[TERMINE] Connais l'adversaire, et surtout, connais-toi toi-même, et tu seras invincible - avec Livia Aldana

L’après-midi était en train de toucher à sa fin, ce jour-là, lorsque Livia reposa le téléphone sur son bureau, écran tourné vers le bois, laissant échapper un profond soupir. Une certaine lassitude tirait ses traits, et si la mexicaine prit quelques instants pour assouplir sa nuque et ses épaules raidis, et se passer une main sur le visage, l’expression de son visage restait inchangée. Presque fermée. Le ciel dans son dos s’était assombri, et un simple coup d'œil à travers la large fenêtre lui permit de constater qu’il pleuvait à verse, de l’autre côté de l’épais mur en béton. Le temps avait filé aujourd’hui, encore plus fugace qu’à l’accoutumée songea-t-elle non sans une pointe de dépit, et la liste de ce qu’elle avait à faire n’avait pas encore assez diminué au goût de l’avocate. Il était pourtant déjà tard, la soirée n’allait pas tarder à débuter, et pourtant, la brune ne fut pas longue à décider de s’accorder quelques heures supplémentaires au bureau. Personne ne l’attendait chez elle, aucun mari, aucun enfant, pas même l’ombre d’un animal de compagnie pour venir emplir de vie le loft dans lequel elle habitait. Personne qui pourrait s’attrister, ou s’énerver, de ne pas la voir rentrer pour dîner. Un constat qui la laissa pourtant de marbre.

Assise à même le sol, une jambe repliée vers elle, l’autre tendue, Livia observait avec attention son laptop, son regard faisant régulièrement l’aller-retour avec un bloc-notes installé devant elle. Ses longs cheveux bruns, uniquement retenus par un crayon, se répandaient pourtant en boucles éparses, ici ou là, obscurcissant son regard par moments, au gré des mouvements de sa tête, ce qui ne semblait pas la déranger outre mesure. Quelques minutes plus tôt, la mexicaine avait tiré de sous sa chemise le médaillon offert par Carmen, qui glissait en rythme entre son index et son pouce, trahissant la concentration de sa propriétaire. Une fois n’était pas coutume, le bureau de la jeune avocate était plongé dans le silence. Enfin...un silence tout relatif, puisque Livia avait pris soin d’ouvrir une fenêtre suffisamment protégée pour éviter toute entrée d’eau, mais qui lui permettait malgré tout d’entendre le son rassurant de la pluie qui tombait au dehors, implacable. Le stylo qui gisait en travers de ses notes se retrouva entre ses doigts, alors que l’hispanique griffonnait quelques mots clés dont elle seule pourrait comprendre la signification, et ce qui se cachait derrière. Une tasse de café reposait sur un dossier, Livia la porta à ses lèvres, avalant une gorgée de ce breuvage froid depuis une bonne heure déjà.

Le médaillon quitta les doigts de la jeune mexicaine pour venir glisser contre ses lèvres, signe que la concentration était à son apogée. C’était un vieux tic que Livia avait depuis des années, un réflexe dont elle n’avait même plus conscience, à chaque fois qu’elle se mettait à réfléchir intensément, une habitude qu’elle avait vite acquise après que sa grand-mère lui eut offert ledit collier. Deux brefs coups à la porte la tirèrent cependant bien vite de son raisonnement, l’hispanique jetant un œil à ses notes, comme pour juger de la nécessité de cacher tout ça avant d’autoriser une quelconque entrée dans ses quartiers. Une pensée s’immisça pourtant bien rapidement dans son esprit, lui murmurant que vu l’heure, elle n’avait que peu de raison de se montrer méfiante quant à l’identité de son visiteur. “-Entrez.” souffla-t-elle donc suffisamment fort pour se faire entendre, redressant sa jambe pliée pour poser sur celle-ci son bras, le médaillon toujours entre ses doigts.

La porte s’ouvrit, et Liv sembla à peine surprise face au visage qui apparut dans l’encadrement de la porte. “-Bonsoir, Aaron.” reprit-elle, jaugeant un instant du regard l’expression de son Boss. La mexicaine tenta de sonder l’expression sur le visage du narcotrafiquant, un jeu périlleux tant il était complexe de deviner les pensées du Prayer, un jeu de devinettes auquel elle n’avait pourtant pas envie de s’adonner ce soir. Un vrai rayon de soleil ce soir encore, pensa-t-elle malgré tout le temps d’un battement de cils, détournant ses yeux sombres au bout de quelques secondes, sans se risquer à un sourire qu’il ne lui rendrait sans doute pas. L’avocate rassembla ses affaires en quelques brefs instants, puis se releva souplement, déposant le tout sur son bureau, parfaitement ordonné. Elle y posa d’ailleurs l’une de ses fesses, croisant les bras sur sa poitrine, alors que son visage se tournait une nouvelle fois vers Aaron : “- Alors cette cargaison ?” demanda-t-elle sobrement, n’étant pas de celles qui se perdaient inutilement dans les détails, ou les paroles superflues.

Le menton légèrement relevé, les bras croisés sous sa poitrine, Livia ne quittait pas un seul instant du regard son Boss, et cet air fermé qu’il affichait ce soir-là. A la manière d’un miroir, la mexicaine lui présentait une mine passablement similaire, comme s’ils étaient en plein jeu de dupes, cachant soigneusement le fond de leurs pensées, leurs ressentiments à l’autre. Un bref froncement de sourcils vint d’ailleurs froisser brièvement les traits de la jeune avocate, qui se demanda, l’espace d’un battement de cils, de quand datait la dernière fois qu’elle avait vu Phillmore détendu...ou souriant. La réponse du Prayer était à l’image de cette question que l’hispanique venait de lui poser : brève, exempte de tout blabla inutile, directe. Aussi, Livia hocha la tête brièvement, se contentant d’un simple : “-Parfait, alors.” Il n’y avait de toutes façons rien de plus à en dire. Un échange qui s’était parfaitement déroulé, et qui était conforme à ce qui était convenu ne nécessitait pas de grand discours superflu.

Pour autant, Livia avait le sentiment que ce n’était pas pour cette livraison qu’Aaron était venu la trouver dans son bureau quelques minutes plus tôt. Mais elle n’était pas disposée à poser la moindre question, pas davantage à tirer les vers du nez de son supérieur. Pas ce soir, en tout cas. L’avocate se mura donc dans un silence, tournant tout juste la tête pour redresser le tas de feuilles sur son bureau, s’assurant par la même que tout était parfaitement rangé. Un simple soupir, et l’impression tenace qu’on la fixait suffirent à la brune pour relever son nez vers Aaron, leurs regards se croisant une nouvelle fois. Et soudain, la sentence tomba des lèvres de Phillmore, implacable. Le menton de la mexicaine se releva sensiblement, réflexe incontrôlé, alors que les poings de Livia se serraient contre son corps. Si une pointe de surprise vint se saisir de la jeune femme quand il lui demanda si elle était disponible, elle tâcha de ne rien en montrer. Il n’était pas dans les habitudes du Prayer d’attendre sagement que la brune aménage son emploi du temps pour lui accorder quelques instants, il avait même plutôt tendance à s’imposer lorsqu’il le jugeait nécessaire.

Livia resta immobile un instant, sondant le regard d’Aaron, peut-être dans l’espoir d’y déceler ce qu’il comptait lui dire, au sujet de son frère. Ce ne serait sans doute pas une conversation agréable, rien qui viendrait faire naître un sourire sur le visage de l’hispanique. Cette dernière ne tarda pas à se remettre sur pieds, quittant le bureau, alors qu’elle désignait le canapé à l’autre bout de la pièce de sa main : “-Installons-nous.” lâcha-t-elle donc, passant devant lui pour aller s'asseoir non pas à la place indiquée à peine une poignée de secondes plus tôt, mais sur un fauteuil isolé, comme pour mettre inconsciemment une certaine distance entre eux.  

Il y avait sans aucun doute tout un tas de choses que Livia aurait préféré faire à cet instant que discuter de Pedro, ou plutôt de ce que Pedro avait dû encore faire, et pourtant, elle savait aussi qu’elle ne pourrait pas se dérober. Pas éternellement en tout cas. Aussi, la mexicaine inspira longuement, avant de hocher doucement la tête : “-Je t’écoute, Aaron. Que se passe-t-il avec mon frère ?” demanda-t-elle sans détour, prononçant ce mot qu’il avait soigneusement évité précédemment, comme par peur qu’il lui brûle la langue. Pourquoi taire ce qui était la réalité ? Le même sang coulait dans les veines de Pedro, et celles de Livia, inutile de prétendre le contraire. “-J’apprécierai que tu ne tournes pas autour du pot, et que tu ailles droit au but.” demanda néanmoins la juriste, à la manière d’une faveur, quand bien même ce n’était pas dans les habitudes d’Aaron de se perdre en discours inutiles.

Tout juste installés, Livia avait demandé à Aaron de ne pas tourner autour du pot, d’être franc avec elle, de se montrer direct, comme pour abréger cet instant qui promettait de ne pas être agréable. La mexicaine s’enfonça dans son fauteuil, croisant les jambes, les bras reposant sur les accoudoirs tapissés de velours. De ses prunelles sombres, elle ne quitta pas un seul instant du regard le Prayer, qui fidèle à ce qu’il avait accepté d’un hochement de tête peu expansif, allait droit au but, ne la ménageant pas. Sans faillir, l’avocate du cartel soutint cette oeillade qui lui fut adressée, son menton se relevant à peine, ses traits demeurant figés dans une parfaite maîtrise de soi, qui contrastait pourtant avec le flot de pensées qui se déversait déjà dans son esprit, en réaction aux paroles du brun.

Il aurait sans doute été malhonnête de la part de la brune de feindre une quelconque surprise, de prétendre que jamais elle n’aurait pu imaginer son frère agir comme Aaron venait de le décrire. Au fond, c’était même tout l’inverse. Livia aurait pu prédire qu’ils finiraient par avoir cette conversation, et ce depuis le premier kilo de cocaïne subtilisé par Pedro, mais elle s’était accrochée malgré tout à l’espoir, ténu mais bien réel, que son frère finirait par reprendre ses esprits. Par honorer ce contrat qu’il avait passé avec les Prayers. Peut-être espérait-elle même qu’il choisirait de faire ce qu’il fallait, en l’honneur de cette petite sœur envoyée des années plus tôt pour lier une relation étroite entre les cartels. L’aîné de la fratrie était pourtant resté fidèle à lui-même, agissant à des kilomètres de Downfall, sans penser une seule seconde aux conséquences que ses décisions pourraient avoir sur cette alliance. Sans penser une seule seconde aux conséquences que ses décisions pourraient avoir sur Liv.

La question d’Aaron tira brusquement la jeune hispanique de ses pensées, celle-ci reportant son regard sur son Boss, alors même qu'elle ne s’était pas aperçue l’avoir détourné. “-Raisonnable ?” répéta-t-elle, peut-être comme une façon de s’assurer qu’elle avait bien saisi le fond de la question qui lui était adressée. Silencieuse de longues secondes, Livia rendit au Prayer son regard, tâcha de museler ses pensées sous une expression de façade soigneusement étudiée…avant de s’autoriser finalement un soupir, alors qu’elle relâchait cette tension inutile dans ses bras, qui vinrent trouver ses flancs. “-Pedro est beaucoup de choses, mais…raisonnable n’en fait pas partie." répondit-elle finalement, les mâchoires venant se serrer assez brièvement face à cet aveu fait à voix haute.

Quand Livia repensait à cette façon qu’il avait eu d’imposer son autorité après la mort de leur père, de prendre ce pouvoir qui lui revenait pourtant de droit et qu’aucun autre frère n’aurait songé à usurper, de se débarrasser de ceux qui songeaient à se mettre en travers de son chemin, raisonnable était bien le dernier mot qui venait en tête de la jeune femme. Aussi, elle savait très bien quel sort il aurait réservé à l’un de ses partenaires qui aurait agi exactement comme Pedro le faisait avec les Prayers. La mexicaine prit une longue inspiration, venant attraper son genou de ses mains croisées. “-Pedro a toujours été…excessif. Dans ses réactions. Dans ses paroles. Dans ses décisions, aussi. J’aimerai pouvoir te dire que le temps a fait son œuvre, et qu’il a changé, mais…le fait est que je n’en sais rien. Je n’ai plus vraiment de contact avec lui depuis mon arrivée ici.” répondit-elle avec détachement, se contentant d’énoncer un fait, comme elle parlerait de la pluie ou du beau temps. Leur relation autrefois difficile était désormais inexistante.

Des dizaines de kilos de cocaïne…cette nouvelle la dérangeait profondément, sans pour autant que la juriste parvienne à s’expliquer réellement cette réaction qui s’imposait à elle. Était-ce vraiment judicieux de se sentir…trahie ? Car au-delà de la colère, pourtant sous-jacente, c’était ce sentiment là qui se distillait lentement dans ses veines et prenait possession d’elle. Quant à savoir si elle se sentait trahie par un frère, ou trahie par un partenaire…aucune réponse ne s’imposait à son esprit. Mais une chose était pourtant clair dans les pensées de la jeune femme, tranchant au milieu de ses réflexions dérangées : ils ne pouvaient pas laisser passer ça. Non. Ils ne devaient pas laisser passer ça. “-Que comptes-tu faire ?” demanda-t-elle donc, trouvant une nouvelle fois le regard d’Aaron pour y ancrer ses yeux sombres.

Bien sûr qu’elle savait comment ça fonctionnait. Livia ne le savait d’ailleurs que trop bien, pour avoir à de nombreuses reprises remis entre les mains d’Aaron les dossiers de ceux qui avaient la bêtise de croire que la disparition de quelques grammes de drogue, ou de quelques billets, allait passer inaperçue. La mexicaine savait parfaitement le sort qui était réservé à ceux qui tentaient de les abuser, de se jouer de la confiance relative qui leur avait été confiée. Son regard se posa une nouvelle fois sur le chef du cartel quand de nouveaux mots quittèrent ses lèvres, des paroles face auxquelles elle n’eut cependant aucune réaction. S’en séparer. Le mot s’attarda quelques instants dans sa tête, la faisant grimacer légèrement. C’était presque enfantin de voir comme deux petits mots revêtaient au fond une bien grande signification. Car quand on gérait un cartel, on ne pouvait pas simplement remercier chaleureusement un employé, ou collaborateur, et lui souhaiter un avenir radieux. C’était tout bonnement impensable. Ce genre de partenariat ne connaissait qu’une fin envisageable. La brune n’avait donc aucun mal à imaginer où son chef voulait en venir.

Le regard de Livia se perdit quelques instants dans le vague, alors qu’elle-même se plongeait dans ses pensées, ne pouvant pourtant s’y égarer bien longtemps, Aaron reprenant la parole. Une brève moue tordit quelques instants ses lèvres, quand bien même Livia prêta attention aux informations transmises par leur leader, se jurant de faire de plus amples recherches sur ce Delarco, dont le nom avait déjà été évoqué entre eux. La perspective d’une punition revint, alors que d’impatience, la jeune femme fit claquer sa langue contre son palais, réagissant presque aussitôt. ”-J’ai du mal à comprendre la raison de ta présence, Aaron. Es-tu venu me demander une quelconque permission ?” interrogea-t-elle, sans qu’aucun sourire ne vienne troubler le sérieux de son expression. Nul doute qu’il ne lui aurait pas demandé la moindre entrevue pour un partenaire lambda, quand bien même elle était son bras-droit. Sans un mot de plus, la juriste quitta le fauteuil sur lequel elle n’était pourtant pas installée depuis plus de quelques minutes, et vint se poster devant la fenêtre ouverte, où quelques mèches de ses cheveux s’agitèrent un instant.

Livia resta silencieuse un moment. Un long moment, même. Le temps nécessaire pour organiser ses pensées, analyser la situation, tâcher de dissocier au mieux la sœur du partenaire commercial. Son regard glissa sur Downfall, aussi loin qu’elle le put, sans pour autant qu’elle ne cherche réellement quoi que ce soit. Ses bras se serrèrent un bref instant davantage sur sa poitrine, avant qu’elle ne baisse les épaules, avisant le reflet de Phillmore dans la fenêtre. “-Une guerre contre Delarco conduira Pedro à armer mes frères, et…ça…ce n’est pas envisageable. Ce sera un vrai massacre, pour les deux cartels, et cette guerre ne prendra fin qu’avec la mort de Delarco…ou celle de mon frère. Cette issue est trop incertaine.” commença-t-elle d’une voix qui se voulait égale, alors que son regard sombre scrutait encore les rues en contrebas. La juriste imaginait déjà les cadavres s’entasser, des ruisseaux de sang rougir les rues de Tijuana, tout ça à cause d’un seul homme ambitieux. C’était inconcevable selon elle, quand bien même tous avaient parfaitement conscience qu’ils jouaient un jeu dangereux, qui ne se finissait pas toujours bien.

La jeune femme resta une nouvelle fois plongée dans un silence profond, dont elle brisa par un lourd soupir, alors qu’elle se tournait vers son Boss une nouvelle fois. “-On a collé des balles dans la tête de collaborateurs qui avaient fait bien moins que subtiliser des dizaines de kilos de drogue. Ta réaction se doit d’être à la hauteur de l’insubordination, et ce n’est malheureusement pas le premier faux pas de Pedro. Tu dois te montrer aussi impartial que tu le serais avec n’importe qui d’autre, sous peine qu’on te reproche d’avoir été indulgent avec un type qui porte le même nom que l’une de tes plus proches conseillères.” répondit-elle sans se dérober, soutenant le regard d’Aaron, vissé dans le sien. Ses bras descendirent lentement contre le flanc de la brune, qui se permit une brève pause avant de continuer : “-Pedro mort, aucun de mes frères ne reprendra le business familial. Ils aspirent tous à autre chose, loin de la drogue. Delarco pourra aisément mettre sa main sur l’organisation à ce moment-là, et s’il n’est pas stupide, il évitera de commettre les mêmes erreurs s’il ne souhaite pas connaître un sort similaire à celui de son prédécesseur.” ajouta-t-elle, venant trouver son bureau sur lequel elle prit appui, ses mains se posant de part et d’autre de sa silhouette, à plat sur le bois de celui-ci.

Bien malgré ses intentions, le regard de l’hispanique se durcit l’espace d’une poignée de secondes, alors qu’elle écoutait Aaron prononcer quelques mots qui ne réchauffèrent pourtant aucunement le cœur de Livia. A cet instant, elle se moquait bien qu’il soit désolé. Au-delà des mots, elle retenait surtout la façon dont ils étaient prononcés, à peine audibles, comme si ces trois paroles n’étaient qu’un aveu de faiblesse, à peine acceptable aux yeux de Phillmore. De quoi était-il désolé, exactement ? Les règles étaient dures, mais nécessaires, vitales même, pour éviter que s’installe le chaos. L’avocate aurait sans doute pu lui dire…que rien dans cette situation n’était du ressort du chef de cartel. Qu’il n’avait pas poussé Pedro à faire les pires choix qui soient, à ternir cet engagement noué des années plus tôt avec le cartel Downfallien, qu’il ne devait pas être désolé de prendre les sanctions qui s’imposaient, celles nécessaires pour que son autorité soit intacte, celles qui préservaient le groupe. Pourtant, elle ne le dit pas, et garda un air impassible, faisant même douter que Livia ai pu entendre les mots de son supérieur. Qu’il soit désolé ne changeait rien, rien du destin qui attendait Pedro, entre quatre planches de bois, rien au fait qu’elle donnait implicitement son accord et signait par son assentiment la mort de son aîné.

Ses mains serrèrent un peu plus fort le bord du bureau, alors que la brune pinçait doucement les lèvres, se refusant à tout commentaire face à l’aveu que cette conversation n’était qu’une simple mise en scène, la décision du sort de son frère étant déjà prise. Evidemment qu’elle l’était. Elle aurait été prête à le parier dès lors que le sujet était arrivé sur le tapis. Peut-être était-ce simplement ce lien entre Aaron et elle qui expliquait sa présence dans son bureau, peut-être s’imaginait-il qu’il lui devait quelque chose, au moins de lui apprendre de sa bouche que Pedro allait payer de la manière forte ses insubordinations. Et parce qu’elle était l’une de ses plus proches, sinon fidèles, alliées, conseillères, soutiens, endossant parfois même le rôle de bras droit, Livia n’aurait pas accepté qu’un autre que Phillmore l’informe de cette sanction. Elle lui en aurait voulu…tout comme elle lui en voulait de lui imposer ce simulacre de conversation, aux lignes déjà écrites. Aussi, le menton de l’avocate se releva sensiblement, alors que cette dernière serrait la mâchoire, prenant sur elle pour garder les lèvres closes, et ne pas réagir selon ce que lui dictait son instinct, selon cette boule de colère qui menaçait d’éclore dans sa poitrine.  

Un long soupir quitta les lèvres de la brune à la question du Prayer, à laquelle elle ne répondit pas tout de suite, se contentant de fixer Aaron sans doute un peu trop durement, avant de détourner le regard, alors qu’elle attrapait, dans un geste qu’elle ne remarqua pas, le collier que lui avait offert sa grand-mère, des années plus tôt. La question lui fit froncer le nez un instant, alors que la mexicaine s’humectait distraitement les lèvres : “-Je n’ai aucune certitude sur ce sujet. Ça fait très longtemps…trop, sans doute, que je n’ai pas eu de vraies conversations avec mes frères.” avoua-t-elle finalement à mi-voix, avant de se mettre à marcher devant son bureau, ses pensées filant à des kilomètres de Downfall, pour rejoindre son Mexique natal, et cette ville qui l’avait vu grandir. Les relations qu’entretenait la fratrie Aldana s’étaient étiolées depuis le départ de la jeune femme, les brèves conversations se limitant aux appels que passait Livia pour les anniversaires de ses neveux et nièces, quelques minutes trop insignifiantes, où seuls des sujets superficiels étaient abordés, stigmates du fossé qui s’était creusé entre la mexicaine et les siens depuis son départ. Seuls les liens qui unissaient Livia à sa grand-mère étaient restés solides, une relation que la juriste chérissait de tout son coeur, quand bien même elle n’avait plus revu la vieille femme depuis des années.

Les doigts fins de la brune jouèrent un instant avec le pendentif, avant que Livia finisse par refaire face au chef de gang : “-Nous n’avons, de toutes façons, pas un éventail de solutions à portée de main. Faire exécuter mon frère…” commença-t-elle sans pouvoir toutefois finir sa phrase d’emblée, non sans fermer un bref instant les yeux. Faire exécuter son frère…elle en parlait avec un tel détachement qu’elle en eut le tournis le temps d’un battement de cœur, avant de se ressaisir. “-Ils auraient tous énormément à perdre, s’ils prenaient la décision de venger Pedro. Et…j’aime à croire que mes frères sont intelligents, qu’ils sauront faire le bon choix, le seul choix raisonnable qui s’offre à eux. Mais je ne peux pas être sûre à 100% qu’il n’y aura pas de riposte. Je ne peux que l’espérer.” avoua-t-elle finalement, laissant son épaule se lever lentement, puis redescendre avec la même lenteur. Le bijou virevolta entre ses doigts encore de longues secondes, avant qu’un nouveau soupir, si bref qu’il fut inaudible, quitta une nouvelle fois les lèvres de la brune : “-Pedro n’est pas notre père. Il n’a jamais su unir les siens autour de son business, ni fédérer les autres Aldana autour de ses décisions. Il a souvent agi seul, en dépit des recommandations de nos frères, des nombreux conseils prodigués. Il sera pleuré, évidemment, et regretté. Mais je doute qu’il soit vengé.” acheva-t-elle finalement, relâchant le petit pendentif, qui bougea un instant avant de s’immobiliser sur sa poitrine.

Ses pas l’avaient conduit à s’arrêter face à Aaron, alors que la juriste finissait par lui confier la distance qui s’était installée entre ses frères et elle depuis son départ forcé, et qui avait rendu leurs conversations téléphoniques de plus en plus espacées, jusqu’à devenir plus exceptionnelles qu’autre chose. A ce titre, Livia ne pouvait que supposer la réaction de sa famille face au décès de Pedro, l’absence de tout désir de revanche, les ambitions de ses frères bien loin du cartel, mais sans aucune certitude néanmoins. Par moments, elle avait l’impression tenace de n’être plus qu’une Aldana seulement sur le papier, mais de ne pas partager avec eux beaucoup plus qu’un peu d’ADN, et un nom de famille. En quittant Tijuana, c’était aussi les siens qu’elle avait quitté, ses racines, la jeune femme qu’elle avait été là-bas, pendant toutes ces années.

Le regard sombre de l’avocate se posa sur le visage de son Boss, alors qu’un rire sans joie, à peine audible, quittait subitement ses lèvres aux paroles de ce dernier. “-Tu veux faire quelque chose pour…ma famille ?” demanda-t-elle, reprenant les mots qu’il venait tout juste d’avoir, en parlant de ces personnes, à des kilomètres de là, qui portaient le même nom de famille qu’elle. Livia se rapprocha, son menton se redressant légèrement, l’expression de son visage se fermant, se durcissant malgré elle, alors qu’elle reprenait : “-Comment est-ce que tu crois que ça va se passer pour moi, Aaron ?” demanda-t-elle, la tête légèrement penchée, son regard sérieux ne quittant pas un seul instant le visage de son supérieur. Le Prayer of Insanity avait beau avoir gagné tout son respect, et une pointe d’admiration qu’elle avait appris à cacher, Livia n’avait pour autant pas la moindre peur si elle devait lui tenir tête, ou lui livrer le fond de sa pensée.

La jeune hispanique laissa planer un silence de circonstance, comme l’occasion de laisser à son vis-à-vis la possibilité de réfléchir réellement à la question qu’elle venait de lui poser. “-Pedro a des torts indéniables, et inexcusables. Il a fait passer ses intérêts personnels avant tout le reste, avant son honneur, avant ses engagements, et son amour pour l’argent et le pouvoir avant celui qu’il aurait dû porter à sa cadette. Pour eux, aux yeux des autres Aldana, je serai toujours, et à jamais, celle qui savait. Je serai la fille, la sœur qui aurait pu éviter son exécution d’un simple coup de téléphone, mais qui a préféré garder le silence. Pour eux, je serai complice de sa mort, au même titre que si c’était moi qui pressait la détente. Pour eux, je ne serai plus une Aldana, je serai une Prayer of Insanity. Tous ont beau savoir comment fonctionne notre monde, personne n’acceptera le fait que je n’ai pas prévenu les miens. Tous retiendront que j’aurai pu éviter les pleurs de notre mère, la douleur de notre grand-mère, mais que je n’en ai rien fait. Ils retiendront juste que j’ai choisi, pris parti, alors qu’on sait très bien tous les deux que ça n’a jamais été le cas. répondit-elle, ses pas la menant encore plus proche de l’homme, jusqu’à ce qu’elle vienne se planter face à lui. “-Alors non…non Aaron, tu ne peux rien faire pour les Aldana, pour combler le fait qu’ils vont perdre un fils et une fille. Et tu ne peux rien faire non plus concernant le fait que ma famille va très certainement me tourner le dos.” lâcha-t-elle sèchement, avant de se détourner pour aller se poster derrière son bureau, se rendant compte que ses mains tremblaient, trahissant le fait que tout cela n’était pas si anodin dans l’esprit de la mexicaine.

La jeune femme pinça les lèvres, et ferma les yeux à peine l’espace d’un battement de coeur, agitant sa main face à elle, alors qu’elle lâchait : “-Epargne-moi les détails.” L’avocate n’avait pas besoin de connaître la façon dont son frère allait mourir, elle préférait même en ignorer les subtilités. L’issu ne serait pas différente, quels que soient les ordres qu’Aaron donnerait à ses hommes,et tous conduiraient à la mort de son aîné. Elle n’avait pas non plus besoin de connaître la date et le lieu, quand bien même elle avait un désir malgré tout : "-Arrange-toi pour éviter les dommages collatéraux.” ajouta-t-elle, se refusant pourtant à tourner son visage vers Phillmore, ou en étant peut-être tout bonnement incapable. L’idée que d’autres personnes puissent payer de leur vie les agissements de Pedro lui était inconcevable, quand bien même elle savait qu’il ne s’agirait pas de Saints. Mais pouvaient-ils prétendre en être eux-mêmes ? Sans doute que non.

Se rendant jusqu’à la desserte à quelques pas des fauteuils, Livia se servit une généreuse dose de scotch, dont elle avala une gorgée, avant de tourner une nouvelle fois son visage vers le Prayer à sa demande, les sourcils légèrement froncés. Ajouter quelque chose ? Cela lui semblait inutile. “-Ta décision est prise. Elle est prise depuis longtemps, il n’y a rien de plus à ajouter. J’aurai néanmoins préféré que tu nous épargnes à tous les deux toute cette mise en scène. Je nous pensais plus…proches que cela.” souffla-t-elle à mi-voix, sans chercher à cacher cette pointe de déception qui vrillait ses côtes à cet instant. Son verre trouva ses lèvres une nouvelle fois, alors que Livia ne détournait pas le regard, se bornant à observer Phillmore encore de longues secondes. “-Je ne tolérerais plus que quiconque puisse douter de ma loyauté envers toi ou envers le cartel après cela.” ajouta-t-elle avec tout le sérieux dont elle était capable. Sa place au sein du groupe avait longtemps été problématique, et encore maintenant, malgré les années qui avaient passé, et les nombreuses preuves d’appartenance qu’elle avait démontrées, certains doutaient encore de la sincérité de l’hispanique. De retour derrière son bureau, Livia s’y installa, tournant une nouvelle fois son visage vers Aaron : “-J’apprécierais de rester seule à présent. Je ne doute pas que tu as beaucoup à faire de ton côté.” lâcha-t-elle, se permettant pour la première fois de congédier celui qui s’était hissé à la tête des Prayers of Insanity. Il était encore trop tôt, et Livia encore trop en proie à ses émotions, quelles qu’elles fût, pour savoir à quel point la mort de Pedro allait peser dans la relation du leader du cartel et de sa fidèle conseillère.