[TERMINE] The Cake Is A Lie [Pv Aaron]

Depuis qu'India était revenue à la maison, elle avait vu ses libertés connaître quelques restrictions et conditions. Aaron l'avait sommé de retourné au lycée, qu'importe ce qu'il en couterait à sa petite fierté. Puis, il l'avait punie de sortie, sauf si c'était pour aller à la bibliothèque ou acheter de quoi préparer le repas du soir. Son argent de poche s'était vu aussi être limité au strict minimum. Elle avait de quoi s'acheter son sandwich du midi à la cafétéria du lycée. Aaron refusait qu'elle mette à nouveau l'argent donné au profit du financement d'un nouveau viol. D'ailleurs, malgré leur discussion, India ne semblait pas tellement avoir avancé sur ce point. A vrai dire, ils n'en avaient pas reparlé.
Hélas, alors que le Prayer avait cru à un retour à la normale, sa fille l'avait renvoyée à une tout autre réalité. Même pas trois heures après son retour au lycée, India en avait été exclue pendant une semaine pour s'être battue, et également coupable d'une suspicion d'organisation d'un viol. Destiny semblait avoir craché le morceau sur cette triste affaire. Quant Aaron était allé chercher sa fille, il n'avait cependant en aucun cas trahi le soutien qu'il portait à sa fille. Ils étaient rentrés jusqu'à Palos Verdes dans un silence de plomb.

Deux semaines s'étaient écoulées, et India avait décidé de faire profil bas. Avec l'arrivée de l'été, elle recherchait des petits boulots, histoire de se faire trois ronds. En même temps, c'était le seul moyen pour elle d'acheter la petite robe blanche qui la faisait rêver.
Toutefois, aujourd'hui était un jour spécial : India fêtait ses dix-sept ans. Aaron eut un sourire amer en réalisant qu'à cet âge, il déambulait déjà dans les rues de Downfall, balloté entre les foyers, fuyant une scolarité déjà bien chaotique.

La voiture glissait silencieusement sur le bitume. Fixant la route, pensif, le Prayer se demandait si le choix de son cadeau était réellement pertinent. Sur la banquette arrière, dans une boîte en carton trouée, un chaton couinait. Aaron n'avait jamais été pour offrir un animal, n'aimant pas l'idée de faire cadeau d'une vie. Mais il pensait ainsi offrir à sa fille un allié indéfectible dont elle aurait la responsabilité. S'occuper d'un être vivant l'aiderait certainement à grandir, elle, fille unique qui avait toujours vécue en étant la seule réelle préoccupation de son père Et puis, elle serait obligée d'imposer des règles à ce chaton. Peut-être comprendrait-elle, a minima, le rôle délicat de parent et la finesse à avoir dans tout acte d'autorité.
Ce cadeau, en plus de sauver ce chaton des box pourris de la SPA de Downfall, avait une haute valeur symbolique.

Quand il poussa la porte de son appartement, sa boite tachée d'urine sous le bras, il fut accueilli par la voix de sa fille. Elle s'étonnait de le voir rentrer si tôt. Dos à lui, dégueulant son ressentiment dans son journal intime, elle ne fit même pas attention aux paquets de son père.

Ce n'est pas un jour comme les autres, et je voulais qu'on passe cette soirée tous les deux.

Déposant son sac de course sur le bar qui séparait le salon de la cuisine, Aaron contourna ensuite la table pour se poster face à sa fille. Il posa ensuite la boite sur la table.

Je ne suis pas sur de te faire un cadeau, mais bon, j'espère que ça te fera plaisir.

Un miaulement s'échappa de la boîte. Aaron se recula légèrement, laissant l'adolescente libérer le petit animal inquiet.

Lorsque sa fille l'enserra, Aaron eut un regard pour le chaton. Alors, tel était le prix pour une démonstration sincère d'affection. Sa fille se détacha cependant rapidement de lui, piaillant et trépignant comme l'adolescente hystérique qu'elle était. Commença lors un assez long jeu de cache-cache entre le chaton et la jeune femme. Aaron observa un instant la scène, amusé et même touché. Une spontanéité sincère s'était emparée d'India, révélant quelque chose de l'enfant qui demeurait encore en elle. Puis, comprenant que les deux en auraient pour un moment avant d'accorder leur violon, le Prayer se dirigea vers la cuisine et déballa ses courses. Il remonta ses manches, s'essuyant en passant le front. L'été à Downfall n'était jamais une partie de plaisir, et malgré la climatisation, l'air demeurait chaud et moite. India ne semblait pas vraiment faire cas de la chaleur ambiante, trop occupée à amadouer l'animal.

Au moment de faire les courses pour le repas d'anniversaire de sa fille, Aaron s'était retrouvé confronté à une imagination des plus précaires. Tous deux avaient pris la mauvaise habitude de ne jamais cuisiner ce qu'il mangeait. Quand il n'y avait pas Abby, il y avait les traiteurs et leurs livreurs, e vice-versa. Toutefois, ce soir, il tenait à cuisiner a minima ce repas.
Il sortit une plancha d'intérieur pour y faire cuire des chipolatas et autres morceaux de viande. A la poêle, il fit revenir des légumes dits du soleil, les assaisonnant d'une main mal assurée. Seul le fumet alléchant qui se dégageait des plaques de cuisson le rassurait quant à sa démarche quelque peu imprudente de passer derrière les fourneaux.
Les plats cuisant en un crépitement lent, Aaron s'affaira à dresser la table. Il déposa en guise d'apéritif des tortillas avec leurs sauces et des makis californiens faits par un traiteur. Pour aider à faire passer la nourriture, il avait acheté des bières de bonne qualité et de la tequila, en vue de servir un cocktail à sa fille si l'envie la traversait.
Tandis qu'India gagatisait sur le chaton, le Prayer acheva la préparation du repas, déposant tout sur la table du séjour. Le dessert attendrait encore un peu au frigo.

On va passer à table si tu veux bien. Une fois India arrivée à sa hauteur, il la vit balayer la table du regard. Je ne garantis pas que ça sera bon, mais l'intention était là ! ajouta t-il, le ton presque enfantin. Lorsqu'ils prirent place autour de la table, Aaron poursuivit, comme pour s'excuser d'un tel choix de repas : Ma mère avait l'habitude de faire un barbecue pour les grandes occasions. Sa voix d'enfant persévéra, soulevant avec elle une nostalgie presque touchante. Alors, tu lui as trouvé un nom ? C'est une petite femelle. La SPA a trouvé la portée abandonnée par leur mère, du coup, elle n'a pas vraiment été sevrée correctement. J'espère que tu as de l'amour à revendre ! Aaron observa soudainement un silence. Le parallèle entre ce petit animal et sa fille venait de s'imposer à lui qu'à l'instant même. Se mordant discrètement la lèvre inférieure, il noya sa gêne dans un toast : A toi ma fille. Je t'aime.

Aaron surprit le regard méfiant de sa fille lorsqu'elle arriva au niveau de la table. Ses yeux balayèrent les différents plats jusqu'à s'attarder un instant plus long sur l'alcool. Ses sourcils se froncèrent et sa mâchoire se crispa. Elle ne comprenait pas le pourquoi de la présence d'alcool sur cette table. Aaron esquissa un simple sourire et laissa India prendre place.
L'adolescente avoua sécher quant au nom à donner au chaton. Le Prayer haussa les épaules, signifiant clairement à sa fille que ça pouvait attendre. La bestiole ne s'en formaliserait pas. Pour le moment, elle était plus attachée à tester le confort du canapé. Un instant, Aaron craignit pour lui. Et si la chat faisait dessus... Refoulant cette possibilité à une probabilité quasi-inexistante, Phillmore reposa son attention sur sa fille qui, bière en main, tentait de la rassurer quant à la qualité du repas à venir.

Ils trinquèrent, tous les deux gênés par les émotions que ce moment créait en eux. L'expression de leurs sentiments et de leur affection n'avait jamais été quelque chose qui filtrait par leur canal de communication. Ils préféraient se cantonner à des choses très factuelles et terre-à-terre. India initia d'ailleurs la discussion en ce sens.
Sa journée ? Aaron ne put retenir un rictus amer. Il avait bosser une bonne partie de la journée sur le cas des Forsaken Dragons avant d'aller remonter les bretelles à un dealer qui faisait du zèle. Sherman avait été choisi pour encadrer cet élément récalcitrant. Bref, rien de bien palpitant sous le soleil des mafias de Downfall.

La routine. La paperasse et la régulation d'équipe.

Une vérité brute dans la forme pourtant rattachée à un mensonge dans le fond. Combien de temps pourrait-il jouer ce double jeu ? Le Payer était las de cacher cet aspect de sa vie à sa fille. Non pas qu'il tenait à partager avec elle chaque torture, chaque meurtre, chaque transaction. Mais il ne supportait plus de vivre dans le mensonge. De plus, India grandissait et percevait bien que son père ne jouait pas franc-jeu avec elle. Elle l'avait même accusé d'être un Baneshadow. La bonne blague...

Et toi ? Tu as décidé ce que tu ferais de ton été ?

Depuis quelques semaines, Aaron avait coupé les vivres superflus à sa fille. En gros, jusqu'à la fin du lycée, elle avait eu de quoi s'acheter son repas du midi. Et maintenant qu'elle était en vacances, elle ne touchait que la monnaie qu'elle se faisait sur les courses. Il refusait que son argent alimente de nouveaux débordements adolescents.
Face à la pénurie, India avait décidé de travailler. Une bonne chose selon son père qui avait commencé les petits boulots à treize ans.

Sa fourchette piqua un morceau de viande. Il en huma l'odeur afin d'en vérifier la cuisson. Puis, il la gouta. Un sourire niais marqua sa réussite. Il piqua ensuite plus généreusement dans chaque plat, attentif à ce que sa fille voudrait bien livrer d'elle-même.
Or, à chaque bouchée supplémentaire, malgré un appétit grandissant, Aaron se sentait comme écœuré. Dégouté de maintenir sa fille dans le mensonge et de vivre ce semblant de normalité dans la méfiance et la prudence. Il ne voulait plus de tout ça. Il devait lui dire.

C'était affligeant. Il n'avait rien à dire à la femme qu'il aimait le plus sur cette triste terre. Il aurait tout sacrifié au nom de sa fille, quitte à devoir le payer de sa vie. Mais il n'était pas foutu de tenir une simple conversation avec elle. India ne l'aidait pas vraiment. Depuis bien trois ans à présent, elle faisait l'étalage provocateur et surfait de son adolescence rebelle. Aaron savait pertinemment qu'elle tentait seulement d'exister pour ce qu'elle était, peinant à trouver ce qu'elle était justement. Il ne pouvait donc pas lui en vouloir d'essayer d'exister dans l'excès. Il espérait juste qu'elle trouverait rapidement cette identité tant recherchée. Après, c'était pas gagné...

Posant un regard attendri sur sa fille, Aaron l'écouta débriefer en deux-trois phrases son quotidien pour l'été à venir. Elle ne comptait pas multiplier les sorties. Un rictus agita les lèvres d'Aaron. Comme si elle avait pris cette décision par choix. En s'octroyant un droit sur la vie des autres, India s'était foutue tout son bahut à dos. Une maigre conséquence de ses actes. Le plus dur restait à venir. Et elle comprendrait qu'avoir vu son cercle d'amis disparaître n'était rien en comparaison de la culpabilité qui la torturerait. Du mois, Aaron l'espérait-il. Au plus profond de lui-même, il priait pour que sa fille s'en veuille de ses actes. Autrement, le manque de culpabilité signerait une psychopathie dans laquelle il ne serait pas exempt de tout reproche. Lui-même possédait cette indifférence face aux malheurs des autres, tout simplement incapable de la douleur qu'il pouvait infliger à des innocents au nom d'un pouvoir bien virtuel.
Quelque part, la décision de l'adolescente de travailler en hôpital rassurait son père. Il était convaincu - ou s'en convainquait du moins - qu'elle faisait cela pour se racheter : après avoir fait le mal, elle voulait aider les plus nécessiteux. Cependant, la paix d'esprit était autrement plus expansive. India s'en rendrait vite compte.

Après l'avoir félicité sur la qualité de sa cuisine, la lycéenne demanda à son père s'il aurait quelques jours de congés. Pas de vacances pour le crime. Toutefois, il était certain qu'il pourrait négocier ses horaires avec Flynn.
Mais le plus douloureux dans cette simple question n'était pas tant de réaliser qu'ils ne pourraient jamais profiter de vacances à l'extérieur de la ville, mais d'entendre qu'ils pouvaient seulement "essayer" de faire quelque chose. En étaient-ils vraiment rendu là ? A "essayer" d'être ensemble ? A "essayer" de partager un instant ? Merde... En même temps, si Aaron possédait cet instant, qu'en feraient-ils ? Il ignorait ce que sa fille aimait faire, hormis sortir danser et picoler. Autant dire que ce genre de plan avec son vieux père, ça craignait plus qu'un peu ! Le Prayer ignorait si de simples choses du quotidien suffirait, comme se faire un bon films à deux, ou encore marcher au bord de la plage face au soleil couchant. India rêvait-elle de plus ? Il n'en savait hélas rien.

Qu'aimerais-tu faire ? Je pense pouvoir dégager des créneaux s'il le faut et que tu le désires.

Bien sûr qu'il voulait se montrer disponible pour sa fille, surtout après ce qu'elle avait fait. Même s'il avait joué la sourde oreille avec Shepard, il avait très bien entendu l'inquiétude du professeur, puisqu'elle était également la sienne. Souvent Aaron se demandait si tout cela était de sa faute. Et cette question abyssale rencontrait des réponses encore plus abyssales. Après tout, il était un membre d'un gang, et pas n'importe lequel, le Second d'une organisation criminelle. Combien avait péri de par des ordres ? Et il reprochait à sa fille d'avoir fait violée une amie ? India lui en voudrait très certainement d'avoir joué les bonnes consciences alors qu'il avait non pas les mains sales mais carrément dégueulasses.

Faudra aussi rendre visite à Abby à l'hôpital. Elle ne va pas très bien et je pense que ça lui ferait vraiment plaisir de te voir. D'ailleurs j'ai pas tellement de nouvelles d'Emilia...

Soudainement pensif, Aaron réalisa qu'il n'avait pas croisé la jeune femme depuis un sacré bout de temps. Il fallait y remédier. Après tout, il avait fait la promesse de la surveiller et de la protéger. N'en déplaise à l’œdipe mal réglé de sa fille. India n'allait quand même pas la faire violer elle aussi...

Leurs assiettes vides, Aaron se leva et alla chercher dans le frigo une tarte aux fruits. Au moment d'acheter le gâteau d'anniversaire de l'adolescente, le Prayer s'était rendu compte qu'il ignorait les goûts de sa fille. Il s'était néanmoins souvenu du fanatisme de la gamine pour les tartes aux fruits faites maison d'Abby.

Je t'épargne les bougies ?!

Ouais, bon, pour l'ambiance festive d'un anniversaire, ils repasseraient. Aaron était conscient de ne pas être très doué avec les mots, mais sa fille ne l'aidait pas. A croire qu'elle voulait que leur relation s'enlise dans ce semblant de communication. Vraiment affligeant. Mais bon, un passé commun les réunissait. Un passé qui faisait d'eux ce qu'ils étaient aujourd'hui. Oui, ils s'aimaient. Chacun l'avait montré à plus d'une reprise. Or, s'aimer n'était pas suffisant au quotidien. Il fallait aussi se parler. Et c'était bien là que le bât blessait.

L'évocation d'Abby finit d'assombrir la mine renfrognée de l'adolescente. En même temps, il avait merdé en parlant de la gouvernante malade. Cependant, il ne pouvait pas protéger sa fille de toute l'horreur du monde. Elle devait apprendre la vie, et se faire une place dans ce monde. Dure tâche que celle de parents dans ces moments-là. India était-elle bien équipée pour vivre seule ? Aaron voulait le croire, mais il savait sa fille très immature sur le plan émotionnel. Et elle se ferait avoir, plus d'une fois.

India découpa la tarte en plusieurs tranches, et servit son père. La jeune femme semblait apprécier l'attention, découvrant son père sous un nouveau jour. Ô si elle savait à quel point elle allait le découvrir ce soir... Sa décision était prise : il lui avouerait sa place en ce monde, le pourquoi de sa protection et surveillance intense et le pourquoi de leur enfermement à Downfall sans possibilité de sortie. Toutefois, cela attendrait qu'ils finissent de manger.

Pourquoi pas.

Aaron doutait que sa fille désire se faire un film après ce qu'il aurait à lui annoncer. Evidemment, elle lui ferait la gueule, et la communication serait encore rompue pour des mois. Mais India devait savoir, et Aaron se libérer de ce poids qui l'obligeait à mentir tous les jours.

La discussion continua en banalités autour du chat et du comment l'élever et l'éduquer. Aaron avoua à sa fille qu'au deuxième pipi au mauvais endroit, le chaton se prendrait un coup de pied au cul. Il attendait d'elle qu'elle l'élève bien. Et elle verrait ô combien cela est difficile, et qu'amour inconditionnel ne rime pas avec éducation.
Les mains dans la vaisselle, Aaron se renseigna sur le service dans lequel sa fille travaillerait. Il la mit en garde contre la vue du sang et des blessures. Elle n'aurait pas à faire qu'à des échardes plantées dans les doigts ou les mains... Combien de types avait-il envoyé à l'hosto ? Peu. La règle était d'éliminer les témoins et les traitres. Cependant, pour donner une bonne leçon, il lui arrivait de laisser ses cibles survivre. D'expérience, il savait qu'une fracture ouverte donnait des hauts le cœur, et une blessure par balle des frissons d'horreur. Mais il s'était blindé à ces images de violence et de douleur. En même temps, il n'avait plus le temps de s'en émouvoir.

Bon, c'était le moment. Aaron s'essuya les mains et s'assit sur une chaise. L'air soudainement grave, il intima à sa fille de l'imiter.

India, je voudrais te dire quelque chose. Et tu vas pas "kiffer". Putain, non. Un silence gêné pèse sur ce que je fais ou qui je suis à Downfall ; un silence que je dois briser par le mensonge. Et je ne veux plus te mentir. Tu as 17 ans à présent, et tu comprends mieux comment le monde fonctionne. Arrête ton blabla et accouche... Si je suis allé au front l'hiver dernier, me battre au nom de Downfall tout en manquant d'y laisser la vie, c'est... c'est parce que je suis un Prayer of Insanity. Je suis même le bras droit d'Edward Flynn. Tu n'es pas n'importe qui dans cette ville India, tu dois le savoir, et agir en conséquence. Phillmore est un nom dangereux en ces temps...

Bon, voilà, c'était dit. En partie du moins... Explosion adolescente dans trois, deux, un...

L'incrédulité figea le visage de l'adolescente. Un spasme nerveux agita une bouche qui ne savait plus trop quoi dire. Aaron continuait à fixer sa fille avec une rare intensité. Mais la nouvelle avait du mal à passer. Plutôt que de s'étouffer avec, India décida de la dégueuler sur le ton de l'humour. Un instant, le Prayer hésita à aller dans son sens. Eh oui, c'était une blague très drôle, hein, n'est-ce pas ?! Avoue que t'as bien flippé quand même ! Puis ils partiraient en un immense éclat de rire avant de finir la soirée devant Princess Bride, les doigts rendus collants par le sucre caramélisé du pop corn. Or, la réalité n'avait rien à voir avec ce scénario alternatif. La réalité s'affichait soudainement tel quel. India avait pressenti certainement plus d'une fois le rôle de criminel de son père. Elle l'avait soupçonné de travailler avec les Baneshadows. De plus, elle savait qu'il était dans l'échange, l'import, l'export et la vente de marchandises. En fait, elle savait presque tout, il fallait juste remplacer "marchandises" par "drogues". Et là, le monde s'effondrait.

Je ne plaisante pas India. Tu es grande à présent, et je veux encourager tes envies d'indépendance... mais tu dois être prudente. Des gens pourraient vouloir te faire du mal pour m'atteindre. Et je m'en veux terriblement de t'avoir mise dans cette situation.

Un nouveau silence s'abattit dans l'appartement. Même le chaton le respecta, certainement bercé par un sommeil enfin serein.

Aaron détourna un instant le regard, supportant difficilement l'horreur qui crispait le visage de sa fille. Il avait l'impression de devenir sous ses yeux incrédules un monstre de la pire espère. En même temps, il venait de confesser, au delà de son statut de Second des Prayers of Insanity, son rôle de criminel notoire. India devait savoir que pour gravir les échelons d'un tel gang, l'ascension ne se faisait pas la fleur au fusil. Il avait tué. Il avait les mains sales. Même pire, baignées de sang. Et elle, India, vivait du luxe de sa position qui lui paraitrait bien sale. Peut-être éveillerait-il sa conscience aux notions floues de bien et de mal, sans oublier celles de nécessité et d'opportunité.

Le silence se prolongeait de façon inconfortable. Aaron reposa son regard sur la silhouette si fragile de sa fille, et attendit quelques secondes une autre réaction que cette expression terrifiée et déçue. Néanmoins, il ne put laisser ce silence courir plus longtemps, bien trop indisposé par ce qu'il soulevait.

C'est pour ça que tu ne peux pas fuguer sur un coup de tête, ou sortir pour un caprice. Tu dois faire attention à toi. Bien évidemment, je me suis assuré de ta sécurité, mais on ne peut rien contrôler à 100%, et tu as le droit à la liberté.

Le Prayer avait l'impression de brasser de l'air inutilement, s'enfonçant un peu plus à chaque mot. India lui en voudrait, c'était certain. A cause de son père, sa vie état menacée, et même pas pour ce qu'elle était que pour ce qu'elle valait aux yeux de son mafieux de père et de ses ennemis. Un sentiment puissant d'injustice finirait par briser cette stupeur. L'adolescente ne comprendrait qu'avec le temps, et il espérait qu'elle ferait preuve de prudence. Hélas, il la pensait tout aussi capable de s'afficher par pure provocation. En comprendrait-elle le risque ? Aaron ne pouvait en être certain. Après tout, malgré une majorité approchant, India demeurait immature et impulsive. Il espérait qu'au contact de la misère humaine elle apprendrait à canaliser la colère qui irriguait ses veines. Luka était là pour y veiller. Et si aucune des deux n'étaient au courant de la réelle identité de l'autre, Aaron était convaincue qu'elles pourraient s'entre-aider au-delà du plan strictement professionnel.

India ?

Aaron savait qu'il aurait à répondre de ses actes. Mais devoir faire face à tant de dédain et de mépris venant de sa fille l'agaçait. Il était facile de critiquer son père criminel quand on avait toujours vécu dans l'opulence due à son "métier". Et puis, jusqu'à présent, être la fille d'un magnat de la drogue ne l'avait pas vraiment dérangée. Donc oui, il avait merdé, et plus qu'un peu. Mais India devait au moins lui reconnaître qu'il avait fait au moins pire. Aaron ne lui demandait pas la moindre reconnaissance, juste de la compréhension. Or, à dix sept ans, l'effervescence de l'adolescence atténuait le discernement. Peut-être qu'avec le temps, elle le comprendrait mieux. Peut-être.

Tu aurais préféré que je te laisse à ta mère ? Là tu aurais vraiment eu des problèmes India. Il y a dix-sept ans, elle est venue, défoncée jusqu'à la moelle m'annoncer qu'elle était enceinte de moi. J'aurai pu ignorer le "problème" et fuir ma paternité, mais non, j'ai refusé de t'abandonner. Je ne dis pas que j'ai fait un choix héroïque, et je ne te demande pas de me remercier. Mais ne me dis pas que je n'ai pas réfléchi ! J'ai fait le choix de te garder car je le voulais, et sache que personne n'a soutenu ma décision.

India serait très certainement sourde à cette petite plaidoirie mais peut-être que son cerveau enregistrerait quelques informations ; informations qu'il retraiterait plus tard, avec du recul et plus de sagesse.
Le Prayer ne pouvait pas lui en vouloir : India avait tous les droits de réagir comme ça. C'était pourquoi, malgré l'agacement qui le traversait, Aaron ne faisait preuve que de dureté dans sa voix. Il exprimait ses paroles avec sérénité, espérant convaincre sa fille que s'il avait fait ces choix-là, c'était en connaissance de cause et qu'il les assumait jusqu'au bout, ce qui était vrai.
L'adolescente lui avoua qu'elle l'aurait préféré Shadow que Prayer. Ce n'était pas étonnant vu la propagande faite par le couple Cleveland en l'honneur de leur clan et de leurs valeurs. Pourtant, les Prayers of Insanity avaient toujours été là pour défendre la ville. Et s'il était vrai qu'ils profitaient de la situation de Downfall pour leur petit trafic, il était tout aussi vrai qu'ils étaient une entité de l'ex-quartier expérimental. Ils représentaient un contre-pouvoir face à l'empire des Cleveland. Ils incarnaient eux aussi une famille avec de vraies valeurs. La drogue n'était qu'un business familial, rien de plus.

Oui, ma position te met en danger... Mais comme elle l'a fait depuis ta naissance. J'ai toujours fait en sorte de te protéger sans te priver de ta liberté. Les punitions n'étaient pas pour te garder à la maison car je craignais pour ta vie, mais parce que tu avais vraiment fait une connerie qui méritait cette restriction. J'ai toujours agi avec toi comme avec un père "normal" : ma vie n'a pas à influencer sur la tienne, je suis bien d'accord. Mais on ne peut pas tout contrôler, et je veux que, le sachant, tu fasses au mieux pour toi. Voilà tout.

Drôle de discours pour un monstre, vous ne trouvez pas ? Mais, encore une fois, India le comprendrait peut-être une fois que le temps aura fait son effet. Là, elle était à chaud, et rien ne la ferait redescendre : elle se sentait bafouée, trahie et certainement très seule.

Le monde s'écroulait, entraînant dans les décombres l'innocence de l'adolescente. Aaron put clairement lire la déception sur le visage de sa fille, et son cœur n'en fut que plus meurtri. Il ne pouvait que se détester dans le regard que lui renvoyait India. Il avait l'impression d'avoir échoué, à chaque étape, prenant à chaque moment de sa vie le mauvais chemin. Son orgueil, souffrant, tenta d'animer une colère revendicatrice, mais rien ne fit taire la douleur qui lui irriguait le cœur.
Heurtée par les propos de son père, India vacilla dans le salon, découvrant avec horreur les vices d'une mère inconnue et la réalité d'un père étranger. La violence des mots contrebalançait un immobilisme défensif. L'adolescente était en état de choc, le visage figé en une expression d'horreur mêlée à de la déception : sa vie n'avait été qu'un mensonge, masquant une vérité bien peu reluisante... Sa mère était une junkie, et son père un dealer. Elle était née d'une union éphémère, et sauvée par un père au passé louche. Aaron souffrait de voir sa fille si dévastée alors qu'elle ignorait encore tant.
Tel une vipère en mauvaise posture, India cracha son venin. Mais Aaron accusa le coup avec intégrité, ne trahissant à aucun moment le quelconque remord. Depuis que sa fille était née, il avait tout fait en fonction d'elle. Il lui consacrerait sa vie, et lui offrirait sa mort si nécessaire. Or, l'adolescente ne voyait dans ces révélations que de la mauvaise foi. Quelle naïveté...

Je ne me suis jamais revendiqué comme le père de l'année : je sais que j'ai merdé, que je merde, et que je merderai. Mais j'ai toujours essayé de faire au mieux pour toi. Tu ne le vois peut-être pas, ou tu ne veux pas le voir, car c'est tellement plus facile de se cacher derrière la colère que de comprendre, mais sache que je t'aime, et qu'importe ce que tu feras, rien n'y changera. Tu es ma fille, la seule chose pour laquelle je mourrai et à qui je donnerai ma vie.

Aaron savait bien que c'était poser un pansement sur une fracture ouverte, cependant, il voulait que sa fille entende ces mots. D'autant qu'il allait répondre à ses accusations à présent :

Oui je t'ai fait la morale car je ne veux pas que tu deviennes ce que je suis. Tu mérites mieux. Mais si c'est ce que tu veux faire, d'accord. Je ne t'en aimerai pas moins. Il me semble qu'il y a une nuance entre faire la morale et donner des repères. Le Prayer laissa un bref silence couler avant de reprendre. Pourquoi maintenant ? Car je pense que tu es en âge de comprendre, et que je ne veux plus te mentir. Je ne veux pas te perdre. Ta vie n'est pas la mienne, et tu en feras ce que tu veux. Si je me suis tu jusque là, c'était pour te protéger, mais ça a fini par nous ronger. Mais je te pose la question : veux-tu connaître la vérité ou préfères-tu qu'on se berce d'illusions encore un peu plus longtemps ?

A aucun moment Aaron n'avait pensé que cet anniversaire finirait en de telles révélations. Bien sûr, il comptait lui avouer son statut de criminel notoire au sein des Prayers of Insanity. Néanmoins, il n'avait pas voulu balancer à sa fille que sa mère était une vulgaire droguée. Si India le désirait, il lui raconterait tout ce chapitre de sa vie, celle de son enfance maltraitée et bafouée, de son adolescence douloureuse et de sa maturité acquise dans le vice et le crime. S'il était un monstre, il n'était que le résultat d'un parcours de vie durant lequel on avait fait des choix à sa place. A aucun moment il n'avait signé pour être tabassé par un père alcoolique, ou encore humilié par une vie décousue.

Tu sais, j'aurai préféré être un homme bon, respectable, marié à son premier amour et père modèle.

Coulant un regard grave en direction de sa fille, Aaron attendit de savoir si l'adolescente était prête à connaître une vérité plus entière sur qui étaient ses parents. Il lui faudrait certainement beaucoup de courage, mais Aaron lui promettait tout son soutien dans cette épreuve. Après tout, on ne pouvait se détester sans s'aimer.

"Ça ne pouvait pas attendre demain ou la semaine prochaine ?". Non, justement, ça ne pouvait plus attendre. Voilà 17 ans qu'il lui mentait. 17 ans qu'il se contentait de vivre dans le mensonge. 17 ans, c'était trop long, beaucoup trop long. Donc non, même s'il s'en voulait d'avoir gâché l'anniversaire de sa fille, non, ça ne pouvait pas attendre demain ou la semaine prochaine. Il avait déjà trop attendu.

Il suivit India du regard jusqu'à ce qu'elle disparaisse à l'angle du mur. Quelques secondes après, la porte de sa chambre se ferma, sans claquement excessif et autre théâtralisation. Aaron ne sentit qu'abattement et déception. Déglutissant avec amertume, il se leva et alla se perdre sur le balcon, rivant les yeux sur l'horizon qui s'étendait à perte de vue. De ce côté ci de la ville, on pouvait profiter de l'océan et de son atmosphère propice à la détente mais aussi à la réflexion. Accoudé sur le muret, il se noya dans l'océan, balloté par le flot de ses réflexions, parfois plus proche de la noyade que de la simple baignade...

***

Aaron se leva avec les premiers rayons du soleil, et une gueule de bois carabinée. Alors que son esprit voguait en eaux troubles, son corps s'était laissé porté par les vagues de l'alcool. India s'étant cloitrée dans sa chambre pour la soirée, Aaron s'était permis un verre de whisky, puis un second, qui entraîna un petit troisième, etc. On connait tous la suite... Il s'était alors écroulé sur son lit, sombrant dans l'inconscience ou une sorte de sommeil inconfortable durant quelques maigres heures. La bouche pâteuse, il avait été réveillé par la soif, mêlée à une nausée qui lui fit revivre ses cuites du lycée. Après un demi-litre d'eau avalée, et le nettoyage quelque peu radical de son foie dans la cuvette des W.C., le Prayer était allé à nouveau se percher sur le balcon. L'air était encore frais. Et il en profita pour faire quelques pompes et autres exercices physiques. Il se rendit alors rapidement compte que les gueules de bois d'un adolescent n'était pas celles d'un presque quarantenaire...

Tandis que l'eau glacée mordit ses muscles encore tendus par l'effort, Aaron tenta de laver sa conscience, se convaincant assez vainement d'avoir fait les bons choix. India ne devait plus vivre dans l'ignorance, et encore pire, le mensonge. Elle était en âge de comprendre et aussi douloureuse soit-elle, cette étape était nécessaire à ce qu'elle grandisse. Pourtant, le Prayer n'arrivait à oublier l'horreur qui avait figé le visage de sa fille à l'instant de ses sombres révélations : India avait été choquée, terrifiée, déçue et blessée. Aaron se rendait compte qu'il lui avait fait beaucoup de mal, pensant alors faire le bien. Il devait respecter sa maturité tout comme son immaturité. Maintenant qu'il avait ouvert la porte, il n'appartenait qu'à India de la passer pour découvrir tous les squelettes planqués dans le placard.
Quand il sortit de la salle de bain, l'odeur du thé signa la présence de l'adolescente dans le salon. Inspirant profondément, Phillmore s'engagea dans le living room et découvrit sa fille assise à la table, la tronche enfoncée dans son bol de céréales. Aaron se dirigea machinalement vers la machine à café et respecta le silence de sa fille. Le chat reluquait sa gamelle vide, repus mais pas moins gourmand. Tentant une caresse, le Prayer toucha le sol, l'animal ayant déjà déguerpi quelques mètres plus loin. Aaron pressentait déjà l'amour qui les unirait...
India brisa alors le silence, levant la visage de son bol, exigeant la plus stricte vérité. La pilule allait peut-être être un peu dure à avaler de si bonne heure, mais il était temps de tirer les choses au clair. India ignorait beaucoup de choses sur ses parents, et même si Aaron avait cru la préserver en la maintenant dans l'ignorance, il comprenait à présent que sa fille avait besoin de repères pour se construire à son tour. Ils devaient apprendre à se connaître, au-delà de la simple relation père absent - fille en pleine crise d'adolescence.

Soit.

Aaron se servit une tasse de café et prit place en bout de table. Il vit alors la fatigue sinistrer le visage de sa fille, soulignant son regard d'épaisses cernes noires. Accusant toujours une bonne gueule de bois, le Prayer s'amusa de l'inversion des rôles : India ressemblait à une mère minée par l'angoisse et lui à un ado', piteux, aux mœurs excessives.

Je ne sais pas par où commencer... Comme tu le sais, je suis né à Los Angeles, d'un foyer quelque peu brisé. Ma mère m'a eu jeune, et n'a jamais vraiment réussi à passer le cap du baby blues. Mon père était un routier qui passait nous saluer une fois par mois. Cela lui était tellement insupportable qu'il buvait à en devenir un... un monstre. Il battait ma mère, et quand j'ai été en âge d'encaisser, il a changé de proie. Quelque part, j'étais heureux de prendre à la place de ma mère, de lui épargner ça. Je croyais que c'était comme ça qu'on devenait un homme. Il fallait tanner le cuir...

Aaron but une gorgée de son café. Sa voix était calme, posée, trahissant un détachement nécessaire. Il ne voulait pas se reconnecter aux émotions de cette époque. Il s'était construit dans l'adversité et refusait de faire face à ses faiblesses, préférant en faire une force nommée fierté déplace.

A l'adolescence, j'ai tenté de m'émanciper de tout ça, devenant le Kurt Cobain du bahut... Aaron eut un rire nerveux mais nostalgique. Mon "père" ne supporta pas cet élan d'indépendance et, un soir, il décida de m'interdire formellement toutes extravagances vestimentaires. La situation a dégénéré : il m'a battu, presque à mort si les cris de ma mère ne l'avaient pas détourné de moi. Et alors qu'il s'apprêtait à lui faire passer l'envie de gueuler, je lui ai tiré dessus, deux balles, une dans chaque jambe. Puis j'ai fui : je refusais d'aller en prison pour m'être défendu d'une vie de souffrance. J'ai alors passé le mur et rejoins Downfall.

Fin du premier chapitre.

India encaissa les informations en silence, avec une sorte de détachement certainement nécessaire. Il lui faudrait du temps afin de digérer tout ça. Et même si Aaron en avait pleinement conscience, il était déçu d'apercevoir si peu de réactions de la part de sa fille. A quoi s'attendait-il après tout ? Il savait qu'il ne devait rien attendre d'elle, et pourtant... Il ne pouvait s'empêcher de guetter chez elle un minimum de compassion, ou du moins d'empathie. Un petit quelque chose qui montrerait qu'elle comprenait que son père n'était pas un monstre, mais seulement un enfant maltraité ayant grandi selon un parcours sinueux et faisant l'adulte qu'il était à présent. Même si une enfance douloureuse n'était pas une excuse, elle était une raison à de nombreux choix de vie. Après tout, on n'était moins ce qu'on faisait de nous-mêmes que ce que les autres faisaient de nous.
Cependant, India réagit à l'injustice dont son père avait été la victime. Avec insouciance, elle blâma le système judiciaire, comprenant également que l'herbe n'était peut-être pas plus verte ailleurs.

Admirant son thé avec une rare passion, et certainement un complet malaise, l'adolescente lui demanda ce qui l'avait motivé à intégrer les Prayers of Insanity, et à en devenir un membre haut placé. S'agissait-il là d'une motivation particulière, ou plutôt d'un concours de circonstances ? Si Aaron réfutait toute passivité dans sa vie, il était forcé d'admettre que, plus d'une fois, le destin s'était joué de lui, et l'avait balancé sur des chemins obscurs.
Buvant à son tour une gorgée de café, il chercha à résumer son parcours de criminel, désireux d'épargner à sa fille les pires horreurs que de tels choix l'avaient amené à perpétrer.

Pour me faire un peu de thune, je dealais au lycée, alors que j'étais encore à L.A. Rien de bien mirobolant, mais j'avais acquis les bases. Une fois à Downfall, cette expérience m'a permis de rapidement entrer dans un petit gang. Avec toute la connerie de la jeunesse, je suis allé jouer les caïds en territoire Prayers of Insanity, et je me suis fait cueillir par Edward Flynn, en personne. Face à une mort imminente, j'ai fait les fortes têtes, plus poussé par une fierté mal placée qu'un instinct de survie intelligent... et je ne sais pas pourquoi, il a cru en moi. Je ne sais pas ce qu'il y a vu, mais il l'a vu et m'a offert la vie sauve si je balançais mes supérieurs et que j'intégrai son clan. Pour la première fois quelqu'un m'offrait une seconde chance et acceptait de croire en moi : j'ai donc refusé de trahir cette confiance, et j'ai évolué et grandi au sein des Prayers jusqu'à devenir le bras droit d'Edward. Voilà comment je suis arrivé à être le Second des Prayers of Insanity. Même si je ne l'ai pas vraiment choisi au départ...

Aaron sonda les yeux de sa fille, inquiet d'y trouver du mépris ou du dégoût. Il ne lui demandait pas de l'accepter tel qu'il était. Il voulait juste être entendu, et a minima, compris. D'autant plus que sans se défausser d'une quelconque responsabilité, il mettait en avant l'étroitesse des choix proposés par la vie. Devenir un Prayer avait été, à un moment, indispensable à sa survie. Puis, il avait fait le choix de rester et de les intégrer avec sérieux. Là, c'était bien un choix.

J'aurai pu les trahir par la suite ou tenter de les fuir. Mais cela aurait été signer mon arrêt de mort. Et surtout, risquer une autre vie que la mienne : la tienne India. A l'époque où je me suis fait coincé par Flynn et ses hommes, j'entretenais une relation avec une jeune femme. Je... on s'était rencontrés en soirée : je dealais et elle consommait. On a bien accroché et finalement on s'est vu la soirée suivante, puis celle d'après, jusqu'à se voir en dehors des soirées. Aaron marqua une pause, repensant à la photo qu'il avait donné à sa fille, quelques mois plutôt. On y voyait cinq jeunes, dont Jessica, la mère d'India, et Aaron. Ils étaient en compagnie de Ted, un ami qui avait pas mal contribué à cette mise en couple. On formait une petite bande de potes... souffla Aaron, avec nostalgie et douleur. A ta naissance, j'étais plus ou moins dans les filets des Prayers, et il m'est alors apparu insupportable de te laisser à ta mère. Elle n'était même pas capable de s'occuper d'elle-même ; qu'aurait-elle fait d'un bébé... ? Je t'ai prise avec moi, et je me suis dit que la meilleure façon de te protéger serait de devenir un membre important des Prayers ; ainsi, je t'assurerai une certaine protection.