Asha ? C’est à vous. » Et, s’il garde sa mine impassible habituelle, l’état dans lequel la jeune femme qu’il a face à lui est lui fait penser à bien des choses. Mais pas à une chute dans les escaliers. Retenir son agacement, comme à chaque fois qu’il tombe sur une personne qui a pris des coups, il se contente de souffler, d’une voix douce. « Je suis le docteur Wesley Dawkins. Tout le monde m’appelle Doc, ou Wes’, c’est comme vous préférez. On va papoter quelques minutes et après, je vais vous examiner. Ca vous va ? » Quelques secondes de silence, avant qu’il ne reprenne, jetant brièvement un coup d’œil au formulaire. « Vous voulez me raconter ce qui s’est passé ? » Et, avant qu’elle n’ait le temps de répondre. « Au cas où… tout ce qui se dit ici reste confidentiel. Mais on peut rester sur la chute dans les escaliers. Ou la porte agressive. C’est vous qui voyez. » Après tout, ce ne serait pas la première et il est malheureusement conscient que ce n’est pas la dernière. Mais, déjà, lui laisser le temps de répondre.

Asha a conscience qu'elle a mauvaise mine. Plusieurs personnes se retournent sur elle dans la salle d'attente mais elle ne se démonte pas et soutient leur regard avec un petit sourire. Son visage est marqué de plusieurs hématomes et sa lèvre est abimée. Cette fois encore, David n'y est pas allé de main morte. C'est une banale dispute qui a dérivé une fois de plus. Il lui a reproché de passer trop de temps au bar au détriment de leur couple. Elle n'y peut rien, c'est son lieu de travail, elle est tenue d'y passer un certain nombre d'heures dans la journée, parfois jusque tard le soir. Lui, il veut qu'elle arrête son travail, qu'elle reste à la maison, ce qu'elle refuse par dessus tout. Il en est hors de question. Elle a tenté de défendre sa position et les premiers coups sont tombés. Elle a conscience qu'elle devrait le quitter, qu'il n'a pas le droit de porter ainsi la main sur elle, mais son emprise est plus forte. Ils passent de bons moments ensemble, tous les deux et il s'excuse toujours après, il prétend qu'il regrette et qu'il va se faire soigner. Elle le croit, parfois, trop souvent.  

Un petit soupir lui échappe quand elle remplit le formulaire qu'ils lui donnent à son arrivée au dispensaire. Elle n'a pas envie de s'étendre sur les raisons de sa présence ici, alors elle griffonne son prénom, son âge et prétend une chute dans l'escalier. Ce n'est pas la première fois qu'elle consulte après que David se soit montré violent et généralement, les médecins ne cherchent pas vraiment à savoir ce qu'il s'est passé. Trop occupés, ils se contentent de soigner, de donner des médicaments ou de lui faire passer une radio, et c'est parfait, elle n'en demande pas plus.

Les heures défilent, peu à peu, la salle se vide de ses occupants. Asha patiente, tranquillement, un livre en main. Les moments calmes dans sa vie sont trop rares généralement. De temps en temps, ses yeux se lèvent de son livre et observent tout autour d'elle. Ils s'attardent sur certains patients, et elle se demande les raisons qui les emmènent ici. Après presque deux heures d'attente, son tour arrive enfin. Elle se lève, range son livre et s'avance vers le médecin. Il se présente et elle apprécie tout de suite son air avenant. « Bonjour Doc'. On vous a déjà dit que vous avez les yeux les plus extraordinaires qu'il soit ?» réplique-t-elle d'une petite voix malicieuse. Évidemment qu'on lui a déjà dit, on ne voit que ça, ses yeux bleus qui éclairent tout son visage. Elle tend sa main valide. « Asha Williams, mais tout le monde m'appelle Ash' » Elle grimace légèrement quand il affirme qu'ils vont parler un peu avant qu'il l'examine.

Une fois à l'écart des regards ou oreilles indiscrets, le médecin lui glisse que tout ce qu'ils vont dire ici, restera confidentiel. Asha pince ses lèvres, légèrement surprise par la réplique du médecin. Il ne fait aucun doute qu'il ne croit pas en sa version des faits. Elle se reprend vite et réplique simplement : « C'est compris. C'est une porte agressive qui m'a poussée dans l'escalier» Elle hausse les épaules et comme à son habitude, elle préfère utiliser l'humour que dire la vérité. Asha se méfie toujours, elle a peur que les médecins contactent une assistante sociale ou une psychologue qui viendront mettre le nez dans sa vie et mettre encore plus le bazar. Elle peut s'en sortir toute seule, elle en est persuadée. Elle l'a toujours fait ainsi, depuis tant d'années et pas qu'avec David, avec sa mère aussi, à l'école, chez elle... Asha ne fait que ça, se débrouiller, depuis toutes ces années, alors ce n'est pas aujourd'hui qu'elle laissera un médecin l'aider.

Que s'est-il passé ? Asha sort le baratin habituel « Je suis tombée » souffle-t-elle enfin. « Je me suis réceptionnée sur le poignet et il est douloureux. » Ce n'est pas totalement faux, elle est effectivement tombée quand David l'a poussée. Asha soulève la manche de son t-shirt et dévoile un avant-bras tuméfié. Plusieurs hématomes anciens et d'autres plus récents marquent sa peau. « J'ai du mal à le bouger, je voudrais être certaine qu'il n'est pas cassé. » Quand elle tente de le bouger, elle grimace. « Je suis serveuse alors j'espère que ça n'est pas grand chose... » Cela va être difficile de servir les clients avec un bras dans le plâtre. « Je me suis fait mal à une côte aussi... » Elle ne pense pas qu'elle soit cassée, mais ça reste très douloureux.

Il lui rend un sourire et, surtout, une œillade malicieuse, quand bien même il observe avec attention ses mouvements et les traces de coups qu’il peut deviner, se doutant bien qu’il y en a bien plus couverts par les vêtements. Rester zen est parfois plus compliqué qu’il le voudrait, surtout dans ce genre de situations où il sait être parfaitement impuissant. Evidemment, il repense à son seul accès de colère au boulot qui lui a valu de se faire virer de l’armée. Alors, depuis, il se contient, quoi qu’il puisse penser réellement de ce qu’il a sous les yeux. Et il est bien conscient que ça n’aiderait la jeune femme en rien dans l’immédiat.

A défaut, il peut au moins essayer de la mettre en confiance et de l’aider à se livrer un peu. Il sait que ce serait déjà proche de l’exploit, mais ça ne coûte rien. Alors, il joue le jeu et soufflé, d’un ton léger. « On me le dit souvent oui. Et je me sens obligé d’envoyer un message à ma mère dans ces moments-là vu que j’ai hérité de ses yeux. » Et, toujours sur le même ton. « Mais c’est toujours fort agréable à entendre. » Il lui serre doucement la main, hochant la tête au reste. « Et bien, enchanté Ash. Vos yeux ne sont pas mal non plus. »

Forcément, ses lèvres se pincent et il peut sentir qu’elle est aussi sec sur la défensive, même si elle continue de faire mine de prendre tout ça à la légère. « On ne peut plus se fier aux portes de nos jours. C’est assez terrible. » Pas besoin de pointer du doigt le mensonge, il est assez gros pour qu’il comprenne le message. Elle ne veut pas parler de celui qui lui a fait ça. Bien. Soit. Il trouvera un autre moyen. Ou, en tout cas, il va essayer. « Faut faire attention, les portes sont souvent des récidivistes, même quand elles s’excusent et disent que ça n’arrivera plus. » Soufflé d’un ton plus neutre, alors qu’il attrape l’avant-bras qu’elle tend et qu’il note le baratin qu’elle lui sort.

Nouveau froncement de sourcils alors qu’il s’attarde un instant sur les coups plus anciens, mais il se garde de tout commentaire avant de finir par reprendre, d’un ton plus doux. « On va d’abord s’occuper de votre poignet et on verra pour la côte après, Je vais faire quelques manipulations pour voir si c’est juste foulé ou si c’est plus grave. D’accord ? N’hésitez pas si c’est trop douloureux, je m’arrêterais de suite. » Il guette le hochement de tête avant d’effleurer son bras et de commencer l’auscultation. « Serveuse avec une seule main, ça aura le mérite d’être original au moins. Vous bossez où ? » Histoire de détourner un peu son attention de la douleur. Il est bien conscient de ne pas être particulièrement subtil, mais peu importe. C’est la finalité qui compte.

Et il appuie sur certains points précis, avant de finir par reposer doucement le poignet de la jeune femme sur le bureau. « J’imagine que c’est la porte qui vous a poussée ? Vous vous êtes mal réceptionnée. Point positif, on dirait que rien n’est cassé. Point négatif, ça va être douloureux un bon moment et il va falloir faire quelques exercices de kiné pour pas qu’il y ait de séquelles. » Si elle est venue au dispensaire, il est à peu près certain qu’elle n’a pas les moyens de s’acheter un atèle, encore moins de passer une radio pour confirmer le diagnostic. C’est pour ça qu’il fouille un instant dans un tiroir pour sortir plusieurs atèles de poignet, les comparant pour voir laquelle serait la plus adaptée. Il hésite un instant, avant de reprendre, désignant les hématomes plus anciens. « Il y a besoin de vérifier quelque chose pour les … problèmes plus anciens ? »

Son regard accroche celui d’Ash’ quelques instants, toute trace de malice disparue dans ses yeux. Et il ajoute, toujours sur le même ton doux. « Je vais regarder pour votre côte maintenant. Si vous préférez garder votre t-shirt, vous pouvez, je me débrouillerais avec. » Vu la façon dont elle a été traitée, ça ne le surprendrait pas plus que ça.  

La conversation est lancée, sur des sujets légers, bien loin de la situation complexe du jour. C'est un peu sa manière à elle de se défendre : rire, plaisanter, ne pas regarder la réalité en face, et ça lui va très bien. « Oh, merci ! Je remercierais bien ma mère pour ça, mais elle a les yeux bleus, alors je tiens surement ça de mon père » Asha lui fait un petit clin d’œil. Elle n'a jamais connu son père alors il serait bien difficile de lui envoyer un message.

Le docteur lui parle des portes qui ne sont plus fiables « Elles sont vicieuses même ! » continue-t-elle sur le même ton léger. Quand il évoque le fait qu'elles soient récidivistes, le regard d'Asha coule vers lui avant de se détourner. Elle ne répond rien. Que pourrait-elle dire ? Il a raison. David s'est déjà excusé et il a promit qu'il ne recommencerait plus, mais les coups sont revenus, encore plus violents. Visiblement, ce médecin sait de quoi il parle et ce qu'elle peut vivre. Asha pince ses lèvres, sans rien dire de plus, elle hausse les épaules.

Elle remarque qu'il s'attarde un peu trop sur ses hématomes plus anciens et elle doit se faire force pour ne pas redescendre sa manche et les cacher. Elle se mord la lèvre et ne dit rien. Il suffit qu'elle garde son calme, qu'elle ne dise rien et il se contentera de la soigner. D'ailleurs, il change bien vite de sujet pour rebondir sur le fait qu'elle est serveuse. « Je travaille dans le bar au coin de la rue, celui qui fait l'angle. » Elle s'arrête quelques secondes, le dévisage et continue, un petit sourire en coin : « D'ailleurs, je ne vous y ai jamais vu, vous croulez sous le travail et n'avez pas le temps de sortir ? » Oh, elle ne le drague pas, même s'il est loin d'être repoussant, au contraire. Elle tente juste de détourner complètement l'attention de son état. Il manipule son poignet et elle grimace lorsqu'il palpe une zone plus douloureuse.

Asha garde le silence lorsqu'il demande si c'est la porte qui l'a poussée. Effectivement, c'est bien David. Et s'il ne s'était contenté que de la pousser, elle ne serait surement pas venue. Non, elle sent encore ses coups dans le ventre. « Ok, super si ce n'est pas cassé. Vous inquiétez pas pour le reste, j'ai une très bonne résistance à la douleur. » Elle ne parle pas des coups mais juste de son poignet. La douleur peut être forte, elle ne l'empêchera pas de travailler. Par contre, quand il évoque des consultations chez le kiné, elle ne répond rien mais elle sait déjà qu'elle n'ira pas. Ce sera forcement hors de prix. A la place, elle lui demande : « Je ne suis pas sûre d'avoir le temps d'aller chez le kiné, vous n'avez pas quelques exercices à faire à la maison ? » Qui ne tente rien, n'a rien après tout.

Quand il évoque les "problèmes plus anciens", Asha se contente de secouer la tête. « Non, ce ne sont que de vieux bleus. » Inutile de lui sortir l'histoire de la porte, cette fois, ce serait ridicule. Le docteur se montre plus doux, compréhensif. Elle ne s'attendait pas à cette bienveillance et ça la déstabilise. Il lui propose de garder son t-shirt et qu'il se débrouillera pour regarder ses côtes. « Non, ça va. » souffle-t-elle. De toute façon, il en a déjà trop vu, alors autant lui faciliter l'examen. Asha n'a jamais été pudique mais là, elle a conscience qu'elle ne se présente pas sous son meilleur jour. Avec l'aide d'une seule main, elle fait glisser laborieusement son t-shirt, pour se retrouver en brassière. Son torse a d'importants hématomes, dont un en particulier, là où elle soupçonne une côte cassée. David lui a donné un coup de pied.

Elle s'allonge pour qu'il puisse l'examiner et grimace sous l'effet de la douleur. « Je sais ce que vous vous dîtes. » Asha regarde le plafond. « Il n'est pas violent tout le temps. Il va se faire soigner. » Elle se mord la lèvre. « Elles vous disent surement toute ça... » Elle-même se rend compte de l'absurdité de sa situation... « Il s'excuse à chaque fois... » Asha s'agace de sortir le même baratin que toutes ces pauvres filles battues par leur copain. Elle ne se pensait pas aussi faible pour se retrouver dans la position de la victime. « C'est mon époux, ce n'est pas simple. » Non, il est policier en plus, personne ne la croira. Sa propre mère ne l'a pas cru quand elle s'est confiée a elle, même en lui montrant ses hématomes. Elle a seulement prétendu qu'Asha était maladroite depuis toute petite et que David ne ferait pas de mal à une mouche... C'est bien ça le problème, personne ne la croira. Son époux cache bien son jeu, il est gentil, bon, patient et toute une foule de qualités qui contrastent avec sa personnalité quand les yeux des autres ne sont pas tournés vers lui. Oui, dans l'intimité, David se révèle être un autre homme, bien plus sombre. « Vous êtes tenus au secret professionnel, pas vrai ? » demande-t-elle alors, regrettant déjà de s'être laissée aller à trop parler.

Il peut voir, malgré la fatigue, malgré les coups, qu’elle est jolie. Il y a même quelque chose de solaire dans sa façon de sourire et son clin d’œil. Pour autant, ça n’efface pas le reste, les coups comme sa posture qui cache difficilement que ce n’est clairement pas la première fois que ça arrive. Un soupir silencieux lui échappe quand elle rebondit sur les portes vicieuses. Clairement, elle n’a pas envie d’aborder le sujet. C’est dommage, mais il a peur de la faire fuir s’il tente une autre approche.

Un bref hochement de tête quand elle dit travailler dans le bar au coin de la rue et il a un sourire en réponse. « J’ai du mal à trouver du temps oui. Entre l’hôpital et le dispensaire, ça limite mes loisirs. » Sans compter les BP qui commencent à prendre petit à petit de l’ampleur. S’il aime sortir, il ne compte pas ses heures et, au final, il ne lui reste pas vraiment de temps pour le reste. « Il est sympa ce bar ? » Un rire silencieux. « Je suppose que vous allez pas me dire le contraire en même temps. » Ce serait mauvais pour le commerce. Mais il est curieux de sa réponse, songeant même vaguement à potentiellement passer y faire un tour à l’occasion. D’ici à ce qu’il le fasse réellement, autant dire qu’il y a tout un monde, mais on ne sait jamais.

Une grimace au reste de ses paroles, alors qu’il repose délicatement le poignet de la jeune femme. « Mmmf… je suis pas sûr que vous devriez vous en vanter. » Ca lui a un peu échappé, mais difficile de faire autrement. « Je peux en effet vous filer quelques exercices. Et vu que vous bossez pas loin, vous pourrez même passer régulièrement si besoin. » Pas comme s’il ne passait pas le plus clair de son temps libre ici de toute façon.

Se demandant si elle ne risque pas d’appréhender la suite de l’examen, il propose un plan B, peut-être plus simple pour elle. Moins pour lui, certes, mais il a déjà fait pire. Là, elle peut voir son visage se rembrunir à la vision des hématomes. Il ouvre et il ferme le poing, se forçant à inspirer lentement, avant de reprendre sa consultation comme si de rien était. Et il essaie d’y aller aussi délicatement que possible, palpant chaque côte avec application avant de froncer les sourcils. « J’imagine que si vous êtes là c’est que passer une radio à l’hosto est exclu. » Il n’attend pas vraiment de réponse et continue, d’une voix toujours aussi calme et professionnelle. « Je pense que vous avez à minima une côte cassée. Et une autre fêlée. Ca va prendre du temps à se remettre en place. »

Gardant le silence quand elle reprend, il écoute ses mots avec attention. En effet, elles disent toutes ça. Bien trop souvent. Et il est démuni, incapable de pouvoir réellement aider. A part quelques conseils de prudence, une adresse ou deux où elles pourraient se réfugier. Bien souvent, quand elles repassent par là, elles évitent le sujet. L’évitent même tout court. Et quand elles ont fait le tour des médecins disponibles, on les voit rarement. Il aimerait croire que c’est parce que la situation s’est arrangé, mais c’est jamais le cas. « Vous ne savez pas ce que je peux me dire. » Soufflé à mi-voix, alors qu’il perd quelque peu de son ton professionnel. « Il n’y a rien qui puisse excuser ça. Rien du tout. » Franchement, rien à foutre des excuses d’un connard qui pourrait la tuer à force de la rouer de coups de la sorte. Elle ne serait pas la dernière. Au reste, il la fixe longuement avant de répondre, pensif. « Vous le croyez vraiment ? Quand il vous dit qu’il va se faire soigner ? Ou qu'il est désolé ?» Pas de jugement dans sa voix mais, clairement, il a du mal à visualiser la situation.

Pourtant il ajoute, non sans une certaine amertume. « Je suis en effet tenu au secret professionnel. Je ne pourrais rien dire ou faire sans votre accord. » Point positif, elle pourra continuer de s’épancher si elle le souhaite. Et il continue, retrouvant son ton habituel. « Pour vos côtes, ça va prendre du temps. Je dirais au moins deux mois… si vous n’avez pas de nouvel incident. Vous pensez que c’est jouable ? » Il ne sait même pas pourquoi il demande ça, il est persuadé, au vu de certaines bien plus anciennes, que son mari ne se retiendra pas, quoi qu’elle dise. « Il n’y a pas grand-chose à faire à part être patiente. Je vous conseille de tousser ou de respirer profondément au moins une fois par heure, même si c’est douloureux. Et je vais vous prescrire… » Un temps et il se penche pour fouiller dans un tiroir. « … vous donner des antalgiques. Ca sera utile pour votre poignet aussi. » Si tant est qu’elle les prenne vraiment.

Visiblement, l'homme devant elle a du mal à trouver du temps pour sortir mais Asha s'en doutait. Les médecins sont toujours débordés. Il ne déroge pas à leur réputation. La métisse hoche la tête, effectivement, le bar est sympa. « Il l'est ! La décoration est agréable, les clients sont cools. » Elle se penche vers le docteur pour lui souffler sur le ton de la confidence : « Mais, entre nous, évitez les cocktails, sauf si c'est moi qui les prépare... Ma collègue n'est pas très douée... » Asha lui glisse un petit clin d’œil, amusée.

A la suite, elle hoche doucement la tête. Effectivement, affirmer qu'elle n'est pas douillette n'est pas quelque chose dont elle devrait se vanter au vu des circonstances. « Merci pour les exercices. » Pour repasser ici par contre, elle grimace : « Je n'aime pas trop ce genre d'endroits, mais si vous voulez passer au bar pour contrôler que je les fais bien, je vous offrirais un verre ! » Sa démarche est un peu culottée mais qui ne tente rien, n'a rien, non ?

Asha ne loupe pas le regard du médecin quand ses yeux se posent sur son corps meurtri. Elle voit aussi son poing qui s'ouvre, puis se ferme comme s'il cherchait à garder son calme. Elle détourne les yeux, plus aussi à l'aise. Il lui demande si une radio est possible. Elle réfléchit quelques secondes avant de secouer la tête. « J'ai pas d'assurance » avoue-t-elle. La métisse ne peut pas se permettre un écart financier aussi important avec son maigre salaire de serveuse. De toute façon, une radio ne semble pas indispensable. Il lui fait déjà un diagnostique : elle s'en tire avec une côte cassée et au moins une de fêlée. « Ok... » souffle-t-elle en grimaçant lorsqu'elle bouge légèrement.

Quand le médecin lui demande si elle pense vraiment que son mari est honnête quand il s'excuse ou quand il promet qu'il va se faire soigner, Asha détourne le regard et se mord la lèvre. « Je l'espère. » Un soupir lui échappe. Elle se sent obligée de se justifier, de lui montrer qu'elle n'est pas une victime, qu'elle a déjà essayé de s'en sortir. « J'ai essayé d'en parler » avoue-t-elle alors. « Personne ne m'a cru. Ma propre mère m'a traité de menteuse. » Elle lève les yeux au ciel, préférant minimiser la peine que ça lui avait causé. « Il est... Il travaille dans la police... C'est un homme gentil, généreux, souriant. Il a des tas d'amis et... » A nouveau, elle se mordille nerveusement la lèvre. Et aucun ne se doute de ce qu'il passe dans leur intimité, personne ne peut imaginer que cet homme si adorable est un véritable monstre avec sa propre épouse. Elle secoue la tête d'un air déterminé. « Personne ne me croirait. » C'est fou comme la vision des êtres humains peut être biaisée ou comme ils peuvent se voiler la face quand ça les arrange. Ils gobent tous les mensonges que leur sort David. Alors inutile de chercher de l'aide. La jeune femme se ressaisit après ce bref instant de relâchement.

« Très bien. » affirme-t-elle quand le médecin lui dit qu'il est tenu au secret professionnel. Ainsi, il ne pourra pas parler de sa situation à quelqu'un d'autre et c'est un soulagement. Asha est persuadée qu'elle est coincée, qu'elle ne peut qu'espérer que David se calme, qu'il se rende compte que la violence ne résout pas tout. « Deux mois... » répète-t-elle, un peu déprimée par la lenteur à laquelle vont se remettre ses côtes. Quant au probable nouvel incident, elle détourne nerveusement le regard. « J'en sais rien... Je.. J'essaierais... » Elle essaiera quoi ? De se montrer encore plus docile ? De l'éviter ? Elle n'en sait rien parce qu'il n'y a rien qui prédise le comportement ou les accès de violence de David. Asha écoute avec attention les consignes du médecin. « Tousser ou respirer une fois par heure, c'est noté. » Elle hoche à nouveau la tête : « Merci pour les antalgiques. » Ils lui seront utiles. « Je vous dois combien ? » demande-t-elle d'une voix plus nerveuse. Elle a emmené quelques économies mais peut-être pas suffisamment pour des médicaments et une attelle.

Asha se redresse et un petit malaise la surprend tandis qu'elle se remet assise. Un voile noir lui passe devant le regard et elle manque de tomber de la table d’auscultation. Elle se reprend vite. « Oula.. » Elle lève aussitôt la main pour rassurer le médecin : « C'est rien, c'est rien. Je n'ai pas mangé ce matin... » C'est sans doute une petite crise d'hypoglycémie.