Houston, on a un problème [Sean & June]

Houston, on a un problème

Il s'était passé plus d'un an depuis qu’Alec avait débarqué devant sa porte, à la manière d’un fantôme qu’elle n’avait pourtant pas invoqué. Il lui avait fallu quelques jours pour dépasser la colère et le vertige des retrouvailles. Mode automate activé. Aller bosser, sourire, disséquer. Finalement, retrouver la routine que lui offrait l’hôpital lui avait permis de cesser de penser. Alors elle s’était laissée porter du grand hall à la morgue, de la morgue au dispensaire, du dispensaire à son lit. Epuisée, elle avait mal dormi. Le visage d’Alec lui était souvent revenu en mémoire, insistant. Et avec lui le film de leur vie. « Des astres au désastre », c’était le titre parfait. Deux étoiles montantes qui se rencontrent, se percutent et se regardent mutuellement tomber. Ce n’était pourtant pas uniquement l’affront qu’il lui avait fait en débarquant qui l’empêchait de rêvasser sereinement. C’était ce que ça avait provoqué chez elle. Ce sentiment qui empoisonnait lentement ses veines. Celui qui l’avait toujours ramené à lui après l’avoir quitté. Parce qu’ils s’étaient quittés. Souvent. Ils s’étaient hurlés leurs fins, jetés les espoirs d’un happy end à la gueule. Puis June revenait, les yeux baissés. Alec revenait, la queue entre les jambes. Ils se pardonnaient l’un l’autre, reléguaient la querelle au rang d’anecdote. Ils embrassaient le début de ce nouveau cycle avec passion, oubliant qu’ils l’avaient déjà connu maintes fois. C’était leur centième lune de Miel, celle où ils touchaient du doigt la douceur de l’Amour. Il suffisait d’un mot pour que la guerre reprenne, toujours un peu plus brutale que la précédente. A croire que la destruction mutuelle ne les fatiguait pas.

« Au fait, June. Il m'ont collé un nouveau co-équipier à la DPD  »

Ses yeux s’ouvrir brusquement, délaissant les souvenirs abîmés pour la pénombre de sa chambre. Les mots d’Alec lui revenaient en boucle, mais quelque chose lui échappait.
Son esprit bouillonnait. Le manque de fatigue et la confusion n’aidaient pas ses neurones à retrouver le chemin de leurs connexions. Pourtant, l’angoisse qui germait au creux de son ventre ne mentait pas. Elle savait que l’étau se resserrait, qu’elle allait finir écrasée si elle ne réfléchissait pas.

« Au fait, June. Il m'ont collé un nouveau co-équipier à la DPD. Sean je-sais-quoi. Ancien militaire, qu'on m'a dit. »

Putain, merde.
Elle se redressa, réalisant que son corps était en sueur. L’écran de son téléphone portable indiquait 6h du matin. Très tôt. Tant pis. Elle fouilla ses destinataires à la recherche d’un nom bien précis. Sergent X. Subtile. Elle appuya frénétiquement sur les touches de l’écran :

« Salut Sean, je sais que ça fait un bail, mais je dois te parler. C’est plutôt urgent ».

Pourquoi ? Par respect pour lui ? Non. Pour Alec ? non. C'était pour elle-même. Parce qu’au fond, June avait peur qu’il le découvre. Elle ne l’avait jamais trompée, lui ne s’était pourtant pas gêné. Elle était la plus propre des deux, celle qui ne se consacrait qu’à lui, quitte à penser que c’était elle le problème dans leur sexualité. Ses nuits passées avec Sean lui avaient pourtant prouvées que sa libido n’était pas morte. Qu’Alec était tout aussi responsable de sa frigidité. Son corps exprimait ce que son cœur avait tut : leur relation était problématique. Mais l'idée de ne plus être aussi parfaite qu'elle aimait le lui rappeler la dérangeait. Comme si elle perdait en crédibilité. Comme si tous les pas de côtés d'Alec étaient désormais justifiés.

« Rejoins-moi… »

Où ça ? Pas chez elle, Alec serait capable de débarquer. Pas à la DPD, évidemment. L’hôpital était également trop risqué. Toute la ville lui semblait un immense piège, attendant son faux pas. Alec pouvait être partout, parler à n’importe qui, comprendre qui elle avait été pendant ces deux années loin de lui. La colère reprit finalement le dessus : elle était légitime ! Elle avait le droit, elle aussi, d’avancer. Alors pourquoi cet immense sentiment de culpabilité ?

- Et merde.

June effaça le texte qu’elle peinait à terminer. Elle se fit couler un café pour chasser la paranoïa qui s’installait dans sa psyché, et s’habilla en vitesse. Elle attendit 7h avant de quitter l’immeuble pour monter dans sa caisse. Il lui fallut faire un effort pour ne pas se paumer : ce chemin là, finalement, elle l’avait très peu fait.
Elle trouva un endroit où se garer, dans une grande rue du coeur des Watts. C'était pas le genre de quartier où elle avait l'habitude de traîner. Les gens y étaient trop... hors du cadre. Elle se hissa hors de l'habitacle et s'engouffra facilement dans l'immeuble de Sean. L'avantage, ici, était que les portes étaient rarement fermées.
Une fois sur le seuil, June hésita. ça faisait des mois qu'elle ne l'avait pas vu, pas même parlé. Des mois qu'elle l'avait fui lâchement en apprenant le retour de son mari. Pourtant elle l'appréciait, Sean. Au-delà de sa qualité d'amant, il avait donné droit à un peu d'écoute, un peu de répit. Elle s'était évadée dans ses bras plutôt que dans sa bouteille de Bourbon, et elle s'était surprise à penser qu'il faisait sortir un peu de bon en elle, là où pensait n'avoir plus grand chose à offrir.
Alors le fait de se retrouver là, aussi tôt, prête à s'imposer dans la vie de son ancien amant lui laissait un goût amer. Une sensation de déjà-vu. Elle ne se sentait pas elle-même, dans cette position. Non, elle se sentait plutôt... comme Alec.

Et à l'image de son mari un an plus tôt, June leva le poing pour frapper le bois.

(c) Miss Pie

Houston, on a un problème

Il fallut à June quelques secondes de courage avant d’oser frapper à la porte de Sean. Seul le silence la récompensa. Elle hésita à toquer à nouveau, prise de panique. Elle était ridicule. Comment en était-elle arrivée là ? A s’imposer aussi tôt chez un ancien amant, pour lui révéler qu’elle l’avait embarquée sur le rafiot de sa vie décousue avec Alec ? Il dérivait désormais avec eux, malgré lui. Elle aurait peut-être mieux fait de se contenter d’un texto. « Salut, au fait, je suis mariée. Merci de pas parler notre histoire de cul à ton co-équipier ». Et voilà que la culpabilité se ramenait à son tour. Alec méritait sa colère, mais sans doute pas cette humiliation.
Perdue pour perdue, elle s'apprêtait à cogner à nouveau le bois, alors qu'un voix s’éleva dans son dos et la fit sursauter. Derrière elle, à quelques marches du palier, se tenait l’homme qu’elle était venue retrouver. Sa tenue ne laissait que peu de doutes sur son activité matinale et June se sentit piégée : prise en flagrant délit de cette étrange tentative de s’immiscer chez lui.

- Oh, salut.

Elle était presque surprise, alors même qu’elle était devant sa porte d’entrée. C’était étrange de le revoir après un an. Tous ces mois écoulés n’avaient en rien entachés l’aura qui émanait de lui, et qui l’avait attirée. Sean était un homme plus complexe que ce qu’il laissait entrevoir, et June n’avait jamais aimé la facilité. Elle avait pris plaisir à découvrir, brièvement, la profondeur d’âme dissimulée sous ce rôle, pourtant bien réel, de militaire endurci. Elle avait aimé ces moments éphémères où chacun se livrait à l’autre sans même se parler. Un feeling naturel les avait liés, parce qu’ils s’étaient trouvés au moment propice. Ils s’étaient offerts ce dont ils avaient besoin, sur un temps limité. Sans engagement.
Et pourtant.

- Tout va bien.

Réponse automatique, mais loin de la vérité. Sans quoi elle ne serait pas là.

- Enfin, non. Je dois te parler de quelque chose.

De quelqu’un.
Elle fit un pas de côté lorsqu’il approcha pour déverrouiller la porte, comme pour garder une distance de sécurité qui, de toute façon, avait déjà été plusieurs fois bafouée.
Elle suivit le mouvement de son hôte dans l’appartement. Il n’avait pas beaucoup changé : toujours aussi peu investi. Aucune aura émotionnelle, aucun affect sur lequel s’attarder. Cette idée la fit sourire, bien vite suivie de la gêne occasionnée par le souvenir de leur dernière étreinte sur ce canapé. La voix du militaire l’arracha une fois de plus au malaise qui la saisissait.

- Un café, s’il te plait.

Elle s’adossa au plan de travail, alors que la machine était lancée. Son pouce caressait machinalement son annulaire, pour y faire tourner une alliance qu’elle ne portait pourtant plus. Son regard fuyant peinait à attraper la silhouette qui s’activait devant elle.

- Ecoute, Sean. Je suis désolée de débarquer comme ça, mais je préférais te l’annoncer en face.

L’absence d’engagement avait été le leitmotiv de leur relation. La légèreté des moments passés ensemble permettait à chacun d’y trouver réconfort, passion et sérénité. June n’avait pas mentionné Alec, parce qu’Alec n’avait pas sa place dans ces moments hors de la réalité. Mais cette dernière, tenace et insistante, avait fini par s'imposer.

- Je suis mariée.

Information dont il n’aurait rien eu à faire, s’il n’avait pas été contraint de côtoyer l’être aimé au quotidien.

(c) Miss Pie